[Actu] Bilan 2018: les forces navales (2ème partie)
Deuxième volet de notre bilan de l’année 2018, la partie relative à la Marine Russe (VMF). Cette partie du bilan portera principalement sur les navires principaux de la Marine Russe; certaines unités auxiliaires étant volontairement laissées de côté devant la difficulté d’assurer un suivi complet de certains projets.
Navires réceptionnés par la Marine Russe en 2018
Le nombre de navires mis en service par la Marine russe en 2018 a atteint un record tout particulier: pour la première fois depuis de très longues années, le plan de production annuel a été respecté. Certes, ceci peut paraître anecdotique (voire amusant) surtout face à d’autres marines qui produisent en quantités beaucoup plus importantes et à des vitesses supérieures mais à l’échelle de la Russie et après de nombreuses années d’incapacité chronique à remplir les objectifs préétablis: ce fait mérite largement d’être mis en valeur.
En vue de faciliter la lecture du bilan nous allons passer en revue les navires concernés en les abordant par classes. Il est à noter que nous ne prenons en ligne de compte que les navires admis au service actif et non ceux dont le lancement est réalisé mais les tests pas encore achevés.
Navire de débarquement et transport classe Ivan Gren (Izd.11711)
Repris sous le type de BDK (Большие десантные корабли / navire de transport et débarquement), l’Ivan Gren est la tête de série de la classe éponyme qui a connu un développement tortueux et complexe. A l’origine prévu pour être des navires destinés à la navigation sur rivières et canaux, ils seront lourdement modifiés pour devenir des navires océaniques.
Construit par le chantier naval Yantar de Kaliningrad, la classe Ivan Gren se limitera finalement à deux unités vu la très longue gestation du projet (14 ans se sont écoulés entre la mise sur cale et l’admission au service), une capacité de transport jugée insuffisante ainsi qu’une tenue à la mer du navire qui ne semble pas être satisfaisante. Le deuxième navire de cette série rejoindra – en théorie – la Marine Russe en 2019; les quatre autres navires prévus (série totale de six unités) ne seront pas produits.

A noter que la Marine Russe avait initialement prévu de créer une nouvelle classe de navire du type BDK pour remplacer sa flotte plus que vieillissante, il semble maintenant que l’on s’oriente vers un navire dérivé de la classe Ivan Gren pour continuer le remplacement de la flotte de transport et débarquement. Bref, les unités prévues mais non-construites pourraient finalement l’être mais dans une forme modifiée. La logique russe dans toute sa splendeur, en somme.
Navire de renseignement classe Yuri Ivanov (Izd.18280)
La classe de navire de renseignement Yuri Ivanov (Izd.18280) qui sera constituée à terme de quatre navires, a vu l’arrivée du deuxième bâtiment en date du 25 juin 2018 au sein de la Flotte de la Mer Noire.

Répondant au nom d’Ivan Khurs, ce navire d’un déplacement à pleine charge de 4.000 tonnes dont la mission principale est le renseignement et la collecte d’informations via l’emploi du système Podzagolovok-23 qui gère l’ensemble des capteurs embarqués.
Corvette classe Steregushchiy (Izd.20380)
Les corvettes de la classe Steregushchiy (Izd.20380) sont l’exemple type de la complexité présente dans certains designs de navires produits en Russie; au départ d’une classe de bâtiments, pas moins de trois sous-versions différentes existent.
L’historique complexe de cette série de corvettes d’un déplacement maximal de 2.220 tonnes sera abordé ultérieurement mais avec six navires en service et encore quatre en commande qui sont produites au sein des chantiers navals Severnaya Verf et Chantier naval de l’Amour (ASZ), il s’agit d’un navire important pour la flotte russe vu le nombre acquis et les projets tablent sur l’acquisition d’environ 25 bâtiments de ce type.

Mise sur cale en avril 2012, la corvette Gromkiy est la sixième unité de cette série ainsi que la deuxième produite par le chantier naval de l’Amour; sa mise en service au sein de la Flotte du Pacifique est intervenue en date du 25 décembre 2018.
Corvettes classe Buyan-M (Izd.21631)
Bien que classées sous le nom de corvettes, les navires de la classe Buyan-M (Izd.21631) sont repris par les russes comme étant des « petits navires d’artillerie » (малые ракетные корабли) ce qui correspond mieux à leur taille et leur faible déplacement (maximum 950 tonnes).

Conçus pour assurer des missions offensives et défensives à proximité du littoral et aptes à employer les canaux russes, les Buyan-M n’en disposent pas moins d’un armement conséquent avec la présence de 2 x 4 cellules 3S14 UKSK permettant de déployer des missiles Oniks ou Kalibr. La Marine russe dispose déjà de huit Buyan-M actives au sein de la flottille de la Caspienne et de la Flotte de la Baltique mais l’année écoulée a vu l’arrivée de deux Buyan-M admises au service au sein de la Flotte de la Mer Noire.

Produites par le chantier naval Zelenodolsk, le Vyshniy Volochyok a été admis au service le 1er juin 2018 tandis que l’Orekhovo-Zuyevo a rejoint la Marine Russe en date du 10 décembre 2018.
Navire de patrouille (Izd.22160)
Navires de patrouille produits au sein des chantiers navals Zelenodolsk et Zaliv; cette classe n’a pas reçu de nom de baptême si ce n’est son code projet (Izd.22160) et il y a actuellement six navires commandés et dont les mises sur cales se sont étalées entre 2014 et 2018.
D’un déplacement standard de 1.500 tonnes, ces navires ne disposent pas de cellules verticales mais il est prévu que des missiles Kalibr installés en containers puissent être embarqués, le système de contrôle de tir embarqué étant apte à assurer l’acquisition et le guidage de ce type de missiles.

Destiné en priorité, comme son nom l’indique, à assurer des missions côtières et en dans les zones proches, la première unité de cette classe qui répond au nom de Vasily Bykov a été admise au service au sein de la Flotte de la Mer Noire en date du 20 décembre 2018.
Frégate classe Admiral Gorshkov (Izd.22350)
Certainement l’admission au service la plus emblématique pour la Marine Russe cette année; l’arrivée de la première frégate Admiral Gorshkov (Izd.22350) marque un tournant significatif dans le renouvellement de la Marine Russe.
Mise sur cale il y a 12 ans, ayant connu un développement difficile et retardé par des problèmes techniques et bien évidemment financier: il s’agit ni plus ni moins que du premier navire moderne de premier rang et de tonnage important (déplacement standard de 4.500 tonnes) mis en service par la Marine Russe depuis sa création en 1992.

Cette classe de navire a été frappée de plein fouet par la crise qui a secoué la Russie durant le début des années 1990 malgré tout, elle présente un design moderne qui tranche nettement avec les créations soviétiques et russes antérieures. L’armement principal de cette classe de bâtiment actuellement commandée à raison de quatre exemplaires est constitué de 2 x 8 cellules UKSK 3S14 pouvant emporter des missiles Oniks et Kalibr, d’un canon A-192M de 130 mm, ainsi qu’un système anti-aérien Poliment-Redut. La mise au point et le développement de ce dernier ont été des plus difficiles mais finalement les ingénieurs russes ont réussi à surpasser toutes les difficultés techniques rencontrées.

Pour illustrer de manière concise la genèse de cette classe de navires, signalons que malgré le lancement en date du 29/10/2010 de l’Admiral Gorshkov son admission au service au sein de la Flotte du Nord n’aura lieu que le 28/07/2018! A noter que la deuxième frégate de cette classe, l’Admiral Kasatonov rejoindra la même flotte dans le courant de l’année 2019; une commande de frégates supplémentaires étant planifiée pour cette année.
Corvette classe Karakurt (Izd.22800)
Bien que parfois classées dans la catégorie des corvettes, les navires de la classe Karakurt (Izd.22800) sont en réalité pour les russes des « petits navires d’artillerie » (малые ракетные корабли) d’un déplacement maximal limité à 800 tonnes mais disposant également de cellules universelles 3S14 UKSK.
Chose assez intéressante et presque nouvelle en Russie, la construction de cette classe de navires a été répartie entre plusieurs chantiers navals et ce en vue d’accélérer leur acquisition avec pas moins de dix navires mis sur cales depuis 2015 et des contrats en cours (ou à venir) portant sur huit navires supplémentaires à livrer d’ici à 2026.

La tête de série de cette classe, portant initialement le nom de Uragan a été rebaptisée Mytishchi peu avant sa livraison par le chantier naval Pella à la flotte de la Baltique en date du 17 décembre 2018.
En conclusion
L’élément cardinal de ce bilan réside dans le point déjà soulevé au préalable que pour le plan de production établi pour l’année 2018 a été respecté et complété à 100%; la construction navale russe souvent décriée pour sa flagrante inefficacité commence enfin (!) à sortir du creux de la vague, ce dernier ayant duré grosso-modo 20 ans.
Si la construction sous-marine s’en est « un peu » mieux sortie les vingt dernières années que la construction de navire de surface, il est intéressant de constater que l’année 2018 n’a pas vu le moindre sous-marin rejoindre les rangs de l’armée. Cependant selon l’adage qui dit que l’on recule pour mieux sauter, la Marine Russe va faire de même cette année puisque 2019 va voir l’arrivée au service de:
- Un SSGN Izd.885M Yasen-M (le Kazan)
- Un SNLE Izd.955A Boreï-A (le Knyaz Vladimir)
- Un sous-marin diesel d’attaque Izd.677 Lada (le Kronshtadt)
- Un sous-marin nucléaire « pour missions spéciales » Izd.09852 (le Belgorod) basé sur un SSGN Izd.949A Antey lourdement modifié
A noter qu’il s’agit d’ailleurs de l’arrivée des versions « modernisées » en ce qui concerne les Yasen-M et le Boreï-A; ces derniers annonçant l’arrivée à court-terme d’unités supplémentaires de ces deux types importants en matière de renouvellement de la sous-marinade russe.

Plusieurs faits intéressants sont à soulever pour l’année 2019; en ce qui concerne les frégates Izd.11356 Admiral Grigorovitch il semble que ce soit la fin définitive de cette frégate de « substitution » mise au point en urgence pour pallier les retards des frégates Izd.22350 Admiral Gorshkov: la revente à l’Inde de deux des trois bâtiments stockés inachevés (pour les traditionnelles questions de turbines à gaz ukrainiennes) au chantier naval Yantar laisse à penser que les décideurs de la Marine Russe se décident enfin à faire la transition de leur flotte vers des designs de navires standardisés et produits en série: la commande envisagée pour 2019 de deux (voire quatre) frégates Izd.22350 supplémentaires va en ce sens. Outre le fait que les travaux de design des frégates « lourdes » Izd.22350M a été lancé, les ingénieurs travaillent également dans l’accroissement des capacités offensives des Izd.22350 avec ajout de missiles Oniks/Kalibr supplémentaires sur les frégates existantes et à venir.
La modernisation des grands chantiers navals se poursuit activement et les changements sont pour le moins impressionnants dans certains cas (le chantier naval Zvezda pour ne pas le citer), avec la création d’installations modernes combiné à la production de designs standardisés: il y a fort à parier que la construction navale russe va enfin commencer à rattraper son retard en la matière. Il est illusoire de croire que les maux (endémiques) de la Russie vont être résolus en une fois mais la situation évolue et pour le fois c’est d’une manière positive: il est important de le souligner. Le choix fait par les décideurs de la Marine de favoriser l’acquisition supplémentaire de SNLE Izd.955A Boreï-A au lieu d’attendre une variante modifiée (le Boreï-B) part également dans cette philosophie: standardiser et acquérir des grandes séries au lieu de se retrouver avec de multiples sous-séries qui compliquent d’autant la logistique locale.
Il reste maintenant à voir comment les choses vont évoluer en 2019 et si cette dynamique positive va se maintenir ou si la Russie va retomber dans ses travers coutumiers en saupoudrant tellement les commandes et les investissements qu’elle n’obtiendra aucun résultat tangible avant de longues années. La prudence est de mise et l’année sera intéressante en la matière; notamment au niveau de la Marine de surface avec le lancement (ou non) de nouvelles commandes pour des frégates supplémentaires.
Nous aurons pleinement l’occasion de revenir sur la question.