[Actu] Nouvelle commande en vue pour le Sukhoï Su-57
De manière assez ironique alors que certains prédisaient la fin du programme suite à un manque de financement, le président russe vient d’annoncer qu’une nouvelle commande de Sukhoï Su-57 sera signée lors du salon MAKS 2019 qui se tiendra à Moscou entre le 27 août et le 1er septembre; le journal Kommersant publiant dans la foulée un article détaillant cette commande et les modalités de cette dernière.
Alors que la première commande signée en août 2018 portait sur deux appareils à livrer en 2019 et 2020, une deuxième commande portant sur treize appareils était annoncée pour cette année, avec comme objectif d’employer les avions pour assurer les formations des pilotes ainsi que la mise en place des doctrines d’emploi. Ce nombre restreint d’appareils était justifié notamment par le fait que la Russie souhaitait attendre l’arrivée des moteurs définitifs (Izd.30) pour lancer les acquisitions en plus grand nombre de Su-57 ainsi qu’un contexte économique qui n’était pas favorable. Outre l’annonce de cette nouvelle commande – attendue – c’est principalement le nombre d’appareils concernés qui est surprenant: ce sont pas moins de soixante-seize Sukhoï Su-57 que la Russie va admettre au service d’ici à 2028.

Cette annonce qui n’est pas en soi une surprise (une commande était annoncée et attendue) a déstabilisé plus d’un observateur suite à son ampleur, il s’agit ni plus ni moins de la commande militaire la plus importante (en terme de valeur) passée par le pays depuis la fin de l’URSS; d’un montant estimé de 170 milliards de Roubles, cette commande permet en outre de fournir du travail à l’usine KnAAZ (Komsomolsk-sur-l’Amour) jusqu’en 2028. En ce qui concerne le programme PAK FA, les annonces relatives au nombre d’avions à acquérir ont souvent été contradictoires et les calendriers ont régulièrement été décalés vers la droite. Alors que le GPV 2011-2020 envisageait l’acquisition de cinquante-deux appareils, les objectifs ont par la suite été revus à la baisse (des suites d’un temps de développement plus long qu’anticipé) avec l’intention d’acquérir d’abord douze appareils avant de passer à quinze en attendant l’arrivée du nouveau réacteur. Si il est un fait certain que le développement de l’avion a pris plus de temps que ne l’espérait la Russie, force est de constater que la production du Su-57 n’aurait pas pu être lancée auparavant: la chaîne de production n’existant tout simplement pas.
Les travaux de mise en place de la production du Su-57 sont en cours chez KnAAZ depuis au moins deux ans et l’annonce de cette commande permet de mieux comprendre une autre information qui tourne dans la presse depuis plusieurs semaines: l’autorisation d’exportation du Su-57. Alors que des informations récentes faisaient état d’un éventuel intérêt de la Chine ainsi que de la Turquie pour une version export du Su-57, le Su-57E. Il est maintenant beaucoup plus évident que cet intérêt découle du fait que la Russie met en avant le Su-57 sur le marché à l’export puisque la production du Su-35(S) est amené à s’achever à terme. En effet, l’usine KnAAZ va se concentrer à l’avenir sur la production du Su-57 et il y a fort à parier qu’en l’absence de commandes supplémentaires pour la Russie ou à l’export, la production du Su-35S va se réduire progressivement avant de se terminer après l’achèvement des contrats en cours. D’un point de vue du calendrier, en l’absence de nouveau contrat: la production des Su-35S pour la Russie doit s’achever en 2020, les appareils pour l’Indonésie doivent être livrés en 2021 tandis que pour l’Egypte, on se situe fort logiquement dans le même ordre d’idée. Il restera à voir si la Chine souhaite soit: commander un lot supplémentaire de Su-35 soit passer au Su-57E ou encore se tourner vers ses fournisseurs nationaux et arrêter de commander en Russie.

Il est vrai que malgré toutes ses qualités, le Su-35(S) a été conçu comme « variante ultime » du Flanker avec comme mission principale d’assurer l’intérim durant la mise au point du Su-57 et donc de dégager du temps à la Russie pour mettre au point le Su-57; la fin du développement et de la mise au point de ce dernier indique donc que la Russie est prête à tourner la page de la production des Su-27 et dérivés. Assez curieusement d’ailleurs, le président russe ne parle pas de commandes supplémentaires pour les Su-30SM/Su-34(M); oubli ou silence volontaire? Nous en saurons plus dans le courant de l’année, surtout vu les besoins maintes fois exprimés par l’Aéronavale Russe qui dispose encore de Su-24M à remplacer ainsi que les VKS qui ont encore une partie de leur flotte de Su-24M qui a atteint l’âge de la retraite.
Outre la transition graduelle vers la nouvelle plate-forme qu’est le Su-57, la Russie semble avoir fortement négocié au rabais le coût d’acquisition des avions (Kommersant parle de 20% de réduction) ce qui lui a de facto permis d’augmenter le nombre d’appareils commandés. Avec un prix annoncé de 170 milliards de Roubles pour soixante-seize appareils, on obtient donc (si ce montant se confirme) un coût de 2,23 milliards de Roubles/avions soit environ 30,88 millions d’€/avions (il est d’ailleurs important de préciser que l’on parle du coût des avions, pas des équipements connexes). Ce prix qui peut sembler ridiculement faible eu égard aux performances de l’avion doit se lire en rapport avec le coût des autres appareils russes contemporains:
- Su-35S: environ 2 milliards de Roubles/avion soit 27,7 millions d’€ (sur base du contrat de 2015 pour les VKS)
- Su-30SM: environ 1,9 milliard de Roubles/avion soit 26,3 millions d’€ (sur base du contrat de 2016 pour les VKS/VMF)
On est donc dans une tranche de prix crédible, eu égard aux similitudes entre les équipements des Su-35S par rapport aux Su-57. Il est à noter que ces prix sont ceux qui sont pratiqués en Russie pour la Russie: l’Etat Russe étant le bailleur de fond derrière le programme PAK FA, il négocie les prix au rabais pour à la fois faire travailler l’usine de production, rééquiper son armée et laisser le groupe UAC Russia dégager une marge bénéficiaire qui sera minime (l’article de Kommersant parle d’un taux de 3 à 5 %), en outre via l’emploi de certains systèmes similaires avec le Su-35(S), le coût des appareils a pu être réduit d’environ 20% sur le montant envisagé initialement: il faut néanmoins garder en tête le fait que ces prix sont donnés à titre indicatif mais n’ont pas de base précise en l’absence de la signature du contrat ainsi que de son contenu précis. Disons simplement qu’il s’agit d’une échelle des valeurs qui cadre bien avec le coût des appareils de la même catégorie produits et/ou en production en Russie.

Là où la Russie pratique vis-à-vis d’elle-même des prix très attractifs (ce fut déjà le cas avec le Su-35S lors de son lancement), il n’en ira pas de même pour les appareils exportés; on peut donc s’attendre à voir un Su-57E être beaucoup plus onéreux à acquérir que le Su-57. Exception faite des éventuels clients proche de la Russie qui pourraient bénéficier de prix attractifs (comme ce fut le cas pour les Su-30SM au Kazakhstan – vendu au même prix qu’à la Russie – ), UAC Russia dégagera sa marge bénéficiaire principale sur les exportations de l’appareil. D’où le fait que ce dernier est déjà proposé à l’export, l’apport des devises que génèrent de telles ventes retournant alimenter les caisses de l’état et « remboursant » (en partie tout du moins) l’investissement consenti par l’état russe pour créer le PAK FA. En outre, la mise sur le marché à l’exportation du Su-57E revête une dimension politique évidente à la fois nationale, la Russie faisant taire ses détracteurs qui prophétisaient l’échec de l’appareil, mais également une dimension internationale en proposant une alternative crédible aux appareils de cette génération déjà sur le marché.
Autre élément intéressant de cette commande, c’est la mise à mort des rumeurs persistantes prétendant que l’abandon du programme FGFA entraînait des difficultés financières pour le programme PAK FA. Les deux programmes étant des créations distinctes, l’abandon de l’un n’a pas d’impact direct sur l’autre; certes si l’Inde avait financé le FGFA (donc le développement d’une variante locale du Su-57), l’état russe aurait pu réussir à diminuer le coût d’acquisition de ses Su-57 (impact indirect) mais l’absence d’investissement indien n’a pas d’impact direct sur un programme considéré comme stratégique par la Russie et qui, par conséquent, est financé directement et intégralement par les caisses de l’Etat. Au final, la participation au programme FGFA aurait eu le même effet qu’une vente à l’export du PAK FA: offrir la possibilité à la Russie de diminuer le coût d’acquisition du Su-57 sans avoir d’effet sur le budget de développement de l’avion russe, ce dernier étant financé sans nécessiter d’apports extérieurs.

Dernier point qu’il est intéressant d’aborder c’est la question des réacteurs; nous l’avons vu ci-dessus, les plans initiaux tablaient sur l’acquisition d’un lot restreint de Su-57 équipés du réacteur Izd.117, les décideurs militaires préférant attendre l’arrivée du réacteur définitif Izd.30 pour passer à la vitesse de croisière au niveau des acquisitions. Il semble que le développement de l’Izd.30 (monté il y a 18 mois pour la première fois sur un prototype T-50) se déroule sans grandes difficultés ce qui permet d’envisager sereinement l’entrée en service de ce dernier sur le Su-57. A noter que les réacteurs Izd.117 et Izd.30 sont parfaitement interchangeables ce qui permettra – selon les besoins – de rééquiper les avions de série déjà livrés avec les moteurs définitifs si la demande est faite. Avec une production initiale estimée à sept/huit Su-57 annuellement, il n’y aura probablement qu’un petit lot d’avions qui seront équipés en réacteurs Izd.117 avant d’effectuer la transition définitive sur l’Izd.30.

On le voit, cette commande attendue – bien que d’une ampleur inattendue – permet de mieux comprendre plusieurs annonces récentes relatives à l’autorisation d’exportation du Su-57 qui apparaît très tôt dans la carrière de ce dernier, surtout si l’on compare avec ses prédécesseurs. Outre cette explication, cette commande indique également que la création de la ligne de production est achevée ou en voie d’achèvement, que les tests de l’Izd.30 avancent bien et que les réglages liés au passage (éclair) en Syrie de deux T-50 sont pris en compte dans la production des avions de série; dis autrement, on assiste à la fin du programme d’essais avec passage aux avions de série. Disposant encore d’une soixantaine de Su-27 d’origine à remplacer (dont une partie n’est plus active); l’arrivée des Su-57 (et des équipements liés à leur déploiement) va permettre de se débarrasser de ce reliquat tout en renouvelant pas moins de trois régiments des VKS. Et comme si ceci ne suffisait pas, le président russe parle du « début » des acquisitions pour ce type d’appareils; les optimistes verront dans de tels propos le fait qu’on assistera à d’autres commandes à l’avenir, les pragmatiques verront dans le propos une évidence déjà signalée, le programme n’en est qu’à ses débuts et on parle d’une production qui va s’étaler non pas sur des années mais sur des décennies. A l’instar de ce qui s’est déroulé à l’époque avec les T-10 et Su-27.
Minorons cet enthousiasme au vu des nombreux changements qu’a connu ce programme; il reste maintenant à attendre la signature de la commande lors du salon MAKS pour voir si les chiffres annoncés (coût et nombre d’appareils) seront en adéquation avec la réalité contractuelle. La Russie ayant régulièrement mis en application l’adage de la « Montagne qui accouche d’une souris« .
Nous aurons donc plus que largement l’occasion de revenir sur cette question.