Il y a aujourd’hui un an très exactement que la Russie lançait son « opération militaire spéciale » (sic) en Ukraine: cette guerre (même si l’usage de ce mot est interdit en Russie pour qualifier les opérations en cours) a vu l’armée russe s’engager dans une opération militaire de grande ampleur mais avec des moyens très largement sous-dimensionnés. Confrontée à un ennemi très largement sous-estimé, avec une armée bien équipée sur le papier mais très mal préparée sur le terrain, présentant une liste de manquements avérés et de défaillances chroniques interminables: cette opération conçue à l’origine comme une réinterprétation contemporaine du concept de Blitzkrieg s’apparente déjà à un des plus gros fiasco militaire des trente dernières années.
Le projet politique russe porté par le « poutinisme » depuis le début des années 2000 ayant comme objectif de rendre à la Russie sa grandeur du passé; en vue d’atteindre cet objectif, le gouvernement russe a mobilisé des moyens financiers et techniques importants visant à développer une armée forte et puissante… ceci se faisant au détriment de l’élévation générale du niveau de vie ainsi que de l’économie en Russie. Néanmoins, l’objectif poursuivi (justifiant donc des sommes importantes consacrées à ce dernier) s’est pris en pleine face le mur de la réalité qu’est la résistance des ukrainiens face aux visées russes. Marquant un changement de paradigme durable en Europe (géographique): le comportement de la Russie en Ukraine vient de remodeler l’attitude de l’Europe face à ce voisin turbulent et belliqueux, ce mouvement est appelé à se poursuivre tant que les canons parleront (et très certainement après).
Comment et de quelle manière évoluera cette guerre et ses conséquences directes et indirectes? On ne peut pour l’instant qu’entrevoir une parties des effets (et des conséquences) de cette attaque sur l’Ukraine mais il est un fait évident qu’il y a eu un monde pré-24/02/2022 et qu’il y a un monde post-24/02/2022… il en va de même pour la Russie (et plus largement pour son armée): le monde d’aujourd’hui n’est pas celui de hier et ne sera pas celui de demain. Avec ce risque, bien réel, qu’à terme les déboires actuels de l’armée russe qui était la garante de la « grandeur russe retrouvée » et dont l’image est fortement écornée, déstabilisent la politique russe avec toutes les conséquences potentielles qui peuvent s’ensuivre. Et bien qu’une Russie agressive et belliqueuse représente une menace sérieuse (qui semble avoir souvent été ignorée ces dernières années), une Russie en déliquescence et en plein chaos politique comme dans sa période post-1991… représente une menace tout aussi importante surtout au vu des arsenaux locaux et de certains candidats potentiels pour prendre la succession du « poutinisme ». Bref, beaucoup de questions au sujet desquelles il n’est pas encore possible de répondre mais qui portent en elle nombre d’incertitudes sur le futur de la Russie, de l’Europe, et plus largement du Monde. Le matériel russe ne sort bien évidemment pas indemne des opérations en cours (surtout au vu de l’attrition importante) et même si il est victime à la fois de défauts avérés sur ce dernier, il est également la résultante d’un emploi parfois à contre-courant de ce pour quoi il a été conçu. Conséquence logique des (lourdes) pertes enregistrées par les russes, la publicité autour des contre-performances du matériel employé impacte le regard des utilisateurs de véhicules de facture soviéto-russes et notamment des chars de combat (MBT).
Alors que jusqu’au début de 2022, plusieurs armées d’Europe Centrale et du Sud, qu’elles soient ou non membres de l’OTAN, exploitaient encore des quantités importantes de véhicules hérités de l’époque soviétique, le vaste mouvement de solidarité qui s’est rapidement établi entre les anciens frères du Pacte de Varsovie pour venir en aide à l’Ukraine vont voir la donne changer très rapidement en matière d’équipements militaires. Reposant encore très largement sur le T-72 (et variantes) comme char de combat principal en dotation dans les armées de terre de plusieurs pays; les programmes de remplacement de ces derniers étaient souvent soit au stade des discussions préliminaires, soit en cours d’acquisition, soit pour beaucoup…mis au frigo! Les nombreuses donations effectuées à l’Ukraine ainsi que la promesse faite par certains pays occidentaux (Allemagne en tête) de venir recompléter les effectifs sur base de véhicules d’occasion stockés en bon état notamment via le programme allemand « Ringtausch » a vu la situation sur le terrain des équipements alignés par les armées d’Europe Centrale changer rapidement et cette situation est appelée à se poursuivre dans les mois à venir.
Selon l’adage « Le malheur des uns fait le bonheur des autres« , les industriels actifs dans le secteur militaire ont bien compris que la période est propice pour mettre en avant leurs matériels; ces derniers étant notamment aidés par l’existence de stocks de véhicules pouvant être envoyés soit en Ukraine soit directement chez les donateurs pour rééquiper leurs armées sans se déforcer. Grâce à ces stocks, les derniers opérateurs de T-72 en Europe effectuent un retrait accéléré de ces derniers du service pour les remplacer notamment soit par des Leopard 2A4 issus des stocks de la Bundeswehr (ou des industriels qui en ont racheté lors des déstockages d’armées européennes) soit par des M1A1 Abrams d’occasion provenant des stocks de l’US Army. Ce mouvement de déstockage et rééquipement offre plusieurs avantages dont notamment celui de faire passer les opérateurs sur un calibre compatible aux standards OTAN avec la fin du 125 mm soviétique (permettant d’envoyer les munitions stockées en Ukraine) et son remplacement par le 120 mm OTAN facilitant d’autant la logistique entre les pays membres ainsi que les entraînements des équipages.
Il est par contre évident que ces donations qui poursuivent un but parfaitement louable et légitime ne sont pas (totalement) désintéressées; elles permettent également à plusieurs armées de se rééquiper rapidement (même avec du matériel d’occasion) et de « forcer le destin » devant des politiques qui freinaient souvent des quatre fers l’acquisition de matériels neufs. La guerre en Ukraine ayant rebattu les cartes et réveillé les « belles endormies », elle semble avoir ouvert les yeux de beaucoup de responsables qui ont décidé d’augmenter les budgets d’équipements et de fonctionnement tout comme ils ont lancé les appels d’offres visant à acquérir des véhicules neufs aptes à venir remplacer les derniers vestiges de l’époque soviétique dans les dotations en matériels. Ce mouvement qui va nécessiter du temps connaît un début d’exécution rapide vu que les premiers véhicules d’occasion ont déjà été réceptionnés dès la fin de l’année 2022.
Au vu des quantités de matériels et des nombreux modèles concernés par les donations vers l’Ukraine, l’existence du brouillard de guerre mais également d’annonces qui ne se sont pas concrétisées: cet article se concentrera (comme son titre l’indique) avant tout sur les chars de combat d’origine soviétique toujours employés en Europe (donc principalement en Europe Centrale et du Sud), sur leur avenir à court et moyen-terme ainsi que sur les véhicules qui ont été expédiés en Ukraine: les véhicules de combat d’infanterie ne seront pas passés en revue. Précision (nécessaire?), il s’agit d’un « instantané » de la situation: cette dernière évoluant constamment, il n’y a aucune prétention à une exhaustivité parfaite dans cet article. A noter qu’un mouvement similaire concerne également les forces aériennes, celui-ci sera également abordé sur le blog dans le futur.
Tour d’horizon des pays concernés
Bulgarie
La composante terrestre des forces armées bulgares (Сухопътни войски на България) a disposé d’un parc important de chars de combat à l’époque soviétique avec une dotation composée principalement de T-55 (environ mille deux cents véhicules), et dans une moindre mesure de T-62 (deux cents véhicules) et T-72M1 (trois cents véhicules). Cette flotte a été fortement réduite après la chute du gouvernement communiste en novembre 1989; l’armée passant par une sévère cure d’austérité dans le courant des années 1990 avec retrait du service d’une très grosse majorité des équipements en service.
Un T-72M1 bulgare lors d’exercices. Image@Christopher Lange
Le 29 mars 2004, lors de l’entrée de la Bulgarie dans l’OTAN, l’armée de terre n’alignait plus que cinq cent septante tanks, ce nombre va continuer à se réduire avec le retrait de service des derniers T-55 et T-62 et la conservation d’une partie des T-72M1 en service. Ayant traversé une grave crise financière et avec des budgets alloués à l’armée étant des plus réduits, l’armée de terre bulgare ne dispose plus aujourd’hui que d’environ quatre-vingts T-72M1, T-72M2 et T-72AK complétés par un stock d’environ deux cents septante véhicules dont il est très peu probable qu’ils reprennent un jour la route. Autre problème, les véhicules alignés sont toujours dans leur état d’origine, le T-72M1 étant une variante export du T-72 offrant un niveau d’équipement réduit par rapport à la version soviétique, inutile de préciser que le véhicule n’est plus du tout adapté aux menaces modernes.
Pour répondre à cette problématique et en l’absence de budgets pour remplacer le matériel, les forces terrestres bulgares vont développer un programme de modernisation limité des T-72M1 concernant quarante-quatre véhicules: quarante véhicules devant équiper la 61ème brigade d’infanterie mécanisée (61-ва Стрямска механизирана бригада) de Sliven et quatre véhicules devant servir à la formation des équipages. Un premier budget de 78,7 millions de Lev a été débloqué pour les travaux en décembre 2020, ce dernier étant ensuite réévalué à 99 millions de Lev en février 2022. C’est la société bulgare TEREM qui a été chargée d’effectuer les travaux de modernisation.
Deux T-72M1 bulgares à côté d’un M1A1 Abrams, on voit bien la différence de gabarit entre les deux modèles. Image@Kevin S. Abel
Les travaux effectués portent notamment sur l’installation d’un nouveau système de contrôle de tir TIFCS développé par l’équipementier Elbit qui offre au véhicule une meilleure capacité de détection avec ajout d’un télémètre laser (d’une portée jusqu’à 9.000 m) ainsi qu’une précision de tir accrue via la prise en compte des données météos qui sont communiquées au calculateur balistique. La protection est revue avec l’ajout d’un système d’alerte laser ELAWS provenant d’Elbit qui assure une couverture du véhicule sur 360°. Le premier véhicule modernisé a été présenté au salon HEMUS 2022 de Plovdiv, la fin des travaux sur les quarante-quatre véhicules étant attendue dans le courant de l’année 2023.
Le premier T-72M1 bulgare modernisé lors de sa présentation au salon HEMUS 2022. Image@pan.bg
Outre les véhicules modernisés maintenus en service, la Bulgarie dispose donc encore d’un stock d’environ deux-cent cinquante véhicules dont la remise en route pour couvrir les besoins bulgares est peu probable et qui sont donc des candidats idéaux pour être envoyés à l’Ukraine: si il est évident que tous les véhicules ne sont plus exploitables après autant d’années, une partie de ces derniers peut être réactivée. Bien que Sofia n’ait pas communiqué officiellement sur des transferts d’armements vers Kiev, par peur de froisser Moscou (?), il apparaît que des artilleries autotractées 2S1 ainsi que des T-72M1 bulgares ont bel et bien été transférés vers l’Ukraine aux environs du mois d’avril 2022, les véhicules étant acheminés via la Pologne.
Avec la modernisation des T-72M1 bulgares et vu la situation politique complexe du pays (quatrième élections en 18 mois), il faut s’attendre à voir la carrière de ces derniers se prolonger encore quelques années, aucun remplacement par du matériel neuf n’étant au calendrier pour l’instant pas plus que ce soit une option budgétairement réaliste.
Croatie
Une des (nombreuses) héritières de l’ancienne armée yougoslave, les forces armées croates (Oružane Snage Republike Hrvatske) ont été fondées le 3 novembre 1991 durant la phase de désintégration de la Yougoslavie qui débouchera sur la guerre d’indépendance opposant la Croatie à la Serbie entre 1991 et 1995. Employant des matériels issus des forces yougoslaves dès sa constitution, les forces armées croates et plus spécifiquement les forces terrestres (Hrvatska kopnena vojska) vont recevoir en dotation des chars de combat M-84.
Un M-84A4 croate lors d’une parade en 2015. Image@Dag Kirin
Le M-84: le T-72M à la sauce yougoslave
De tous temps, la Yougoslavie et principalement sous la direction de Josip Broz dit Tito a cherché à disposer d’une certaine forme d’indépendance industrielle, favorisant au maximum la mise en place d’une industrie locale de production de matériels militaires. Pouvant se reposer sur un tissus industriel moderne et sur des équipes d’ingénieurs et d’ouvriers compétents et bien formés, les responsables yougoslaves vont se retrouver dès 1948 confronté à la tâche de développer des matériels militaires permettant de moderniser l’armée. Cet objectif était vital pour le pays puisque suite au fameux « non » de Tito à Staline qui souhaitait imposer un gouvernement « de type soviétique » en Yougoslavie sous le même principe que les autres pays satellites, les relations entre les deux pays furent rompues et le risque d’invasion soviétique de la Yougoslavie était bien réel.
Histoire de ne rien arranger pour l’armée yougoslave, le pays entouré de pays satellite de Moscou ne pouvait pas compter sur les livraisons de matériels occidentaux vu que ces derniers ne souhaitaient pas (au début tout du moins) livrer du matériel militaire à des pays identifiés comme « ennemis potentiels ». Nécessité fait loi comme le veut l’adage et le gouvernement de Tito va donc décider de mettre en place une industrie locale de production de matériels militaires, ceci débouchera notamment sur la création des cinq prototypes du Véhicule A/Возило А (une version locale du T-34/85). Néanmoins, fin politicien qu’était Tito, il réussit à maintenir le pays dans une position d’équilibre entre l’Ouest et l’Est ce qui permettra de se fournir en équipements auprès des deux « blocs » (à titre d’exemple, la compagnie aérienne yougoslave JAT Airways volait sur DC-9, DC-10 et Boeing 707: chose impensable dans les pays satellites de Moscou pour lesquels les Iliouchines, Tupolev et Antonov constituaient la seule et unique norme). Cet équilibre va permettre à la Yougoslavie de recevoir entre 1951 et 1957 dans le cadre du « Mutual Defense Assistance Act » un important ensemble de 599 M4A3 Shermans, 319 M47 Patton, 140 M18 Hellcat et enfin 399 M36 Jackson: les véhicules reçus vont permettre de renouveler la flotte de véhicules blindés mais vont également poser un problème au niveau de la logistique (absence de pièces de rechange), ce qui contraindra les techniciens yougoslaves à arrêter une partie des véhicules pour les employer comme banque d’organes.
Un T-34/85 aux accents yougoslaves, le Возило А. Image@?
Ayant arrondi les angles avec Moscou après la mort de Staline en 1953, tout en gardant des bonnes relations avec Washington: l’Armée populaire yougoslave (JNA) va être en mesure d’acquérir sur une période de 25 ans un ensemble composé de 140 T-54 et environ 1.600 T-55. L’arrivée de ces chars de combat a vu les projets de produire localement des véhicules blindés envoyés aux oubliettes. A la fin des années 1960, conscients que les chars en service au sein de la JNA vieillissaient et que les modèles en service présentaient des limitations qui ne faisaient qu’augmenter face à l’arrivée de véhicules plus modernes, les militaires yougoslaves se mirent à la recherche d’un nouveau char devant permettre de moderniser les flottes de blindés de la JNA. Le nouveau « standard » en matière de véhicules blindés soviétiques, le T-72 représentait ce qui se faisait de mieux à l’Est à cette époque: compact, mobile, bien armé, simple à mettre en œuvre, bref le modèle va vite attirer l’attention des yougoslaves.
Outre les qualités du véhicule, les responsables soviétiques ne rechignaient pas à exporter le T-72 (à l’inverse des T-64 et futurs T-80 qui étaient réservés au seul usage des forces armées soviétiques); cependant après que les techniciens yougoslaves aient décidés que le T-72 serait adapté pour les besoins de la JNA, les soviétiques vont dans un premier temps refuser de vendre la licence de production sous prétexte que « le véhicule est trop complexe pour les capacités industrielles locales », l’option d’une production conjointe avec la Tchécoslovaquie ou la Pologne étant favorisée. Finalement, Tito va intercéder personnellement auprès de Brezhnev qui va passer outre l’avis du ministre de la défense et la licence sera acquise pour un montant de trente-neuf millions d’USD; la licence comprendra plusieurs clauses dont notamment l’interdiction de réexporter (à l’inverse de la Pologne ou de la Tchécoslovaquie) sans l’autorisation de l’URSS, tout comme son contenu portait soit sur dix années de production soit un volume total de mille chars (la première des deux conditions remplies mettant un terme à la licence). Pour les amateurs de détails, lorsque les documents de la licence (n’expliquant pas l’entièreté du processus de fabrication) arrivèrent en Yougoslavie, il sera nécessaire de les traduire… tâche titanesque en soi, sachant qu’on parle de vingt tonnes de documents (oui on n’était pas encore à l’heure de la digitalisation) et comportant environ 320.000 pages A4!
Belle vue 3/4 latérale d’un M-84 serbe. Image@?
L’acquisition de la licence va constituer la première étape dans la mise en place de l’outil industriel permettant de produire localement le T-72, cependant de part la structure fédérale du pays, chacune des entités fédérées va essayer d’obtenir une « part du gâteau » dans la production de ce char. Plus de deux cent quarante entreprises réparties dans les six républiques fédérées vont prendre part directement à cette production, l’assemblage final étant réalisé chez Đuro Đaković (actuelle Croatie) par décision de Tito (deux autres entreprises étant sur les rangs pour effectuer ce dernier). Le projet va être de très grande ampleur (et donc excessivement onéreux) pour le pays puisqu’il nécessitera notamment la mise en place d’une fonderie dédiée ainsi que l’acquisition d’une presse de 30.000 tonnes sans même parler de l’ensemble des équipements (optiques, électronique, motorisation, aciers à blindage, etc…) à produire localement.
Finalement, un premier prototype repris sous le standard T-72MJ, est présenté en avril 1983: ce dernier est principalement produit sur base de composants importés, les délais (très serrés) ne permettant pas de produire localement dans un délai aussi court (moins de quatre années se sont écoulées depuis l’acquisition de la licence). Un premier lot pilote comportant cinq véhicules (produits sur base de composants importés) va sortir d’usine en 1983 avant d’être testé in extenso jusqu’en 1984; ce n’est qu’en 1984 que sortiront les dix premiers véhicules produits intégralement en Yougoslavie. Les ingénieurs yougoslaves ne disposant pas de l’ensemble des documents nécessaires à la production du T-72 vont donc travailler à améliorer les points perfectibles du véhicule; ce faisant, ils vont corriger plusieurs des principales problématiques du T-72M.
Le nouveau véhicule, repris sous le standard M-84, va à l’origine disposer du même moteur V-46-6 de 12 cylindres développant 780 Cv du T-72M avant de passer sur la variante M-84A (présentée en 1985 et entrée en production en 1987) au moteur diesel V-46TK de 12 cylindres développant 1.000 Cv soit un gain de puissance de presque 25%! Autre problématique largement revue, la précision au tir. Bien que reprenant le canon 2A46 de 125 mm alimenté par un chargeur automatique, un nouveau système de contrôle de tir (FCS) est installé: le tireur reçoit un nouveau viseur DNNS-2 (capacité diurne/nocturne) comprenant un télémètre laser intégré, le chef de char reçoit un périscope DNKS-2 (diurne/nocturne) qui lui offre une vue à 360°. D’autres modifications vont être apportées au fur et à mesure de la production, dont notamment le niveau de blindage du glacis ainsi que de l’arc frontal de la tourelle.
La variante M-84AK que l’on voit ici aux couleurs serbes et la variante de commandement du M-84A. Image@Srđan Popović
Une fois le développement achevé, les premiers véhicules de série vont sortir d’usine en 1985, la production se poursuivant jusqu’en 1992, quelques mois après l’implosion de la Yougoslavie. De part sa production reposant sur un écosystème industriel présent dans toutes les entités fédérées et vu l’animosité entre celles-ci, la poursuite de la production devenait irréalisable tout en étant financièrement irréaliste pour les nouvelles républiques. Environ quatre cent cinquante M-84 (et variantes) équipaient les JNA en 1991, de plus, le Koweït avait signé à la fin des années 1980 une commande portant sur deux cents M-84AB et quinze M-84ABK (la variante de commandement) dont seulement cent-cinquante unités furent livrées avant la fin de la Yougoslavie; ces derniers seront d’ailleurs engagés face aux troupes irakiennes lors de la reconquête du pays.
Un M-84AB des forces armées du Koweït. Image@H.H.Deffner
La production du M-84 (et variantes) porte sur environ six cent cinquante véhicules dont l’entièreté des véhicules mis en service par les JNA sont par la suite passés dans les mains des nouvelles républiques issues de l’ex Yougoslavie; la répartition se faisant généralement sur base de la localisation géographique:
Bosnie-Herzégovine: 71 M-84 (retirés du service)
Croatie: 72 M-84A4
Macédoine du Nord: ? M-84 (retirés du service)
Serbie: 212 M-84(A) dont une partie est en réserve
Slovénie: 54 M-84A4
A noter que les ingénieurs yougoslaves vont poursuivre les travaux sur le M-84 et développer un prototype d’un nouveau modèle, le M-91Vihor venant corriger certaines déficiences du M-84. Ce projet sera interrompu définitivement par le déclenchement de la guerre en Yougoslavie mais sera (pour partie) récupéré dans les projets de modernisations développé en Croatie par Đuro Đaković pour le M-84; ces derniers devenant les M-84A5 (aussi connu en tant que M-84D) et M-95Degman (qui resteront également lettres mortes). C’est ainsi que s’achèvera l’histoire de la production de chars de combat en ex Yougoslavie.
Un prototype de M-95 Degman. Image@?
Pour celles et ceux qui veulent poursuivre la lecture sur le M-84 (et variantes), je ne puis que recommander cette page dédiée au M-84 du site Srprski Oklop.
Variante locale du T-72, l’assemblage final du M-84 se faisait à l’usine Đuro Đaković située à Slavonski Brod, sur le sol croate; avantage pour les forces armées locales, le pays dispose de la capacité de production, entretien et modernisation des chars M-84. Après avoir connu une longue phase de restructuration et de réduction des effectifs après la fin de la guerre en 1995, les forces armées croates ont vu leur flotte de véhicules blindés se stabiliser autour de septante-deux M-84 dont une partie sont des M-84A4 « Sniper » acquis entre 1996 et 2003 tandis que le solde est composé de M-84A(-B) hérités de l’époque yougoslave et revalorisés au standard M-84A4 (ensemble de la flotte portée à ce standard en 2008). Les véhicules sont regroupés au sein de cinq compagnies blindées comprenant chacune quatorze tanks répartis, l’ensemble composant deux bataillons blindés. Alors que l’armée croate envisageait de passer sa flotte de M-84A4 au standard revalorisé M-84A5 (on parle également de M-84D) comprenant notamment un nouveau système de tir, de nouvelles optiques, un blindage réactif retravaillé ainsi qu’un groupe propulseur plus puissant; le coût des travaux dépassant très largement le budget limité à disposition ainsi que l’absence de compatibilité avec les munitions au standard OTAN (canon de 125 mm 2A46 au standard soviétique) a vu les travaux tomber à l’eau et les véhicules ne bénéficier que d’une révision limitée.
Belle image d’un M-84A4 prise lors d’un exercice; on remarque l’absence de marquages d’identification spécifiques sur ce dernier. Image@?
La question du remplacement des M-84A4 a déjà été mise sur la table à plusieurs reprises, le Leopard 2, le K2 ainsi que de manière surprenante le Leclerc (qui n’est plus en production) étant envisagés mais sans suite pour l’instant. Néanmoins, la flotte de blindés de Zagreb est vieillissante et incompatible avec les standards OTAN, le coût (les besoins étant estimées à une centaine de tanks à acquérir) semble être la principale pierre d’achoppement dans le processus décisionnel croate: sachant que les besoins locaux (dans toutes les branches de l’armée) sont importants vu le vieillissement général des équipements en service et que des budgets ont déjà été alloués pour moderniser l’armée (Rafale, M2A2 Bradley et PzH-2000 d’occasion notamment).
Fort curieusement et de manière pour le moins nébuleuse, alors que des annonces avaient été faites au sujet de la livraison d’une partie des chars M-84A4 croates à l’Ukraine dès le mois d’avril 2022: il n’en est apparemment encore rien tant qu’à présent. Les autorités de Zagreb souhaitent manifestement et avant toute chose trouver un accord avec Berlin dans le cadre du Ringtausch en vue d’obtenir un certain nombre de Leopard 2 avant de se séparer d’une partie d’une partie de leur flotte de véhicules blindés.
Hongrie
A l’image des autres forces armées issues de l’ancien Pacte de Varsovie, les forces armées hongroises (Magyar Honvédség) fondée le 14 mars 1990 sur les cendres de l’ancienne Armée du Peuple Hongrois (Magyar Néphadsereg) et plus spécialement les forces terrestres (Magyar Szárazföldi Haderő) étaient exclusivement équipées de matériels de provenance soviétique. Après être passée par une phase de réduction draconienne des effectifs dans le courant des années 1990 ayant débouché sur le retrait de service de nombreux types d’équipements; l’accession du pays dans l’OTAN en 1999 va voir un premier mouvement de renouvellement des équipements être lancé débouchant sur une modernisation partielle des équipements à disposition.
La cocarde triangulaire ne laisse aucun doute sur l’appartenance de ce T-72M1. Image@?
D’un point de vue des véhicules blindés, les forces terrestres hongroises disposaient en 1990 d’une importante flotte de T-55 (en diverses versions) ainsi que d’environ deux cents T-72M1 en service depuis 1978. Ce parc a été restructuré avec le retrait de service des T-55 et le maintien en service d’une partie des T-72M1 (une quarantaine d’unités) le solde d’environ cent-trente véhicules étant placé en réserve.
T-72M1 hongrois transporté par voie ferroviaire. Image@?
C’est le plan d’investissements et de renouvellement des équipements (Zrínyi Honvédelmi és Haderőfejlesztési Programà) couvrant la période 2016-2026 qui va servir de grand coup d’accélérateur pour la modernisation des forces armées hongroises. Dans le cadre de ce dernier, le pays a passé commande auprès de KMW (Krauss-Maffei Wegmann) le 19 décembre 2018 de quarante-quatre Leopard 2A7+ ainsi que de vingt-quatre canons automoteurs PzH 2000. De plus cette commande comporte un important volet logistique avec la fourniture des consommables ainsi que des équipements nécessaires pour l’entretien des véhicules et enfin pour la transformation des équipages sur ces nouveaux véhicules.
C’est la Bundeswehr qui va assurer la formation des tankistes et mécaniciens hongrois sur douze Leopard 2A4 livrés dès l’été 2020 qui vont également devenir la propriété de l’armée de terre hongroise, les véhicules étant repris au standard Leopard 2A4HU et basés à Tata au sein de la MH 25 Klapka György Lövészdandárnál où étaient déjà affectés une partie des T-72M1 en service.
L’arrivée des quarante-quatre Leopard 2A7+ dès 2023 pour livraison jusqu’en 2025 va signifier la fin des derniers T-72M1 hongrois; cependant et contrairement à ses voisins, le pays (pour des raisons purement politiques) n’a pas fourni d’aide militaire à l’Ukraine alors qu’elle dispose encore d’un stock non-négligeable et pour partie exploitable de véhicules.
Un des premiers Leopard 2A4HU, le véhicule brille comme au premier jour. Image@leopardclub.ca
Macédoine du Nord
Autre héritière des forces armées yougoslaves, les forces armées de Macédoine du Nord (Армија на Република Северна Македонија) ont été fondées le 21 février 1992 et sont une des forces les plus modestes de la zone. Lors de sa constitution, les forces armées de Macédoine du Nord reçurent deux types de chars de combat: des T-72A ainsi que des M-84 issus des stocks yougoslaves qui seront complétés peu après par nonante-deux T-54/T-55 (dont trente-six T-55AM-2) fournis à titre gracieux par la Bulgarie.
La dotation va se réduire au fur et à mesure des années (principalement après la fin des combats ayant opposés les macédoniens aux forces de l’UÇK-M): les M-84 vont être retirés du service et stockés tandis que les derniers T-54/T-55 vont également quitter le service au début des années 2010. Depuis le 2 avril 2007, les forces terrestres comprennent la 1ère brigade d’infanterie mécanisée (1ва Механизирана Пешадиска Бригада) qui comprend un bataillon de chars disposant de trente-et-un T-72A. Conscients que les T-72A en dotation sont d’une faible utilité opérationnelle, des projets existent de remplacement par des véhicules de facture occidentale mais sans concrétisation pour l’instant.
T-72A macédonien lors d’essais de tirs à Petrovec en 2014. Image@mil.mk
Par contre, au-moins huit T-72A macédoniens ont été envoyés en Ukraine en juillet 2022; cet aide a indirectement débouché sur la dissolution du bataillon de chars de combat dont les véhicules vont être retirés du service; l’armée de Macédoine du Nord n’a par contre pas précisé si des T-72A supplémentaires ont été/seront expédiés en Ukraine.
Pologne
Les forces armées polonaises (Siły Zbrojne Rzeczypospolitej Polskiej) ont été fondées en janvier 1990 (modification de la Constitution polonaise en date du 31 décembre 1989), assurant la relève de l’ancienne « Armée du peuple polonais » (Ludowe Wojsko Polskie) qui fût le nom de l’armée polonaise entre 1945 et 1989 lorsque le pays était partie prenante du Pacte de Varsovie et sous la domination de l’URSS. La composante terrestre (Wojska Lądowe) de la (nouvelle) armée polonaise va hériter d’une large flotte de véhicules blindés composée de deux milles soixante T-55A (licence de production acquise en 1964 et produit localement entre 1964 et 1981) dont environ six cent trente unités furent modernisées entre 1986 et 1989 au standard T-55AM Merida ainsi que de plus ou moins sept cent quatre-vingt-cinq T-72M(1); des discussions étaient en cours en vue de vendre d’abord une version plus moderne du T-72, le T-72S à la Pologne mais les discussions tourneront court suite à la fin de l’URSS. Cet ensemble dont une bonne partie était obsolète – et l’armée n’ayant ni les moyens, ni l’utilité de conserver une telle flotte – va se réduire progressivement: les derniers T-55A(M) quittant le service en 2002.
Un T-55AM Merida sauvegardé. Image@?
Le gouvernement polonais ayant très tôt identifié – manifestement à juste titre – la menace constituée par la Russie pour l’Europe ainsi que la position géographique du pays qui devient la « première ligne » de défense de l’OTAN; de ces deux éléments vont découler le besoin identifié de disposer d’une composante blindée forte (poursuivant ainsi une politique inverse à plusieurs pays occidentaux). Dans cette optique, l’armée de terre polonaise encore très largement tributaire des T-72 (et variantes) ainsi que d’un solde de T-55, va mettre en place un programme de renouvellement de sa flotte en adéquation avec ses moyens financiers restreints issus de la période difficile post-1989. La première étape de la modernisation de la flotte polonaise va consister en la production en neuf ainsi que la revalorisation de T-72M(1) au nouveau standard PT-91Twardy (produits entre 1995 et 2002 à raison de deux cent trente-trois unités).
Le PT-91 Twardy: le T-72M(1) à la sauce polonaise
A l’instar de la Tchécoslovaquie, la Pologne a également obtenu une licence pour produire localement le T-72M (Object 172M-E3) ainsi que le T-72M1 (Object 172M-E5) qui était, de manière simplifié, une version export (présentant donc des performances réduites) destiné aux armées du pacte de Varsovie du T-72 employé par les forces terrestres soviétiques. Produites au sein de l’usine Bumar-Łabędy (à Gliwice) dès 1982 (T-72M) et 1986 (T-72M1), ces variantes export du T-72 présentent plusieurs lacunes qui restreignent fortement l’utilité du char sur un champ de bataille. Les principales problématiques identifiées et à corriger portaient sur:
Une protection insuffisante, notamment face aux obus à charge creuse
Une mobilité réduite, vu la faible puissance du moteur et sa forte consommation
L’absence de système de vision nocturne
L’absence d’un système de contrôle de tir qui, couplé à une stabilisation insuffisante du canon, offrait une précision de tir pour le moins « douteuse »
Développé par l’OBRUM (Ośrodek Badawczo-Rozwojowy Urządzeń Mechanicznych), un projet de modernisation connu sous le nom Wilk est développé dans le milieu des années 1980 mais n’avancera guère, le gouvernement polonais discutant de l’acquisition d’une variante plus moderne du T-72, le T-72S. Après l’abandon de ce projet en 1989, la modernisation des véhicules en service va revenir sur la table en capitalisant sur les travaux déjà effectués dans le cadre du programme Wilk. Conséquence des changements politiques intervenus dans le pays, il faudra attendre juillet 1991 pour assister à l’officialisation du projet sous la direction de l’ingénieur Karol Chodkiewicz, un premier prototype sortant d’usine en 1992 avant d’être présenté en 1993. Le gouvernement polonais officialise sa participation au programme en signant le bon de commande d’une vingtaine de véhicules pour essais en 1993: le nouveau véhicule est repris sous le nom de PT-91Twardy (Litt. « Dur« ).
Un PT-91 Twardy: même si la filiation avec le T-72 est indéniable, le véhicule présente de nombreuses différences avec son homologue d’origine soviétique. Image@Pibwl
Les travaux effectués avec le PT-91 vont porter sur plusieurs points qui consistent principalement à traiter les déficiences identifiées sur les T-72M(1). Le premier concerne l’amélioration de la protection et donc du blindage; des briques réactives ERAWA développées en Pologne vont recouvrir la caisse et le châssis avec un total de trois cent nonante-quatre briques réparties à raison de cent-huit sur la tourelle, cent dix-huit sur le châssis et quatre-vingt quatre sur les deux flancs. Contrairement aux modernisations russes du T-72B, les briques réactives ERAWA sont précisément ajustées sur le PT-91, ce qui ne laisse pas de (plus ou moins larges) interstices non-recouverts sur la caisse. Cet ajout va permettre de significativement accroître la protection face aux munitions à charge creuse (HEAT / High-Explosive Anti-Tank) et aux missiles anti-tanks. A noter qu’il existe deux version des briques ERAWA: les ERAWA-1 et ERAWA-2 qui se distinguent par la masse des explosifs présents à l’intérieur de celles-ci. De plus, le PT-91 a reçu une système d’alerte Obra-1 qui permet d’avertir l’équipage si le tank est ciblé par un faisceau laser et le cas échéant déclenche le tir de grenades fumigènes dans la direction où le laser a été détecté. Si la protection du véhicule est revalorisée avec l’ajout du blindage réactif, à l’inverse le niveau de blindage de base reste intact : le coût des travaux pour modifier et améliorer ce dernier ayant été jugé prohibitif. La protection de l’équipage est également améliorée avec l’installation d’un système de lutte anti-incendie dans l’habitacle ainsi que le compartiment moteur développé par la firme allemande Deugra; ce système qui repose sur l’emploi du gaz halon offre un temps de réaction de 3 millisecondes.
On voit bien le soin apporté à la protection de l’équipage avec un agencement précis des briques réactives ERAWA. Image@?
Le deuxième point porte sur le remplacement de la chaîne cinématique avec installation d’un nouveau moteur diesel S-12U (dérivé du V-46-6 équipant le T-72M) couplé à une transmission mécanique et produit en Pologne par Zakłady Mechaniczne PZL-Wola. Ce moteur, qui se distingue notamment par un système d’injection d’air et d’essence modernisé, développe 850 Cv (780 Cv pour le V-46-6) permet de s’adapter à l’accroissement du devis de masse du PT-91. A noter que PZL-Wola a également développé le S-1000 qui comme son nom l’indique développe 1.000 Cv, les PT-91 équipés de ce moteur sont repris en tant que PT-91A.
Le troisième point porte sur l’installation d’un système de contrôle de tir Drawa couplé à un nouveau système de stabilisation du canon 2A46(M); l’ensemble comprend un système de vision nocturne (imagerie thermique), un télémètre laser, un calculateur balistique ainsi qu’un système de ciblage nuit/jour POD-72 pour le chef de char. Le PT-91 est donc un véhicule qui acquiert une véritable capacité nocturne ainsi qu’une (beaucoup) plus grande précision de tir par rapport à ses prédécesseurs. Dans la même idée, le pilote du char dispose d’un système de contrôle et de diagnostique US-DK-1 qui l’informe de l’état des principaux système du véhicule et enfin son système de vision nocturne est remplacé par un système plus performant Radomka.
Après un premier lot pilote de vingt véhicules commandé en 1993, l’armée polonaise va poursuivre les commandes et ce sont pas moins de deux cent trente-trois PT-91 (dont deux cent trente-deux étaient toujours en service avant le début des hostilités en Ukraine) qui vont sortir d’usine entre 1995 et 2002; la production se répartissant de la manière suivante:
1995-1996: 58
1997: 58
1998: 7
1999: 33
2000: 50
2001: 20
2002: 7
Il est à noter que la production du PT-91 se compose d’un mélange de véhicules neufs ainsi que de T-72M1 modernisés au standard Twardy. Plusieurs variantes vont être développées localement sans grand succès si ce n’est le PT-91MPendekar qui va être exporté à raison de quarante-huit exemplaires produits entre 2007 et 2009 pour l’armée de terre de Malaisie. Les PT-91M se distinguent notamment par un système de contrôle de tir Sagem Savan-15, un canon 2A46MS (produit en Slovaquie), un moteur S-1000 couplé à une transmission automatique Renk ainsi que des chenilles provenant de l’allemand Diehl Defence.
Un PT-91M Pendekar malaisien, le véhicule ne diffère pas fondamentalement de ses homologues polonais. Image@?
La phase suivante et concomitante à la revalorisation au standard PT-91 Twardy, consiste en l’acquisition de véhicules d’occasion auprès de la Bundeswehr ainsi que la restructuration de l’unité rééquipée selon les standards de l’OTAN. C’est la 10ème brigade de cavalerie blindée (10Brygada KawaleriiPancernej im. gen. broni Stanisława Maczka / 10 BKPanc) formée en 1995 à Świętoszów qui va dès 2001 être rééquipée avec des Leopard 2A4 issus des véhicules récupérés lors de la dissolution des Panzerbataillon 294 et 304 de la Bundeswehr. Les quinze premiers véhicules (dans un standard technique identique aux véhicules de la Bundeswehr) vont arriver en Pologne et être officiellement admis au service en date du 15 septembre 2002. Par la suite, un total de cent quarante-deux Leopard 2A4 (dont deux véhicules écoles repris sous le standard Leopard 2NJ) ainsi que cent-cinq Leopard 2A5 issus des stocks allemands vont être admis au service dans la dotation des forces terrestres polonaises entre 2002 et 2013.
Un Leopard 2A4 polonais, on voit bien la taille imposante de la tourelle sous cet angle de vue. Image@?
En outre, un contrat va être signé le 28 décembre 2015 entre Rheinmetall Landsysteme, Zakłady Mechaniczne Bumar-Łabędy et Polska Grupa Zbrojeniowa (PGZ) visant à moderniser les cent vingt-huit Leopard 2A4 (plus une option de quatorze véhicules, soit l’entièreté de la flotte) au nouveau standard Leopard 2PL; les véhicules traités voient le niveau de protection de la tourelle fortement amélioré (mais pas celui de la caisse), l’installation de nouveaux optiques, d’un système d’entraînement de la tourelle électrique (en remplacement de l’ancien qui était hydraulique) et enfin d’un groupe auxiliaire de puissance (APU). Les travaux avancent très lentement puisqu’à la fin de 2021, on ne dénombrait que vingt-cinq véhicules traités de la sorte, dont une partie sont affectés à la 1ère brigade de blindés (1 Warszawska Brygada Pancerna im. Tadeusza Kościuszki / 1 BPanc) basée à Wesoła: la fin des travaux n’étant plus attendue pour 2021 (comme envisagé à l’origine) mais bien pour 2027. Un deuxième standard de modernisation, dénommé Leopard 2PLM1 dérivé du Leopard 2PL a été présenté en 2021: ce dernier diffère par des petites modifications d’équipements internes par rapport à son prédécesseur.
Un Leopard 2PL (avant-plan) accompagné d’un Leopard 2A4 de l’armée de terre polonaise. Image@?
En 2019, la flotte de véhicules blindés polonais était constituée de huit cent soixante-et-un chars de combat; elle présentait un visage contrasté et des plus hétérogène se décomposant de la manière suivante:
Une partie des T-72M1 ont bénéficié d’une « mise à jour » chez PGZ qui comprend l’installation de nouvelles radios et d’un système d’imagerie thermique. Les véhicules traités de la sorte sont repris sous le standard T-72M1R néanmoins il s’agit plus d’une remise en état technique que d’une réelle amélioration des capacités de ceux-ci tandis que le solde est stocké en réserve et fort probablement inutilisable. Cette flotte composée de véhicules d’occasion en cours de modernisation et de véhicules plus anciens dont certains ont été lourdement modernisés nécessitait un sérieux coup de jeune. C’est pourquoi le gouvernement polonais va lancer le programme Wilk (oui encore) fin 2019 s’inscrivant dans le programme d’investissements à long-terme (sur une période dix à quatorze ans) en vue de moderniser l’armée polonaise; le programme Wilk visait à remplacer en priorité les T-72M1(R) ainsi que les PT-91 et sur le plus long terme à prendre la relève des Leopard 2.
Un T-72M1R lors d’une présentation au grand public. Image@Zsolt Czegledi
Première étape dans ce programme de renouvellement de la composante blindée polonaise: l’annonce le 14 juillet 2021, de la sélection du M1A2 SEPv3 Abrams (ainsi que 26 M88A2 et 17 M1110) pour renouveler ses effectifs. Deux cent cinquante véhicules rejoindront les effectifs de la 18ème division mécanisée (18 Dywizja Zmechanizowana im. gen. broni Tadeusza Buka / 18 DZ) et plus précisément de deux brigades rattachées:
1 BPanc (1 Warszawska Brygada Pancerna im. Tadeusza Kościuszki) équipée de Leopard 2A5 et 2PL et basée à Wesoła
19 BZ (19 Lubelska Brygada Zmechanizowana im. gen. dyw. Franciszka Kleeberga) équipée de T-72M1(R) et basée à Lublin
Les Abrams y remplaceront les véhicules actuellement employés dans ces deux brigades, les Leopard 2A5/2PL étant ensuite cascadés dans une autre unité équipée actuellement de T-72M1R ou de PT-91, ce qui permettra par effet domino de retirer du service des chars d’origine soviétique. La vente, d’une valeur de 4,75 milliards d’USD, comprenant la formation, le soutien logistique ainsi que des munitions, a été avalisée par les Etats-Unis le 18 février 2022, soit quelques jours avant le lancement des hostilités en Ukraine et le contrat définitif signé le 6 avril 2022. En vue de débuter rapidement les formations des équipages, les polonais vont louer vingt-huit M1A2 SEPv2 qui sont arrivés sur le sol polonais à la mi-juillet 2022.
Un des M1A2SEPv2 loué à la Pologne pour permettre la formation des équipages. Image@Aleksander Perz
S’étant très rapidement engagée à aider au maximum l’Ukraine, la Pologne va envoyer dès le début du conflit pas moins de deux cent soixante T-72M1(R) et PT-91 issus de ses unités blindées vers l’Ukraine en vue de reconstituer et renforcer la composante blindée de la ZSU. Cette donation ayant pour effet de déforcer significativement les capacités polonaises, la Pologne va signer un deuxième contrat (la notice FMS datée du 6 décembre 2022 du contrat se trouve ici) avec les Etats-Unis portant cette fois-ci sur l’acquisition de cent-seize M1A1 FEP (Firepower Enhancement Package) d’occasion qui viendront compenser les livraisons à l’Ukraine dans le courant de 2023.
La deuxième étape du renouvellement de la flotte de blindés polonais est encore plus ambitieuse et va être accélérée par les évènements en Ukraine; le 27 juillet 2022 le gouvernement polonais va signer plusieurs accords-cadres avec la Corée du Sud portant sur l’acquisition de mille chars de combat K2Black Panther conçus par Hyundai-Rotem ainsi que quatre cent soixante obusiers automoteurs K9Thunder. L’accord sur les chars comprend un double volet: le premier volet comprend un lot de cent quatre-vingts K2 sera construit en Corée du Sud et livré à partir de la fin 2022, tandis que le deuxième volet comprend le solde, soit huit cent vingt véhicules, qui seront produits au standard K2PL (adaptés au désidératas polonais) et construits en Pologne en collaboration avec PGZ dès 2026. Enfin, les premiers véhicules produits seront également portés au standard K2PL par la suite.
Arrivée des premiers K2 en compagnie d’obusiers automoteurs K-9 au port de Gdynia le 5 décembre 2022. Image@gov.pl/web/national-defence
Les choses ne vont pas traîner, puisque les dix premiers K2 vont arriver au port de Gdynia le 5 décembre 2022: soit moins de cinq mois après la signature du contrat d’acquisition! Les cent quatre-vingts K2 iront renouveler les effectifs des brigades de la 16ème division mécanisée (16 Pomorska Dywizja Zmechanizowana / 16 DZ) et plus spécifiquement des:
9 BKPanc (9 Braniewska Brygada Kawalerii Pancernej im. Króla Stefana Batorego) équipée de PT-91 et basée à Braniewo
15 BZ (15 Giżycka Brygada Zmechanizowana im. Zawiszy Czarnego) équipée de PT-91 et basée à Giżycko
20 BZ (20 Bartoszycka Brygada Zmechanizowana im. Hetmana Polnego Litewskiego Wincentego Gosiewskiego) équipée de T-71M1(R) et basée à Bartoszyce
Les premiers K2 arrivés sur le sol polonais ont été affectés à la 20 BZ; ceci s’expliquant par le fait que ses véhicules sont les plus anciens (des T-72M1R) de la 16ème division mécanisée. La flotte de véhicules blindés polonais est donc amenée à recevoir un sérieux coup de jeune dans les années à venir, le « turbo » dans le programme de renouvellement ayant été enclenché en dédoublant les sources d’approvisionnement: cette rapidité d’exécution s’explique également par le besoin de disposer de véhicules au plus vite pour compenser les expéditions massives de véhicules (T-72M1 et PT-91) en Ukraine. De plus, la Pologne ayant prévu d’envoyer également des Leopard 2A4 en Ukraine, sa position en matière de véhicules blindés déjà fragilisée par les envois et le vieillissement de la flotte ne va pas s’arranger rapidement et ce même si les coréens du sud et les américains livrent rapidement les premiers véhicules commandés. Il n’empêche que si toutes les annonces locales se confirment (ce qui semble être le cas avec la signature le 24/02/2023 d’un accord relatif à la production des K2 en Pologne entre PGZ et Hyundai-Rotem), la flotte de chars de Varsovie sera le plus volumineuse et l’une des plus moderne en Europe à l’horizon 2030!
République Tchèque
Possédant une des flottes de chars de combat parmi les plus importantes du pacte de Varsovie avec jusqu’à 4.500 chars alignés durant la guerre froide, la Tchécoslovaquie disposait en outre depuis 1977 de la capacité de produire des T-72M (Object 172M-E3) et T-72M1 (Object 172M-E5) sous licence au sein de l’usine ZŤS Martin (châssis et assemblage final) et ZŤS Dubnica nad Váhom (tourelles), les véhicules produits étant principalement destinés à la Tchécoslovaquie ainsi que pour l’exportation. Pas moins de 815 T-72M (et variantes) sortirent des chaînes de ZŤS Martin entre 1977 et 1991, après quoi l’usine se tourna vers la production de tracteurs avant de disparaître dans le courant des années 2010.
Un T-72M1 tchèque, le véhicule n’a pas évolué depuis sa mise en service. Image@Thomas T
La Tchécoslovaquie va connaître deux transformations en profondeur quasiment coup sur coup avec tout d’abord la sortie de l’orbite soviétique lors de la « Révolution de Velours » (17-27 novembre 1989) qui va faire tomber le gouvernement communiste suivie quelques années après par la scission du pays en deux nouvelles républiques indépendantes (République Tchèque et Slovaquie), celle-ci étant décidée le 25 novembre 1992 et effective au 1er janvier 1993. Fort logiquement les forces armées tchécoslovaques ne vont pas sortir indemnes de ces deux transformations; le parc de véhicules alignés va pour partie retourner en Russie, une partie va être retirée du service, le solde étant partitionné entre les deux pays selon un ratio de 2/1.
Un T-72M4CZ sans ses jupes latérales, un rapide coup d’œil au véhicule permet de voir que les travaux effectués sur ce dernier sont de grande ampleur. Image@?
L’armée de terre tchèque (Pozemní síly Armády České Republiky) récupéra environ 540 T-72M(1) lors de sa constitution au 1er janvier 1993, rapidement et au vu de l’efficacité (ou l’absence de) des T-72 irakiens lors de la guerre du Golfe, il fut décidé de procéder à la modernisation en profondeur des véhicules en service. Décidée en 1994 (l’appel d’offres étant lancé en 1995), les travaux envisagés devaient concerner pas moins de 353 T-72M(1) à revaloriser au nouveau standard T-72M4CZ visant à disposer d’un véhicule revu en profondeur au niveau de la protection, qui soit compatible OTAN, apte à rivaliser avec ses équivalents occidentaux tout en restant moins onéreux à acquérir qu’un char de combat neuf et enfin pouvant toujours reposer sur la chaîne logistique d’UralVagonZavod.
Très rapidement après le lancement du projet en 1994, les travaux de grande ampleur (pas moins de 90% des pièces du véhicules sont concernées) vont rencontrer des difficultés financières qui, couplées à l’entrée dans l’OTAN ainsi que la diminution de la « menace », vont voir la cible de véhicules à traiter progressivement se réduire, passant d’abord de 353 à 140 véhicules avant de se réduire finalement à 30 véhicules. De manière concomitante à cette réduction du volume de véhicules, le coût des travaux va considérablement s’accroître et au final rendre les travaux de moins en moins pertinents surtout au vu de l’ampleur de ces derniers sur une base technique qui était loin d’être la plus pertinente à traiter.
Le T-72M4CZ: le T-72M à la sauce tchèque
Entre 2003 et 2005, l’atelier « Vojenský Opravárenský Závod 025 Nový Jičín » (devenu depuis VOP CZ) va produire vingt-sept T-72M4CZ en version de base ainsi que trois T-72M4CZ en version de commandement; le coût de cette modernisation fut évalué à 150 millions de CZK (Koruna česká / Couronnes tchèques) par véhicule.
Une des principales modifications du T-72M4CZ porte sur l’installation d’une nouvelle chaîne cinématique NPP 2000-1 développée par l’israélien Nimda; celle-ci repose sur un moteur Condor CV12 (de Perkins) couplé à une transmission automatique XTG-411-6 d’Allison ainsi qu’un nouveau système de refroidissement développé par Nimda et produit par Airscrew Howden. L’ensemble, au pilotage intégralement automatisé et avec système de diagnostic intégré, développe 1.000 Cv (à comparer aux 780 Cv du V-46-6 d’origine), comprend quatre vitesses avant et deux vitesses arrières. De part son encombrement plus important, la partie arrière du T-72M1 a été intégralement remplacée par une nouvelle redessinée et adaptée au nouveau groupe propulseur. Enfin, de nouvelles chenilles avec patins en caoutchouc sont installées en remplacement des modèles d’origine. L’ensemble des travaux sur la chaîne cinématique voient le temps nécessaire au véhicule d’accélérer de 0 à 32 Km/h se réduire de 25 secondes à… 7,1 secondes!
Cet angle de vue d’un T-72M4CZ permet de mieux voir la partie arrière de la caisse qui a été entièrement refaite. Image@Radek Vršecký
Autre grosse modification du véhicule, la protection est très largement revue en profondeur avec nouvelle partie basse du châssis ainsi qu’un renforcement du plancher pour offrir une meilleure résistance aux mines terrestres. Mais c’est au niveau du blindage que la protection évolue significativement avec l’installation de briques réactives Dyna (de conception tchèque) sur le châssis (43 ou 44 blocs), sur l’avant de la tourelle (12 blocs), sur le dessus de la tourelle (15 blocs) et enfin sur les côtés de la tourelle (2 blocs). Un système « soft-kill » qui comprend le système d’alerte laser SSC-1 développé par PCO (Przemyslowe Centrum Optyki S.A) couplé à des lanceurs de grenades fumigènes DGO-1 (4 x 3 grenades) installés sur les flancs de la tourelle. Pour compléter le tout une peinture absorbant (en partie) les ondes radars a été employée pour le camouflage du véhicule ainsi qu’un traitement visant à réduire la signature thermique du véhicule.
Fort étonnement, le canon (un 2A46 de 125 mm) et son stabilisateur (2E28M) sont restés intacts bien qu’un nouveau système de contrôle de tir TURMS-T (dérivé du OG14L3 TURMS employé sur le char italien C1 Ariete) comprenant de nouveaux périscopes stabilisés, pour le commandant et l’artilleur, adaptés pour un emploi diurne et nocturne et couplés à un télémètre laser couplé à un calculateur balistique TMC. De nouveaux équipements de communication ainsi qu’un nouveau système de lutte anti-incendie sont également installés dans les véhicules modernisés.
Un T-72M4CZ avec ses jupes latérales. Image@?
La modernisation a donné naissance à un véhicule très largement revalorisé, certaines sources faisant état du fait que le T-72M4CZ est une des versions les plus abouties et modernes du T-72 (à l’époque de sa mise au point). Cependant, les travaux ont été fortement critiqués pour leur coût ainsi que l’absence de compatibilité OTAN du véhicule, les critiques du projet arguant que le faible nombre de chars traités (découlant en grande partie d’arbitrages budgétaires effectués par Prague) rendent le projet peu pertinent et que l’acquisition de véhicules occidentaux eût été plus pertinente.
Affectés au sein du 73ème bataillon de tank « Hanácký » (73. tankový prapor « Hanácký ») relevant de la 7ème brigade mécanisée « Dukelská » (7. mechanizovaná brigáda « Dukelská ») de Přáslavice, les trente T-72M4CZ sont complétés par un reliquat de vingt T-72M1 actifs qui viennent compléter les effectifs et servent également aux entraînements des équipages, à ces derniers s’ajoutent une petite centaine de T-72M1 dont une partie est stockée en réserve et/ou ont servi de banque d’organes pour les véhicules maintenus en service.
Des projets de remplacement de la flotte de véhicules blindés tchèques ont déjà été mis à plusieurs reprises sur la table, des suites notamment du vieillissement et de l’obsolescence complète des T-72M1 encore en service ainsi que semble-t-il de la disponibilité restreinte des T-72M4CZ (une partie de la flotte servant de banque d’organes pour les autres véhicules) qui n’ont plus bénéficié de remise à jour depuis la fin des travaux. A ce titre en juillet 2016, des responsables de l’armée tchèque ont visité une base de l’armée espagnole où sont stockés des Leopard 2A4 proposé à la vente; cette visite ne débouchera sur rien de concret vu le mauvais état technique général des véhicules espagnols inspectés. Une autre option envisagée fut d’accorder une révision générale ainsi que de moderniser (à nouveau) les T-72M4CZ pour corriger certains points non-traités (notamment au niveau des optiques ainsi que le système de contrôle de tir) et permettre aux véhicules de rester en service jusqu’à l’horizon 2030. Cependant, avec un pays qui investit notoirement peu dans son armée (1% du PIB est assigné aux investissements dans l’armée), les projets d’acquisition de nouveaux chars de combat ainsi que de modernisation des véhicules existants ont été reportés à plusieurs reprises. Néanmoins, avec une flotte de blindés vieillissante et réduite, les responsables tchèques étaient parfaitement au courant que la décision (ou non) du remplacement des véhicules et/ou de la modernisation de l’existant allait s’imposer rapidement.
Le premier Leopard 2A4 tchèque. Image@Czech MoD
C’est le lancement des hostilités en Ukraine qui va servir d’élément « déclencheur » dans la prise de décision avec notamment la décision tchèque de fournir, dès avril 2022, des T-72M1 (nombre de véhicules expédiés non-précisé), l’Allemagne proposant dans un premier temps de fournir en échange des chars de combat reconditionnés, à raison de quatorze Leopard 2A4 ainsi qu’un Bergepanzer 3 Büffel; dans un deuxième temps la République Tchèque ferait l’acquisition de jusqu’à cinquante Leopard 2A7+ neufs (dont une partie pourrait être produite localement) tandis que les Leopard 2A4 seraient portés au même standard après 2025. Les Leopard 2A4 viendraient dans un premier temps renforcer la dotation de l’armée de terre tchèque tout en servant également de moyen d’entraînement pour les équipages qui serviront à terme sur les Leopard 2A7+.
Les discussions vont un peu traîner entre l’Allemagne et la République Tchèque mais finalement c’est le 11 octobre 2022 que l’industriel Rheinmetall et les représentants des deux pays vont signer l’accord officialisant le transfert des quinze véhicules blindés à la République Tchèque. Bien que la provenance des véhicules ne soit pas précisée, il est très probable qu’il s’agisse d’anciens Leopard 2A4/Panzer 87 originaires de Suisse rachetés par l’industriel en 2011 et reconditionnés ainsi que des Leopard 2A4 issus des stocks de la Bundeswehr; il y a fort à parier qu’ils seront repris sous le type Leopard 2A4CZ.
Le premier Leopard 2A4 livré en République Tchèque lors de sa présentation à la presse. Image@Czech MoD
Les premiers véhicules ont été livrés à la République Tchèque le 23 décembre 2022, ils rejoignent la dotation du 73ème bataillon de tank « Hanácký » basé à Přáslavice; le contrat signé entre les deux pays porte à la fois sur le transfert des véhicules ainsi que sur un stock de munitions, la formation des équipages et enfin un soutien logistique sur une période de trois ans.
Serbie
Ayant récupéré le gros des équipements issus des forces armées yougoslaves, la Serbie va suivre une trajectoire radicalement différente de celle suivie par les anciennes républiques yougoslaves: alors que celles-ci vont accélérer leur rapprochement avec l’OTAN, procédant à l’acquisition de matériels occidentaux (eu égard à leur capacité financière), la Serbie va quant à elle rester notoirement proche de Moscou et va chercher à s’approvisionner auprès des russes… il est vrai que ces derniers ont toujours accordé à Belgrade des crédits à taux (très) avantageux quand il ne s’agissait pas tout simplement de donations de matériels.
Alignement de M-84A serbes. Image@Aleksandar Milosevic
Dans la période trouble ayant suivi la fin de la Yougoslavie, la structure politique des différents états de cette région des Balkans va évoluer à plusieurs reprises pour au final donner naissance en 2006 à l’actuelle République de Serbie (Република Сpбија) dont le dernier soubresaut fut la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo le 17 février 2008. Les forces armées serbes (Војска Србије) et plus précisément les forces terrestres (Копнена војска Србије) disposent d’un parc de véhicules blindés qui repose sur une flotte de cent nonante-neuf M-84(A) complétée par une trentaine de véhicules en réserve; cet ensemble étant réparti au sein de quatre bataillons de tanks (les 15, 26, 36 et 46 Тенковски батаљон) comprenant chacun cinquante-trois véhicules et qui sont rattachés aux quatre principales brigades de l’armée de terre serbe. La Serbie a lancé un programme de modernisation de ses M-84(A) au standard M-84AS2; les travaux effectués portant notamment sur l’installation d’un nouveau blindage réactif complété par un blindage-cage au droit du compartiment moteur, un système de contrôle de tir modernisé, le montage d’un système d’imagerie thermique, l’ajout de détecteurs d’alerte laser et enfin un nouveau système de communication. Les deux premiers véhicules traités de la sorte sont sortis d’usine en 2020 mais sans suite pour l’instant bien que les projets tablent sur le passage de la flotte de M-84 à ce standard modernisé.
Un des deux M-84AS2 serbe vu lors de l’exercice « Садејство 2020 ». Image@Srđan Popović
En plus des M-84, l’armée de terre serbe dispose également d’un lot de treize T-72M (ainsi que quarante-huit véhicules en réserve) hérités des forces armées yougoslaves: les treize T-72M sont regroupés avec quarante M-84(A) au sein du 46ème bataillon de tanks (Тенковски батаљон). Aces derniers viennent s’ajouter un reliquat d’environ deux cents cinquante T-55 (répartis entre réserve stratégique et réserve froide) sont toujours à disposition même si il est très peu probable que ces derniers soient un jour remis en service.
De manière surprenante et alors que le M-84(A) est le tank « standard » de l’armée serbe, la Russie a effectué en octobre 2020 une donation de trente chars T-72B1MS aux militaires serbes. Les véhicules sont regroupés au sein d’un bataillon indépendant de tanks basé à Niš. La Serbie ayant le statut de pays militairement « neutre » et n’étant pas candidate à l’OTAN (même si l’alliance et le pays entretiennent d’excellentes relations), il n’est pas dans les projets de Belgrade de fournir des véhicules blindés à l’Ukraine. Cependant, même si historiquement les relations entre Moscou et Belgrade sont bonnes, l’actuel président serbe, A.Vučić, est devenu beaucoup plus critique sur les actions russes en Ukraine en janvier 2023. Néanmoins, la Serbie essaie toujours tant bien que mal de ménager la chèvre et le chou en conservant une position d’équilibre entre l’UE (dont elle est candidate) et la Russie.
Alignement de T-72B1MS serbes. Image@Serbia MoD
Slovaquie
Comme vu plus haut dans la partie consacrée à la République Tchèque, les forces armées slovaques (Ozbrojené sily Slovenskej republiky) ont été constituées le 1er janvier 1993 sur les cendres des forces armées tchécoslovaques; par conséquent les équipements à disposition étaient tous d’origine soviétique et/ou de production tchécoslovaque. N’ayant pas les moyens d’entretenir des forces armées pléthoriques, la Slovaquie va réduire drastiquement ses forces et les préparer pour entrer dans l’OTAN, ce qui sera chose faite en 2004.
Un T-72M1 slovaque, le véhicule n’a reçu aucune modification depuis sa mise en service. Image@militaryvehicles.cz
Au niveau des véhicules blindés à disposition, les forces terrestres (Pozemné sily Slovenskej republiky) disposent d’une petite trentaine (les sources varient et certaines font mention de vingt-deux) chars de combat T-72M1 qui forment le bataillon des tanks (Tankový prápor) basé à Trebišov et relevant de la 2ème brigade mécanisée (2. mechanizovaná brigáda). Les véhicules sont toujours dans leur état d’origine et ne sont donc pas en mesure de faire face aux menaces modernes: leur modernisation un temps envisagée au milieu des années 2000 n’a pas été suivie d’effets et ce principalement pour des raisons budgétaires. Leur remplacement a également été envisagé (ainsi que leur retrait de service sans successeur direct) mais encore une fois, ceci ne s’est pas concrétisé non plus. Malgré la modestie de la flotte de chars de combat slovaque, le programme de développement des forces armées slovaques publié en 2016 (White paper on the defence of the Slovak Republic) dégage l’horizon des chars de combat en Slovaquie et prévoit même un développement de la composante blindée avec le maintien en service des véhicules à l’horizon 2021 avant leur modernisation ou remplacement par des véhicules neufs entre 2021 et 2030.
L’attaque russe sur l’Ukraine a accéléré les choses puisque le ministre de la défense slovaque, Jaroslav Nad’ a signé le 23 août 2022 un accord préliminaire avec l’Allemagne relatif à la livraison de quatorze Leopard 2A4 ainsi que d’un Bergepanzer 3 Büffel issus des stocks de Rheinmetall qui viendront rééquiper les forces armées slovaques à partir de la fin de 2022. Contrairement à la République Tchèque, les slovaques ne vont pas céder une partie de leur flotte de T-72M1 en échange des Leopard 2A4 mais bien trente véhicules de combat d’infanterie BVP-1 qui vont être expédiés en Ukraine dans les semaines suivant la signature de l’accord définitif, celle intervenant le 15 novembre. L’accord vient confirmer que les livraisons vers la Slovaquie débuteront dès la fin de 2022 pour s’étaler jusque à la fin 2023; les Leopard 2A4 venant renforcer le bataillon des tanks de Trebišov. Outre les véhicules, les allemands vont également fournir des pièces, des munitions, le soutien logistique ainsi qu’ils vont assurer la formation du personnel de maintenance ainsi que des équipages.
Le premier Leopard 2A4 livré à la Slovaquie lors de sa présentation officielle; à noter que chaque opérateur de Leopard 2 semble bien décidé à avoir un camouflage qui lui est propre. Image@?
Les délais de livraison annoncés ont été respectés puisque le premier véhicule destiné aux forces armées slovaques a été présenté le 19 décembre 2022, en présence de la ministre allemande de la défense (de l’époque), Christine Lambrecht. De manière fort intéressante, la force de véhicules blindées slovaques va donc s’accroître significativement (elle était sous-équipée tant qu’à présent) avec l’arrivée des Leopard 2A4: le programme Ringtausch se révèle donc très largement positif pour les forces terrestres slovaques, qui en envoyant trente BVP-1 issus des stocks locaux, reçoit quinze MBT d’occasion en échange. Il y a fort à parier que la suite du renouvellement (à moyen-terme) de la composante blindée slovaque se fera avec le Leopard 2 et/ou son successeur; ceci dépendant fort logiquement des capacités budgétaires locales.
Slovénie
L’armée de Slovénie (Slovénska Vôjska) fondée en 1993 trouve son origine dans la « défense territoriale de la République de Slovénie » constituée en 1991 et employée lors de la « guerre des dix jours » (Desetdnevna vojna) qui dura entre le 27 juin et le 7 juillet 1991 et qui aboutit à l’indépendance de la Slovénie: les troupes slovènes opposées à la l’armée yougoslave (JNA) ne disposaient pas de véhicules blindés lourds (à l’inverse de celles-ci). Néanmoins, une fois l’indépendance actée dans l’Accord de Brioni, le matériel des JNA présent sur le sol slovène passait dans les mains de la nouvelle république.
De cette manière, la jeune armée slovène va recevoir une flotte de véhicules blindés composée d’une trentaine de T-55S ainsi que de cinquante-quatre M-84. Les relations avec les voisins immédiats du pays s’apaisant avec les années qui passaient, la flotte de chars de combat slovènes va se réduire et sur les cinquante-quatre M-84 (qui ont tous été portés au standard M-84A4) en service issus de l’ancienne 1 obrnená brigade de la JNA et basé à Vrhnika, seulement dix-sept véhicules vont être maintenus en service et ces derniers peu utilisés, le solde étant stocké en réserve pouvant être réactivés si le besoin s’en faisait sentir. Lorsque les évènements en Ukraine vont débuter fin février 2022, la Slovénie va rapidement se mobiliser et proposer dès le mois d’avril 2022 de fournir des chars M-84A4 à l’Ukraine et ce, en échange de la réception de véhicules blindés en provenance d’Allemagne. Néanmoins malgré cette annonce, aucun M-84A4 slovène n’a été livré tant qu’à présent, les décideurs slovènes espérant pouvoir bénéficier dans le cadre du Ringtausch de livraisons de Leopard 2A4 (l’Allemagne en proposait quinze) mais sans que le nombre ne satisfasse les autorités de Ljubljana.
Un M-84A4 slovène. Image@?
Comme indiqué ci-dessus la Slovénie dispose également de chars T-55S qui vont bénéficier dès 1997 d’un programme de modernisation les portant au standard M-55S: ce dernier est une version fortement modernisée du vénérable T-55 dotée doté de briques réactives, d’une nouvelle motorisation, d’un nouveau canon de 105 mm ainsi qu’un nouveau système de contrôle de tir. Fruit d’une collaboration entre les israéliens d’Elbit et les slovènes de STO Ravne, les trente véhicules passés en modernisation sont sortis de transformation entre la fin de 1997 et 1999. De manière pour le moins surprenante, malgré l’investissement consenti dans ces derniers, les M-55S vont être placé en réserve dès 2016 et proposé à la vente sans succès. Finalement, la Slovénie a annoncé en septembre 2022 envoyer vingt-huit M-55S en Ukraine: à l’inverse des M-84 auparavant, le transfert des véhicules (transportés par voie ferroviaire) est effectif à la fin d’octobre 2022. En échange des M-55S, l’Allemagne a fourni quarante camions qui sont arrivés fin décembre 2022.
Un mouvement désintéressé mais pas inintéressant?
Exception faite de la Serbie et éventuellement de la Croatie, la fin définitive du char de combat T-72 dans les dotation des armées européennes se profile à l’horizon et plus rapidement qu’on aurait pu le penser; il s’agit (indirectement) d’une autre conséquence de l’attaque russe sur l’Ukraine, le renforcement de la collaboration intra-européenne ainsi qu’un retour à l’avant-plan de l’OTAN avec comme but d’éliminer les reliquats de matériels issus des stocks soviétiques toujours en service.
Ce mouvement qui s’explique à la fois par une obsolescence naturelle du matériel (l’URSS s’est effondrée en 1991, soit il y a presque 32 ans), une absence de compatibilité des munitions employées avec les munitions principales employées par l’OTAN qui deviennent la norme en Europe et enfin pour des considérations politico-médiatiques avec un rejet (logique vu le contexte) de tout ce qui provient d’URSS/Russie. Le retrait de service des T-72 (et variantes produites localement) est un mouvement intéressant non seulement d’un point de vue opérationnel avec la standardisation généralisée des véhicules alignés autour des munitions de 120 mm (Leopard 2, Abrams, Leclerc et Challenger 2) ainsi que la valorisation des stocks de la Bundeswehr (et des industriels allemands) qui permet à l’Allemagne avec le programme Ringtausch d’envoyer des véhicules « relativement » performants (le Léopard 2A4 bien qu’imparfait n’en reste pas moins un adversaire redoutable surtout face à du T-72 en état d’origine…ou presque) tout en mettant un pied dans des marchés potentiels (et lucratifs) de renouvellements des chars de combat.
Un T-72M1 polonais lors du Tankfest 2017; une image qui appartient dorénavant au passé? Image@Alan Wilson
La méga-commande polonaise portant sur un total de 1.000 chars de combat K2 Black Panther avec 180 chars K2 acquis directement en Corée du Sud et 820 K2PL à produire localement dès 2026 voit ainsi Varsovie se positionner pour aligner à terme d’une flotte de chars de combat hyper-modernes composée de 250 M1A2 SEPv3 Abrams complétés de 1.000 K2(PL) ainsi que d’un lot d’environ 250 Leopard 2A4PL/2A5 revalorisés (à terme) aux standard Leopard 2PLM1. Cet ensemble disparate (avec trois fournisseurs différents mais reposant sur un standard de munitions unique) va sérieusement complexifier la chaîne logistique locale mais elle constituera à terme (horizon 2030) une force blindée composée de 1.500 chars modernes… située en première ligne pour calmer les ardeurs (éventuelles) de Moscou.
La République Tchèque (et à sa suite la Slovaquie) va suivre un chemin similaire bien que de moins grande ampleur, la réception des 15 (14 chars et 1 véhicule de dépannage) Leopard 2A4 provenant des stocks de Rheinmetall permet au constructeur allemand de mettre un pied dans le marché de renouvellement (souvent discuté et toujours retardé) de la flotte de véhicules blindés tchèque. Les discussions sur l’acquisition d’une cible totale de cinquante Leopard 2A7+ neufs sont toujours en cours mais il apparaît déjà que le remplacement des blindés tchèques, programme plusieurs fois discuté mais jamais tranché, vient de connaître un très sérieux coup d’accélérateur avec les évènements en Ukraine. La Slovaquie en fait de même, à cette différence que l’arrivée des Leopard 2A4 ne vient pas compenser l’envoi de T-72M1 en Ukraine mais des véhicules de combat d’infanterie BVP-1. A l’inverse, malgré le retrait de service en vue des T-72M1 hongrois et leur remplacement par des Leopard 2A7+ (commandés fin 2018), il ne semble pas que le pays soit décidé à fournir une aide militaire à l’Ukraine, vu les « liens » entre la Russie et la Hongrie du gouvernement Orban, ceci n’est guère surprenant.
Qui aurait pu croire il y a encore quelques mois que l’armée de terre slovaque finirait par recevoir des Leopard 2A4? Image@MoD SK
Dans le cas des républiques issues de l’ancienne Yougoslavie, la situation est un peu moins « nette »: les armées des nouvelles républiques sont équipées de chars de facture yougoslave dérivés du T-72M, le M-84, mais plusieurs des armées en question n’utilisent que peu ou prou ces derniers (Slovénie, Macédoine du Nord et dans une moindre mesure la Croatie). L’expédition de tout (ou partie) des véhicules en dotation est donc un moyen utile pour les armées en question de se défaire de véhicules qui ne leur sont plus aussi utile qu’auparavant et de négocier des véhicules occidentaux plus récents en échange. Ceci ne concerne pas la Serbie, qui continue à exploiter des M-84 et T-72, dont certains reçus il y a quelques années seulement en provenance de Russie, et qui n’a pas estimé nécessaire d’aider matériellement l’Ukraine. A noter d’ailleurs, si les tendances actuelles se confirment, que la Serbie ainsi que la Croatie seront à terme les seuls pays d’Europe (géographique), exception faite de l’Ukraine et de la Biélorussie, à disposer de T-72 (et variantes) en dotation dans leurs forces armées terrestres.
Les mauvaises performances du T-72 en Ukraine (venant pour partie de l’usage des véhicules et des « points faibles » techniques connus) ainsi que l’âge des véhicules en dotation font que le retrait de service de ces derniers des unités de première ligne était dans l’air du temps mais les évènements en Ukraine ont permis d’accélérer le mouvement auprès des gouvernements qui hésitaient à investir dans leurs véhicules blindés et plus largement dans leurs armées. L’explosion des annonces de commandes de ces derniers mois est symbolique de la prise de conscience opérée dans la vaste majorité des pays du continent européen; cette prise de conscience permet d’observer des mouvements intéressants d’un point de vue industriel avec la « méga »-commande passée par la Pologne auprès de la Corée du Sud ainsi que la lettre d’intention signée par la Roumanie visant à l’acquisition de chars de combat K2 pour remplacer sa flotte de TR-85 (char de combat de production locale dérivé du T-55). De manière pour le moins significative, alors que l’on pouvait fort logiquement s’attendre à voir KMW/KNDS (Leopard 2A7+ et à terme MGCS) mettre la main sur le marché de renouvellement des chars de combat européens tout en sachant que General Dynamics (M1A1 SEPv4 et AbramsX à terme) ainsi que dans une moindre mesure Rheinmetall (Panther KF51) étaient positionnés pour récupérer des parts du gâteau; il semble que ce soit les sud-coréens de Hyundai-Rotem avec le K2 qui soient en passe de réussir là où on les attendait le moins.
Un démonstrateur AbramsX. Image@General Dynamics Land Systems
En effet, outre le fait que le K2 est un véhicule moderne et performant, la Corée du Sud offre également des délais de production extrêmement courts ainsi qu’une capacité de production permettant de répondre rapidement à la demande (ce qui ne semble pas être le cas des producteurs européens et US): cerise sur le gâteau, Séoul vend également des licences d’exportation de ses véhicules. Tous ces éléments semblent avoir fortement pesé dans la balance mais c’est l’argument de la rapidité qui a eu la main haute; ceci étant d’ailleurs confirmé dans les faits puisque les premiers K2 sont arrivés dans le port de Gdynia le 5 décembre 2022… le contrat d’acquisition ayant été signé le 27 juillet 2022, soit moins de cinq mois entre la signature et les premières livraisons! Vu les capacités industrielles sud-coréennes ainsi que l’importance des besoins européens, on assiste actuellement à un mouvement intéressant de pénétration du marché européen de la défense par les producteurs asiatiques, ce mouvement ne faisant que confirmer une tendance déjà amorcée avec l’artillerie automoteur K9 Thunder (de 155 mm) qui est déjà présent en Finlande, Estonie, Norvège, Turquie et également en Pologne.
Les premiers K2 polonais arrivés à Gdynia le 5 décembre 2022. Image@gov.pl/web/national-defence
L’effet domino en cours est des plus pertinent dans le but de fournir rapidement à l’Ukraine des véhicules compatibles avec ses stocks de munitions et le niveau de qualification de ses équipages: néanmoins, au vu des données disponibles on peut voir qu’il existe encore de la marge de manœuvre pour fournir à la ZSU de quoi augmenter ses effectifs de blindés mais que cette marge se réduit de plus en plus… il semble peu probable de voir les principaux contributeurs de cet effort être en mesure de se déforcer encore (beaucoup) plus sans courir le risque de se retrouver en sévère sous-effectif: surtout que les effectifs n’étaient pas au « mieux de leur forme » (sic) avant l’attaque russe sur l’Ukraine. De manière très ironique, ce sont les forces armées russes qui, via leurs très nombreux abandons de véhicules couplés à l’ingéniosité des militaires et techniciens ukrainiens ainsi que d’Europe centrale, sont devenus par la force des choses, les premiers fournisseurs de chars pour les forces terrestres ukrainiennes! Il s’agit, assurément, d’un autre coup de génie du « maître stratège » du Kremlin…
Capitalisant sur la compatibilité technique entre les véhicules issus des stocks soviétiques, le vaste mouvement d’aide (qui n’est pas entièrement désintéressé) à l’Ukraine permet à la fois d’aider rapidement un pays ami dans le besoin, tout en forçant (un peu) la main des gouvernements qui hésitaient à sortir le chéquier pour renouveler les équipements de leurs forces armées. Permettant d’exploiter les stocks d’obus de 125 mm ainsi que la logistique (consommables et pièces de rechange) présents en Ukraine et ailleurs en Europe: on comprend mieux pourquoi cet effort collectif est pertinent et utile… La violente et rapide contre-attaque ukrainienne a vu une importante mobilisation des forces blindées ukrainiennes ces dernières exploitant de manière intelligente les moyens à disposition tout en alignant une bonne part de véhicules blindés récupérés aux russes ainsi que les véhicules issus des stocks de plusieurs pays occidentaux. Outre le fait que d’un point de vue logistique, cette idée cadre parfaitement avec les moyens à disposition en Ukraine, elle démontre bien l’importance de disposer de chaînes logistiques solides, reposant sur des standards techniques identiques et interopérables.
Le KF51 Panther ne peut certainement pas nier sa filiation avec le Leopard 2. Image@stern.de
Néanmoins, la « pause opérationnelle » contrainte et forcée en bonne partie par l’hiver ainsi que par le besoin de régénérer le potentiel disponible a vu les troupes ukrainiennes être confrontées à des (nouvelles) troupes russes qui – si elles sont (très) loin d’être les plus aguerries – sont présentes en nombre et positionnées en défensive sur plusieurs zones; de plus ces dernières – souvent inexpérimentées – sont appuyées par les mercenaires du groupe Wagner (ces derniers sont « sacrifiables » et de provenance très hétérogène). En vue de faire monter d’un point de vue qualitatif (et dans une moindre mesure quantitatif) les moyens à disposition, les alliés de l’Ukraine se sont enfin décidés – après de longues et « douloureuses » réflexions, surtout pour l’Allemagne – à franchir la « barrière psychologique » de la fourniture de chars de facture occidentale à l’Ukraine. Le premier effort va venir de France avec la livraison d’AMX-10RC (ce qui va secouer le landerneau militaire local avec cette question « existentielle » de savoir si l’AMX-10RC est, ou non, un « char ») en janvier 2023, le deuxième effort qui est tout autant symbolique que technique porte sur la livraison de Leopard 2 (plusieurs variantes) par un ensemble de pays (Allemagne, Norvège, Canada,…) ainsi que la promesse de livraisons de trente-et-un chars M1A1 Abrams… bien que ces derniers ne seront pas livrés avant plusieurs mois, vu qu’ils doivent encore être reconditionnés. Enfin l’Angleterre va également fournir quatorze Challenger 2 à l’Ukraine, les premiers équipages ukrainiens étant en cours de formation.
Un M1A1 Abrams: l’un des prochains modèles de chars qui viendra rééquiper l’armée ukrainienne. De manière ironique, ce ne sera pas la première fois que le M1A1s’opposera aux T-72 (et variantes). Image@Joseph A. Lambach
Si il est parfaitement évident et indiscutable que le Leopard 2 présente des qualités techniques intrinsèques qui font que ce dernier surclasse (tout ou partie) des chars russes en service, il n’empêche que l’enthousiasme manifesté dans le cadre des livraisons de tels véhicules si elles sont louables et compréhensibles sont à envisager avec un regard critique: le stock de véhicules « disponibles » est restreint (merci les « dividendes de la paix » et les pays qui ont clamé pendant vingt ans que le « char de combat est mort ») et va nécessiter la mise en place d’une logistique spécifique dédiée. Outre les consommables, le calibre de munitions qui n’est pas identique (120 mm vs 125 mm), un équipage qui passe de 3 à 4 hommes, des véhicules qui sont plus performants mais en même temps plus complexes à exploiter et le tout dans un environnement où la capacité de réparations et révisions n’est pas aussi facilement accessible que pour les modèles d’origine soviétique: autant dire que leur arrivée risque de complexifier le travail des mécaniciens ukrainiens. L’option de libérer plus vite des Leopard 2 d’occasion issus des stocks allemands pour les opérateurs de T-72 (et variantes) semble également sur la table: par effet domino, il serait possible d’augmenter les livraisons de blindés aux forces armées ukrainiennes tout en ne réduisant pas (de trop) le potentiel des forces armées occidentales. Autre scénario discuté bien que pas (encore?) validé: la réexportation des véhicules reçus d’Allemagne par certains des nouveaux opérateurs de Leopard 2 (République Tchèque, Slovaquie et Pologne) directement vers l’Ukraine avec la mise en attente de leur propre rééquipement, la priorité immédiate étant de libérer des véhicules nécessaires au plus vite pour l’Ukraine. Ceci nécessitera toutefois l’aval de Berlin, qui doit – en théorie – donner son aval pour permettre les réexportations.
Entre les « messages politiques forts » montrant la détermination des alliés à aider l’Ukraine tout en évitant de (trop) s’approcher de l’escalade tant décriée (gageons que sans faire dans le cynisme, cette escalade est déjà une réalité concrète depuis plusieurs mois) et la concrétisation sur le terrain, il y a une complexité inhérente à la guerre et aux forces armées qui apparaît en plein jour et ce depuis plusieurs mois: la question des stocks et des capacités d’approvisionnement. Vouloir envoyer du matériel c’est bien et louable, mais faut-il encore en disposer et d’être en mesure de pouvoir s’en passer…! Or si il y a une chose que la guerre en Ukraine a mis de manière flagrante en lumière, c’est l’état d’impréparation (plus ou moins grande) de très nombreuses forces armées face à une guerre de haute intensité et de longue haleine en 2022. Certes, les (promesses) de budgets repartent à la hausse ainsi que les commandes d’équipements mais ce mouvement qui ressemble plus à du rattrapage qu’à (pour l’instant) une montée en gamme se heurte de plein fouet à la réalité industrielle, économique et technique… Sans compter le risque, bien réel, de l’épuisement du soutien politique, les mandataires politiques devant à un moment donné rendre des comptes à leur électorat qui n’est pas toujours aussi déterminé que ne le sont leurs dirigeants. Dis plus simplement, l’absence de stocks importants fait qu’on ne sait pas envoyer « maintenant » et « en nombre » de quoi faire reculer les russes et/ou (mieux) faire taire définitivement les armes; or plus la guerre va durer, plus elle va devenir difficile à faire accepter aux populations avec les risques que ça implique pour le soutien à Kiev.
Bientôt en Ukraine également: le Challenger 2. Image@Fiorellino
Autre problématique à envisager ce sont les limites intrinsèques de ce que l’on peut appeler la « Coalition du Leopard« , comme le souligne très bien l’excellent blog « BlaBlaChars » dans un article daté du 27 janvier 2023 (disponible ici): vu les volumes de véhicules disponibles dans les pays exploitant ce dernier en Europe ainsi que les contraintes propres à chacun des utilisateurs de Leopard 2 (ex: la Grèce qui ne veut pas en fournir pour ne pas se déforcer ou l’Autriche qui est neutre), il est illusoire de voir un nombre conséquent de véhicules être expédié en Ukraine (plus ou moins rapidement) et ce sans même parler d’une deuxième vague d’aide qui permettrait de combler l’attrition naturelle et/ou résultante des opérations militaires ou alors il faudra se tourner vers des donations supplémentaires de Leopard 1 (si tant est que les stocks existants le permettent). On en revient donc à un point abordé à plusieurs reprises auparavant; la difficile concrétisation des promesses politiques eu égard à la réalité du terrain ainsi que la cruelle l’absence de stocks et de capacités disponibles pour permettre d’aider un pays dans le besoin. Et ce avec le risque, bien réel celui-là, de devoir prendre des décisions difficiles en matière de capacités si le choix est fait de poursuivre l’aide à son niveau actuel. On constate d’ailleurs, en-dehors de toute polémique stérile dont la presse semble friande, que l’envoi de chars Leclerc en Ukraine n’est pas envisagée (et ce malgré d’excellentes qualités techniques reconnues de ce dernier) et surtout impossible vu le faible nombre d’unités en service (environ deux cents chars), sous peine d’impacter sérieusement les capacités de la composante blindée française. Accessoirement, on commence à prendre conscience de l’ampleur de la perte massive de capacité industrielle en Europe, la Pologne, en vue d’être « servie » rapidement s’est tournée vers la Corée du Sud: aucun industriel européen n’étant en mesure de livrer rapidement des véhicules neufs à un pays prêt à payer rubis sur l’ongle. A titre d’exemple, la Norvège qui vient de commander cinquante-quatre (plus dix-huit en option) Leopard 2A7+ ne sera livrée qu’entre 2026 et 2031… Vu le contexte actuel, autant dire qu’il s’agit d’une éternité! Et ce d’autant plus face à une Russie qui semble bien décidée à jouer la carte du « temps long » en Ukraine: on commence à mieux comprendre pourquoi plusieurs pays veulent faire monter en gamme (quantité et qualité) l’armement ukrainien et ce le plus vite possible, la fenêtre de tir existe mais plus le temps va s’écouler, plus elle risque de se refermer…
Le seul modèle qui n’est pas (encore?) attendu sur le sol ukrainien: le char Leclerc. Image@?
Au final, on commence à mieux appréhender l’ampleur des changements à venir pour les forces armées occidentales ainsi que pour les capacités industrielles et logistiques: le char de combat qui fut longtemps un parent (très) pauvre démontre donc que ce dernier se révèle être une arme formidable une fois qu’il est bien employé, avec des équipages bien entraînés, et appuyé convenablement… Mais que ce dernier ne peut pas tout faire non plus, contrairement à ce que l’on peut souvent lire et entendre. La guerre en Ukraine consacre donc le retour en grâce du char de combat dans les forces armées (occidentales principalement), ce mouvement qui donne déjà de premiers résultats avec l’arrivée de Leopard 2A4 en République Tchèque et Slovaquie, de chars K2 et Abrams en Pologne ainsi que la commande de véhicules neufs pour la Norvège (Leopard 2A7+) va permettre (avec une certaine limite) d’aider l’Ukraine, d’éliminer (à terme) la quasi-totalité des flottes de T-72 en service en Europe, tout en poussant les industriels à (re)mettre en place les outils industriels permettant d’augmenter les cadences de production de véhicules neufs… et ce, à condition que les politiques donnent aux industriels des perspectives claires en matière d’objectifs à atteindre et de moyens disponibles pour y parvenir.
Le Leopard 2A7A1 avec système Trophy: futur char de la Bundeswehr? Image@Łukasz Prus
Dis autrement, rien n’est moins sûr: la méga-commande de blindés envisagée par l’Allemagne (ciblant potentiellement des Leopard 2A7A1) viendrait de facto mettre un terme au projet de véhicule blindé commun franco-allemand MGCS ou tout du moins ralentirait très fortement ce dernier. Au lieu de travailler ensemble et de développer une nouvelle plate-forme commune (le projet E-MBT dans sa première mouture de 2018 allait en ce sens, mariant un châssis modifié du Leopard 2A7 avec une tourelle de Leclerc) permettant d’avoir un produit pensé pour la guerre de demain et disposant de briques technologiques créées en Europe, le plus gros client potentiel de ce dernier (la Bundeswehr) envisage d’acheter une plate-forme « germano-germanique » qui n’est qu’une resucée (très largement revalorisée, évidemment) d’un véhicule ayant déjà quarante ans d’âge au compteur. Tandis que le Pologne qui deviendra à terme le plus gros utilisateur de chars de combat en Europe a décidé de se fournir aux Etats-Unis et en Corée du Sud… mais il est vrai que ce sont les seuls fournisseurs en mesure de livrer des véhicules neufs (ou récents) dans de très courts délais. Une occasion manquée, en somme? Fort probablement! Mais soit, les intérêts nationaux et industriels pèsent parfois (encore) trop lourd dans la balance. Mais ceci est un autre débat.
En attendant, le char de combat n’est pas mort. Mais le T-72 en Europe, oui!
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