[Actu] Le système anti-aérien Tor : actualités et développements futurs
Apparu au sein des forces soviétiques durant la seconde moitié des années 1980, le système anti-aérien 9K330 Tor va connaître toute une série d’évolutions au sein de la Fédération de Russie. Mis en service il y a seulement quelques années, le Tor-M2 est la dernière variante principale du système et devrait posséder un potentiel d’évolutions et d’exportations plutôt important, ce qui est d’ailleurs souligné dans deux interviews récentes de Viktor Yeletsky (concepteur en chef de la société Vympel) et Fanil Ziyatdinov (directeur général de l’Usine électromécanique d’Izhevsk « Koupol« ).
Quelques informations de base
Avant de s’attarder sur les points essentiels de ces deux interviews, commençons d’abord par décrire brièvement (un dossier complet relatif à ce système sera rédigé sur le blog dans le futur) les caractéristiques et rôles de ce système.

Entré en service au sein des SV à partir de 2016, le 9K332 Tor-M2 (bien que la désignation 9K331M ait également été observée à son sujet), basé sur un châssis chenillé (pour le modèle de base) GM-5955, est donc un système anti-aérien de courte portée devant couvrir les troupes des menaces aériennes auxquelles elles peuvent être confrontées: des avions volant à basse altitude, des hélicoptères, des drones et -potentiellement- des missiles de croisières. Le système peut également servir à la protection rapprochée de sites sensibles et/ou stratégiques.
Pour cela, le Tor-M2 dispose de 16 missiles 9M338(K), aussi désigné RZV-MD, contenus dans des silos (là où les anciennes variantes du Tor emportent 8 missile 9M330 ou 9M331). Par rapport à ces derniers, le 9M338 possède un gabarit moins encombrant ainsi que par la présence de dérives de plus petites dimensions.
Caractéristiques du 9M338/RZV-MD:
- Poids du missile : 163 Kg
- Longueur du missile : 2,94 m
- Diamètre du missile (hors gouvernes): 24 cm
- Vitesse maximale du missile: 1000 m/s
- Portée d’engagement maximale: 16 Km
- Altitude d’engagement maximale: 10 Km

Pour offrir une meilleure protection aux colonnes en mouvement, le Tor-M2 (ainsi que le Tor-M2U) est capable de faire feu en marche à une vitesse maximale de 25 Km/h, ce qui offre une réactivité plus importante en cas de menace impromptue.
La détection, l’identification ainsi que l’acquisition des cibles se fait au moyen du système Scrum Half, composé de deux radars: premièrement, le radar de détection principale à antenne mobile situé sur le toit à l’arrière et assurant une détection des cibles jusqu’à 32 Km tout en pouvant localiser jusqu’à 48 cibles, d’en suivre 10 parmi les plus importantes et d’en engager 4. Pour fournir aux missiles les informations concernant la position de la cible jusqu’à l’impact, un radar d’engagement (de type PESA) est disponible, situé à l’avant de la tourelle; en cas d’environnement ECM intense, cette tâche peut être confiée à un système électro-optique situé au côté du radar PESA.

Les points essentiels des interviews
Les deux interviews citées précédemment permettent de faire ressortir plusieurs informations ainsi que les projets de développement envisagés relatifs au Tor-M2.
On y apprend notamment que le Tor-M2 aurait été employé lors de situations de combat réelles. Bien qu’on puisse très rapidement penser à la Syrie, il faut toutefois apporter une nuance importante à cette information: le modèle déployé sur la base aérienne de Khmeimim n’est pas un Tor-M2, mais un Tor-M2U (parfois désigné aussi comme Tor-M1-2U par certaines sources), plus ancien et conservant les missiles 9M331.

Cependant, ce dernier, dont le déploiement a été confirmé aux alentours du 20-21 avril 2018, a effectivement pris part aux combats en participant à l’interception des différentes vagues de drones envoyées par les groupes armés syriens de la poche d’Idlib, ce qui a été confirmé avec les restes d’un missile employé dans l’une de ces interceptions, identifié comme étant un 9M331.

A ce propos, il est d’ailleurs intéressant de noter que le Tor-M2U aurait été fort utile pour la protection de la base aérienne russe : en effet, selon Viktor Murakhovsky, le Tor-M2U serait responsable de près de 80% des drones abattus durant la période avril-octobre 2018, contre seulement 19% pour le Pantsir-S. Alors que ce dernier semble depuis avoir subi quelques modifications pour pouvoir lutter avec efficacité contre les drones de petites tailles tout en intégrant ces retours d’expériences dans le cadre de la mise au point d’une version modernisée du Pantsir (le Pantsir-SM), le Tor-M2U a donc pu prouver son efficacité face à ce genre de menace, et nul doute que le Tor-M2, plus moderne et dont l’armement a été amélioré, soit tout autant sinon plus efficace.
Concernant les développements futurs qui sont ou pourraient être envisagés, ce sont trois pistes qui sont mentionnés.
Tout d’abord, une version maritime de ce système est en développement pour les unités navales, avec un prototype qui a réalisé une campagne de test. En réalité, il existe déjà une version maritime du Tor, désigné sous la dénomination 3K95 Kinzhal qui équipe notamment le porte-aéronefs du projet 1143.5 (l’Admiral Kuznetsov), les croiseurs des projets 1144 et 1144.2 (excepté le Kirov), les destroyers du projet 1155 ainsi que les « patrouilleurs lourds » (classés selon l’OTAN comme étant des frégates) du projet 11540. Mis en oeuvre avec le radar 3R95 permettant d’acquérir une cible jusqu’à 45 Km avec l’antenne principale en bande G (15 Km avec l’antenne secondaire en bande H), les missiles 9M330-2 déployés peuvent alors intercepter une cible à une distance de 1,5 à 12 Km et à une altitude comprise entre 10 m et 6 000 m.

Il est probable que ce passage de l’interview fasse référence au Tor-M2KM (une version modulaire du Tor-M2U pouvant être placé sur n’importe quelle surface suffisamment grande), qui a notamment été testé sur l’héliport de la frégate du projet 11356 Admiral Grigorovich en octobre 2016, avec notamment une séquence de tir réalisé avec un missile 9M331.

Ce test a ainsi permis de valider la possibilité de pouvoir embarquer ce système à bord d’un navire. Et si l’aspect « artisanal » de l’installation ainsi que l’impossibilité induite de pouvoir faire atterrir et décoller un hélicoptère dans la configuration testée peuvent mettre en doute l’intérêt du projet, le projet semble tout de même se diriger vers une intégration plus profonde du système au sein des futurs bâtiments de combat si on se base sur une illustration en provenance du salon IMDS-2013.

Toutefois, le 3K95 est un système plutôt lourd qui ne peut être monté que sur des unités navales au tonnage suffisamment important (si le tonnage minimum du navire doit être de 800 tonnes, un navire du projet 11540 -le plus léger des quatre navires cités plus haut- pèse près de 4400 tonnes à pleine charge…) et le Tor-M2KM dans sa configuration finale devrait probablement hériter de cette caractéristique: les potentielles unités navales qui pourraient l’accueillir aisément ne sont pas légions et sont encore loin d’être mises en chantier… Sans compter le temps de développement et de maturation de ce système, il ne risque alors pas d’apparaître de sitôt. Par ailleurs, il serait plus intéressant de pouvoir embarquer le missile 9M338K en lieu et place du 9M331 du fait de son encombrement moindre ainsi que de l’augmentation de l’enveloppe de tir et de la probabilité d’impact.
Ensuite, plusieurs pistes de développements futurs (en fait « une vingtaine » selon Fanil Ziyatdinov) sont brièvement mentionnées dans son interview, avec notamment un renforcement de la résistance aux brouillages et aux systèmes de guerres électroniques ainsi qu’une amélioration des capacités du Tor à détecter et détruire les futures cibles qu’ils seraient amener à rencontrer.
L’un de ces développements qui semble porté en priorité consiste en des modifications visant à « robotiser » le Tor. Si ce terme ne veut pas dire grand chose en soi, il s’agirait in fine d’augmenter l’automatisation du système pour le rendre plus réactif et donc d’améliorer sa capacité à intercepter une cible.
La dernière piste de développement dont il est fait mention concernerait les missiles eux-mêmes: il pourrait être envisagé si besoin d’installer un autodirecteur infrarouge sur les missiles 9M338K de manière à ce que le missile puisse se diriger sur sa cible indépendamment des informations obtenues par le radar du lanceur. S’il ne semble pas que des travaux soient menés en ce sens, Viktor Yeletsky indique toutefois qu’une telle modification a été prise en compte dans le développement du missile, ce qui rallongerai le missile de 15 à 20 cm tout en l’alourdissant légèrement, et pourrait être installée si la demande s’en faisait sentir.
Une autre variante du Tor-M2 est également mentionnée dans ces interviews: le Tor-M2DT, dévoilé officiellement lors du défilé militaire de la Victoire du 9 mai 2017 et destiné initialement à opérer en environnements arctiques. Pour cela, le système est désormais installé sur une double plate-forme chenillée DT-30 pour permettre une meilleure tenue en tout-terrain grâce à une pression au sol réduite; hormis cela, le Tor-M2DT est similaire en tout point au Tor-M2 et peut donc employer les missiles 9M338K. A l’heure actuelle, 12 lanceurs (ce qui représenterait un lot divisionnaire) ont été livrés à l’automne dernier au sein de la Flotte du Nord (plus précisément au 726ème Centre de formation anti-aérien) et sont actuellement employés pour la formation du personnel.

Bien que le système ait été pensé avant tout pour les milieux polaires, il semblerait également que le Tor-M2DT puisse servir dans d’autres types d’environnements -sont notamment cités les milieux désertiques et tropicaux-, la capacité tout-terrain améliorée pouvant alors s’avérer des plus utile. Derrière cette annonce se cache de fait la promotion du système à une plus grande diversité de clients étrangers potentiellement intéressés par le système Tor, en particulier au Moyen-Orient.
Pour finir et tout en restant dans le domaine des exportations, il a également été fait mention de la livraison d’un lot « important » de système Tor à un client étranger à la fin 2018. Si le nombre d’engin livré ainsi que le pays destinataire n’ont pas été précisés, on peut signaler que la Biélorussie a reçu un lot supplémentaire (le cinquième selon certaines sources) de Tor-M2K, basé cette fois-ci sur une plate-forme à roue 6×6 MZKT-6922 biélorusse et employant les missiles 9M331, à la fin novembre 2018.

Conclusion
A travers les points importants de ces deux interviews, il est possible de voir que le système anti-aérien Tor (toutes versions confondues, mais plus particulièrement les Tor-M2U et Tor-M2 ainsi que leurs variantes), bien que nettement moins médiatisé que ses congénères, Pantsir-S en tête, connait cependant un développement dynamique, que ce soit à travers de nouveaux programmes de modernisation ou par le développement de nouvelles variantes spécialisées.
Alors que la première version du Tor est entrée en service à la fin de l’URSS il y a un peu plus de 30 ans, les systèmes Tor-M2 sont toujours en cours de livraison pour la modernisation de la défense anti-aérienne terrestre russe, avec près de trois lots livrés dans la période 2017-2018 (sans compter les livraisons de Tor-M2U et Tor-M2DT).
Par ailleurs, son emploi en Syrie dans le cadre de la protection de la base de Khmeimim devrait tendre à renforcer l’attrait du Tor au sein des forces armées russes (là où le Pantsir-S, pourtant spécialisé dans cette tâche, n’a semble-t-il pas été à la hauteur, nécessitant alors des correctifs à court terme ainsi que la prise en compte des RetEx pour le développement du Pantsir-SM) et potentiellement à l’export (bien que les exportations de système Tor soient antérieurs à cette intervention).
Nous aurons donc l’occasion de revenir in extenso sur ce système dans le futur à l’adresse habituelle.