[Actu] Sortie du premier Tu-22M3M
C’est à l’usine Gorbunov de Kazan (KAPO) qu’a été présenté devant un parterre d’officiels en date du 16 août le premier Tupolev Tu-22M3 modernisé au standard Tu-22M3M. Cette modernisation, longuement attendue et plus que nécessaire se concrétise donc enfin avec la sortie du premier appareil porté à ce standard.
Portant le numéro de Bort 42 Bleu et le numéro de registre RF-94267, le prototype Tu-22M3M (S/n: 3792153, C/n: 92-05, mise en service en 1987) va d’abord être employé dans les semaines à venir pour les tests au sol ainsi que les tests des équipements avant de passer à la phase des essais en vol. Une fois ces essais achevés et si ces derniers sont concluants, l’état russe lancera la modernisation en série des appareils au début de 2019.

Bombardier régional ayant effectué son premier vol le 20 juin 1977, le Tu-22M3 (Izd 45.03) a été produit à pas moins de 268 Tu-22M3 entre 1977 et 1993 par l’usine Gorbunov de Kazan; l’appareil, qui porte la dénomination OTAN Backfire A/B/C sera admis officiellement au service actif en mars 1989.
Au niveau des caractéristiques techniques, les chiffres suivants sont disponibles:
- Equipage: 4 hommes
- Longueur: 42,4 m
- Envergure: 34,28 m (avec flèche à 20°) et 23,30 m (avec flèche à 60°)
- Hauteur: 11,05 m
- Masse à vide: 58 tonnes
- Masse en charge: 112 tonnes
- Masse maximale au décollage: 124 tonnes
- Charge offensive: 24 tonnes
- Motorisation: 2 Kuznetsov NK-25 de 247,9 kN chacun
- Vitesse maximale: Mach 1,88 (en altitude)
- Distance franchissable: 6.800 Km
- Rayon d’action: 2.410 Km
Apte à emporter des bombes lisses ainsi que des missiles anti-navires (Kh-22/Kh-32), le Tu-22M3 semblait jusque récemment condamné à vivoter tranquillement dans un coin en attendant son remplacement d’ici moins de 10 ans par les premières unités du projet Izd.80 PAK DA.
L’engagement des Tu-22M3 dans des missions offensives en Syrie, notamment du bombardement (loin d’être de précision…) a fait prendre conscience à l’état-major l’intérêt et le potentiel conséquent qu’offre cette plate-forme; c’est pourquoi les projets de modernisation souvent retardés et/ou mis au frigo ont été relancés avec la création du standard Tu-22M3M (Izd 45.03M), un premier contrat portant sur quatre appareils étant signé en 2016 par l’état russe. Il semble également assez évident que le « décalage sur la droite » du calendrier de mise au point/développement du PAK DA n’est également pas étranger à ce retour à l’avant-plan du Tu-22M3.

En outre, le Tu-22M3 est actuellement le seul des trois bombardiers russes apte à emporter des bombes; les Tu-95MS/Tu-160(M) sont des appareils spécialisés dans l’emport de missiles de croisière, la fonction de bombardement n’ayant jamais été exploitée sur le Tu-160(M). Le Tu-22M3 ayant effectué son premier vol en 1977 et sa suite électronique découlant (pour partie) de celle de ses prédécesseurs: inutile de préciser que cette dernière n’est pas de première jeunesse. L’engagement de l’appareil en Tchétchénie ainsi qu’en Géorgie ont mis en lumière le besoin d’améliorer fondamentalement ses équipements embarqués ainsi que ses moyens d’auto-défense.
Le standard Tu-22M3M (Izd 45.03M) se caractérise par le montage des équipements suivants:
- Radar Novella NV-45 (dérivé du radar employé sur l’IL-38N)
- Système de navigation NO-45.03M
- Système de contrôle de vol digital ABSU-145MS
- Système de communication S-505-45
- Système IFF 632-3D-23
- Cockpit modernisé similaire à celui équipant à terme le Tu-160M2
- Système de défense/guerre électronique modifié
- Révision générale de la cellule avec extension de vie de 10 à 15 années supplémentaires
Plusieurs annonces contradictoires ont précédés la sortie du prototype Tu-22M3M parlant notamment du montage de nouveaux réacteurs, d’un accroissement du rayon d’action ainsi que de la vitesse de l’appareil; certaines sources parlèrent même du montage de moteurs NK-32-02 en remplacement des NK-25 d’origine. Ce qui serait le retour du Tu-22M4 dans une forme contemporaine.
Au vu des premières images publiées sur Internet, on peut déjà constater plusieurs petites choses au sujet de l’appareil modernisé. Passons en revue ce qui est déjà connu, ce qui est supposé et ce pour lequel on ne dispose pas encore de réponse.
La motorisation
Certaines sources évoquaient le montage de moteurs NK-32-02M (identiques à ceux équipant le Tu-160M2) mais il n’en est manifestement rien: le Tu-22M3M dispose toujours de réacteurs NK-25 avec comme modification principale le montage du système de régulation digitale (FADEC) issu du NK-32. Cet équipement, couplé à une révision complète des moteurs en vue de le rendre un potentiel complet permettrait de substantielles économies en carburant. Il est en effet hors de question pour la Russie de monter des réacteurs NK-25 neufs; ces derniers ne sont plus en production depuis de longues années et contrairement au NK-32: la remise en place d’une chaîne de production ne se justifie pas vu que la relance de la production du Tu-22M3 n’est pas dans les cartons.
La question de la motorisation inchangée est donc confirmée, ceci trouvant sa raison dans le nombre de trappes latérales (dont le but est d’éviter un pompage) présentes sur les flancs des moteurs: en effet, le NK-32 nécessite un plus grand nombre de trappes (4 x 2) que le NK-25 (3 x 2).


La perche de ravitaillement en vol
Alors que le Tu-22M a été conçu dès sa création avec la capacité d’être ravitaillé en vol, le Tu-22M3 ne fut pas doté de cette capacité vu l’entrée en vigueur du traité SALT II de réduction des armements nucléaires; ce faisant l’appareil passait du statut de bombardier stratégique à celui de bombardier tactique/régional.

Il n’y a pas de doutes possibles au vu des photos sur le retour de la perche de ravitaillement vu l’excroissance présente sur le nez devant le cockpit; cependant rien n’indique que la perche est bel et bien présente, en théorie l’installation de cette dernière serait contraire aux accords internationaux. En outre si on regarde bien les photos disponibles il semble que l’excroissance ne soit qu’un cache fixe sous lequel se trouve l’équipement de ravitaillement: ceci restera à confirmer lors des essais en vol.
On remarquera quand même que si la perche est bien implantée à cet emplacement, ce dernier diffère donc de la configuration d’origine qui voyait la perche installée sur l’extrémité du radôme.

Le cockpit
Le Tu-22M3 se caractérisait encore par un cockpit d’ancienne génération avec un ensemble (fortement encombré) d’indicateurs analogiques qui rendaient la tâche de l’équipage relativement complexe par rapport aux cockpits modernes. Bien que le nouveau cockpit n’ait pas encore été vu, les ingénieurs russes déclarent que 80% des équipements embarqués ont été remplacés et qu’un cockpit similaire à celui du Tu-160M2 a été installé.

Si ceci vient à se confirmer, l’équipage disposerait donc d’un cockpit fortement simplifié construit autour de plusieurs écrans LCD multifonctions affichant toutes les données nécessaires au pilotage ainsi qu’à l’emploi du système d’armes. Ce dernier est également intégralement revu en profondeur pour permettre de déployer des bombes guidées ainsi qu’un arsenal accru de missiles en comparaison avec le Tu-22M3; certaines sources parlent également de l’intégration « d’intelligence artificielle » au sein de l’appareil, mais cette information est à prendre avec les réserves d’usage.
Le sujet des armements ne sera pas traité dans le cadre de cet article puisqu’il est strictement impossible d’en savoir plus pour l’instant sur cette question tant que l’appareil n’a pas débuté les tests en vol.
Les capteurs externes
Plusieurs différences externes au niveau des capteurs implantés sur et sous le fuselage et surtout à l’arrière de ce dernier, on dénombre trois modifications flagrantes;
- Montage d’une boule électro-optique sous le fuselage juste en arrière de l’atterrisseur avant
- Montage d’un groupe de trois antennes latérales de chaque côté du fuselage à proximité des entrées d’air
- Enlèvement de la tourelle arrière et remplacement par un carénage massif
En ce qui concerne le boule électro-optique, il s’agit plus que probablement de la boule Lanner-A (NV5-0101) identique à celle équipant les IL-38N. Cette dernière est notamment capable d’assurer le suivi de cibles terrestres et/ou navales par tous temps ainsi que d’assurer l’identification des objets/cibles suivi(e)s.

Les modifications suivantes sont un groupe de trois antennes (à la droite du co-pilote) et deux antennes (à la gauche du pilote) montées latéralement sur les flancs de l’appareil à proximité des entrées d’air; malheureusement je ne dispose d’aucune information sur l’utilité de celles-ci.

A titre de détail, on constate également que le capot de protection abritant le viseur OPB-15T Groza pour l’emploi des bombes lisses est bien évidemment toujours présent (à l’inverse des Tu-160M/-1/-2) vu que cette mission fait toujours partie des attributions du Tu-22M3M.
Enfin, modification la plus visible: l’enlèvement du canon bitube GSh-23 de 23 mm employé pour la défense dans le secteur arrière de l’appareil. Ce dernier est remplacé par un carénage massif (et fort peu gracieux) qui renferme plus que probablement un nouveau système de guerre électronique et/ou d’auto-défense; ce point devra également être éclairci par la suite.


On le voit donc, pas mal de différences entre le Tu-22M3 et le Tu-22M3M même si en l’état actuel des choses, on ne sait pas encore grand chose sur les performances réelles qu’offrira cette version modernisée. Cependant, le passage en modernisation étant couplé à une révision générale de la cellule, le Tu-22M3M bénéficie donc d’une extension de sa vie active allant de 10 à 15 ans: vu les prévisions russes en matière de production d’appareils neufs (PAK DA/Tu-160M2), cette extension de vie active permettra donc à la Russie d’assurer la « soudure » avec l’arrivée des appareils neufs qui viendront prendre la relève.
Selon les dernières informations, la Russie lancera donc la modernisation en série au début de 2019 avec comme cible une trentaine de Tu-22M3 à traiter de la sorte: reste maintenant à voir ce qu’il en sera concrètement. Nous aurons largement l’occasion de revenir sur la question.
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.