[Actu] Sukhoï Su-57 V2.0: le « Super Sukhoï »?

C’est le journal Izvestia qui a publié l’information le 26 juin: la Russie travaille sur une version modernisée du Sukhoï Su-57 (code OTAN: Felon), les tests de cette nouvelle variante devant débuter à l’été 2022 avec un achèvement des travaux de développement attendu pour la fin de l’année 2024. Cette information qui n’est pas une nouveauté en tant que telle puisqu’un contrat de recherches et développement (repris sous le nom Megapolis) a été signé en date du 29 octobre 2018 entre l’OKB Sukhoï et le Ministère de la défense de Russie, cependant une partie des détails contenus dans l’article sont intéressants et viennent expliquer des images antérieures.

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Le T-50-3 est l’appareil dédié aux tests en collaboration avec le drone S-70 Okhotnik. Image@Vyacheslav Grushnikov

Alors qu’il est pour le moins surprenant, de prime abord, de voir la Russie déjà travailler sur une variante modernisée du Su-57, cette décision est bien plus pertinente qu’elle n’y paraît au premier regard. En effet, à l’inverse des appareils employés par l’USAF qui suivent des programmes de remise à niveau réguliers avec le principes des « Blocks » ajoutant des capacités et des équipements aux cellules existantes, la Russie semblait moins encline à suivre cette voie, se contentant parfois de faire une modernisation à mi-vie ou tout simplement d’exploiter les appareils en l’état durant toute leur carrière. L’arrivée d’une nouvelle génération d’avions plus complexes donc plus onéreux à acquérir et exploiter, devant fonctionner dans des environnements présentant des menaces évoluant rapidement, ainsi que face à des technologies (principalement informatiques) devenant obsolètes à un rythme plus rapide font que la Russie est « forcée » de mettre en place des programmes de modernisations et mises à niveau de ses principaux appareils en vue de rendre leur emploi pertinent en première ligne le plus longtemps possible.

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Le prototype T-50-4. Image@Yuriy Pieshyk

Le programme Su-30SMD visant à intégrer une partie des technologies (réacteurs, électronique embarquée) du Su-35S au sein du Su-30SM va dans ce sens, le programme Su-34M abordé récemment également et le Su-57, qui doit constituer à terme « la pointe de la flèche » russe, va suivre exactement le même chemin; l’OKB Sukhoï travaille sur un Su-57 dit « de deuxième étape » qui est surnommé officieusement « le Super Sukhoï » (Супер-Сухой).

Avant de poursuivre, il est utile de préciser que les travaux de recherches et développement pour le Su-57 « V2.0 » se font de manière concomitante avec la production des Su-57 de série qui se déroule actuellement et dont 76 appareils sont attendus d’ici à 2027; l’arrivée de l’un ne phagocytera pas l’autre dans un premier temps même si il est évident que les résultats obtenus dans le cadre du Su-57 « V2.0 » seront intégrés dans les avions en cours de production. C’est ce qui était déjà prévu en ce qui concerne le nouveau moteur Izd.30 notamment. L’article en question détaille également une partie des travaux qui vont être réalisés sur le Su-57, une partie de ces derniers ne sont pas une surprise car connus de longue date tandis que d’autres sont plus surprenants.

Crash du premier Su-57 de série: une explication?

Autre information publiée ces dernières heures bien que non-confirmée officiellement pour l’instant (elle ne le sera fort probablement pas d’ailleurs); la cause du crash du premier Su-57 de série (numéro de Bort 01 Bleu / Numéro de construction 51001) serait enfin connue.

Selon P.Butowski, il s’agirait d’un double problème avec en premier lieu une erreur à l’usine lors du montage du mécanisme d’entraînement d’une dérive (pour rappel le Su-57 dispose de dérives monoblocs mobiles) couplé à une défaillance partielle du système de commandes de vol qui ont entraîné la perte de l’avion en date du 24 décembre 2019 quelques jours avant sa livraison prévue aux forces armées russes. Cet accident qui n’a – fort heureusement – pas fait de victime aura eu un effet médiatique pour le moins important entraînant le remplacement de plusieurs personnes au sein du groupe UAC Russia.

A noter qu’il s’agit du premier crash de l’avion entraînant une perte complète depuis son premier vol en 2010.

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Le premier Su-57 de série en cours de production, nous n’aurons jamais l’occasion de le voir en vol. Image@TVZvezda

Information utile bien que guère surprenante, les travaux ne porteront pas sur la structure du Su-57, aucun travail d’envergure ne sera accompli de ce point de vue même si on peut probablement s’attendre à des petites modifications par rapport aux appareils déjà en commande: vu qu’il s’agit d’un programme de modernisation de l’appareil il ne fallait pas s’attendre à un redesign en profondeur de ce dernier. En effet, le programme Su-57 ayant été lancé en 2002 et un prototype ayant pris l’air pour la première fois en 2010, les technologies ont eu largement l’occasion d’évoluer depuis son premier vol nécessitant de remettre à jour les choix techniques effectués sur le Su-57: la Russie va donc faire évoluer l’avion sans pour autant le révolutionner, ce faisant elle adopte les procédés occidentaux de mises à jour continues des appareils employés. Néanmoins, on apprend que les ingénieurs travaillent au remplacement des actionneurs hydrauliques employés pour les surfaces de contrôles par des moteurs électriques: ceci permettant notamment de simplifier les circuits hydrauliques de l’avion ainsi que de limiter l’impact de dégâts sur l’avion.

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Deux T-50 pour le prix d’un! Avec deux angles de vue différents, en bonus. Image@Vadim Savitsky

Le gros des travaux va porter sur trois points et non des moindres avec tout d’abord l’installation des réacteurs Izd.30 devant prendre la relève des actuels Izd.117 (AL-41F1): le nouveau réacteur offrira un rapport poids-poussée accru, une consommation réduite, une durée de vie augmentée, un système d’allumage à plasma mais surtout apportera à l’avion une capacité qui lui manque toujours actuellement: la supercroisière (cette dernière étant la résultante de l’augmentation poids-poussée), soit la capacité à voler en vitesse supersonique sans faire usage de la post-combustion (et donc de limiter la consommation globale de carburant). Venant tordre le cou à une légende urbaine ayant la belle vie et selon laquelle les russes ne savent pas travailler sur les questions de furtivité: les pétales de la tuyère de l’Izd.30 disposeront d’une extrémité en forme de dents (à l’inverse de l’Izd.117 actuellement employé), ceci dans le but de réduire la signature thermique de l’avion, cette tuyère caractéristique ayant déjà été aperçue sur le T-50-2 employé comme banc de tests volant. On apprend également qu’une vingtaine de réacteurs Izd.30 ont déjà été produits et sont employés pour des essais au sol et en vol, l’installation de l’Izd.30 sur les appareils de série devrait intervenir aux alentours de 2025.

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Le T-50-2 vu ici emporte un Izd.30 à gauche et un Izd.117 à droite: les différences entre les deux tuyères sont pour le moins flagrante. Image@?

Deuxième point qui doit être traité dans le cadre des travaux; l’électronique embarquée va être retravaillée. Si à première vue il n’y a pas de travaux prévus sur le radar AESA N036 Byelka, il n’en va pas de même pour le cockpit qui va être repensé en profondeur avec installation d’un large écran unique pour l’affichage des informations pour le pilote ainsi que le montage d’un nouvel afficheur tête haute (HUD) à grand angle. Même si il ne s’agit pas des équipements définitifs, l’article d’Izvestia permet de mieux comprendre les images exposées durant le salon MAKS 2019 présentant un cockpit de Su-57 refondu avec écran large et nouvel afficheur tête haute.

Si on compare les modèles exposés au salon MAKS 2019 avec le cockpit actuel du Su-57 (étroitement dérivé de celui du Su-35S); on voit tout de suite le bond réalisé en matière d’ergonomie pour le pilote du Su-57. L’actuel cockpit ne démérite aucunement, bien au contraire, mais eu égard aux évolutions technologiques en matière d’ergonomie des cockpits d’avions: la tendance est à la généralisation des écrans larges uniques pour afficher les informations au pilote, les russes ne faisant pas exception en la matière.

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Configuration actuelle du cockpit du T-50/Su-57. Image@?

Bien évidemment, la refonte du cockpit ainsi que les équipements qui seront installés sont encore à déterminer précisément mais on peut déjà se faire une idée « un peu » plus précise de la direction suivie par les ingénieurs russes; surtout au vu du fait qu’une partie des équipements envisagés ont déjà été présentés auparavant. Reste à voir si le Su-35S sera éligible à une telle modification du cockpit à moyen terme pour le standardiser avec le futur Su-57 « V2.0 ».

Enfin dernier point, et relativement prévisible, l’intégration de nouveaux armements: les travaux en cours portent sur le développement de missiles et bombes guidées devant être emportés au sein des soutes de l’avion. On sait déjà de longue date que la Russie dispose de trois options pour l’emport des armements: soit l’emport dans les deux soutes principales et les deux soutes latérales, soit l’emploi de points d’emports externes sous voilure soit un mélange des deux avec emports en soutes et emports sous voilure. Si il apparaît clairement que certains missiles ne rentreront pas en soutes (missiles anti-navires Kh-31 notamment), ceci n’empêche pas les russes de travailler sur des munitions adaptées à l’appareil: ce faisant, elle rattrape lentement le retard accumulé par le pays en matière de munitions guidées et missiles. Il est d’ailleurs utile de rappeler que les premières images publiées illustrant des tests d’armements au départ des T-50 ne l’ont été que très tardivement; le tir d’un missile air-air au départ d’une des soutes latérales (et sa cinématique d’éjection) n’ayant été documenté, il y a seulement quelques mois (voir vidéo ci-dessous à partir de 01’11 »).

Outre les aspects techniques, la seule question qui nécessite d’être abordée: c’est l’impact que peut avoir ce programme de modernisation des Su-57 sur la production en cours. Dans le cas spécifique de l’Izd.30 il a déjà été indiqué à plusieurs reprises que les avions produits avec le réacteur Izd.117 seraient rééquipés a posteriori de manière à disposer d’appareils offrant les performances « optimales » attendues de ce dernier, on peut fort logiquement penser que les avions produits d’ici à 2024 (soit environ une bonne moitié de la commande des 76 appareils) seront portés au standard modernisé par la suite dans le cadre d’une mise à jour à mi-vie. Avec un contrat de recherches et développement qui doit arriver à son terme fin 2024 (en considérant que ce dernier ne connaît pas de retards particuliers), on ne doit pas s’attendre à une industrialisation du Su-57 « V2.0 » avant 2025 ou même 2026: ceci indiquant éventuellement que le contrat des 76 premiers Su-57 sera complété dans le standard actuel (exception faite des réacteurs) et que la variante modernisée sera produite dans la foulée. A voir.

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Le prototype T-50-1. Image@?

In fine, c’est la réalité budgétaire russe qui sera structurante: le Su-57 est un appareil performant qui est plus onéreux à acquérir que ses prédécesseurs, une variante modernisée de ce dernier verra le coût d’acquisition grimper ceci ayant un impact sur les quantités qui seront acquises de ce dernier. Néanmoins, il faut prendre en ligne de compte le potentiel de ventes à l’export du Su-57, ce dernier sera significativement accru avec l’arrivée d’une version encore plus performante de l’appareil et ces ventes peuvent générer des rentrées financières pouvant être réinjectées dans le programme si le besoin s’en fait sentir. Au final, cette modernisation annoncée est surtout révélatrice d’une mutation plus profonde de la force aérienne russe et de la politique industrielle du pays: sachant que les appareils exploités vont l’être plus longtemps tout comme ils seront acquis en quantités moins importantes que leurs prédécesseurs: ces programmes de modernisations rapides et continus sont la réponse la plus adéquate pour préserver l’efficacité et le potentiel des appareils déployés.

Il ne reste plus qu’à attendre quatre ans pour voir plus en détails cette variante modernisée du Su-57 et enfin savoir si elle mérite réellement le sobriquet de « Super Sukhoï« .

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Le dossier relatif au T-50/Su-57 sera mis à jour sous peu avec la prise en compte des dernières informations publiées au sujet du programme.