[Analyse] Quels projets pour l’aviation navale russe?
Dans le cadre d’une longue interview accordée au journal Tass (Tass.ru) ainsi qu’au journal de l’armée russe (redstar.ru), le patron de l’aviation navale russe lève un premier coin de voile sur les projets en cours ainsi que ceux à plus long-terme concernant cette branche de la Marine Russe.
Si il est plus que probable que cette interview tombe de manière fort opportune peu après la publication d’un article très critique (et en bonne partie fondé) sur l’état actuel et les faiblesses de l’aviation navale russe; elle est symptomatique de la volonté russe à tenter de « rassurer » (principalement sur la scène nationale) tout en mettant en avant les projets en cours et à venir qui doivent permettre de gommer les déficiences actuelles de cette armée.

Bien que nous ferons abstraction du contexte politique général et des motivations sous-jacente; il est évident que l’aviation navale russe connaît depuis plusieurs années un renouvellement non-négligeable de ses équipements et malgré tout elle présente des trous capacitaires qui nécessitent d’être traités rapidement si elle veut être en mesure d’assurer les missions qui sont les siennes. Les deux articles dont question si ils se recoupent largement permettent de voir un peu plus clair sur les projets et les intentions ou tout du moins sur une partie de ceux-ci, de plus certains silences dans ces articles (volontaires ou non) méritent qu’on se penche plus en détails dessus.
Décryptage.
L’Aviation Navale Russe: contextualisation
La Marine Russe est divisée en plusieurs flottes (ou flottilles) qui correspondent à des zones d’action bien précises. On dénombre les flottes et flottilles suivantes:
- Flotte de la Baltique
- Flotte de la Mer Noire
- Flotte du Nord
- Flotte du Pacifique
- Flottille de la Caspienne
Ces flottes relèvent toutes d’un commandement général basé à Saint-Pétersbourg qui travaille avec des chaînes de commandement régionales pour chacune des flottes mentionnées. En outre, il existe également une aviation navale relevant de la Marine Russe (VMF) qui – comme son nom l’indique – gère l’ensemble des moyens aériens à disposition pour la Marine. Connue sous le nom Aviation Navale de la Marine résumé en MA-VMF (МА ВМФ / Морская авиация Военно-морского флота). Les principales missions de celle-ci sont:
- Assurer la défense des bases de la Marine,
- Assurer la protection de la flotte en mer,
- Assurer la défense des espaces maritimes russes,
- Assurer la lutte anti navires de surface et anti sous-marine
- Assurer la protection des installations stratégiques implantées dans leur zone d’action
La Marine Russe et son aéronavale contemporaine sont les descendantes directes de la Marine Soviétique dont elles ont pris le relais en 1991. Vu les changements politiques et économiques connus par la Russie: la Marine Russe contemporaine n’est que l’ombre de ce qu’elle fut à l’époque de la guerre froide et il en va de même au sujet de l’aviation navale russe. Une partie des importants moyens à disposition ont soit été retirés du service, soit reversés à la Force Aérienne (cas des Tu-22M3), soit placés en réserve en l’attente de jours meilleurs. Les MA-VMF sont sous le commandement depuis 2010 du Major-Général Igor Sergeyevich Kozhin (Игорь Сергеевич Кожин).

Les moyens à disposition de l’aéronavale russe sont un mélange de matériels neufs, de matériels anciens modernisés et de matériels anciens en état d’origine: nous ne revenons pas sur la situation des années 1990, mais cette branche de l’armée n’a pas été épargnée par les sévères restrictions de l’époque et la situation matérielle actuelle découle en partie de cette décennie perdue; néanmoins il faut remettre l’église au milieu du village en rappelant que face aux forces aériennes (VVS/VKS), la Marine a toujours disposé de budgets moins importants ce qui limite donc d’autant la capacité de modernisation et renouvellement de celle-ci.
Toutes les flottes de la Marine Russe ne disposent pas d’une aviation navale rattachée; en effet, selon la zone d’action (et donc les besoins qui en découlent) certaines flottes sont « couvertes » soit par les forces aériennes soit par des moyens de défense terrestres.

Actuellement, on dénombre quatre composantes qui disposent d’un total de seize bases au sein de l’aviation navale:
- L’aviation navale de la Flotte du Nord
- L’aviation navale de la Flotte du Pacifique
- L’aviation navale de la Flotte de la Baltique
- L’aviation navale de la Flotte de la Mer Noire
En outre, selon la flotte et les besoins à couvrir, les équipements à disposition (et par truchement les missions exécutables) ne sont pas les mêmes. Pour le dire autrement et à titre d’exemple: la Flotte de la Mer Noire ne nécessite pas d’appareils de lutte anti-sous-marine à long rayon d’action, à l’inverse la Flotte du Pacifique n’a que faire d’un hydravion tel que le Be-12.

Même si le renouvellement du parc à disposition au sein de l’aviation navale russe n’a été que tardivement lancé, les premiers programmes commencent à porter leurs fruits bien qu’il reste encore de grosses lacunes à combler. Néanmoins, certaines perspectives abordées dans ces articles et confirmées par d’autres sources peuvent prêter à un certain enthousiasme: c’est le cas notamment de la poursuite de l’acquisition de Su-30SM pour remplacer les Su-24M. Nous y reviendrons.

A l’aube des années 2020, la situation de l’aviation navale russe est mitigée en ce sens qu’elle dispose encore d’un parc globalement vieux, qu’elle présente des lacunes dans certains domaines (absence d’AWACS, capacité restreinte de frappes anti-navires de surface, parc d’hélicoptères embarqués vieillissant et flotte d’intercepteurs en fin de vie) cependant le renouvellement est entamé et les nouvelles performances offertes par les appareils modernisés et/ou neufs sont sans commune mesure avec celles de leurs prédécesseurs.

Il est parfaitement clair à la lecture de cet interview que ces problématiques sont connues et il semble que l’évolution telle qu’envisagée devrait permettre de traiter une grande partie des obsolescences connues, des manquements constatés ainsi que de permettre de disposer de plate-formes modernes et polyvalentes enfin, la rationalisation du parc à disposition fera le plus grand bien à la chaîne logistique très complexe induite par la présence d’un parc aussi hétéroclite.
Avant d’aller plus loin dans la lecture et afin de simplifier la lecture; la flotte de transport en service au sein de l’aviation navale russe n’est pas abordée; son remplacement et sa composition n’étant pas prioritaire dans les projets discutés dans l’interview du patron des MA-VMF.
Les points intéressants de l’interview
Dès le départ, on peut voir qu’il y a une planification des projets avec une première étape qui couvre la période allant jusque 2021, une deuxième étape qui couvre la période 2021-2030 et une troisième étape qui couvre la période allant de 2030 à 2050. Certes ceci semble un horizon extrêmement lointain donc il est plus pertinent de se focaliser sur les deux premières étapes qui couvrent la période allant de maintenant à 2030.
Les trois étapes peuvent néanmoins se résumer de la manière suivante:
- 2018-2021: Modernisations des appareils existants
- 2021-2030: Arrivée des premiers designs modernes
- 2030-2050: Poursuite et développement des technologies admises au service
Procédons donc par ordre;
2018-2021: La première étape
Pour la période allant de maintenant jusqu’à 2021, rien de bien exceptionnel: l’objectif est clairement d’assurer et/ou de poursuivre la modernisation de la flotte contemporaine. Les appareils suivants sont déjà concernés:
- Ka-27PL et Ka-27 PS qui passent au standard Ka-27M
- IL-38 qui passent au standard IL-38N
- Tu-142MK/MZ dont la modernisation est en cours
Dans le cas des Ka-27M, une grosse partie de la flotte est déjà concernée (46 appareils traités et/ou contractés) cependant il se confirme que cette modernisation sera poursuivie avec l’intégration d’éléments techniques supplémentaires sans pour autant préciser lesquels. On peut cependant se douter qu’il s’agit d’armements nouveaux ainsi que d’un système d’autodéfense moderne (le President-S ?).

Idem en ce qui concerne la modernisation des IL-38 au standard IL-38N; celle-ci ne concerne tant qu’à présent que 8 appareils sans pour autant concerner d’appareils supplémentaires tant qu’à présent. Il faut s’attendre à voir d’autres appareils entrer en modernisation sous peu ainsi que le contenu de la modernisation est appelée à évoluer. Avec les changements technologiques et les besoins techniques qui évoluent: les IL-38N vont voir le contenu de leur modernisation s’enrichir avec l’inclusion d’éléments supplémentaires non-détaillés tant qu’à présent; l’ajout d’un système d’auto-défense est une hypothèse crédible au vu du fait que l’IL-38N est dépourvu de toute protection malgré l’importance d’un tel appareil. Il ne serait d’ailleurs pas étonnant que le coup d’arrêt connu dans le rythme de modernisation ne soit pas étranger à ce changement de contenu (outre les traditionnelles questions budgétaires).

Longtemps attendue et enfin confirmée lors du salon Armiya 2018: la modernisation des Tu-142MK/MZ. Un premier appareil est en cours de traitement chez TANTK Beriev et il faut espérer le voir arriver d’ici à la fin de l’année voire au début de l’année prochaine. Très peu de détails sur le contenu de cette modernisation ne sont disponibles excepté le montage du système de ciblage SVP-24 mais elle devrait permettre de gommer le principal problème de cet appareil: ses équipements embarqués ont largement dépassé la date de péremption. Le bon sens voudrait que les appareils bénéficient d’une partie de la modernisation lourde que connaissent actuellement les Tu-95MS, mais il est peu probable vu les projets que ce soit effectivement le cas.

A côté des modernisations, signalons la confirmation de ce qui était déjà connu depuis plusieurs mois: l’acquisition de Su-30SM supplémentaires. Les informations récurrentes parlent d’une cinquantaine d’appareils à livrer d’ici à 2022 qui viendraient s’ajouter aux 28 appareils en service/en commande et dont une bonne partie est déjà en service. Grâce à sa polyvalence (appareil multirôles) et son aptitude à déployer un important arsenal de munitions air-mer, air-sol et air-air, inutile de préciser que la flotte de Su-30SM sera le fer de lance de l’aviation navale russe durant l’ensemble de la décennie 2020.

A ceux-ci viendront s’ajouter des hélicoptères embarqués d’attaque Ka-52K néanmoins aucune commande n’a été signée pour ces derniers tant qu’à présent; l’acquisition de Ka-52K permettra à la Marine de disposer d’un appareil offensif moderne qui embarqué sur des navires de plus petite taille augmentera sensiblement la capacité de projection des bâtiments les déployant.

Autre appareil dont l’acquisition était discutée mais pas encore confirmée: l’arrivée d’un hydravion à réaction Be-200 au sein de l’aviation navale. L’appareil sera équipé pour le sauvetage en mer, le transport de cargo ainsi que la lutte anti-incendie: contrairement à ce qui était envisagé, il ne s’agira pas d’une version de lutte anti-sous-marine. L’aviation navale parle depuis quelques temps de l’acquisition de trois exemplaires destinés à équiper la Flotte de la Mer Noire; l’arrivée du premier se confirme tandis que les deux autres exemplaires devraient en toute logique suivre mais sans que l’on ne dispose de plus de détails. L’entraînement de base des pilotes assuré actuellement avec des L-39C qui devraient être remplacés à terme par des Yak-130.

Enfin d’ici à 2021, il y a un sujet qui n’est fort logiquement pas abordé: les appareils embarqués. Après l’arrivée des MiG-29K(UB)R et la légère modernisation accordée au Su-33 (avec installation du SVP-24) la situation de ce point de vue va rester stable quelques années surtout au vu de l’immobilisation pour rénovation du porte-aéronefs Admiral Kuznetsov. L’accent sera également mis sur un déploiement plus étendu des drones à bord des navires et au sein des unités de l’aviation navale; ce secteur largement lacunaire en Russie a effectué un rattrapage important ces dernières années et le pays commence à retirer (enfin!) les fruits des investissements massifs consentis dans ce secteur. La Marine Russe se prépare à déployer plus systématiquement des drones (de différents types) sur ces bâtiments et ce pour d’évidentes raisons tactiques. Nous y reviendrons dans un autre article à venir.

Un peu plus anecdotique bien que tout aussi nécessaires; les importants (c’est un euphémisme) travaux menés aux bases de Chkalovsk (Flotte de la Baltique) et Severomorsk-1 (Flotte du Nord) sont enfin achevés. Ces derniers qui ressemblent plus à une reconstruction intégrale qu’à une rénovation en bonne et due forme permettent à l’aviation navale de disposer de deux bases (parmi ses plus importantes) intégralement remises à neuf et dotées de capacité de stockage largement accrue.
Si on veut donc résumer cette première étape; le maître mot est continuité, l’aviation navale préparant activement les bases des évolutions à venir en débutant son renouvellement complet; tout en capitalisant sur certaines plate-formes plus anciennes modernisées peu onéreuses à exploiter et disposant d’une durée de vie résiduelle conséquente.

A l’horizon 2022, l’aviation navale devrait achever la première partie de l’écrémage de sa flotte avec le retrait de service des:
- Su-24M (tout ou partie) au sein des Flottes de la Baltique et Mer Noire
- Su-27P/Su-27UB au sein des Flottes de la Baltique et du Nord
- IL-38 qui seront portés au standard IL-38N
- Ka-27PS/Ka-27PL qui seront portés au standard Ka-27M
- Tu-142MK/Tu-142MZ qui seront portés au standard Tu-142MK/MZ(M?)
- Be-12/Be-12PS/Be-12PL au sein de la Flotte de la Mer Noire
- L-39C remplacés par des Yak-130
Le sort des MiG-31B / MiG-31BS de la Flotte du Pacifique qui sont basés à Yelizovo est toujours incertain en ce sens qu’aucun contrat de modernisation pour les porter au standard MiG-31BM n’a été signé pas plus que des projets en ce sens ne semblent avoir été discutés. Il n’empêche qu’avec la fin annoncée de la modernisation des appareils pour les VKS soit l’aviation navale devra se décider à emboîter le pas ou alors devra à terme remplacer ses exemplaires encore à disposition; cette option serait la plus logique vu le faible nombre d’appareils disponibles et leur âge. Les appareils déjà portés au standard MiG-31BM de Monchegorsk (Flotte du Nord) ne sont pas de première jeunesse mais ces derniers peuvent encore poursuivre leur carrière quelques années.
Il est important de préciser que ces évolutions potentielles sont soumises aux budgets alloués, or en la matière la Russie a souvent modifié son niveau d’ambition en cours de route, le résultat final obtenu étant fort éloigné des déclarations d’intentions; il n’empêche que certaines commandes étant déjà actées et certains appareils ayant largement dépassé l’âge légal de la retraite; leur disparition du parc est inéluctable.

2021-2030: la deuxième étape
C’est sur cette période que les changements les plus importants vont se concentrer, le retrait de service des plate-formes les plus anciennes se confirme, certaines modernisations vont se poursuivre tandis que vont arriver les premiers designs neufs sur lesquels la Russie travaille actuellement.
Premier élément qui se confirme; l’arrivée d’un nouvel appareil de patrouille maritime, si aucune plate-forme n’est précisée on sait déjà qu’un premier appareil basé sur l’IL-114-300 doit donner naissance à une variante de patrouille maritime/lutte anti-sous-marine: l’IL-114MP. Ce dernier sera amené à remplacer l’IL-38N et assurera ses missions sur des profils de vols côtiers/littoraux.
A l’inverse, le remplacement des Tu-142MK/MZ reste ouvert et bien que la modernisation d’un premier appareil soit en cours il semble assez évident que le faible nombre d’appareils disponibles (grosso-modo 25 appareils des deux types dans des états opérationnels incertains) plaide pour un remplacement de ceux-ci à moyen-terme.
La question de la plate-forme n’a pas été officiellement tranchée bien que les exigences attendues ne laissent guère de possibilités quant au choix de celle-ci; trois appareils disposent du potentiel pour devenir une plate-forme de surveillance maritime/lutte anti-sous-marine à long rayon d’action;
- Le MS-21
- Le CR929
- Le PAK DA
Excepté le MS-21 qui est déjà en phase de tests d’homologation; les deux autres plate-formes ne verront pas le jour avant 2025. Le temps de dériver une version MPA d’un de ces appareils et le calendrier nous amènera déjà à l’aube de 2030; ceci serait cohérent au niveau de la durée de vie résiduelle d’un Tu-142MK/MZ modernisé. Il semble cependant que la Russie souhaite rentabiliser l’investissement massif consenti dans la création du PAK DA en en dérivant une (des) version(s) de guerre électronique ainsi que de patrouille maritime qui exploiteront la charge utile de l’appareil (40 tonnes) ainsi que l’autonomie proposée qui feraient de lui un plate-forme pertinente pour assurer lesdites fonctions.

Nouvelle intéressante, la confirmation de la création d’un nouveau chasseur embarqué. Bien que la question du remplacement de l’Admiral Kuznetsov ne soit pas tranchée, la Russie maintient son choix de disposer d’appareils embarqués et ce que ce soit pour ses besoins ou pour l’exportation. Certes les MiG-29K(UB)R ne sont pas de vieux appareils en nombre d’années mais le design dérivé du MiG-29 n’est plus de première jeunesse et ne fera pas le poids face à l’arrivée d’appareils embarqué de génération plus récente. La Russie va donc plus que probablement repartir du Su-57 pour créer une version embarquée de celui-ci (un futur PAK KA/Su-57K?) qui permettra d’équiper à l’horizon 2030 soit l’Admiral Kuznetsov soit un toujours hypothétique successeur. A l’inverse, il n’est aucunement fait mention d’un nouvel appareil STOVL/VTOL… De là à conclure que le projet est purement et simplement abandonné ou tout du moins placé au frigo semble couler de source. La Russie n’ayant ni les moyens ni le besoin pour se doter de deux types d’appareils de ce type surtout au vu du différentiel de performances offert par les deux plate-formes.

Peut-être la nouvelle la plus curieuse mais qui s’expliquerait par le fait que cette interview est une réaction à l’article critique cité au début: la mise au point d’un appareil AWACS pour l’aviation navale. Dans le cadre du projet Ulyanovsk, l’URSS avait lancé le développement du Yak-44 qui était un appareil d’alerte avancée embarqué ressemblant fort étrangement au E-2 Hawkeye de l’US Navy. Le projet avait été abandonné en 1993 pour les raisons classiques de manque de budgets et d’utilité mais il se confirme que la Marine Russe souhaite enfin disposer d’une capacité de détection/alerte avancée à long rayon d’action à sa disposition; les seules capacités de ce type actuellement disponibles sont deux hélicoptères Kamov Ka-31R. Ceci est plus qu’insuffisant eu égard à la taille de la flotte, la superficie côtière à couvrir ainsi que les zones océaniques à surveiller. Certes la Russie dispose de moyens de détection fixes mais ces derniers sont susceptibles d’être ciblés en priorité et donc de faire perdre toute (ou partie) capacité en la matière en cas de conflits. La création d’un appareil de ce type qu’il soit basé en mer ou sur terre est une des principales lacunes à combler au sein de l’aviation navale russe contemporaine; avec une flotte d’A-50/A-50U restreinte et employée en priorité pour les forces aériennes, le besoin pour la Marine de disposer de ce type de capacité se justifie pleinement; il reste à voir si on assistera au retour d’un Yak-44 « 2.0 » ou si la Russie va se lancer dans le développement d’un appareil au départ d’une page blanche. Vu l’urgence en la matière, il est à espérer que la Russie sera en mesure de récupérer les travaux déjà accomplis avec le Yak-44.

Autre élément manquant au sein de la dotation de l’aviation navale; la capacité de frappe anti-navires de surface. Alors que les VMF version soviétique disposaient d’une forte capacité de frappe anti-navires de surface avec les Tu-16K et Tu-22M3, il n’en est plus rien. Certes les missions ont évolués et les SSGN/SNA russes sont les vecteurs destinés à protéger la flotte de surface et les cibles stratégiques mais le besoin de disposer d’une aviation à long rayon d’action apte à couvrir la flotte russe se fait de plus en plus sentir. Les récents développements en la matière avec l’arrivée des missiles Kh-32 et Kh-47M2 aptes à traiter des navires de grande taille devrait – en toute logique – voir la Russie rendre cette capacité à son aviation navale; cette dernière étant la plus à même de travailler de manière rapprochée avec la flotte de surface ainsi que la flotte sous-marine.
Point de vue dès hélicoptères plusieurs informations utiles; notamment la poursuite du développement du projet Minoga qui est une plate-forme embarquée développée par Kamov et destinée à remplacer le Ka-27 ainsi que ses variantes. Les travaux, en cours, portant sur la détermination du design définitif devraient s’achever au premier trimestre 2019 et les estimations tablent sur une admission au service au début de 2030; à l’instar de son prédécesseur, le Minoga donnera naissance à plusieurs variantes spécifiques.

Le projet de relance de la production d’une version modernisée de l’hélicoptère amphibie Mi-14 est toujours sur la table cependant aucun timing précis quant à son éventuel retour ne sont dévoilé; assisterait-on à un enterrement de première classe au profit d’autres projets? Pas impossible. Surtout que même si modernisé in extenso, on reste toujours sur la base d’un Mi-8 soit un appareil qui est plus proche de sa fin de carrière que du début.

Enfin même si ce dernier approche de sa fin de carrière, une version adaptée aux conditions arctiques de l’increvable Mi-8 a été conçue; répondant au « petit » (sic) nom Mi-8AMTSh-VA, cette variante est conçue pour être employée jusqu’à des températures de -60° tandis que le système de chauffage embarqué permet de démarrer les moteurs sans aide extérieure jusqu’à des températures de -40°. Il n’est pas précisé si des commandes supplémentaires pour cet appareil seront passées mais si il en est fait mention, c’est plus que probable.
A l’inverse de ces arrivées/modernisations, la période 2021-2030 devrait voir le retrait de service d’une vaste panoplie de la flotte en exploitation actuellement, sur base des âges et des commandes en cours, on peut déduire le retrait de service des appareils suivants:
- Su-24M (le solde) au sein des Flottes de la Baltique et de la Mer Noire
- Su-33 au sein de la Flotte du Nord
- Su-25UTG au sein de la Flotte du Nord
- IL-38N si l’arrivée de l’IL-114MP se déroule rapidement
L’horizon 2030 devrait donc voir la flotte complètement modernisée se concentrer autour du Su-30SM comme appareil de base basé au sol, auxquels viendraient s’ajouter un hypothétique Su-57K pour équiper l’Admiral Kuznetsov, l’entraînement étant à la charge de Yak-130 (à terre) tandis que la veille aérienne avancée du ressort d’un appareil embarqué dans le gabarit du Yak-44.

La flotte de patrouille maritime/surveillance maritime/lutte anti-sous marine sera renouvelée et standardisée autour de deux plate-formes avec l’IL-114MP qui reprend le rôle côtier/littoral tandis que la nouvelle plate-forme à long rayon d’action assure la couverture des zones océaniques. Ceci étant, à l’horizon 2030, cet appareil commencera seulement à entrer en service au sein des unités régulières et il sera accompagné d’une nouvelle génération d’armes à haute précision que l’aviation navale souhaite intégrer dans ses capacités.

Enfin, au-delà de 2030 jusqu’à l’horizon 2050; les projets tablent sur la création d’un nouvel hélicoptère amphibie à long rayon d’action pouvant être employé dans la zone Arctique ainsi que la mise en service d’une nouvelle génération d’avions multirôles (PAK FA?). Vu le peu de détails communiqués sur ces projets et leur côté plus qu’aléatoire, nous n’irons pas plus loin sur ces questions qui auront tout le loisir d’être développée dans un futur plus lointain.
En conclusion
Cette interview permet de voir que les projets sont loin de manquer pour l’avenir de l’aviation navale russe; certes il est nécessaire de relativiser – comme de coutume – lorsqu’on parle d’une telle quantité de projets, la réalité finissant toujours par s’éloigner des réalisations finales.
Néanmoins, on ne peut pas nier que l’aviation navale russe revient de loin; la quasi-absence d’activité durant les années 1990 ainsi que le vieillissement du parc n’ont pas aidé cette dernière à se maintenir en condition. Ne parlons même pas du niveau d’entraînement des équipages qui était réduit au minimum minimorum durant ladite période. Cependant et de ce point de vue le rattrapage effectué a été spectaculaire: en 2018 les équipages de l’aviation navale russe ont volé une moyenne de 130 heures avec des prévisions qui tablent sur une croissance de ce nombre d’heures de vol. Il est vrai que l’aviation navale est fréquemment en première ligne dans les zones les plus « chaudes » de la Russie: pensons notamment à la QRA en Baltique, la surveillance de la Mer Noire ou la version moderne du Tokyo Express dans le Pacifique.
Elément pertinent de cet entraînement, l’accent a été mis cette année sur l’entraînement des équipages au ravitaillement en vol; bien que ne disposant pas de citernes volantes dans sa dotation, le message envoyé semble assez clair: les équipages sont préparés pour assurer des patrouilles longues/très longues distances en vue d’assurer une couverture des zones éloignées (on peut notamment penser à l’Arctique). En plus de consacrer des moyens accru à l’entraînement, l’aviation navale a lancé plusieurs campagnes de recrutement et va dès l’année prochaine maintenir en permanence des classes de formation: sachant qu’il faut entre 7 et 10 ans pour passer d’un cadet à un lieutenant apte à voler seul, l’aviation navale capitalise sur son avenir et le renouvellement de ses équipages. Il est clair que l’arrivée d’une nouvelle génération d’appareils modernes est un puissant incitant pour « motiver les troupes » (sans mauvais jeu de mots) à s’engager. On ne peut pas parler d’entraînements sans parler des infrastructures; là aussi il se confirme que les deux centres d’entraînements que sont Yeysk et Saki vont connaître des travaux pour allonger leur durée de vie; ceci concernant principalement Saki dont les installations n’ont pas toujours bénéficié de l’entretien nécessaire pour maintenir le déroulement des entraînements dans des conditions optimales.
Plus sérieusement, il reste bien évidemment des inconnues, notamment au niveau de certaines plate-formes futures mais les projets sont globalement solides, crédibles et intelligemment pensés: l’aviation navale russe a réussi à préserver son identité propre et ses spécificités tout en mutualisant suffisamment avec la Force Aérienne que pour disposer d’avantages qui lui sont utiles. En déployant par exemple le Su-30SM comme chasseur-bombardier de base (et non une éventuelle variante customisée du Su-34); elle disposera d’un parc commun à celui des VKS qui suivra les cycles des modernisations éventuelles que ce dernier connaîtra; sans même parler de la chaîne logistique commune qui s’en trouvera grandement simplifiée.
Il est d’ailleurs à noter que le patron de l’aviation navale semble être doté d’un bon sens beaucoup plus solide que celui de ses homologues de la Marine, le phasage en plusieurs étapes des projets répond de cette logique empreinte de bon sens. En agissant de la sorte il évite de lancer tous les projets en même temps avec le risque de n’en voir aboutir aucun tout comme il se raccroche à plusieurs projets en cours en exploitant le potentiel promis par les designs en cours de développement pour d’autres branches de l’aviation. L’idée – plus que critiquable dans le cas de la Russie – d’un appareil VTOL/STOVL semble avoir été « oubliée » tandis que même si les incertitudes liées à la création (ou non) d’une nouvelle classe de porte-avions STOBAR/CATOBAR ne sont toujours pas levées, la création d’un nouvel appareil embarqué (un hypothétique PAK KA / перспективный авиационный комплекс корабельной авиации) destiné à remplacer les MiG29K(UB)R se confirme. Certes ceci nécessitera des moyens peut-être moins conséquents qu’on ne peut l’imaginer malgré tout ceci est un bon indicateur que le choix des MiG-29K(UB)R si il répondait à un besoin politique n’était peut-être pas le choix le plus pertinent à l’époque. Mais c’est un autre sujet. Toujours dans la même logique, il semble que l’idée d’un retour du concept d’Ekranoplan ne rentre pas dans les projets de l’aviation navale. Mais c’est un autre sujet également.

Restera à voir si l’aviation navale va aller vers une intégration croissante au sein des forces aériennes, telle que discutée dans le cadre de la zone Baltique notamment, ou si elle réussira à conserver son « indépendance » et les spécificités qui lui sont propres; vu les projets annoncés qui sont – soyons honnêtes – une réponse à certaines critiques féroces formulées récemment, on peut se dire que son avenir est garanti. Les années à venir risquent d’être des plus passionnantes de ce point de vue: entre la disparition d’appareils plus anciens, un accroissement des capacités avec l’arrivée d’avions/hélicoptères/drones neufs et – peut-être un jour – la récupération d’une capacité de frappe anti-navire à long rayon d’action; les MA-VMF seront à même de couvrir et de protéger la Flotte Russe ainsi que les intérêts économiques du pays. Bref, de remplir les missions qui sont les siennes.
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