[Actu] Modernisation du Su-30SM
Appareil régulièrement abordé dans nos pages, ce dernier faisant l’objet de livraisons fréquentes auprès de la force aérienne et de la marine russe: le Sukhoï Su-30SM est probablement un des appareils modernes les plus important au sein de la force aérienne russe (VKS).
Dérivé du Sukhoï Su-30MKI développé pour l’Inde, le Su-30SM est actuellement commandé/en service à raison de 116 exemplaires répartis à raison de 88 unités pour la force aérienne et à raison de 28 unités par l’aéronavale russe (MA-VMF); ces derniers devant servir à remplacer les Su-24M des MA-VMF. Les commandes en cours approchant de leur terme et malgré les déclarations d’intentions de passer de nouvelles commandes notamment pour les MA-VMF; l’avenir de l’appareil dans un proche futur devrait prendre une tournure pour le moins inattendue.

En effet, bien que disposant d’une cellule moderne et toujours en cours de production, le Su-30SM marque le pas face au Su-35S notamment au niveau de l’électronique embarquée (radar, suite d’auto-défense) et présente quelques lacunes au niveau des équipements embarqués (absence de DIRCM) difficiles à comprendre pour un appareil dont le rôle est d’être engagé en première ligne.
Résultant d’un tissus industriel complexe hérité de l’URSS, la production du Su-27 et de ses variantes contemporaines s’est retrouvée répartie entre plusieurs usines; chacune ayant ses spécificités au niveau des équipements embarqués et des moteurs employés tout comme il ne semble pas y avoir de plan d’ensemble cohérent permettant de disposer d’appareils similaires bien que remplissant des missions différentes. Cette multiplicité de producteurs complexifie fortement la chaîne logistique des unités et bien que ces dernières soient structurées de manière uniforme (un type d’appareil par escadrille), cet ensemble manque cruellement de rationalité et génère des coûts importants dont une partie pourraient être supprimés.

La Russie semble avoir pris conscience de ce problème et après une première annonce en 2018 du début des travaux de modernisation du Su-30SM au standard Su-30SM1; les travaux portant notamment sur le remplacement des équipements importés (cas du HUD provenant de chez Thalès) ainsi que sur l’amélioration des capacités de guerre électronique basée sur les RetEx syriens. Il semble maintenant que la Russie veut aller plus loin avec une modernisation plus profonde de l’appareil qui passerait par le montage de nouveaux réacteurs. Cette information a été confirmée par la publication de l’avis d’attribution 31908051559 daté du 30 juin 2019 et relatif à la « Mise en œuvre des travaux de conception et de développement sur le thème de la modernisation de l’avion Su-30SM avec l’installation du moteur d’avion AL-41F-1S »¹. Les travaux dont question étant fort logiquement attribués à l’usine IAPO d’Irkutsk qui est le constructeur du Su-30SM; cette dernière travaillant en collaboration avec le bureau de design Sukhoï (OKB Sukhoï) sur ce projet.
Répondant au nouveau standard Su-30SMD (le -D provenant plus que probablement de двигатель / Dvigatel / Réacteur); cette nouvelle variante, dont la dénomination n’a pas encore été officialisée, verrait les actuels réacteurs AL-31FP (Izd.96) être remplacés par les réacteurs employés par les Su-35S: les AL-41F1S (Izd.117S). Ces derniers offrant un gain de performance non-négligeable par rapport à leurs prédécesseurs ainsi qu’ils permettent d’envisager une standardisation des moteurs employés particulièrement bénéfique d’un point de vue logistique et donc économique.
On peut le constater dans le tableau ci-dessus, l’emploi des réacteurs du Su-35S permet d’offrir au Su-30SM un gain de poussée non-négligeable tout en ne nécessitant pas de gros travaux d’adaptation pour permettre son intégration au sein de la cellule du Su-30SM (différence en longueur minime et diamètre identique). Outre ce gain de poussée nominale qui améliorera significativement les performances de l’avion, les sources consultées tablent également sur une réduction de la consommation de carburant bien que cette dernière ne soit pas chiffrable pour l’instant; par conséquent nous laissons ce point en suspens en attendant de disposer de plus de détails sur le projet.

Outre les travaux de remplacement des réacteurs, il semble que la Russie pense plus loin puisque l’étendue de la modernisation telle qu’envisagée sera plus profonde et portera sur les équipements embarqués également. Basé sur le Su-30MKI dont l’origine est à trouver à la fin des années 1990, l’électronique de bord du Su-30SM est quasiment identique à celle de son prédécesseur indien, par conséquent, elle est loin d’être de première jeunesse et la Russie semble bien décidée à corriger ces faiblesses résultant d’une obsolescence tout à fait compréhensible à l’heure où les changements technologiques en matière d’avioniques sont de plus en plus rapides.
Les travaux envisagés porteraient sur (ceci étant à confirmer):
- Le remplacement du radar N011M Bars par le N035 Irbis-E
- Le remplacement de l’avionique avec une reconfiguration des deux cockpits sur base d’écrans LCD multifonctions MFI-35
- Le remplacement et l’installation d’une suite de guerre électronique identique à celle du Su-35S
Dis autrement, il s’agit ni plus ni moins que de transformer le Su-30SM en Su-35S biplace.

Outre la standardisation (à relativiser, les travaux sur la cellule du Su-35S font que ce dernier diffère fortement des autres versions du Flanker) entre les appareils, permettant d’employer le Su-30SM pour l’entraînement des pilotes du Su-35S, trois points intéressants apparaissent en filigrane dans ce projet:
- La standardisation entre Su-30SM et Su-35S permet d’entrevoir un schéma de formation des pilotes qui les feraient passer du Su-30SM au Su-35S et enfin au Su-57
- Le projet de modernisation donnerait du travail à IAPO au-delà de 2022, année où la fin de production du Su-30SM est annoncé
- La modernisation mainte fois retardée des Su-30MKI indiens sous le nom « Super 30 » serait basée sur la modernisation russe offrant à l’IAF un modèle facilement transposable à sa propre flotte qui est dans une situation similaire à la situation russe
La question du radar mérite que l’on s’y attarde un peu; en effet, le radar N011M Bars développé pour le Su-30MKI et réemployé sur le Su-30SM est un radar PESA dont le développement remonte à la fin des années 1990 et qui ne soutient plus la comparaison face au N035 Irbis-E du Su-35S et encore moins face à un radar AESA moderne. Le choix opéré par les russes de privilégier le N035 pour moderniser le Su-30SM peut se comprendre eu égard à des raisons économiques ainsi que logistique: la production de radars AESA N036 Byelka étant pour le moment priorisée pour équiper le Su-57. Par contre, il est intéressant de constater que le diamètre de l’antenne du N035 et celle du N036 sont strictement identiques (900 mm) ce qui indique que l’option à plus long terme d’équiper les Su-35S ainsi que les Su-30SM avec ce type de radar n’est pas écartée.

Il n’empêche que l’Inde dans le cadre de la modernisation de ses Su-30MKI n’attendra certainement pas plus longtemps (si tant est qu’elle réussisse enfin à prendre une décision sur ce programme) et équipera ses avions modernisés directement avec un radar AESA; à voir de quel modèle il s’agira. Pour le reste, la modernisation des Su-30SM au standard Su-30SMD permettra de rendre l’appareil de nouveau attractif sur le marché de l’export et ce que ce soit pour des appareils neufs et/ou pour moderniser les flottes déjà en service; pensons notamment aux Su-30MKA et Su-30MKM.
En l’état actuel des choses; la Russie a lancé les travaux, des prototypes seront mis au point sur base de cellules existantes (probablement parmi les premiers appareils de série qui servent pour les tests et les entraînements sur cet appareil) et une fois que les premiers résultats seront connus ainsi que les coûts induits par cette modernisation, des décisions fermes suivront. Ces dernières porteront sur les suites à donner à ce projet mais il semble qu’au vu des économies induites par cette standardisation, le gain de performances substantiel attendu ainsi que le potentiel de ce programme à l’exportation, les suites données seront certainement positives. La question principale restant, comme de coutume, les moyens financiers disponibles que la Russie souhaite (ou non) injecter dans ce programme. Il n’empêche qu’avec une flotte aérienne (VKS/MA VMF) reposant en bonne partie sur le Su-30SM, la Russie n’a guère le choix que de poursuivre avec ce programme; et ce sous peine d’être largement surclassée par les appareils en service à l’étranger d’ici quelques années.
Nous aurons donc largement l’occasion de revenir sur cette question sous peu.
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¹ Выполнение ОКР по теме «Модернизация самолета Су-30СМ с установкой авиадвигателя АЛ-41Ф-1С»
Un radar AESA n’est pas en soit un gage de performance, certains radar PESA sont plus performant que des radars AESA. Le principal avantage du radar AESA est sa fiabilité puisque la panne d’un élément n’a que peu d’impact sur le fonctionnement globale du radar contrairement à un radar PESA où la panne de l’émetteur met hors service le radar.
Taille de l’antenne, taille des composants et puissance offerte ainsi que meilleure résistance au brouillage font que l’AESA domine le marché des radars actuellement. Certes, il vaut mieux un « bon » PESA qu’un « mauvais » AESA mais ceci est valable dans tous les domaines 😉