[Analyse] Sukhoï Su-57: stop ou encore?

Le Sukhoï Su-57 est un programme que l’on ne présente plus; appareil polyvalent de « cinquième génération » dont la mise au point a débuté en 2002 et ayant effectué son premier vol en 2010, il a été créé pour servir de base au remplacement de la plate-forme Su-27 (et ses nombreuses variantes) qui approchent doucement de leur fin de vie.

Dire que le programme est hautement médiatisé est un pléonasme; chaques faits et gestes des russes et du T-50/Su-57 sont scrutés, analysés, interprétés et on peut lire tout et son contraire à son sujet sur Internet. Il est vrai également que les responsables russes ainsi que les médias locaux n’ont jamais manqué une occasion de mettre l’appareil en avant dès que l’occasion s’est présentée; cette surexposition médiatique – à des années-lumières des coutumes soviétiques – ayant eu un impact négatif à certains moments sur ce dernier. Le cas du « pompage » (compressor stall) qu’a connu le prototype T-50-2 lors du salon MAKS 2011 est encore dans toutes les mémoires, l’incendie du prototype T-50-5, les premiers prototypes T-50 qui ont été vus en vol pendant plusieurs mois avec des « patchs » de renforcement installés sur la cellule à certains endroits suite à l’apparition de failles structurelles sur ces derniers, etc… Autant d’informations qui prises séparément sont presque anecdotiques (mais ne devant pas être minimisées pour autant!) dans le développement et la mise au point d’un programme aussi complexe que ce dernier pour un pays qui, rappelons-le, n’a pas (ou presque) d’expérience dans des domaines aussi précis que la furtivité, l’emploi des composites, etc…

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Cette image a fait le tour du monde: le pompage sur le moteur droit du T-50-2 au salon MAKS 2011. Photo@the aviationist

Certes, on peut tenter de trouver des excuses, des justifications mais il est un fait indéniable que le programme a connu de sévères turbulences durant sa mise au point et la fin du programme d’essais ainsi que la commande des premiers appareils de présérie laissent présager d’une fin en « douceur » de la mise au point et le lancement de la production en série. Cependant, en date du 2 juillet 2018, Iouri Borisov lance un pavé dans la mare durant une interview sur la chaîne Rossiya 24 en annonçant que la production en série du Su-57 n’était pas urgente.

« Le Su-57 est considéré comme étant un des meilleurs avions produit de part le monde. Par conséquent, il n’est pas utile d’accélérer les travaux relatifs à la production en série de cet appareil de cinquième génération. »

« [Le Su-57] est l’atout que nous pourrons toujours sortir de notre manche lorsque les appareils des générations antérieures commenceront à marquer le pas face à leurs homologues des principaux pays du monde. » [I.Borisov]

A partir de ce moment, la machine médiatique s’est emballée avec des annonces aussi incroyables et sensationnelles que « La Russie admet que le Su-57 est un échec » ou « La Russie reconnaît sa défaite (…) en ne produisant pas le Su-57« ,  « La Russie abandonne son chasseur tueur d’avions furtifs« , etc… Bref, autant de titres sensationnels et générateurs de « clics » qui font la renommée (bon pour la qualité, on repassera) de certains sites. Passée la surprise – parce que oui, ces déclarations nous ont également surprises – de cette information, on a pris notre temps en ne sautant pas sur l’information sans prendre le recul et le temps nécessaire à l’évaluer avant d’en parler.

Mais qu’en est-il concrètement? Est-ce vraiment la fin du programme PAK FA? Assiste-t-on à un enterrement de première classe?

Tâchons de remettre l’église au milieu du village et d’y voir plus clair.

Avant toute chose, il est utile de rappeler que la Russie traverse actuellement une période économiquement difficile et ces difficultés se répercutent sur le secteur de la défense et les programmes d’acquisitions militaires; les négociations entourant le dernier GPV 2018-2027 ont été plus longues que prévues et des arbitrages budgétaires ont du être effectués. Certains projets envisagés dans le cadre du GPV 2018-2027 ont été mis au frigo, ont vu le tempo de leur développement ralenti voir tout simplement reporté au prochain GPV soit au-delà de 2027. Dans le désordre et à titre d’exemples, on peut citer notamment le cas des trains lanceurs d’ICBM – le BZhRK – , ainsi que le report au-delà de 2027 du lancement de la construction de navires hauturiers ou d’un hypothétique porte-avions.

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On peut en penser ce que l’on veut mais les ingénieurs russes savent dessiner un bel avion. Photo@the aviationist

D’un autre côté, le GPV 2018-2027 contient en son sein des points qui ont été priorisés et qui ne semblent aucunement souffrir d’une éventuelle remise en question. Il s’agit notamment des éléments de la composante stratégique relatifs à la dissuasion nucléaire tel que les ICBM RS-28 Sarmat, le Tu-160M2, le PAK DA et les Izd.955A Boreï. De plus, les Su-57, T-14, S-400/S-500, etc… sont repris comme étant des évidences prioritaires au sein du GPV. Néanmoins, si l’on prend le temps de se pencher sur les sources en question: on peut voir que la question du recul de production du programme Su-57 est soulevé à plusieurs reprises.

Doit-on pour autant pencher pour un abandon pur et simple du programme?

La réponse à cette question est parfaitement évidente: non. Tous les éléments factuels récents indiquent la même chose: la production du Su-57 est en instance de mise en place et ceci concerne aussi bien l’usine de production (KnAAZ) que les sous-traitants chargés de fournir les systèmes embarqués. A l’heure de rédiger ces lignes, aucun élément concret n’indique que la Russie souhaite abandonner le projet PAK FA pas plus qu’elle ne commandera qu’un lot de douze appareils. Mieux, les déclarations les plus récentes et faisant suite aux propos de Iouri Borisov vont dans le sens de l’arrivée dans un futur proche de l’appareil au sein de VKS et elles nous lèvent le voile sur certains détails:

  • Il y a douze avions commandés dans le cadre de la présérie
  • Ces avions seront basés à Lipetsk pour entraînements et formations
  • Ils entreront en service à partir de 2019
  • Ces douze avions font partie de la première commande (donc elle sera suivie par d’autres)

Certes, il n’y a aucun élément fondamentalement nouveau dans ces informations mais elles permettent déjà de voir que le programme se porte bien et avance à son rythme; bien évidemment les progrès ne sont pas aussi spectaculaires qu’à ses débuts ce qui est logique vu la fin des essais et le passage à la production des appareils de présérie.

La question que l’on est en droit de se poser alors c’est; Le pourquoi et l’utilité des déclarations récentes de I.Borisov?

Avant de se poser la question de l’utilité et de la raison de cette annonce, il y a un point intéressant à mettre en lumière: l’état de la flotte aérienne militaire russe. Nous en avons déjà parlé à plusieurs reprises sur le blog dont notamment dans un article abordant la question des « 700 chasseurs modernes en 2025« . Il est évident que le renouvellement du parc aérien amorcé à l’aube des années 2010 porte ses fruits et la Russie aligne désormais une proportion importante (environ 70% de sa flotte de chasse/interception) de matériels neufs et/ou modernisés. La pression et l’urgence de disposer d’appareils neufs s’amenuisent donc avec le renouvellement en cours de la flotte.

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Deux T-50 en vol. Photo@the drive.com

L’arrivée en nombre de Su-30SM, Su-34 et Su-35S au sein des forces aériennes et de la marine russes permettent à ces dernières de se ménager un avenir serein tout en gardant sous le coude le fait que les évolutions technologiques sont tellement rapides que le besoin d’établir des programmes de modernisations/améliorations des capacités des plate-formes employées est crucial. Or on constate que l’intervention en Syrie et les RETEX (RETours d’EXpériences) liés ont mis en lumière auprès des militaires et ingénieurs russes les forces et surtout les faiblesses de leurs appareils ainsi que d’établir les points d’améliorations sur lesquels ils doivent travailler en priorité. De plus, non content de renouveler le parc aérien, la Russie poursuit ses achats des trois appareils cités ci-dessus, l’acquisition de lots supplémentaires étant déjà actés au sein du GPV 2018-2027 bien que les contrats ne soient pas encore signés.

On en arrive donc au coeur du problème: en mettant volontairement de côté le Su-34 dont la mission première est d’assurer le remplacement de la flotte de bombardiers tactiques Su-24M, il doit rester en 2018 entre 60 et 80 Su-27 « vanilla » (donc en version d’origine) à remplacer. On peut y ajouter le fait que dès 2025 la Russie disposera d’une centaine de Su-27SM/SM3 en fin de vie et nécessitant un remplacement urgent (surtout les Su-27SM) ainsi que d’une centaine de MiG-31BM dont le renouvellement passera soit par l’emploi d’un chasseur type PAK FA soit par un nouvel intercepteur lourd donc la création est des plus hypothétique puisque n’étant pas budgétisé au sein du GPV 2018-2027.

En additionnant ces chiffre on arrive donc aux résultats suivants:

  • A remplacer avant 2025: 60-80 Su-27 « vanilla« 
  • A remplacer dès 2025: 100 Su-27SM(3) et 100 MiG-31BM

En se basant sur l’hypothèse que l’ensemble de ces appareils sont remplacés par des Su-30SM/Su-35S: il faudrait pouvoir disposer d’une capacité de production annuelle de 30 appareils (à raison d’un ratio 50/50 entre les modèles). Ce faisant les Su-27 « vanilla » seraient remplacés sur une période de quatre ans maximum (ce qui nous amène à l’horizon 2023) et tablant sur le début du renouvellement des Su-27SM/SM3 dans la foulée, leur remplacement est réalisable à l’horizon 2026-2027 soit à la fin du GPV.

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Ce Su-27P est plus proche de la fin de carrière que du début. Photo@?

Attendu que la production actuelle des Su-30SM et Su-35S s’établit de la manière suivante:

  • Su-30SM: entre 14 et 18 appareils annuellement (export compris)
  • Su-35S: entre 10 et 20 appareils annuellement (export compris)

Il apparaît alors clairement que la Russie ne nécessite pas le PAK FA en grande quantité dans l’immédiat et que la mise en place de la production de masse de l’appareil ne répond à aucune urgence opérationnelle immédiate ainsi que dans un futur proche. Que les choses soient bien claires: je ne soutiens pas la thèse que le PAK FA n’a pas d’utilité, je souligne simplement le fait qu’il n’y a aucune urgence pour la Russie de sortir l’appareil de sa manche dans l’immédiat pas plus qu’elle n’a d’utilité opérationnelle pour ce dernier dans sa version « intermédiaire » de présérie.

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Et c’est là en réalité que se trouve un des éléments fondamentaux dans cette réflexion, élément qui est généralement laissé de côté (volontairement ou non): l’établissement des besoins réels de l’armée russe d’où découlera l’évaluation des besoins. On le voit avec les chiffres indiqués ci-dessus, la Russie dispose des capacités techniques et financières pour assurer le renouvellement complet de sa flotte « historique » avec les appareils qu’elle a actuellement en production. Si la question du remplacement à moyen-terme du MiG-31BM n’est pas encore réglée, on voit que les militaires russes ont un plan assez clair et précis de ce qu’ils ont, ce qu’ils doivent remplacer et ce qu’ils veulent.

Et ce renouvellement se fait en priorité avec les trois appareils cités ci-dessus ce choix s’expliquant pour plusieurs raisons:

  • Les coûts d’acquisition et d’exploitation sont connus et maîtrisés
  • Les coûts de production sont maîtrisés vu la production en série bien établie
  • Les appareils sont des plate-formes matures et performantes
  • Le « risque technique » présentés par ces appareils est réduit, ce qui évite les mauvaises surprises – en général onéreuses – pour l’opérateur

Ces éléments, ils ne sont bien évidemment pas les seuls, font que dans le cadre d’une Russie aux budgets sous contrôle et surveillance constants, la recherche d’un compromis équilibré entre réalité économique et performances techniques donnent tout son sens à l’emploi de ces plate-formes dans le contexte actuel.

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Le Su-35S codé 23 Rouge. Photo@?

Bien évidemment, les performances offertes par un Su-30SM ou un Su-35S sont sans commune mesure avec celles qu’offriront – à terme – le Su-57: fusion des données, supercroisière, furtivité sont autant de caractéristiques que les Su-30SM/Su-35S ne sont pas capables de fournir. On est donc en droit de se dire que les avantages offerts par le Su-57 devraient accélérer sa mise en service. Sous peine de passer pour un jésuite, la réponse est: oui et non. Techniquement parlant, le Su-57 est effectivement un bijou de technologie concentrant ce que la Russie fait de mieux dans le domaine néanmoins comme tout projet ambitieux il nécessite un temps de mise au point long et complexe: le cas des réacteurs Izd.30 est exemplatif de cette situation. Basé sur un design entièrement neuf, l’installation de ce nouveau réacteur sur le Su-57 lui permettra d’offrir ses performances définitives; quel est donc l’intérêt de mettre en service en grandes quantités un appareil qui ne dispose pas encore de l’intégralité de ses systèmes définitifs dont un élément aussi crucial que la motorisation? Aucun. De plus, ça n’a économiquement que peu (voir pas du tout) de sens.

Les force aériennes occidentales se sont lancées dans un mouvement de modernisation qui passe par la réduction de leur format en compensant la perte de quantité par l’augmentation de la qualité via l’emploi d’appareils furtifs de génération 5 mais en nombre réduit par rapport à des appareils de génération 4/4+/4++ (ce qui s’explique en partie par le coût d’acquisition et d’exploitation plus élevé des appareils de génération 5 ainsi que par les réductions des budgets de la défense); on est donc en droit de soulever la question de l’intérêt d’accélérer l’acquisition d’un appareil de génération 5 alors que les flottes occidentales reposent encore en bonne partie sur des appareils des générations antérieures ces derniers continuant même – pour certains – à être produits (dans des variantes modernisées bien évidemment). A terme cette question devra être réglée et cette menace prise en considération de manière plus profonde, après tout le F-35A/B/C est appelé à devenir le « référentiel » occidental de la décennie à venir et ce dernier – une fois qu’il sera au point – sera une sérieuse menace qu’il serait dangereux de négliger. Le Su-57 a été conçu dès le départ pour prendre en charge la menace que constitue les appareils furtifs ainsi que pour assurer des missions de pénétrations dans des environnements lourdement défendus par des systèmes A2/AD: on le voit d’ailleurs dans ses emports, il est apte à embarquer une large panoplie d’armements air-sol et des missiles de croisière dans ses soutes (dimensionnées en ce sens) et ce sans avoir d’impact sur sa SER (Surface Equivalente Radar). Tout avion est le résultat d’un compromis et le Su-57 n’y déroge pas, dans le cas de la Russie les ingénieurs et décideurs ont fait le choix de disposer d’un appareil offrant une SER frontale réduite quitte à réduire partiellement les exigences en ce qui concerne la SER arrière et ce pour continuer à bénéficier de caractéristiques aérodynamiques pointues tout en maximisant les capacités d’emport de l’armement en interne.

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Un aperçu de la force aérienne russe en 2025? Plus que probablement! Photo@Ilya the Nightingale

On peut également ajouter que le Su-35S est un appareil conçu et envisagé pour assurer une transition facile vers le Su-57; il offre donc des performances que l’on ne peut pas qualifier d’identiques mais de similaires à ce dernier. Charge offensive importante, suite de guerre électronique pointue, rayon d’action et endurance importants, bref c’est un appareil qui n’a rien à envier à ses homologues occidentaux. On peut discuter de certains choix techniques pendant des heures (emploi d’un radar PESA en lieu et place d’un AESA) mais est-ce que ces derniers sont effectivement rédhibitoires et font du Su-35S un appareil techniquement obsolète? Il y a de quoi en douter mais le but de cet article n’est pas de faire l’évaluation technique de cet appareil, nous y reviendrons ailleurs. La Russie semble pleinement satisfaite du Su-35S au vu du nombre d’appareils déjà acquis (48+50) et le déploiement rapide de ce dernier en Syrie est un bon indicateur de la confiance qu’ont les militaires en ce dernier. Cette variante ultime du vénérable Flanker est amenée à remplir le rôle de second couteau auprès du Su-57 dans les environnements non-permissifs, tout en étant même apte à assurer le rôle de première ligne dans les environnements moins fortement défendus; on le voit donc il n’y a – encore une fois – pas urgence à procéder à son remplacement en première ligne, l’appareil ayant encore de la marge de croissance. Le même argument pourrait être soulevé pour le Su-30SM mais ce dernier symbolise encore plus le vecteur idéal assurant le rôle de « camions à bombes » en comparaison avec le Su-35S, il rentre moins dans le cadre de ce comparatif; l’appareil ne déméritant pas pour autant.

Un autre point qui est régulièrement mis en avant pour justifier d’un abandon du PAK FA: le retrait de l’Inde du programme FGFA. Autant le dire tout de suite, ce ci n’a aucun sens. C’est aussi absurde que de venir affirmer « La vente à l’Egypte de Rafale sauve le programme de l’abandon »; en tant que programme stratégique pour la Russie (remplacement des Su-27 et dérivés), le PAK FA est donc intégralement financé par le budget russe dans le cadre des différents GPV. Venir affirmer que le retrait de l’Inde du programme est à la fois un non-sens absolu doublé d’une méconnaissance complète du fonctionnement de la Russie.

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Quoi de plus à ajouter? Photo@Anton Harisov

Précisons les choses, l’Inde n’a en premier lieu jamais participé au programme PAK FA, l’Inde a créé son propre programme: le PMF/FGFA (Prospective Multi-Role Fighter / Fifth Generation Fighter Aircraft) qui était une collaboration entre Sukhoï et HAL visant à créer un appareil basé sur le PAK FA mais répondant aux besoins indiens, le FGFA. Pour ce faire, l’Inde a effectivement versé 295 millions d’USD aux russes pour développer sa propre version locale; cette somme servant notamment à établir quels équipements les indiens souhaitaient remplacer pour satisfaire leurs besoins ainsi que pour étudier une version biplace envisagée au début. Il est par contre vrai que dans le cas où l’Inde serait montée dans le projet, elle aurait financé en partie le développement du PAK FA bien que ceci eut été un plus pour la Russie mais aucunement une nécessité pour mener à bien le projet.

Après de longues années de discussions, de revirements, d’atermoiements, etc… l’Inde fit savoir qu’elle se retirait du programme en avril 2018 tout en gardant la porte ouverte à l’acquisition de Su-57 sur étagère à une étape ultérieure. La logique indienne en pleine action, en somme. Il est vrai que le retrait indien du projet aura un impact sur le PAK FA: la vente d’un nombre accru d’appareils aurait permis de diminuer (en partie) le coût d’acquisition du Su-57 néanmoins l’impact de ce retrait est plus que mineur. En effet, les indiens souhaitant une version « customisée » du Su-57, le montant qu’ils auraient investi aurait principalement servi à intégrer ces composants au sein de la cellule de base ainsi que de développer la version biplace du Su-57: qui dit retrait de ces besoins dit retrait des coûts liés. Avec un budget de développement garanti par le budget russe et une production financée également par l’état russe: le Su-57 n’est aucunement menacé par le retrait de l’Inde, le seul impact possible de ce retrait concerne la diminution des coûts de production qui auraient été diminués par rapport au nombre d’appareils produits.

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Photomontage illustrant ce qu’aurait pu être un FGFA biplace. Photomontage@engineeringrussia.wordpress.com

Sans rentrer dans une analyse complète de ce retrait indien (il nécessitera un article complet sur la question), force est de constater que l’Inde a été de déclarations en contre-déclarations durant plusieurs années au sujet du PAK FA sans jamais avoir été capable de prendre une décision; on sent que les responsables locaux ont voulu refaire le même coup de poker (gagnant) qu’avec le Su-30MKI en disposant d’une version locale du Su-30 pour un montant intéressant avec les transferts des technologies liés, cependant la Russie semble fermement attachée à ses technologies les plus pointues et dans le cas du Su-57 refuse – à juste titre – de les brader. Au final, l’Inde en est pour ses frais puisque face à son ennemi « juré » chinois qui a créé, développé, mis au point et accepté au service le J-20: elle n’a pas avancé d’un iota en plus de 10 ans! L’achat hypothétique de Su-57 sur étagère si il venait à se concrétiser serait un aveu d’échec flagrant de la part des responsables indiens. Tout n’est pas négatif cependant, l’acquisition de 36 Dassault Rafale est un pas dans la bonne direction pour l’Inde, en sortant des « griffes » de HAL dont l’absence régulière de rigueur n’est malheureusement plus à démontrer, gageons que les Indiens poursuivrons sur la voie d’un certain réalisme leur permettant de régler le problème de plus en plus urgent (!) du vieillissement de leur flotte.

Pour en revenir en Russie, on en oublierait presque un élément fondamental; le point de vue de l’industrie. Gros avantage de la Russie, c’est le holding étatique UAC Russia qui a la main haute sur toutes les principales usines de production aéronautique ainsi que sur les bureau de design: par conséquent, c’est en feuilletant le rapport annuel 2017 de ce holding que l’on obtient quelques informations intéressantes.

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Diagramme présentant la structure en 2018 du holding UAC Russia

Le diagramme ci-dessus permet de se faire une meilleure idée de l’intégration des différents acteurs de l’aéronautique russes au sein du holding UAC Russia; l’usine KnAAZ (Komsomolsk-na-Amur), qui est une filiale de la « Compagnie Sukhoï« , est chargée de la production du Su-57 et cette dernière est actuellement en cours de mise en place en son sein. Des rumeurs récurrentes font d’ailleurs état d’un déménagement à terme de la chaîne de production des Su-35(S) pour laisser de la place à celle des Su-57: en l’absence de confirmation de ces dernières, elles sont à prendre avec les réserves d’usage.

Une des premières pages du rapport annuel 2017 d’UAC Russia nous apporte deux informations:

  • La première étape des tests étatiques du PAK FA sont achevés
  • Les tests expérimentaux visant à valider les aptitudes au combat de l’appareil sont en cours

Certes ces deux informations ne sont pas des nouveautés en soi mais elles indiquent que le programme avance et que la mise en avant par le directeur du holding de ces éléments est un bon indicateur de l’importance accordée au programme PAK FA. Le même document indique également que les perspectives à l’exportation dans les années à venir pour l’industrie russe sont focalisées sur les Su-30SM/Su-35S ainsi que sur le MiG-35; la capacité de production du Su-57, une fois qu’elle sera installée, sera donc réservée en priorité à la Russie (à l’instar de ce qui s’est fait auparavant avec les Su-30SM/Su-35S) avant d’être ouverte à l’exportation par la suite.

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Deux T-50 en vol à faible altitude. Photo@Alex S

Il est d’ailleurs intéressant de voir que les déclarations de I.Borisov n’affolent aucunement les industriels russes participant de près (ou de loin) au programme, les annonces relatives à ce dernier continuant à sortir dans la presse à un rythme régulier (voir: ici, ici, ici, ici et ici). Vu l’importance du programme pour l’industrie aéronautique russe, il serait compréhensible qu’un éventuel coup d’arrêt à ce dernier entraîne des réactions des entreprises du groupe UAC Russia ou des fournisseurs impactés; or rien de ceci n’a été constaté au sein de la presse locale ces dernières semaines.

Evidemment, l’absence d’informations n’est pas une preuve qu’il n’y a pas d’informations; la presse en Russie est loin d’être aussi « libre » que dans d’autres pays et il ne faut pas être un fin connaisseur que pour savoir l’importance qu’il y a à toujours garder une once de recul par rapport aux informations provenant de Russie. La communication relative aux questions militaires en Russie est bien rodée et les déboires rencontrés par le programme PAK FA à ses débuts ont servis de leçons à certains.

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Le T-50-5R, l’appareil qui avait subi un incendie en juin 2014. Photo@Alexei Karpulev

Terminons par un dernier point qui n’a pas été abordé, les déclarations de I.Borisov et le message qu’elles contiennent: nommé récemment à la tête du complexe militaro-industriel, I.Borisov se retrouve avec la tâche complexe de maximiser l’efficacité de l’investissement effectué par l’état russe au sein du complexe dans le but d’en obtenir le maximum pour ses forces armées. Ayant une idée claire du coût des appareils de nouvelle génération (on pourrait faire le parallèle avec le cas du T-14 Armata) le but de ses déclarations peut également être l’occasion d’envoyer un message clair aux producteurs comme quoi l’état russe n’est pas satisfait du prix de l’appareil et/ou du rythme de mise au point. C’est une possibilité à envisager, même si ce genre d’arguments aurait plus sa place dans des réunions entre responsables et non à la télévision russe.

Sachant que le programme a été lancé en 2002, que le premier prototype a effectué son premier vol en 2010 voir le lancement des premiers appareils de présérie en 2019 n’a rien de surprenant si l’on compare avec d’autres programmes étrangers de même catégorie; ceci relevant – presque – du tour de force pour la Russie lorsqu’on voit d’où elle revient.

Au final, une simple tempête dans un verre d’eau?

En fait, c’est l’impression qui se dégage de tout ceci. Comme nous l’avons vu ci-dessus, les déclarations de I.Borisov ne sont pas des plus surprenantes, on serait même tenté de dire que le terrain avait déjà été préparé au préalable. La Russie vient d’officialiser un fait assez évident: le Su-57 ne sera pas adopté au service ni produit en série tant que le design définitif n’est pas achevé (incluant donc les moteurs Izd.30).

Tout n’est pas rose en Russie, que du contraire, et l’actualité récente vient nous rappeler que la situation économique du pays est loin de pousser à un enthousiasme débordant mais il est bon de garder à l’esprit que le complexe militaro-industriel russe est un gros pourvoyeur d’emplois, par conséquent il est vital pour l’économie du pays (et accessoirement, la survie du gouvernement…) de faire tourner ce complexe en investissant dedans et en passant des commandes pour lui donner du travail. Le Su-57 participe à cette idée, l’investissement nécessaire à sa création (pour rappel, ça fait quand même plus de 15 ans que la Russie finance le programme) est plus que conséquent et il vise ni plus ni moins à devenir l’appareil de référence des forces aériennes russes pour les 30 ans à venir.

A l’inverse, il ressort que l’urgence de disposer du Su-57 dans l’immédiat n’existe tout simplement pas: l’actuelle capacité de production russe suffit amplement pour combler les besoins locaux tout comme elle peut prendre en charge les marchés à l’exportation dont l’importance est grande vu l’apport en devises qu’ils génèrent. On peut bien évidemment discuter des cibles d’acquisition qui sont revues à la baisse mais encore une fois, comment évaluer finement une cible d’acquisition en l’état actuel des choses? La Russie a effectivement lancé des chiffres en l’air annonçant des nombres complètement farfelus d’appareils à acquérir, tant qu’à présent ces nombres ne se justifient aucunement. Oui, il y aura des avions à remplacer à terme mais il faudra avant toute chose déterminer quelle sera la capacité financière que la Russie souhaitera mobiliser annuellement pour assurer ce renouvellement permettant ainsi de disposer du nombre suffisant de Su-57 pour assurer les missions dont l’armée russe le chargera. Il faudra voir également si le succès (ou l’absence de) du Su-57 sur le marché de l’export permettra d’en diminuer le coût d’acquisition pour l’armée russe.

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Le T-50-11 est un des deux appareils qui aurait été déployé en Syrie. Il perdit son numéro de Bort à cette occasion. Photo@Вениамин Игнатьвич

Il est naïf, voire absurde de penser l’ombre d’une seconde que la Russie va jeter le Su-57 à la poubelle: ce dernier n’est ni plus ni moins que la seule option qui s’offre à elle pour renouveler à terme sa flotte de combat. Aucun autre appareil de sa catégorie n’est en développement, ni même financé: il n’y a donc pas de Plan B. Pas plus que de Plan C ou de sortie de secours. Le choix est simple: ce sera le Su-57 ou la mort à terme de l’aéronautique russe de combat et cette éventualité n’est tout simplement pas concevable pour le gouvernement russe.

Aucune vision idyllique et/ou tronquée ne sont présentes dans le propos développé ci-dessus, le budget militaire de la Russie pour 2018 est annoncé à 46 milliards d’USD (soit 2,8% du PIB) inutile donc de se voiler la face avec des projets grandioses et délirants; les moyens sont limités et des choix doivent être faits. L’annonce de I.Borisov est cohérente dans ce cadre puisqu’au final il n’a jamais prononcé le moindre abandon du projet PAK FA, au contraire, il laisse entendre que l’appareil donne satisfaction: la problématique actuelle se situe simplement au niveau des besoins qui sont absents (les avions de génération 4++ font le job) ainsi qu’au niveau du développement de l’appareil qui n’est pas encore complètement achevé avec le manque du moteur définitif. Et vu le contexte économique, on ne peut guère le blâmer pour avoir énoncé tout haut ce que l’on s’attendait à entendre un jour; on ne peut pas non plus trouver saugrenu le fait de vouloir un appareil abouti et dans une configuration définitive avant d’en lancer la production en série.

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Les deux appareils avec lesquels tout commença: le T-50-1 et le T-50-2. Photo@Alex S

En conclusion, il est certes plus percutant d’annoncer « la fin d’un programme« , son « échec » ou « un aveu de faiblesse » dans des grands titres et ce de manière à rameuter un lectorat en mal de sensations fortes (?) néanmoins prendre du recul sur une information avant de se jeter dessus et analyser son contenu sont des travaux ingrats car particulièrement chronophages mais ils permettent au moins de se faire une meilleure idée sur quoi demain sera fait et ce sans pour autant tomber dans les titres racoleurs qui au final n’apportent strictement rien si ce n’est mener les lecteurs à se faire une idée erronée de la réalité d’un projet. A moins que le but recherché soit de renforcer le lecteur dans l’idée préconçue qui veut qu’un projet (peu importe lequel au final) ne puisse être qu’un échec?

Ceci expliquerait donc cela.