[Actu] La coopération militaire entre la Russie et l’Irak

Durant la Guerre froide, L’Irak a toujours été un client important de l’industrie militaire d’URSS; le gros de ses forces armées étant équipées avec du matériel de manufacture soviétique. Cependant, avec la dissolution de celle-ci en 1991 et avec la chute de Saddam Hussein en 2003, la coopération militaire entre l’Irak et la Fédération de Russie va tomber au point mort pendant plusieurs années.

La coopération militaire entre les deux pays va alors connaître un renouveau dans la période 2012-2013, avec la signature d’un important contrat portant sur la livraison d’hélicoptères Mi-35M, Mi-28NE et différentes variantes du Mi-8 ainsi que sur la livraison de systèmes anti-aérien Pantsir-S1. Par la suite, avec la menace posée par le groupe terroriste Daech  en Irak: d’autres types de matériels seront livrés pour renforcer l’armée irakienne.

L’Irak semble pleinement satisfaite de cette coopération selon un article daté du 19 décembre. En effet, selon le Centre d’analyse du commerce mondial des armes russe (TSAMTO), les forces armées irakiennes seraient intéressées par certains matériels militaire proposés à l’exportation par la Russie, par conséquent l’état irakien est potentiellement susceptible de passer de nouvelle commande pour certains de ces matériels.

Passons en revue les matériels déjà acquis et ceux qui sont dans le collimateur des forces armées irakiennes.

Matériels terrestres

Parmi la liste de ces matériels figure le char de combat T-90S. Variante du T-90A destiné au marché de l’exportation, le T-90S a déjà suscité l’intérêt des forces terrestres irakienne, qui ont passé commande d’un premier lot de 73 chars en juillet de cette année.

Et le 11 décembre, les premières images de ces T-90S en provenance d’UralVagonZavod, sont apparues sur le web.

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Un des T-90S destiné à l’Irak. Image@Rossiya1.

Ces T-90S se distinguent par leur protection latérale améliorée avec l’ajout de blindage réactif Relikt conçu pour neutraliser une munition à charge creuse en tandem tout en réduisant l’efficacité des projectiles APFSDS et par la pose d’un blindage cage destiné à protéger le compartiment moteur des roquettes anti-chars.

Cette protection, que l’on retrouve sur les chars russes modernisés T-72B3 obr.2016, T-80BVM et T-90M permet de bonifier la protection de ces chars en tenant compte des retours d’expérience des conflits récents, et tout particulièrement ceux de Syrie et d’Irak, qui ont mis en exergue le manque de protection latérale des chars ces derniers ayant payés un lourd tribut face aux ATGM et aux roquettes anti-chars.

Aussi, bien que les brouilleurs infrarouges OTShU-1-7 intégrés au système de protection actif Shtora n’ont pas (encore ?) été montés, le T-90S est tout à fait capable de recevoir cet équipement; les T-90S irakiens ne faisant pas exception à la règle.

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Vue de face d’un des T-90S destiné à l’Irak. On peut noter que la place réservée aux brouilleurs OTShU-1-7 est actuellement prise par des blocs de Kontakt-5 supplémentaires. Image@Rossiya1.

Les T-90S devraient remplacer en priorité les T-55 et ses dérivés ainsi que les T-72M encore en service au sein des unités irakiennes. En effet, ces MBT ne sont absolument plus adaptés à un conflit militaire moderne comprenant des armes anti-chars récentes.

Par ailleurs, il est suggéré que la commande de 73 exemplaires ne serait qu’une première étape, d’autres commandes portant sur des T-90S pouvant être signées à l’avenir en vue de redonner un coup de jeune au parc de char irakien.

L’armée irakienne semble également intéressée par l’obtention de moyens d’artillerie supplémentaires. Outre des mortiers légers de 82mm et lourds de 120mm et des missiles anti-chars Kornet-E, l’attention de l’Irak se porte sur deux matériels en particulier:

Tout d’abord, l’Irak s’intéresse au TOS-1A Solntsepek.

Il s’agit d’un Lance Roquettes Multiple (LRM) de courte portée reprenant la base du char T-72 et dont l’armement consiste en un lanceur comprenant 24 roquettes thermobariques de 220 mm dont la portée maximale s’approche des 6000m. L’utilité du système est de pouvoir couvrir une large zone tout en ayant un rôle anti-personnel important, notamment en zone confinée: tels que les grottes et les fortifications. Le système fonctionne avec un effet de surpression et de déflagration du projectile dans un premier temps qui sont suivis par une dépression dans un second temps: ce qui rend inefficace la couverture offerte par ces lieux confinés.

Le TOS-1A n’est pas un inconnu des forces irakiennes : en effet, elle en a reçu un petit nombre (de 3 à 12 exemplaires) à partir de 2014 dans le cadre de la lutte contre Daech dans le pays.

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TOS-1A irakien en 2014. Image tirée de vidéo@RussiaToday.

Les TOS-1A irakiens possèdent là encore une protection supplémentaire, avec l’ajout de blindage réactif Kontakt-5 sur la partie frontale et à l’avant des flancs du blindé, destiné à stopper les projectiles à charge creuse et, dans une moindre mesure, les obus APSFDS.

La capacité de destruction du TOS-1A, notamment contre les caches des groupes armés terroristes dans le désert, semblent avoir convaincu l’Irak, ce qui l’amène à vouloir s’en procurer un plus grand nombre d’exemplaires à l’avenir.

Autre matériel envisagé bien qu’actuellement absent de la dotation locale: le canon automoteur 2S19 Msta-S.

Si l’intérêt des irakiens pour ce canon automoteur de 152mm se confirmait, il s’agirait alors d’un apport important pour leur force terrestre : actuellement, l’Irak possède un faible nombre d’artilleries automotrices et le gros de l’appui-feu en provenance de ce type d’artillerie accordé à l’armée irakienne pendant le conflit contre Daech l’a été par des canons automoteurs américains (M109A6) ou français (CAESAR) : une commande de 2S19 permettrait d’apporter aux irakiens une capacité de soutien importante à leurs unités de manière autonome à l’avenir.

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2S19M2 Msta-S. Photo@ArmyRecognition.

D’autant plus que si le 2S19 n’est pas le modèle le plus récent disponible sur le marché, il reste cependant un engin possédant de bonne qualités, avec une cadence de tir de l’ordre de 8 à 10cps/min selon la version et la possibilité de tirer des projectiles guidés 3OF39M Krasnopol-M, qui possèdent une probabilité de toucher sa cible de 80% jusqu’à 20Km, avec la possibilité de toucher une cible en mouvement à une vitesse maximale de 36Km/h.

Enfin, le Pantsir-S1 clôt la liste des matériels terrestres intéressant l’Irak.

Le Pantsir-S1 est un système anti-aérien de très courte et courte portée mis en oeuvre par 3 hommes et destiné à assurer:

  • la protection des infrastructures militaires et civiles importantes,
  • la couverture courte portée des systèmes anti-aériens plus lourd tel que les S-300 et S-400,
  • la protection anti-aérienne des unités de combat (dans une moindre mesure)

L’armement comprend deux canons automatiques 2A38M de 30mm devant neutraliser les menaces de très courte portée tout en pouvant, en cas de besoin, ouvrir le feu sur des cibles terrestres; la cadence de tir très élevée des canons les rendant très efficaces contre l’infanterie et les véhicules faiblement voire pas du tout blindés.

Pour pouvoir neutraliser les cibles se trouvant à plus grande distance, le Pantsir-S1 mettre en oeuvre 12 missiles 57E6E, d’une portée comprise entre 1200m et 20Km et pouvant toucher une cible entre 15 et 15 000m d’altitude.

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Missile 57E6E. Image@kbptula.ru.

Là encore, le Pantsir-S1 est un système que les irakiens connaissent déjà, puisqu’il s’agit d’un des premiers matériels commandés par l’Irak en 2012. En effet, le contrat stipulait la livraison de 24 système Pantsir-S1, livrés entre septembre 2014 et début 2016.

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Pantsir-S1 irakien. Photo@ArmyRecognition

Si les Pantsir-S1 ne semblent pas avoir connu d’engagement en Irak, ils se sont cependant révélés être efficace dans l’interception des drones et des roquettes employés par les groupes armées en Syrie, dans le cadre de la protection de la base aérienne de Khmeimim.

Grâce à cet équipement; l’Irak possède un système de défense anti-aérienne à même de pouvoir faire face aux moyens pouvant potentiellement être utilisés par des groupes terroristes pour des attaques ciblées contre des objectifs militaires ou civils tout en pouvant lutter contre des menaces aériennes conventionnelles.

Matériels aériens

En ce qui concerne les aéronefs, ce sont 4 matériels qui ont retenu l’attention des irakiens. Par ailleurs, ces aéronefs sont actuellement en service au sein des forces armées irakiennes.

En premier lieu, l’Irak semble pleinement satisfaite de sa flotte d’hélicoptère de production russe.

En effet, l’Iraqi Army Aviation doit recevoir, dans le cadre du contrat signé dans la période 2012-2013, un total de 43 hélicoptères d’attaque répartis entre 28 Mi-35M et 15 Mi-28NE.

Le Mi-35M est une version profondément modernisée du Mi-24. Il se distingue de celui-ci par un train d’atterrissage fixe, de nouvelles pales de rotor en fibre de verre conçues pour augmenter leur durée de vie et un rotor de queue en X dérivé de celui du Mi-28 et par de nouvelle turbine VK-2500 augmentant les performances de l’hélicoptère.

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Un futur Mi-35M irakien en 2013, à Rosvertol. Photo@Ash.

L’armement se voit modifier par l’installation d’un canon bi-tube GSh-23L de 23mm monté sur une tourelle et par 4 points d’emports (6 pour les versions antérieures du Mi-24) pouvant transporter des pods de roquettes, des pods canons UPK-23-250 de 23mm et des missiles anti-chars 9K113 Sturm-V et 9K120 Ataka-V.

Par ailleurs, il est doté d’une nouvelle avionique permettant au Mi-35M d’opérer dans des conditions optimales par tous temps.

La livraison des 4  premiers Mi-35M irakiens s’est déroulée en novembre 2013 et ce sont 20 hélicoptères qui ont été livrés à l’heure actuelle. Il n’y a pas d’information concernant la livraison des deux derniers lots pour le moment.

Ils ont été engagés dans la lutte contre l’organisation Etat Islamique peu après leur livraison, en décembre 2013. Signe de leur engagement important, plusieurs d’entre eux furent perdus, à la suite des tirs ennemi ou par accident.

En ce qui concerne les Mi-28NE, les livraisons débuteront à l’été 2014. Et dès le mois de septembre, il connaîtront leur baptême du feu : il s’agit du premier engagement important en condition réelle du Mi-28. Les livraisons s’achèveront en octobre 2016, avec la livraison des 4 derniers Mi-28NE avec double-commande, reconnaissable avec leur camouflage noir.

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Mi-28NE irakien. Photo@DefenceBlog.

Les Mi-28NE irakiens sont par ailleurs dotés du radar de mât N025E, permettant la détection des cibles sur 360°.

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Mi-28NE irakien avec double-commande. On distingue bien le radar de mât N025E. Photo@DefenceBlog.

Pour finir avec les hélicoptères, l’Irak a aussi montré un intérêt pour différentes variantes du Mi-17. 

L’histoire des « Hip » irakiens remonte à  2005, où la société polonaise BUMAR réalise une première commande de 10 Mi-17 aux usines de Kazan et de Ulan-Ude pour être revendu à l’Irak. Cette commande passera finalement à 19 exemplaires, que l’Irak à reçu à partir de février 2006. Il s’agira alors  d’un panachage de 13 Mi-17V-5, dont 4 dédiés aux transport de VIP et de 6 Mi-171E. En 2010, ce sont 8 autres Mi-171E qui sont livrés, suivi par un autre contrat de 14 autres Mi-171E, livrés entre novembre 2011 et juin 2012.

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2 Mi-17V-5 irakiens. Photo@JasonEpley.

Par la suite, une partie de ce parc va subir une modernisation. En effet, la société américaine ARINC a reçu un contrat  pour la modernisation des 22 Mi-171E les plus récents au standard Mi-17CT, qui vont alors voir l’installation d’une avionique aux normes OTAN, d’une boule optronique MX-15 et de détecteurs d’alerte missile.

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Mi-17CT irakien. Photo@U.S.Air Force.

Enfin, en 2012, un contrat est signé pour la livraison de Mi-171Sh. Les 8 premiers exemplaires seront livrés en novembre 2014 et en octobre 2015, 16 hélicoptères sont en service dans l’Iraqi Army Aviation, dont 2 conçu pour le transport de VIP. Aujourd’hui, au moins 22 exemplaires sont en service dans les forces armées irakiennes.

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Mi-171Sh irakien. Photo@DefenceBlog.

Au total, ce serait près de 63 Mi-17 de différentes variantes qui ont été reçu par l’armée irakienne, et entre la période 2008-2017, près d’une vingtaine d’entre eux ont été perdus, soit par accident, soit abattu pendant le conflit en Irak.

Au niveau des voilures fixes; c’est l’increvable Sukhoï Su-25 qui a fixé l’attention des militaires irakiens.

Déjà connu et employé au sein de la force aérienne irakienne sous le régime de Saddam Hussein, les Su-25 vont connaître un renouveau dans l’armée irakienne. Les appareils qui ne furent pas détruits durant la deuxième guerre du Golfe ne survécurent pas à l’invasion du pays en 2003.

En effet, avec l’avancée rapide de Daech en Irak, la force aérienne locale a cherché un moyen rapide pour se procurer un avion de combat. La livraison des F-16 Blk 52 par les Etats-Unis et la formation des équipages n’étant pas assez rapide que pour doter la force aérienne irakienne de ces avions au plus vite, l’Irak va alors se tourner vers la Russie pour obtenir une flotte d’avion de combat en toute urgence.

C’est ainsi qu’au début de l’été 2014, l’Irak va réceptionner 5 Su-25 (potentiellement en version -SM) de seconde main. Enfin, 3 autres appareils seront livrés le 28 avril 2016, portant alors à 8 le nombre de Su-25 d’origine russe en service dans l’armée irakienne.

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Su-25 irakiens, anciennement russe. Photo@?

Par ailleurs, un total de 8 Su-25 iraniens (appareils par ailleurs ex-irakiens) appartenant à l’IRGC (les Gardiens de la Révolution Islamique) seront livrés aux irakiens, dont un a été perdu entre-temps.

Le Su-25 est un appareil rustique et facile à mettre en oeuvre qui est adapté dans le cadre du conflit contre l’organisation terroriste Daech. Bien que pas des plus moderne, il s’agit d’un avion d’attaque au sol endurant pouvant employer un large éventail d’arme (non guidée cependant) à même d’apporter un soutien aux troupes au sol. Cependant, la production d’appareil neuf étant arrêtée, dans le cas où l’Irak veut s’en procurer un plus grands nombre d’exemplaire, elle devra nécessairement passer par d’autres Su-25 de seconde main. Ces derniers pouvant passer par une modernisation lui apportant la capacité d’employer des munitions guidées modernes.

Conclusion

La coopération militaire entre l’Irak et la Russie à connu un nouveau souffle à partir de 2012 et de la signature d’un premier contrat. Avec les avancées du groupe Etat Islamique, l’Irak va se doter de nouveaux équipements en provenance de Russie pour réequiper son armée en urgence et ainsi faire face à l’organisation terroriste.

Et au vu des commandes plus récentes, comme celle portant sur la livraison de 73 T-90S, l’attrait des Irakiens pour le matériel militaire russe semble aller croissant.

C’est ce que tend à observer le TSAMTO dans l’article de RIA Novosti, avec une liste de matériel qui aurait intéressé l’Irak récemment. On peut remarquer que la quasi-totalité des matériels présentés sont déjà en service au sein de l’armée irakienne : de nouvelles commandes pour ces matériels sont donc être envisagées ce qui traduirait la satisfaction des forces armées irakiennes pour l’équipement militaire russe.

Nous aurons largement l’occasion de revenir sur ces nouveaux contrats entre les deux pays dans le futur.

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Je tiens à remercier Antoine B. pour l’aide apportée dans la réalisation de cet article.