[Actu] Salon MAKS 2019: un bilan?
Inutile de tourner autour du pot; le nombre d’annonces effectuées dans le cadre du salon MAKS 2019 étant relativement restreint, il n’était guère nécessaire de faire un bilan quotidien contrairement à ce que j’avais envisagé initialement. Ceci étant, on est en droit de se poser la question du « pourquoi » il y a si peu d’annonces de commandes et d’accords signés durant ce salon qui était pourtant annoncé pour être une bonne cuvée. Est-ce un choix délibéré des autorités russes de ne pas accorder une trop grande publicité à des contrats à l’export et par truchement de prêter le flanc aux sanctions occidentales? Est-ce un recul de l’intérêt généré par les productions russes? L’arrivée d’une nouvelle génération d’appareils voit-elle les clients potentiels adopter une posture attentiste avant leur mise en service? Autres?
En fait, on ne peut pas dégager une réponse claire et précise face à ce résultat globalement décevant (eu égard aux annonces effectuées avant le salon) mais il apparaît que l’on se retrouve face à une conjonction de plusieurs facteurs qui ont un impact sur les exportations potentielles de matériels russes. En outre, la tenue de plusieurs salons militaires sur une courte période de temps (Armiya 2019, IMDS et enfin MAKS 2019) fait que les annonces généralement concentrées sur un salon ont été réparties sur plusieurs salons.

Le salon MAKS 2019 va en fait être une sorte de charnière pour l’industrie aéronautique russe; alors que cette dernière a vécu pendant plus de vingt ans sur base de l’héritage soviétique, l’arrivée de nouveaux designs entièrement neufs (MS-21/Su-57 et S-70 dans une moindre mesure) marque la transition progressive vers la première génération d’appareils russes contemporains (par opposition aux appareils soviétiques) et ce presque trente ans après la fin de l’URSS. Il reste bien évidemment beaucoup de chemin à parcourir et la remise aux goûts du jour de designs plus anciens (IL-76 et Tu-160 notamment) se justifie pleinement pour des raisons de timing, d’efficacité et d’économie permettant de dégager du temps aux constructeurs pour mettre au point des programmes modernes (dans le sens « entièrement neufs ») sans pour autant pénaliser les capacités de la force aérienne russe. Il n’empêche que l’accent durant le salon MAKS a clairement été mis sur les appareils modernes qui ont été fortement mis en avant tandis que les designs existants (Su-35S, Su-34, variantes du Mi-8, etc…) se sont contentés de faire le show en arrière-plan.
En outre, l’industrie aéronautique russe va passer par une phase délicate de restructuration de la structure héritée de l’URSS (bureaux d’études et usines indépendantes) dans le cadre du passage du holding UAC Russia sous le contrôle de Rostec avec la création de clusters spécialisés pour chaque branche d’activités (civil, militaire, etc…) avec en outre la question de la dette historique accumulée à la fin de l’URSS qui grève lourdement les capacités d’investissement des usines. A ceci, il est également nécessaire de prendre en ligne de compte la réduction – fort logique – des commandes militaires russes vu que le processus de renouvellement engagé à l’aube des années 2010 est maintenant bien avancé (bien que non achevé). Ces facteurs cumulés font que la Russie n’a que peu intérêt à obtenir des commandes importantes dans les mois à venir; non pas que ces dernières ne soient guère utiles pour l’économie (la différence de prix entre un avion employé sur le marché intérieur et son homologue exporté est des plus éclairante), au contraire même, mais il est préférable pour le secteur de procéder à la remise à plat de sa situation structurelle et financière avant d’envisager l’avenir surtout dans un contexte ou la production civile va à terme devoir prendre une place de plus en plus importante.

Fort logiquement avec la fin en vue des grosses commandes passées dans le cadre du GPV 2011-2020, on pouvait s’attendre à des annonces de commandes supplémentaires pour certains appareils dont le besoin pour les forces aériennes ainsi que la marine russe est établi (Su-34, Su-35S, Su-30SM) surtout au vu des annonces antérieures faisant état que ces commandes sont prévues dans le GPV 2018-2027. Or aucune communication en ce sens n’a été faite tant qu’à présent, est-ce pour autant la fin de la production de ces trois modèles d’avions? Il semblerait que non, mais là également les choses sont à mettre en perspective avec plusieurs évolutions à suivre:
- Lancement du programme de modernisation Su-30SMD (nouveaux réacteurs et radar pour le Su-30SM)
- Lancement du programme Su-34M (modernisation du Su-34)
- Intégration de nouveaux armements sur le Su-35S (missile R37)
Bref, il est légitime de penser que si la Russie vient de lancer les études et/ou travaux sur deux programmes de modernisation desdits appareils ce n’est certainement pas pour arrêter immédiatement leur production; des commandes supplémentaires suivront donc sous peu. Idem en ce qui concerne le Su-35S, dans le cas d’espèce, c’est la préservation de la capacité de production pour l’exportation qui justifie la poursuite de la production de ce dernier; les besoins russes pour ce dernier diminuant avec l’arrivée en vue à terme du Su-57. Avec le GPV 2018-2027 qui n’en est qu’à ses débuts, il est plus que probable qu’il faudra encore attendre un peu pour voir apparaître les prochaines commandes russes qui coïncideront avec la fin (qui se rapproche rapidement) des commandes signées dans le cadre du GPV 2011-2020.

Il semble également que malgré le silence relatif des annonces en matière de commandes à l’exportation, les russes ne soient pas restés les bras croisés avec la présentation de plusieurs variantes exports (en général, des appareils aux spécifications russes auxquels a été ajouté le suffixe -E dans la dénomination sans autres modifications spécifiques). Au niveau des avions présentés et des pays intéressés, les informations suivantes sont sorties dans la presse:
- L’Algérie aurait signé pour 16 Su-30MKA supplémentaires et 12 MiG-29M(2)
- La Malaisie serait intéressée par le MiG-35 en remplacement de sa flotte de MiG-29
- L’Inde a effectué des vols à bord du MiG-35 et les commentaires sont positifs
De manière pour le moins surprenante, ces annonces ont été faites après la fin du salon, comme si la Russie préférait ne pas « trop » communiquer sur ces question. Il est vrai que le cas de la commande supposée (puisque pas encore officiellement confirmée) de Su-35S par l’Egypte avec un recadrage officiel du journal Kommersant qui avait été le premier à sortir l’information est encore frais dans les mémoires de certains. Bien évidemment, le fait qu’il y ait eu des annonces n’indique pas qu’il y ait des commandes fermes, mais on peut en déduire sans prendre trop de risques que les productions russes suscitent encore un intérêt certain et ce malgré les sanctions en vigueur. Elément tendant à plaider dans le sens d’une modération médiatique contrôlée: l’absence complète des premiers Su-30SM pour la Biélorussie alors que des photos des premiers appareils ont été faites lors d’une journée portes ouvertes à l’usine IAPO (Irkutsk) quelques jours avant le salon MAKS.

Est-ce que l’on doit pour autant s’inquiéter pour le secteur aéronautique russe et plus largement pour les exportations russes? Pas vraiment. Avec grosso-modo: une centaine de Mi-28NM, soixante-seize Su-57, environ deux cent MS-21 (sans prendre en considération les options), dix Tu-160M2, trente-neuf IL-76MD-90A en commande ainsi qu’une commande en préparation pour une centaine de Ka-52, on ne peut vraiment pas dire que la situation soit catastrophique. Il n’y a que la situation du MiG-35 qui soulève de plus grosses questions vu que ce dernier se cherche une clientèle à l’export et que la force aérienne russe renâcle à lancer son acquisition en grande quantité. L’enthousiasme est à modérer par rapport au fait que certains clients coutumiers des productions russes subissent de plein fouet l’effet des sanctions liées au CAATSA avec les conséquences qui en découlent. En outre, et comme indiqué ci-dessus, on assiste au passage de relais entre une génération qui achève sa carrière (les Flankers) et une autre qui débute modestement sa carrière à l’international (le Su-57), sachant que ce dernier n’est pas encore exporté puisque pas encore admis au service au sein des forces aériennes russes.

Au final, un bilan que l’on pourrait qualifier comme étant en demi-teinte, outre une volonté (affichée?) de contrôler plus strictement les informations sur les contrats à l’exportation; certains aspects du salon sont pour le moins positifs (les nouveaux avions qui débutent en force), tandis que d’autres éléments (la forte discrétion des clients à l’export, le sort incertain du MiG-35 ainsi que la restructuration du secteur aéronautique à venir) qui sont des facteurs faisant que ce secteur sera soumis à de fortes pressions internes et externes dans un contexte où il doit passer par une reconversion partielle vers la production civile tout en éliminant une partie des dettes accumulées à la fin de l’ère soviétique.
Les mois à venir risquent d’être plus intéressants qu’on ne pourrait l’estimer à première vue; si les intentions affichées se concrétisent bien entendu. Ce qui est loin d’être toujours le cas en Russie.
Merci, merci pour votre travail de fond et de couverture d’événements. J’ai même la sensation au file du temps que vos articles deviennent plus pointu et encore mieux construit. J’aime aussi énormément vos interrogations qui par leur écritures nous transmettes votre enthousiasmes d’en découvrir plus. Du vrai journalisme 😉
Merci.
On essaie en permanence de faire mieux et d’améliorer ce que l’on peut. On privilégie la qualité à la quantité 😉