[Actu] Le salon ARMY-2020 (suite et fin)

Lorsque nous avons abordé l’édition 2019 du salon ARMY, nous furent confrontés à un problème de taille: la « pauvreté » relative des annonces et des commandes signées; non pas que nous prêchions pour une militarisation à outrance du monde contemporain (ce dernier s’en charge très bien tout seul), mais force était de constater que l’édition 2019 était très calme dans son ensemble. L’édition 2020 du salon ARMY aura été un contre-pied absolu par rapport à l’édition antérieure: plusieurs contrats importants ont été signés pérennisant de la sorte l’avenir de certaines usines dont le futur semblait remis en doute jusque récemment.

En outre, les contrats signés de part leur ampleur et leur nombre sonnent comme une sorte de pied-de-nez aux observateurs annonçant une sérieuse réduction de la voilure en matière d’acquisitions militaires par les russes; fort logiquement, vu le taux de renouvellement actuel des forces, il était illusoire d’espérer voir des commandes aussi importantes dans le cadre du GPV 2018-2027 que dans le cadre du GPV 2011-2020 néanmoins les volumes commandés sont significatifs. De plus, on voit que la Russie a enfin pris la mesure de l’utilité de produire des équipements en série et non pas de changer de design régulièrement, ceci concernant bien évidemment la construction navale.

Comme précédemment, il n’y a pas de prétention à être exhaustif, mais nous allons passer en revue les principales annonces effectuées ainsi que les contrats signés durant le salon.

Armée de l’air russe (VKS)

Au lieu de passer en revue chaque contrat individuellement, il est préférable de regrouper par soucis de clarté. Le ministère russe de la défense a passé un ensemble de contrats destinés à l’armée de l’air (VKS) et portant sur l’acquisition de:

  • 14 Ilyushin IL-76MD-90A
  • 2 Ilyushin IL-112V
  • 24 Sukhoï Su-34
  • Minimum 30 Sukhoï Su-35S
  • 25 Yakovlev Yak-130

On peut également signaler que l’armée de l’air russe recevra des appareils d’entraînement basique DA-42T à partir de 2021 ainsi que des Yak-152; ceci devrait permettre de combler (en partie) les problèmes rencontrés par les écoles de formation des pilotes qui emploient des appareils vieillissants.

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Le Yak-152 sera bientôt présent dans les centres de formation russes. Image@Wikipedia.com

Les chiffres communiqués sont des estimations pour l’instant, en l’absence des contrats officiels et/ou d’avis d’attribution qui permettent de déduire le nombre précis d’appareils commandés: les chiffres sont donc à prendre avec les réserves de rigueur. Sans rentrer dans le détails des chiffres qui sont hors cadre de cet article, l’arrivée des appareils commandés devrait permettre de voir les derniers appareils hérités de l’époque soviétique (Su-24/Su-27/MiG-29) tirer leur révérence.

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Les forces aériennes russes recevront au-moins trente Su-35S supplémentaires. Image@?

Outre les commandes d’appareils neufs, deux autres informations méritent le détour; premièrement, la signature d’un contrat portant sur les révisions générales et prolongations de durée de vie d’appareils déjà en service (Il-18, Il-62, Il-96, An-2, An-12, An-22, An-26, An-30, An-72, An-140, An-148) et deuxièmement l’annonce que l’armée de l’air devrait commencer à recevoir des drones S-70 Okhotnik à partir de 2024, un contrat étatique couvrant cette production devant être signé sous peu.

Marine russe (VMF)

Même situation que pour l’armée de l’air, la Marine Russe poursuit ses acquisitions de navires et semble suivre la même dynamique qui consiste à continuer la production en série de certains classes standardisées de navires; ceci devant – en toute théorie – déboucher sur des temps de production « réduits » (on parle de la construction navale russe). Les commandes actées lors du salon sont les suivantes:

  • 8 corvettes 20380 Steregushchiy
  • 2 corvettes 20385 Gremyashchiy
  • 2 frégates 22350 Admiral Gorshkov
  • 1 SSK 636.3 Varshavyanka
  • 1 SSK 677 Lada

Ces chiffres sont loin d’être négligeables et permettent déjà de tirer certaines conclusions, outre le fait que ces commandes permettent aux chantiers navals concernés de disposer d’une charge de travail confirmée pour les années à venir, on voit la Marine Russe concrétiser progressivement ses projets initiaux avec la série des frégates Admiral Gorshkov qui comportera (pour l’instant) dix unités à l’horizon 2027; deux unités supplémentaires aux huit unités en service/en construction étant commandées durant le salon.

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La frégate Admiral Gorshkov (Izd.22350). Image@VL.ru

Les commandes des corvettes Steregushchiy (Izd.20380) et Gremyashchiy (Izd.20385) sont pertinentes, permettant à la Marine Russe de profiter pleinement de l’effet de série (les Steregushchiy approcheront alors les vingt unités en service à l’horizon 2027) même si dans le cas des Gremyashchiy, la question du remplacement de la chaîne cinématique s’impose vu que l’emploi des moteurs diesels MTU (Allemagne) n’est plus possible. Par contre, cette commande indique également que le projet de nouvelle corvette Merkuriy (Izd.20386) est très mal embarqué puisque les travaux sur cette dernière sont au même stade depuis un an; le coût très élevé du projet ainsi qu’un intérêt douteux (pas d’UKSK embarqués) font que l’utilité de cette corvette face aux 20380 et 20385 est remis en question. Enfin, des navires de lutte anti-mines de la classe Alexandrite (Izd.12700) ont également été commandés, le nombre de navires concernés n’étant pas précisé pour l’instant.

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La corvette Gremyashchiy (Izd.20385), tête de série de la classe éponyme. Image@?

Outre la flotte de surface, deux sous-marins conventionnels sont également commandés: un sous-marin d’attaque Izd.636.3 Varshavyanka ainsi qu’un sous-marin d’attaque Izd.677 Lada. Enfin, un sous-marin nucléaire d’attaque Izd.971 Shchuka-B sera modernisé au sein du chantier naval Zvezdochka de Severodvinsk.

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Un SNA de la classe Shchuka-B (Izd.971) appartenant à la Flotte du Pacifique. Image@Юрий Смитюк

Aéronavale russe (MA-VMF)

« Enfin » serait-on tenté d’écrire; l’aéronavale russe va recevoir 21 Su-30SM2 supplémentaires pour rééquiper ses unités et poursuivre le remplacement des Su-24M en service. Disposant déjà de 22 Su-30SM en service, 6 appareils devant encore être reçus: au final, une fois toutes les livraisons effectuées, l’aéronavale russe aura enfin des 50 Su-30SM dont elle a mentionné à plusieurs reprises vouloir disposer à terme.

En ce qui concerne le Su-30SM2, il semble de plus en plus que ce standard soit en réalité le nouveau nom attribué au programme Su-30SMD visant à rééquiper le Su-30SM avec les technologies et les réacteurs du Su-35S; si ceci vient à se confirmer, il sera intéressant de voir si les appareils actuellement en dotation au sein des MA-VMF seront également portés au même standard que les nouveaux appareils.

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Deux Su-30SM des MA-VMF. Image@Dmitriy Ryazanov

Outre le Su-30SM2, un autre programme concerne l’aéronavale russe avec le développement d’un nouvel hélicoptère embarqué qui doit à terme remplacer le Ka-27 (et variantes); ce projet étant repris sous le nom de Minoga. Cette information est pour le moins surprenante puisque le projet Minoga (parfois repris sous le nom de Ka-65) est bien plus ancien et « théoriquement » déjà complété.

En conclusion

L’édition 2020 du salon ARMY-2020 a très clairement été une excellente édition; les forces armées russes en signant un ensemble de 41 contrats d’une valeur globale estimée à 1,16 trillion de Roubles (environ 13,21 milliards d’€) donnent du travail au secteur de la production industrielle russe dans un contexte pour le moins complexe découlant – en partie – de la crise sanitaire liée au Covid-19 ainsi que dans un contexte international voyant les ventes d’armements russes soumises à risques de sanctions dans le cadre des effets liés au CAATSA.

Il semble néanmoins que plusieurs contrats importants aient également été signés à l’export sans pour autant que ces derniers ne soient détaillés pour l’instant: ceci étant clairement un moyen de limiter (ou tout du moins de retarder) l’arrivée de sanctions internationales. Néanmoins, certains acheteurs ne se gênent pas pour faire clairement savoir (et ce pour d’évidentes raisons politiques) qu’ils sont au stade des négociations avancées pour acquérir du matériel russe; c’est le cas de la Turquie qui achève en ce moment les discussions relatives à une nouvelle commande de S-400 ainsi que de la Biélorussie. Mais soit, ce n’est pas le sujet ici.

Elément le plus important à retenir de ce salon, c’est l’option choisie par les militaires de favoriser l’acquisition en série d’armements standardisés permettant à la fois de diminuer le coût des équipements tout en donnant un plan de charge clair aux industriels et à leurs fournisseurs; il semble que les russes tournent – enfin! – doucement la page des choix erratiques ayant menés à l’acquisition d’équipements similaires provenant de fournisseurs différents et donc complexifiant inutilement la chaîne logistique: il est fort probable que la corvette Merkuriy (Izd.20386) soit une victime toute désignée de ce changement et à l’inverse que les frégates Admiral Gorshkov (Izd.22350) soient les bénéficiaires, la série se poursuivant pour l’instant. En outre, on peut également voir un intérêt important pour les drones de tous types, la Russie rattrapant le retard qu’elle avait accumulée en ce domaine dans le courant des années 1990: l’armée russe met en place les mêmes doctrines et concepts d’emplois des drones que ses homologues étrangères tout en souhaitant accélérer l’acquisition et le déploiement de ce type d’armements.

Bref, le salon ARMY-2020 est une excellente édition qui confirme les tendances antérieures (poursuite des commandes étatiques, production en série, nouveaux projets en cours de développement) tout en consacrant un niveau non-négligeable d’investissements de la part de l’armée russe ainsi qu’une bonne santé de la part des entreprises du secteur de l’armement en Russie sur le marché à l’exportation. Il reste maintenant à voir ce qu’il en ressortira concrètement, les annonces étant nombreuses et le contexte international évoluant rapidement dans certaines régions, ceci pouvant avoir un impact sur certaines commandes à l’export.