[Actu] Les actualités du Sukhoï Su-34
Bombardier tactique le plus moderne en dotation au sein de l’armée de l’air russe, le Sukhoï Su-34 (Code OTAN: Fullback également parfois appelé Hellduck) est le premier avion post-1991 à avoir dépassé la barre symbolique des cent avions produits et admis au service. Ce dernier continue à rejoindre les rangs des forces aériennes russes à un rythme régulier mais l’actualité récente en rapport avec le Su-34 a été marquée par plusieurs annonces et certaines incertitudes sur lesquelles il est intéressant de s’attarder.
Le Su-34 ayant déjà été abordé in extenso sur ce blog, nous ne reviendrons pas en détails sur la technique (sauf certains aspects spécifiques) relatifs à cet appareil.
Les livraisons en cours
Trois Su-34 ont été livrés en date du 11 juin 2019 sur la base de Shagol (Oblast de Chelyabinsk, district militaire central) où ils ont rejoint la deuxième escadrille du 2 GBAP qui est en cours de rééquipement sur le Su-34 en remplacement des Su-24M2 employés tant qu’à présent.
Une première escadrille de cette base a déjà été rééquipée entre décembre 2017 et décembre 2018 (avions codés 01 à 12 Rouge) avant de débuter la transition de la deuxième escadrille (avions codés 20 à 25 Rouge) qui se poursuit donc avec les arrivées des 26, 27 et 28 Rouge. Il ne manque plus que trois avions pour disposer de deux escadrilles uniformisées sur le Su-34, ces appareils devant rejoindre la base de Shagol avant la fin de l’année et permettront d’officialiser la transition complète sur le Fullback. A noter que les premiers avions pour Shagol ont d’abord été livrés à Lipetsk où s’est déroulée la transformation des pilotes sur ce nouvel avion; ces derniers rejoignant la base par la suite une fois les formations achevées.

A la mi-juin 2019, la situation des escadrons équipés de Su-34 est donc la suivante:
- 47 OSAP de Voronezh: deux escadrilles
- 559 BAP de Morozovsk: trois escadrilles
- 277 BAP de Khurba: deux escadrilles
- 2 GBAP de Shagol: deux escadrilles
- 4 TsBP de Lipetsk: quelques appareils pour formations/entraînements
- 929 GLITs d’Akhtubinsk: quelques appareils pour formations/entraînements
On peut également voir qu’avec les dernières livraisons en date; ce sont pas moins de 130 Su-34 qui ont été produits (si on prend en ligne de compte les 7 prototypes et les avions de présérie). La fin de la production s’approche donc à grand pas, en l’absence de nouveau contrat pour un lot supplémentaire d’appareils. Il n’y a certes pas encore péril en la demeure vu les coutumes russes de passer les commandes au dernier moment cependant aucun signe positif allant en ce sens n’a été perçu récemment et c’est un peu inquiétant. Surtout au vu du nombre de Su-24M toujours actifs au sein des forces aériennes russes.
L’avenir de l’usine NAPO
L’absence de nouvelle commande pour le Su-34 trouve peut-être son origine dans les discussions relatives à l’avenir de l’usine NAPO (Novossibirsk); en effet, cette usine qui se concentre principalement sur la production du Su-34 (et auparavant du Su-24), travaille sur les modernisations de Su-24M (et variantes export), produit des éléments de fuselage pour le programme SSJ-100 ainsi qu’elle conçoit des composants pour les programmes PAK FA et Tu-160M2.
Au début du mois de mai 2019, les premières informations sont apparues dans la presse russe en rapport avec une réduction du personnel à l’usine NAPO eu égard à la diminution (voire la perte) de la production du Su-34 au sein de cette usine. Si au début cette information n’a pas été relayée par les principaux médias russes, elle a quand même entraîné une réaction du conseil municipal local qui souhaite recevoir des précisions quant à une éventuelle délocalisation de la production du Su-34 et la concentration des capacités de production de l’usine sur le SSJ-100.

Bien que UAC Russia ait démenti la délocalisation de la production du Su-34, aucun détail n’a été donné sur la charge de travail future de l’usine ainsi que son avenir au sein du holding; ce qui est en contraste flagrant avec les autres principales usines du groupe. On ne peut donc pas encore tirer de conclusion claire sur le devenir de la production des Su-34 mais il est clair qu’en l’état actuel des choses les perspectives sont particulièrement floues et les responsables ne souhaitent pas communiquer sur la question; ce qui n’est guère encourageant.
Modification à l’équipement embarqué
L’engagement du Su-34 en Syrie a permis à l’armée russe d’en retirer certaines leçons; les deux principales résidant dans l’emploi de munitions guidées en vue d’améliorer la précision de tir ainsi que la nécessité de déployer des équipements de brouillage plus puissants pour contrer les menaces du type SAM.
Disposant déjà de base du système L175V Khibiny monté en interne ainsi que sur des pods externes complémentaires positionnés aux extrémités des ailes (et montés selon les besoins opérationnels), ce dernier a été remplacé par une version modernisée: le L265 Khibiny-M monté en série depuis 2011. Sur base des photos disponibles sur Internet, on peut constater que de plus en plus d’appareils emportent systématiquement les pods Khibiny implantés aux extrémités d’ailes et contrairement aux premiers avions, les derniers avions sont sortis d’usine avec cet équipement directement installé.

Une nouvelle intéressante est tombée récemment avec l’annonce de l’équipement de trente appareils de la région de Voronezh (donc en priorité le 47 OSAP de Voronezh) avec le système Khibiny-2; si cette dénomination n’est pas des plus précise vu les variantes existantes de Khibiny, il y a fort à parier qu’il s’agisse en réalité du retrofit des appareils du 47 OSAP (parmi les premiers produits) avec le système L265 Khibiny-M en remplacement du L175V.
Le montage d’un équipement de brouillage plus puissant s’inscrit donc dans une logique de protection accrue des appareils mais il est quand même curieux de voir que les Su-34, malgré le profil des missions effectuées, sont toujours dépourvues d’un système d’alerte d’approche missile (MAWS) performant.
Et demain?
On l’a vu ci-dessus, le programme Su-34 traverse une période d’incertitudes: entre la fin de la commande en cours, l’absence (pour l’instant?) de nouvelle(s) commande(s), le sort toujours indéterminé de la chaîne de production à Novossibirsk et l’absence apparente de commandes à l’export (contrairement à ce qui fut plusieurs fois annoncé); on ne peut pas dire que l’avenir s’annonce radieux pour le Su-34.

De manière assez intéressante, alors qu’il y a quelques mois les sources russes faisaient mention du projet de modernisation au standard Su-34M, ce dernier semble avoir complètement disparu de l’horizon. On ne peut pas pour autant déjà en tirer une conclusion, mais les silences en Russie en disent en général plus que les annonces dans la presse et en la matière, les silences ne prêtent pas à l’optimisme. Il est vrai que la modernisation en cours de préparation du Su-30SM avec des équipements récupérés sur le Su-35S (moteurs et avionique) font que ce dernier qui était déjà en « concurrence » avec le Su-34 va voir son intérêt augmenter vu l’accroissement des performances attendues. La sélection du Su-30SM par les MA-VMF (l’aéronavale russe) pour remplacer les Su-24M et alors que le Su-34 était un candidat idéal fait que ce dernier a perdu une partie de son intérêt face au premier; il ne reste donc que les forces aériennes russes comme client pour le Su-34 et malgré certaines marques d’intérêt à l’export, aucune commande ferme ne s’est concrétisée.
Doit-on pour autant en conclure que la fin de production du Su-34 est en vue et que le programme Su-34M bénéficie d’un enterrement de première classe? Pas nécessairement, les discussions en cours sur un (tant qu’à présent) hypothétique déplacement de la chaîne de production à l’usine KnAAZ indique que l’avenir du Su-34 est garanti à condition que les décisions soient prises rapidement et ce que ce soit un maintien de la production chez NAPO ou un transfert chez KnAAZ.

Même si la décision du transfert éventuel peut laisser perplexe de prime abord, elle est néanmoins cohérente avec les annonces récentes faites par Anatoliy Serdyukov qui souhaite réformer en profondeur la structure des usines et bureaux d’études indépendants hérités de l’époque soviétique en rationalisant l’ensemble via une concentration des moyens de production au sein de quelques usines modernes. Si on suit cette logique, il serait cohérent de voir l’usine KnAAZ récupérer la production du Su-34 (malgré le fait que la ligne de montage sur place doit être créée de toute pièce); cette dernière concentrerait alors la production des Su-34, Su-35S et Su-57.
En attendant d’avoir des réponses claires et précises sur l’avenir du Su-34, il ne reste qu’à attendre les deux prochains salons importants en Russie que sont Armiya 2019 (25/06 – 30/06) et MAKS 2019 (27/08 – 01/09) où l’on peut espérer obtenir plus d’informations sur l’avenir du bombardier tactique russe.