[Dossier] Le Beriev A-40
Si il est un domaine dans lequel la Russie ne cesse de « réchauffer les plats » c’est bien dans le secteur aéronautique; en effet ces dernières années ont été riches en projets issus de l’ex URSS passés par la case « remise au goût du jour et retour en production ». On peut penser notamment aux Tu-160M(2), à l’IL-76MD-90A ainsi qu’à l’IL-114-300. Sans discuter in extenso du bien fondé ou non de telles décisions, il est quand même intéressant de voir que ces remises en production relèvent d’une double logique: une logique économique (repartir d’un design existant amélioré est moins onéreux qu’un design à partir d’une page blanche) ainsi qu’une logique technique (la remise en production d’avions permet de reconstruire le tissus industriel et de former le personnel).
Plusieurs annonces récentes font état d’un autre appareil concerné par un retour en production, même si dans le cas d’espèce, il s’agirait d’une entrée en production, l’appareil en question étant l’hydravion à réaction Beriev A-42, variante du Beriev A-40. Bien que ces annonces ne soient pas une nouveauté en soi vu qu’elles reviennent à intervalles irréguliers depuis 2012, les choses semblent doucement se préciser et l’aéronavale russe serait (le conditionnel est toujours de rigueur en l’absence de contrat en bonne et due forme) intéressée par l’acquisition de cet appareil pour remplacer notamment les Be-12 survivants ainsi que pour équiper notamment la future aéronavale de la Flottille de la Caspienne ainsi que l’aéronavale de la Flotte de la Mer Noire.
Si cette information vient à se confirmer, elle soulève néanmoins plusieurs questions pour lesquelles des réponses n’ont pas encore été apportées et qui seront pour le moins déterminantes pour l’avenir (ou non) de cet avion.
Le Beriev A-40/A-42; un peu d’histoire
Bureau d’études soviétique spécialisé dans les appareils aux missions spécifiques, l’OKB Beriev (OKB-49) a fait de la création et de la mise au point d’hydravions une de ses spécialités; ayant produit des appareils aussi célèbre que les Be-6 et Be-12 au sein de son usine de Taganrog, ce bureau d’études s’est très tôt intéressé à la création d’hydravions à réaction. Un premier prototype d’hydravion à réaction repris sous le type Beriev R-1 voit son développement démarrer en interne au mois de mai 1947 avant d’être officialisé par le Décret 2061-803 du gouvernement soviétique daté du 12 juin 1948. Il faudra attendre le 30 mai 1952 pour assister au premier vol de ce dernier qui restera une version expérimentale sans suite; l’OKB Beriev se concentrant ensuite sur des appareils équipés de turbopropulseurs dont le Beriev Be-6 produit à 123 exemplaires entre 1949 et 1957 et exploité par la Marine Soviétique ainsi que la Marine Chinoise.

Cependant, l’OKB Beriev était du genre tenace et l’idée d’un hydravion à réaction fut remise sur la table à l’aube des années 1950 avec la proposition de création d’un hydravion à réaction avec ailes à flèche modérée et réacteurs Lyulka AL-7PB installés à l’emplanture des ailes; ce projet sera officialisé par la directive 2622-1105 du conseil des ministres de l’URSS et repris sous le nom de Beriev Be-10 (Izd M). Le premier vol du prototype se tiendra en date du 20 juin 1956 et sera suivi par la production de 27 appareils de série entre 1958 et 1961 qui seront exploités expérimentalement par les deux escadrilles du 977 OMDRAP. Les performances du Be-10 étant loin d’être à la hauteur des espérances ainsi qu’ils présenteront une importante fatigue précoce du métal, l’appareil ne sera jamais admis au service officiellement, les derniers exemplaires étant retirés du service en 1968 et remplacés par des Beriev Be-12 Чайка (Mouette en russe) plus simple à exploiter et plus endurant (ce qui n’est guère difficile à comprendre vu le côté très « assoiffé » des premiers turboréacteurs soviétiques).

A l’heure où tout le monde (ou presque) se détournait des hydravions dans le courant des années 1970, le bureau d’études Beriev lançait les réflexions relatives au développement d’un appareil prévu pour assurer le remplacement des Beriev Be-12 (lutte anti-sous-marine et secours en mer) et Ilyushin IL-38 (lutte anti-sous-marine). Les premières études tablaient sur la mise au point d’un hydravion à réaction de grandes dimensions, mais ce projet sera longuement mis en concurrence avec un autre projet d’avion basé à terre: le Tu-204P qui, comme son nom l’indique, était une variante militarisée du moyen-courrier Tupolev Tu-204. Par soucis d’exhaustivité on peut indiquer que le Tu-204P est un projet qui ne vit jamais le jour.

C’est une résolution gouvernementale soviétique datant d’avril 1980 qui va officialiser le début des travaux de design préliminaire d’un nouvel hydravion de grande taille capable d’assurer les missions de patrouille maritime, de lutte anti sous-marine ainsi que des missions de recherche et secours en mer. Repris sous le nom de projet Izd V, le projet recevra par la suite la dénomination de Beriev A-40 Albatros (Nom de code OTAN: Mermaid) et c’est l’ingénieur Aleksei K. Konstantinov qui dirige l’équipe de développement de ce nouvel appareil dont les travaux concrets démarreront en 1982 avec la construction d’une cellule statique et de deux prototypes.
Le prototype sortit d’usine en septembre 1986 et effectua son premier décollage depuis la terre ferme le 8 décembre 1986, le premier décollage depuis la mer ayant lieu en date du 4 novembre 1987. De manière pour le moins amusante, le premier décollage de l’avion s’est déroulé de manière pour le moins inattendue: en effet, durant des essais de taxi à grande vitesse au sol avec le capitaine Yevgeniy A. Lakhmostov aux commandes, l’appareil qui présentait une nette tendance à vouloir prendre l’air, quitta la piste suite à une forte rafale de vent et devant l’impossibilité de reposer l’appareil par manque de longueur de piste disponible, le pilote décida par sécurité de faire un tour de l’aérodrome avant de reposer l’appareil sans encombres. Bien qu’ayant sauvé l’appareil, l’équipage de test sera dégradé de ses fonctions au sein du programme.

Les premiers vols effectués mirent en lumière l’existence d’une vibration longitudinale dans l’appareil à certaines vitesses ainsi que des problèmes de vibrations durant la course au décollage et dans une moindre mesure lors des atterrissages/amerrissages nécessitèrent des modifications au prototype, modifications (consistant dans le montage de déflecteurs sous le fuselage notamment) qui seront intégrées au deuxième prototype durant sa construction.
Ce deuxième prototype rejoindra le premier près de trois ans plus tard, en 1989; à noter qu’une cellule statique fut également construite et la construction d’un troisième prototype fut entamée mais ne sera jamais achevé suite à la disparition de l’URSS en 1991 et la raréfaction concomitante des budgets alloués. Durant la campagne d’essais de l’A-40 pas moins de 148 records mondiaux furent battus par l’A-40 entre 1989 et 1998.

Plusieurs versions de l’A-40 furent envisagées, chacune étant spécialisée dans un domaine;
- A-40: version de base assurant la mission de lutte anti-sous-marine
- A-40PM (ou Be-40P): version de transport avec une capacité de 105 passagers
- A-40P (1ère version): version de bombardement d’eau
- A-40P (2ème version): version de patrouille maritime
- Be-40PT: version « combi » pouvant servir de transport de passagers ainsi que de fret
- A-42 (ou Be-42): version SAR (Search And Rescue)
La fin de l’URSS aura raison des variantes envisagées et bien qu’un des deux prototypes ait été présenté à plusieurs reprises dans le courant des années 1990 dans les principaux salons aéronautiques occidentaux (Le Bourget et Farnborough notamment) en vue de trouver un débouché à l’export; aucun client ne manifesta d’intérêt pour cet avion.
Alors que le développement du Beriev Be-200 (initié en 1989 et confirmé le 8 décembre 1990) reprenant en bonne partie certaines technologies (dont notamment la configuration aérodynamique générale) de l’A-40 semblait signifier de facto la fin définitive du programme A-40, il semble que les choses ne furent pas aussi simples qu’elles n’y paraissaient. Les ingénieurs de chez Beriev continuèrent à travailler (de manière moins intensive vu l’absence de budgets) sur l’A-40, tout en poursuivant le développement en parallèle du Be-200 dont les travaux furent d’abord à charge de l’usine IAPO (Irkutsk) avant d’être transféré chez Beriev.
Les vols d’essais des deux prototypes A-40 se poursuivirent jusqu’en 1994, plusieurs records du monde étant battus à l’occasion de ces derniers mais la Marine Russe n’ayant ni les moyens ni l’utilité pour un tel appareil, aucun client à l’export ne s’étant manifesté le programme sera arrêté durant le mois de février 1996: les deux prototypes d’A-40 seront cloués au sol tandis que le prototype A-42 qui était en construction sera abandonné à 80% d’achèvement et par la suite détruit.

Pour couronner le tout, la Marine Russe décida d’arrêter l’exploitation des derniers Be-12 survivants actifs (environ 55 appareils) au sein des différentes flottes des MA-VMF (l’aéronavale); ce retrait de service officialisé en 1992 précisait que le retrait de service des effectifs s’effectuerait au fur et à mesure de l’atteinte de la fin de vie active des cellules subsistantes. Inutile de dire qu’au vu de l’abandon de l’A-40, la fin de vie des Be-12 et l’avancement très lent du programme Be-200: il y avait peu d’espoir possible quant au futur des hydravions en Russie.
Mais l’histoire est pleine de rebondissements aussi surprenants qu’inattendus; lorsque la Russie annexa la Crimée en 2014, elle mit la main sur quelques Be-12 toujours employés par la Marine Ukrainienne pour les missions de surveillance et de sauvetage en Mer Noire. Au lieu de retirer les appareils du service, la Marine Russe décida de leur octroyer une révision générale et de les exploiter quelques années supplémentaires; selon certaines sources, les russes parlent même d’une modernisation des appareils en vue d’augmenter les performances offertes par les appareils.
En fait, c’est la géopolitique qui va indirectement guider les décideurs russes; l’annexion de la Crimée a augmenté significativement l’importance stratégique de la Mer d’Azov, la Mer Noire et dans une moindre mesure celle de la Mer Caspienne pour l’état russe, vu la taille de ces trois mers ainsi que l’importance retrouvée au yeux des décideurs de celles-ci, la Russie a décidé de revoir fondamentalement ses capacités militaires dans ces zones. C’est là que les hydravions reviennent à l’avant-plan, vu leurs performances qui sont plus en adéquation avec les besoins découlant de la surveillance et de la recherche en mer dans ces zones que celles offertes par des appareils basés à terre.

Bien que les chiffres varient selon les sources, les estimations les plus crédibles tablent sur pas moins de neuf Be-12 qui sont en service au sein des MA-VMF en 2019, certains appareils étant issus des stocks de l’armée russe et d’autres provenant de l’armée ukrainienne. Ces appareils étant plus proches de la fin de vie que du début de carrière, leur remplacement va s’imposer à court-terme, et ce même si ils viennent à bénéficier d’une modernisation. Deux options sont sur la table de la Russie: soit une variante du Be-200, soit le retour en production de l’A-40/A-42.
Et c’est bien là que les choses deviennent de plus en plus difficile à suivre; comme indiqué plus haut, le programme A-40/A-42 a été arrêté en février 1996 et l’on pouvait considérer à juste titre qu’il s’agissait d’un énième programme passé par la case « pertes et profits » suite à la disparition de l’URSS. Or c’est loin d’être le cas puisque de manière pour le moins surprenante, en 2008 le patron de l’aéronavale russe, le major général Nikolai Kuklev déclarait que la Russie allait acquérir quatre A-42 pour les missions de recherche et sauvetage en mer avec une livraison du premier appareil pour 2010 et du dernier en 2013. Voilà comment un programme que tout le monde croyait mort revint sur le devant de la scène!

En 2014, rebelotte: la Russie annonce à nouveau son intention de relancer la production de l’A-40/A-42, cette déclaration ne sera – encore une fois – pas suivie d’effets. En 2016, c’est le chef de l’aéronavale de la flotte de la Mer Noire, le Colonel Gennady Zagonov, qui indique que la flotte de Be-12 toujours active sera remplacée par l’A-42 à l’horizon 2020; et comme de coutume, ces déclarations d’intention ne seront pas suivies d’effets. Enfin, c’est en septembre 2019 puis en octobre 2019 que les russes ont de nouveau remis cette information sur la table avec une mise en service envisagée à l’horizon 2020. Inutile de préciser qu’en l’état actuel des choses, la Russie n’a signé aucun contrat en ce sens et il s’agit pour l’instant de discussions et d’idées, comme les décideurs militaires locaux en ont régulièrement.
Il n’empêche que cette idée revient de plus en plus régulièrement sur la table dans une version de plus en plus « précise »: il y a donc fort à parier que ceci indique qu’il ne s’agit pas « que » d’une simple idée discutée avant d’être aussitôt oubliée.
Le Beriev A-40/A-42; un peu de technique
Le moins que l’on puisse dire au sujet du Beriev A-40 c’est qu’il s’agit d’un appareil dans la plus pure tradition soviétique, c-à-d: massif, surtout si on le compare avec l’avion qu’il était censé remplacer: le Be-12. La masse maximale au décollage de l’A-40 étant de 86 tonnes tandis que le Be-12 présente une masse maximale au décollage de 36 tonnes, on peut donc facilement comprendre le fait que les deux appareils ne jouent pas dans la même catégorie. Cet aspect massif de l’A-40 provoquera indirectement sa « perte » et son remplacement par le Be-200 mais nous y reviendrons.
Présentation générale
Hydravion lourd à réaction présentant une configuration classique avec un fuselage coque tout en métal, des ailes hautes présentant une flèche légère de 27° ainsi qu’un empennage en T; l’A-40 (et ses variantes envisagées) est avant tout un appareil destiné à assurer les missions suivantes:
- Lutte anti-sous-marine
- Patrouille maritime
- Recherche et sauvetage en mer
- Transport de passagers
Les missions pouvant être effectuées par l’A-40 nécessitant le montage d’équipements spécifiques, les projets initiaux tablaient sur des variantes dédiées à chaque type de missions (comme indiqué plus haut) mais les évolutions technologiques permettent d’envisager une version polyvalente de l’appareil: l’A-42.
L’A-40 est construit autour d’un fuselage-coque de section tubulaire tout en métal (avec emploi d’alliages d’aluminium offrant une protection renforcée contre la corrosion) dont le profil ventral est optimisé pour offrir à la fois une bonne stabilité ainsi qu’une grande contrôlabilité de l’appareil sur mer (très) agitée. Le design de la coque peut se délimiter en deux zones offrant un profil différencié:
- La partie antérieure de la coque est presque rectiligne et présente une coupe transversale en forme de V dont l’angle d’ouverture va en s’accentuant et qui court de l’avant de l’appareil (sous le radôme) jusqu’à la hauteur de l’emplanture des ailes
- La partie postérieure de la coque est en pente continue et présente une coupe transversale en forme de coin
La transition entre les deux zones de la coque se fait au droit des puits des atterrisseurs principaux et l’on peut également constater le montage de déflecteurs de vagues sur les côtés de la coque pour améliorer la tenue à la mer de l’appareil; ceci résultant de constats effectués durant les premiers vols d’essais de l’avion.

Le fuselage de l’avion est divisé en trois parties avec respectivement la partie avant pressurisée où est installé l’équipage, la partie médiane non-pressurisée où sont implanté les armements, les équipements électroniques ainsi que les bouées, et enfin la partie arrière qui est également non-pressurisée. Les variantes envisagées mais non-réalisées tablaient sur l’installation de portes latérales peuvent être installées dans la partie pressurisée de l’avion. L’hydravion dispose d’un gouvernail implanté à l’arrière du fuselage pour lui permettre de se diriger dans l’eau.

Les ailes de grande taille sont implantées en position haute et présentent une flèche modérée à 23°, la surface alaire étant de 200 m². A noter que la surface alaire importante présente une configuration optimisée pour les vols lents et à basse altitude caractéristiques des missions de lutte anti-sous-marine et de recherche/sauvetage en mer nécessitant de disposer d’une aile avec une grande portance à basse vitesse. Les ailes sont équipées de becs de bord d’attaque à fentes commandées ainsi que de volets à double fentes, enfin on trouve deux ailerons à raison d’un sur chaque aile.
En vue d’améliorer la tenue sur la mer de l’avion, des flotteurs sont montés sous l’extrémité des ailes.

L’empennage présente une configuration en T avec implantation d’une dérive haute comportant une gouverne de direction au sommet de laquelle sont implantés les stabilisateurs horizontaux sur lesquels ont trouve les gouvernes de profondeur.
Outre sa capacité à amerrir, l’A-40 dispose également d’un train d’atterrissage composé d’un atterrisseur avant équipé de deux roues se rétractant vers l’arrière installé sous le fuselage en arrière du cockpit et de deux atterrisseurs principaux se rétractant vers l’arrière comprenant chacun quatre roues (en configuration de bogie) qui sont installés dans un carénage positionné à l’emplanture des ailes sous les réacteurs. L’appareil est donc parfaitement capable d’être déployé depuis la terre ou la mer, les différences résidant dans les distances nécessaires:
- Décollage: 1.000 m sur terre / 2.000 m sur mer
- Atterrissage/Amerrissage: 700 m sur terre / 900 m sur mer
L’A-40 dispose d’un radôme diélectrique avant de grande taille abritant le radar de recherche Sokol faisant partie de la suite électronique Sova, cette suite électronique sera remplacée par la suite électronique Kasatka-SB produite par Radar MMS pour équiper la variante moderne de l’A-42. A noter que cette suite électronique modulaire devrait également équiper à terme l’IL-114-300 dont une variante de patrouille maritime est en cours d’études et de tests.

L’arrière du fuselage est prévu pour pouvoir loger une perche de détection d’anomalies magnétiques (MAD) rétractable bien qu’il semble que cette dernière n’ait jamais été testée sur les prototypes.
Dimensions générales
Au niveau des dimensions générales, il est nécessaire de préciser que les données sont communiquées à titre indicatif puisque concernant les prototypes conçus à l’époque soviétique. Toute relance de la production passerait certainement par des modifications apportées aux appareils impactant de la sorte les chiffres communiqués. Les données suivantes sont disponibles:
- Longueur: 45,70 m
- Envergure: 42,50 m
- Hauteur: 11,07 m
- Surface alaire: 200 m²
- Motorisation: 2 x D-30KPV / 2 x RD-60K
- Vitesse maximale: 800 Km/h
- Masse à vide: 44 tonnes
- Masse maximale au décollage: 86 tonnes
- Charge offensive: 6,5 tonnes
- Rayon d’action: 4.000 Km
- Distance franchissable: 5.500 Km
Motorisation
Contrairement à ce que l’on pourrait croire en jetant un rapide coup d’oeil à l’A-40, ce dernier n’est pas un appareil biréacteur mais bien un appareil quadriréacteur qui se cache. En effet, la motorisation employée offre une formule pour le moins particulière puisqu’elle consiste en deux réacteurs Aviadvigatel D-30TKPV (réacteurs dérivés du D-30 en service sur l’IL-76 notamment) développant 117,7 kN et bénéficiant de traitements spécifiques pour offrir une plus grande résistance à la corrosion, ceux-ci étant implantés au-dessus du fuselage de part et d’autre de celui-ci en aval des ailes. La position des réacteurs n’est pas due au hasard, le but recherché étant de limiter les ingestions d’eau potentiellement plus dangereuses sur un turboréacteur que sur un turbopropulseur tout comme elle doit permettre de limiter l’impact du sel marin (et de ses effets destructeurs) sur les moteurs.

A ces deux réacteurs viennent s’ajouter deux boosters RD-60K de 24,5 kN chacun qui sont implantés dans le prolongement du carénage de train d’atterrissage; ces derniers sont employés lors du décollage dans les cas où la MTOW est atteinte (ou proche) et/ou si la mer est (fortement) agitée (vagues jusqu’à 2 mètres de hauteur). Cet ensemble de moteurs font donc de l’A-40, un quadriréacteur!

Vu l’ancienneté des moteurs employés sur les deux prototypes originaux ainsi que la complexité de la solution technique mise en oeuvre, toute remise en production passera d’office par la case remotorisation de l’appareil; cette éventualité ayant déjà été envisagée auparavant. Alors qu’au départ les projets initiaux tablaient sur l’emploi d’une variante adaptée du PS-90A, le PS-90A-42, la Russie se dirige maintenant vers l’emploi d’un réacteur plus moderne: le PD-14 (une variante de ce dernier bénéficiant de traitements anti-corrosion renforcés).

L’emploi du PD-14 permettrait d’ailleurs d’augmenter significativement les performances offertes par l’A-42 (un réacteur PD-14 offrant une poussée de 137 kN, ceci représente un accroissement de 20 kN par rapport au D-30TKPV avec en outre une consommation réduite) tout comme à terme il offrira une standardisation technique avec le Be-200 puisque ce dernier va être également équipé de ce réacteur.
Enfin, un groupe auxiliaire de puissance (APU) du type TA-12A est implanté à l’avant de la nacelle de l’atterrisseur principal gauche; cet emplacement étant facilement identifiable grâce à la prise d’air et la tuyère présente sur cette partie de l’avion.

A noter que certaines sources parlant de la relance de production de l’appareil indiquaient que ce dernier serait équipé de turbopropulseurs Ivtchenko-Progress D-27 développant 119 kN (n’apportant donc pas de gain de poussée significatif) et implantés de la même manière que les D-30KPV. Vu que ces moteurs sont produits en Ukraine, cette option peut très clairement être écartée définitivement.
Equipage
Le cockpit pour le moins spacieux et bénéficiant d’une grande surface vitrée est installé à l’avant de l’avion et en hauteur, cependant ce dernier trahit clairement l’âge de l’appareil; composé d’un ensemble d’instruments analogiques (en nombre réduit) et d’un équipage pléthorique (minimum 5 personnes et maximum 8) comprenant:
- Deux pilotes
- Un mécanicien navigant
- Un opérateur radio
- Un navigateur
- Trois observateurs (si nécessaire, selon la mission attribuée)
Les deux pilotes disposent chacun, pour assurer le pilotage, d’un manche à balais sur lesquels sont implantés les commandes principales dont notamment l’activation/désactivation du pilote automatique; le reste de l’équipage prend place derrière eux, leurs sièges étant tournés vers l’arrière de l’avion. La commande des moteurs principaux se fait via deux manettes des gaz (une pour chaque moteur) implantées sur une console centrale entre les deux pilotes.

Il apparaît donc que toute relance de la production passera par la modernisation profonde du cockpit, la majorité des équipements employés lors de la création de l’A-40 n’étant tout simplement plus produits. Une standardisation avec le cockpit « tout écran » (Glass Cockpit) du Be-200 étant bien évidemment l’option la plus rationnelle pour l’A-40; cette modernisation entraînant très certainement la réduction de l’équipage embarqué.

Performances
Les performances de l’A-40 sont à prendre avec les réserves de rigueur vu l’option de remplacer les réacteurs D-30TKPV par des PD-14 offrant une poussée accrue et une consommation réduite par rapport à leurs prédécesseurs.
L’A-40 peut voler à la vitesse maximale de 800 Km/h, la vitesse de croisière étant de 720 Km/h; il peut atteindre une altitude maximale de 13.000 m, son altitude de croisière soit de 8.000 m.

Pas moins de 35 tonnes de carburant sont embarqués dans plusieurs réservoirs implantés dans le caisson central de l’aile, l’appareil disposant d’une perche de ravitaillement en vol fixe implantée sur le nez devant le cockpit. Elément important pour un appareil de sa catégorie: son endurance maximale qui est de 12 heures de vol, offrant ainsi à l’appareil un temps sur station conséquent. La distance franchissable est de 5.500 Km tandis que autonomie est de 4.000 Km, bien évidemment ces distances théoriques dépendent des profils de vol adoptés ainsi que des ravitaillements en vol.
Bien que cette information soit loin d’être confirmée en attendant la sortie d’un appareil équipé de la sorte, une remotorisation de l’A-40 sur base de réacteurs PD-14 verrait la distance franchissable de l’appareil augmenter à 8.500 – 9.000 Km.
Armements
L’A-40 a été conçu avec une soute à armements implantée à l’arrière de l’appareil dans la deuxième zone de la coque, cette soute pouvant emporter, outre les bouées nécessaires pour assurer la lutte anti-sous-marine, différents types d’armements (les quantités embarquées sont indiquées entre parenthèses):
- Roquettes anti-sous-marines APR-3 Orlan (6)
- Roquettes anti-sous-marines APR-2 (4)
- Torpilles AT-3 (3)
- Mines sous-marines
- Bombes
La charge offensive totale est de 6,5 tonnes et la majeure partie de celle-ci prend place dans la soute à armements, cependant, l’option de l’emport sous voilure de missiles anti-navires de surface Kh-35 a été prévue dès le départ bien que ces points d’emports n’aient jamais été installés sur les prototypes.
Vu que les appareils produits en sont restés au stade des prototypes; aucun système d’auto-défense ou de protection n’ont été installés bien que des carénages situés aux extrémités des ailes aient été prévus pour installer un système de brouillage ou de guerre électronique.
L’A-40/A-42: pour faire quoi?
Une des premières questions qui vient à l’esprit lorsque l’on parle de l’A-40 est de manière fort logique: « Mais dans quel but« ? La Russie avait abandonné le projet d’A-40 pour laisser la place au Be-200 qui bien que plus petit et plus simple techniquement semblait mieux correspondre aux besoins russes ainsi qu’il offrait une capacité d’intégration plus aisée au sein des infrastructures existantes grâce notamment à sa taille réduite.

Sans tomber dans les superlatifs, l’A-40 en comparaison avec le Be-200 est un monstre de grande dimension qui correspond mieux à la philosophie soviétique qu’à la philosophie russe; ne parlons même pas de la différence des budgets disponibles, l’aéronavale russe n’ayant pas les mêmes moyens disponibles que sa grande soeur, la force aérienne, il semble peu crédible de voir des sommes importantes mobilisées pour acquérir des A-40 en nombre réduit (les dernières annonces parlent de l’acquisition de trois (!) avions) alors qu’il serait parfaitement possible d’acquérir un plus grand nombre de Be-200 sans pour autant avoir une différence significative de capacités opérationnelles entre les deux appareils.
Clairement, la charge utile et la capacité de rester en station sont des avantages indéniables offerts par une plate-forme de plus grande taille néanmoins ces avantages sont obérés par les coûts d’exploitation largement supérieurs à ceux des Be-12 et IL-38N qu’il est censé remplacer. Il n’empêche que le retour en production de l’A-40, et ce peu importe les missions envisagées (SAR? ASW? ELINT? Autres?) permettrait à la Marine Russe de disposer d’un avion capable de couvrir de vastes étendues océaniques tel que la zone Pacifique, la Route du Nord ou l’Arctique.

Lors du crash des Su-34 suite à une collision en vol dans la zone Pacifique durant un vol d’entraînement le 18 janvier 2019, il est apparu que les forces armées russes présentent toujours de grosses lacunes en matière d’équipements de sauvetage et de recherche en mer (c’était déjà le cas à l’époque soviétique, l’accident du K-278 en 1989 avait servi d’incitant à la création d’une variante de sauvetage en mer de l’A-40); l’emploi d’IL-38N et de Tu-142MK/MZ étant largement insuffisant pour assurer un localisation et un sauvetage rapide des équipages tombés à l’eau. L’emploi d’hydravions se révèle être une option pertinente et rapide pour ce type de situations, surtout pour patrouiller de grandes superficies océaniques (la problématique étant moins importante pour la Mer Noire, vu les distances impliquées).
De plus, qui dit plus gros appareil dit plus grande capacité d’emports d’équipements: vu les progrès accompli en matière de miniaturisation de l’électronique, un A-40/A-42 pourrait embarquer un grand nombre d’équipements de lutte anti-sous-marine ainsi que des armements nécessaires pour assurer le suivi et la destruction des bâtiments ennemis; transformant donc l’appareil en véritable outil polyvalent ce que n’était pas l’A-40 dans sa version d’origine.
Il semble d’ailleurs que la Marine Russe, qui n’est pas toujours réputée être très constante dans ses choix et ses décisions, hésite depuis plusieurs années sur les suites à donner au projet. Relancer l’A-40 ou poursuivre avec le Be-200? Les annonces contradictoires se sont succédées en la matière et bien que l’option A-40/A-42 semble tenir la corde (pour l’instant), rien n’est encore déterminé. Néanmoins comme déjà abordé auparavant, les besoins sont réels et pressants vu le vieillissement de la flotte de Be-12: la nécessité de prendre une décision rapidement et de s’y tenir fermement va s’imposer à court-terme. A l’inverse, il semble très peu probable que la Russie choisisse l’option de l’hydravion pour remplacer sa flotte de Tu-142/IL-38; vu le différentiel de performances offert par les avions basés à terre par rapport à un hydravion, l’option de l’appareil terrestre restera favorisée pour les missions de lutte anti-sous-marine et de lutte anti-navires de surface. La Russie n’ayant pas encore arrêté ses choix en matière de nouvelle plate-forme pour le remplacement du Tu-142, il restera donc à voir si la réalité budgétaire sera en adéquation avec les intentions de l’aéronavale russe.
En conclusion
Pur produit de la philosophie soviétique du « plus grand, plus gros » (cette philosophie trouvant son extension maximale dans le concept d’Ekranoplan): le retour toujours hypothétique en production de l’A-42 dans une variante modernisée a de quoi laisser perplexe, et ce notamment pour deux raisons; premièrement, Beriev a déjà des difficultés à produire des Be-200 de manière régulière et continue, cette situation allant devenir de plus en plus problématique vu le besoin de substituer la motorisation (produite en Ukraine) de ce dernier et deuxièmement l’acquisition de l’A-42 ne se ferait qu’en quantités réduites (vu les budgets moindres alloués à la Marine) ce qui aura pour effet de faire exploser les coûts d’acquisition.
L’idée de repartir d’un design existant peut aisément se comprendre mais est à évaluer par rapport à la nécessité de moderniser l’appareil (nouveaux réacteurs, nouveaux équipements embarqués ainsi que nouveau cockpit) ce qui va nécessairement entraîner une dépense non-négligeable sans même parler du fait que la construction va nécessiter la mise en place d’une chaîne de production ainsi que la chaîne logistique dédié nécessaires pour produire ce dernier. Selon certaines sources consultées, la chaîne de production avait été mise en place chez Beriev à Taganrog peu avant la chute de l’URSS, mais vu l’impossibilité de vérifier ces propos ainsi que la faible probabilité qu’elle ait été maintenue en place si effectivement installée, des travaux importants seront nécessaires pour produire l’avion. En outre, l’intégration de nouveaux réacteurs va nécessiter du temps pour valider les choix effectués ainsi que leur pertinence et donc contribuera à augmenter la facture finale et les délais.

On est donc en droit de se poser la question que les russes semblent inlassablement éluder; quelle utilité à relancer un tel appareil face au Be-200? Certes, le Be-200 est un appareil plus petit (MTOW de 41 tonnes vs MTOW de 86 tonnes pour l’A-42) mais la différence de charge utile offerte (5 tonnes pour le Be-200 vs 6,5 tonnes pour l’A-42) font que les avantages offerts par l’A-42 se réduisent fortement face au Be-200, ces derniers venant même encore se réduire avec la remotorisation du Be-200, bien évidemment, la remotorisation envisagée de l’A-40 entraînera un accroissement de l’écart entre les capacités offertes par les deux appareils. Ces considérations ne pourront être évaluées plus finement qu’une fois les capacités réelles offertes par un A-40 et un Be-200 remotorisés disponibles, ce qui nécessitera d’attendre encore quelques années avant de pouvoir être réalisé.
Cependant, la production de série du Be-200 est bien implantée et l’appareil dispose d’une base de plus en plus étendue de clients (en Russie et à l’export) qui font que la pérennité du projet (et donc son suivi logistique) est garantie sur le long-terme; on ne pourra pas en dire autant de l’A-42 dont la taille et les missions envisagées font que l’intérêt global pour les hydravions de part le monde est des plus retreint (hors secteur très spécifique de la lutte anti-incendies) tout comme il apparaît que la Marine Russe limiterait ses achats à quelques appareils accentuant donc l’effet « micro-flotte » rendant donc l’idée moins crédible.

Au final, il est utile de se demander si ce retour en production qui vise notamment à maintenir le niveau d’emploi chez TANTK Beriev (il ne faut jamais oublier l’aspect social que représente la production militaire en Russie) n’est pas, à l’instar du projet IL-96-400M, un projet de « prestige » à l’utilité plus que douteuse; après tout le Be-12 peut parfaitement être remplacé par une version militarisée (cette option a déjà été étudiée) du Be-200. Ou alors la Russie souhaite franchir un autre cap et employer l’allonge offerte par l’A-42 remotorisé pour assurer la couverture de zones plus étendues rattachées à la Flotte du Nord ou du Pacifique; dans ces cas bien précis, le retour en production se justifierait pleinement, à condition de commander les avions en quantités suffisantes que pour justifier l’investissement requis pour la relance de la production. Il est vrai que la Russie présente un important déficit en matière de capacités de sauvetage en mer et de patrouille maritime; sa flotte actuelle étant pour le moins restreinte et ancienne. Au vu de l’importance croissante pour le pays de certaines desdites zones (Arctique, Route du Nord), le besoin de disposer de moyens d’intervention adéquats va se poser à court-terme, l’A-40 étant une option crédible pour assurer de telles missions.
Malgré les déclarations contradictoires ainsi que le côté « indécis » des russes, il ressort que le concept même de l’hydravion (et donc de son utilité) soit revenu sur le devant de la scène alors que ce dernier semblait définitivement condamné avec la décision de retirer du service les derniers Be-12; pour illustrer ce propos, citons le fait que les russes souhaitent relancer les travaux sur un hydravion ultra-lourd (le Beriev Be-2500?). Les mentalités ont changé depuis 1992 et surtout, les besoins opérationnels ne sont plus les mêmes; pour caricaturer, on a en effet du mal à voir l’intérêt pour la Flottille de la Caspienne de disposer de Tu-142, à l’inverse une flotte d’hydravions se justifie pleinement dans cette zone. Il reste à voir si les russes vont finir par concrétiser leurs intentions, avec quel modèle, et surtout voir si ils auront la volonté et surtout les moyens de continuer une tradition vieille de soixante-dix ans d’exploitation opérationnelle d’hydravions.
Bref, beaucoup d’incertitudes, peu de réponses concrètes tant qu’à présent mais surtout un projet de retour en production dont l’utilité semble douteuse pour l’instant. Il restera à voir si il s’agit à nouveau d’effets d’annonces sans lendemain, chose dont la Russie est malheureusement trop coutumière ou si l’Albatros finira enfin par prendre son envol définitif.
Merci de vos articles en général et celui-ci en particulier. Un bel oiseau assurément.