La première sortie en mer le 25 juin 2021 du sous-marin nucléaire K-329 Belgorod (Белгород) au départ de Severodvinsk marque le début des essais usine de ce sous-marin aussi discret que massif et sur lequel on ne sait – pour l’instant – au final que très peu de choses.
Né en tant que sous-marin lanceur de missiles de croisière de la classe Antey/Oscar-II (Izd.949A) et devenu, par la force des choses, un sous-marins pour des « missions spéciales », le K-329 est un navire qu’on peut qualifier d’hybride puisque pouvant mettre en œuvre un système d’arme aussi atypique que potentiellement dévastateur (le drone sous-marin 2M39 Status-6/Poseidon) faisant de facto de ce dernier un navire stratégique participant à la dissuasion nucléaire russe mais servant également de bateau-mère pour des sous-marins de plus petite taille pouvant fonctionner notamment dans les grandes profondeurs.
De manière intéressante et alors que nous sommes habitués à être abreuvés d’informations par les médias russes sur l’avancement des programmes d’armement modernes avec leur performances souvent inégalées (enfin, dixit les journalistes), on ne peut être que frappé par la relative discrétion médiatique au sujet du Belgorod. Les informations actuellement disponibles (et pour partie vérifiables) au sujet de ce bâtiment sont plus que lacunaires et ne permettent de connaître (avec une plus ou moins grande certitude) que:
L’origine du navire
Son emport d’armements d’un point de vue théorique
Ses missions envisagées
L’unité à laquelle il sera rattaché
Pour le reste, on doit se contenter d’observer les maquettes et photos disponibles du navire ainsi que comparer avec le navire originel pour se faire une idée plus précise bien qu’incomplète de ce qu’est concrètement le K-329 Belgorod.
A noter avant de continuer, et je tiens à insister sur ce point, que les informations disponibles au sujet du Belgorod étant lacunaires: il faut impérativement prendre le recul nécessaire par rapport à ce bâtiment ainsi que ses performances réelles et/ou supposées, les données concrètes disponibles étant très restreintes et les sources d’informations disponibles et vérifiables des plus limitées.
Les deux vies du Belgorod
C’est le 24 juillet 1992 qu’est mis sur cale au sein du chantier naval SevMash de Severodvinsk le douzième sous-marins nucléaire lanceur de missiles de croisière (SSGN) de la classe Izd.949A Antey (code OTAN: Oscar-II); ce dernier, premier bâtiment de cette classe construit sous le standard modernisé Izd.949AM, reçut le numéro de chantier 664. A l’instar des usages soviétiques où les sous-marins n’étaient pas baptisés, le nouveau bâtiment ne reçut qu’un numéro tactique, le K-139, cependant, le 6 avril 1993 il sera baptisé Belgorod (Белгород).
Les standards Izd.949AM
Tout qui s’intéresse un peu aux sous-marins soviéto-russes sait qu’il y a actuellement deux bâtiments de la classe Antey (les K-132 Irkutsk et K-442 Chelyabinsk) qui sont en cours de modernisation au standard Izd.949AM; les travaux se déroulant au chantier naval Zvezda de Bolshoy Kamen. Le gros des travaux porte sur le remplacement des équipements embarqués (systèmes de combat, systèmes de communication, capteurs, etc…) mais surtout sur le rééquipement des navires avec des missiles de croisière Oniks/Kalibr (et Tsirkon?) en remplacement des 3M45/P-700 Granit. Les tubes lance-missiles SM-225A dédiés aux Granit étant rééquipés pour emporter les nouveaux missiles de croisière en question. Cependant, le projet Izd.949AM actuellement en cours de travaux est la deuxième émanation de ce standard: dans le courant des années 1980, la Marine Soviétique développa une version modernisée de l’Izd.949A, reprise sous le standard Izd.949AM (qu’on pourrait qualifier de « première version ») mais qui n’a aucun rapport avec la version contemporaine de ce standard Izd.949AM (qu’on pourrait donc qualifier de « deuxième version »).
Revenons un peu en arrière.
La création ainsi que le développement des SSGN de la classe Granit/Antey (Izd.949/949A) remontent à la fin des années 1960, début des années 1970, et reposaient sur un navire devant déployer le missile anti-navires de surface 3M45/P-700Granit. Ce missile aux dimensions massives étant conçu en priorité pour assurer la destruction des navires de grandes dimensions, c-à-d: les porte-avions de l’US Navy et leur escorte.
Le K-525 Arkhangelsk, premier Izd.949 Granit. Image@?
L’évolution rapide des technologies ainsi que l’accroissement de la menace représentée par les groupes aéronavals (GaN) de l’US Navy dans le courant des années 1980 poussèrent le haut commandement de la Marine Soviétique a lancer les travaux de développement d’une nouvelle classe de SSGN embarquant une version modernisée du missile 3M45/P-700 Granit; en effet, selon les calculs de la Marine Soviétique, les SSGN de la classe Antey allaient rapidement voir leur efficacité opérationnelle se réduire face aux évolutions technologiques et capacitaires américaines. Un des principaux problème résidant dans la portée maximale théorique du missile Granit, évaluée à 550 Km, et qui obligeait les Antey à adopter une position de tir trop rapprochée des cibles que pour se faire avec une certaine « sécurité ».
Le bureau d’étude Rubin, sous la direction de l’ingénieur en chef Igor Leonidovich Baranov (qui était déjà à l’origine des Granit/Antey), va être chargé de développer une nouvelle classe de SSGN, reprise sous le code Projet 881 et portant le nom de code Merkuriy: l’armement principal étant composé de vingt-quatre missiles Bolid dont le développement était en cours.
Illustration des lignes générales du SSGN Merkuriy (Pr.881). Image@Pavlov
Dérivé du 3M45/P-700 Granit, le missile anti-navires de surface 3M15/P-1200 Bolid (les index du projet n’ont jamais été confirmés) voyait sa portée maximale augmentée à 800 Km: offrant ainsi une protection accrue à son vecteur. Implantés dans vingt-quatre silos inclinés installés en lignes parallèles derrière le kiosque du bâtiment, cette implantation ayant un effet délétère sur les mensurations de la classe Merkuriy: le navire voyait son déplacement sous-marin monter à 25.000 tonnes et sa longueur se situer entre 170 et 180 mètres. On se rapprochait donc fortement d’un navire aux dimensions semblables à celles d’un SNLE: le navire envisagé était beaucoup plus volumineux que les Antey et aurait été fort probablement été peu discret sous l’eau.
Ces deux maquettes (avant-plan: Izd.949A Antey, arrière-plan: Pr.881 Merkuriy) permettent de voir la différence (pour le moins conséquente!) de gabarit entre les deux modèles. Image@Bastion-Karpenko
Finalement, le projet Merkuriy sera abandonné en 1989 devant les difficultés financières rencontrées par l’URSS ainsi que le peu d’utilité d’un tel navire face à des designs plus modernes d’un point de vue capacité offensive et dimensions du bâtiment. L’abandon du Merkuriy ne va pas pour autant entraîner l’abandon du projet Bolid puisque les travaux sur ce dernier vont se poursuivre pendant quelques temps; les ingénieurs soviétiques souhaitant convertir le K-525 Arkhangelsk, premier SSGN de la classe Granit (Izd.949), pour lui permettre d’emporter le Bolid en remplacement des Granit. La fin de l’URSS et la disparition des budgets alloués aux militaires ne va pas marquer directement la fin du projet Bolid puisque les travaux sur ce dernier vont se poursuivre encore plusieurs mois avant d’être finalement abandonnés dans le courant des années 1990; cédant la place à une nouvelle génération de missiles anti-navires pouvant être embarqués dans des cellules verticales.
Lorsqu’il est mis sur cale en 1992, le futur Belgorod aurait du répondre au standard « rééquipé » avec le missile Bolid, devenant donc le premier navire du standard Izd.949AM (version 1), en outre, deux autres navires équipés de la sorte devaient suivre (le K-135 Volgograd ainsi que le K-160 Barnaul, numéros de chantier 675 et 676) avant de passer à un autre standard, l’Izd.949U dont trois unités étaient prévues (numéros de chantier 677, 678, 679). La construction des K-135 Volgograd et K-160 Barnaul fut lancée en 1993 mais interrompue en 1998 par manque de fonds et d’utilité: ils seront finalement découpés en 2011-2012. Le standard Izd.949AM dans sa première mouture ne se sera donc jamais concrétisé.
Les coques inachevées des K-135 Volgograd et K-160 Barnaul stockées chez SevMash avant destruction. Image@?
Vu le contexte budgétaire ainsi que l’importante réduction capacitaire de la Marine Russe, l’avancement des travaux va se faire très lentement et le 16 mai 1994 la Marine décide de le retirer de ses effectifs, les travaux étant interrompus et les éléments assemblés mis sous cocon. De manière très cynique, c’est la perte du K-141 Kursk le 12 août 2000 (avec les 118 marins présents à son bord) qui va offrir un « futur » au Belgorod; le chantier naval SevMash reprit progressivement les travaux sur le bâtiment souhaitant proposer un remplaçant pour le bâtiment perdu. Néanmoins, les travaux étant financés par le chantier naval lui-même sans bénéficier du soutien (officiel tout du moins) de la Marine Russe et du Ministère de la Défense, ils vont n’avancer que lentement: l’achèvement de la coque du navire sera effective au 31 décembre 2004 mais le navire se révélait être une coquille vide ne disposant ni des armements (silos pour les missiles) pas plus que des équipements de combat: l’achèvement de ce dernier fut estimé à environ 100 millions d’USD.
Le K-141 Kursk. Image@?
Il est d’ailleurs intéressant de voir que le chantier naval SevMash a joué un coup de poker avec ce navire: alors que le MoD et la Marine n’étaient pas spécialement demandeurs pour disposer d’un nouveau SSGN de la classe Antey, le chantier naval a lancé les travaux d’achèvement du bâtiment sur fonds propres. Deux possibilités se présentent donc; soit le chantier naval a reçu officieusement l’ordre de travailler sur la bâtiment soit le chantier naval a « forcé le destin » apportant une solution « rapidement disponible » pour effacer l’affront de la perte du Kursk. Aucune réponse précise ne peut être apportée à cette question, mais toujours est-il que l’achèvement du Belgorod est repris dans le GPV et les travaux se poursuivent chez SevMash, le taux d’achèvement du navire étant estimé à 80% en 2006.
Le K-329 Belgorod durant la « première » partie de sa carrière en tant qu’Izd.949AM Antey. Image@?
Mais, oui car il y a toujours un mais en Russie, le ministre de la défense Sergei Ivanov va siffler la fin de la récréation pour le Belgorod lors d’une visite au chantier naval le 20 juillet 2006 indiquant que la Marine Russe n’avait que faire d’un navire de ce type, cette annonce signant l’arrêt de mort du navire. Et mine de rien, sa position se défendait largement: devant disposer de nouveaux équipements (premier navire au standard Izd.949AM) n’ayant pas été développés et/ou n’étant pas prêts, d’un déplacement très important (et donc très bruyant), techniquement complexe à produire (et donc onéreux): il était préférable pour la Russie de concentrer les moyens disponibles à la construction de la nouvelle génération de SSGN conçue autour des armements modernes et disponibles, c’est le projet Yasen/Yasen-M (Izd.885/885M).
Cependant, alors que d’autres navires n’eurent pas cette chance, étant tout simplement détruits sur cales lors de la chute de l’URSS, il semble qu’une bonne étoile veillait sur le Belgorod et son futur. Disposant d’une coque neuve exploitable de grandes dimensions, il est apparu utile de récupérer celle-ci et de l’employer pour d’autres missions que celles envisagées initialement. Plusieurs contrats en ce sens vont être signés:
Le contrat étatique 748/31/664PM-2009/27-09 daté du 19 mai 2009 entre le ministre de la défense et le bureau de design Rubin portant sur des travaux préliminaires de recherches et développement repris sous le nom « Recâblage » (Перемонтировки)
Le contrat 89/08118 daté du 25 avril 2012 entre le chantier naval SevMash et le bureau d’études Rubin visant à développer la documentation technique du projet 09852
Le contrat 66-12 daté du 11 septembre 2012 entre le ministre de la défense et le bureau d’études Rubin pour l’exécution de travaux de recherches et développement du projet 09852
Le contrat 4967/8312/147-12 49367/8312 daté du 11 septembre 2012 entre le chantier naval SevMash et le bureau d’études Rubin visant à l’exécution de travaux de recherches et de développement relatifs à la construction du PLASN (catégorie du sous-marin) selon le projet 09852 et le numéro de construction 664
Le contrat 117-14/8992/28465 daté du 19 juin 2014 entre le chantier naval SevMash et le bureau d’études Rubin pour la mise en place des travaux de développement dans le cadre de la construction du sous-marin projet 09852 et numéro d’usine 91664
Si les références des contrats n’ont guère d’intérêt, ils permettent néanmoins d’en retirer plusieurs éléments relatifs à ce projet. Premièrement, on retrouve les principaux acteurs: le chantier naval SevMash qui va construire et transformer le navire, le bureau d’études TsKB MT Rubin qui est derrière toutes les classes de sous-marins nucléaires lanceur de missiles stratégiques ou de croisière, et le client qui est le ministère de la défense. En outre, on apprend que le navire n’est plus repris sous le code projet Izd.949A mais passe sous la référence projet 09852 tandis que son numéro de chantier naval d’origine, le 644, devient le 91664.
Le recto de la plaque éditée lors de la mise sur cale du K-329. Image@Oleg Kuleshov
Le verso de la plaque éditée lors de la mise sur cale du K-329. Image@Oleg Kuleshov
Le navire va donc être mis sur cale au sein de l’atelier 55 du chantier naval SevMash pour la deuxième fois de sa carrière le 20 décembre 2012 sous le code tactique K-329 tout en conservant son nom de baptême « presque » d’origine: Belgorod, les estimations originales tablaient sur une livraison du navire en 2018. Néanmoins les travaux vont durer plus longtemps que prévu et son équipage ne sera constitué qu’en novembre 2018 (indiquant donc un certain retard dans l’exécution des travaux). Finalement le bâtiment est lancé le 23 avril 2019 au chantier naval SevMash, ce lancement intervenant pas moins de 27 ans (!) après sa mise sur cale en tant que SSGN de la classe Antey (Izd.949A).
Le traditionnel baptême du navire par le commandant. Image@Павел Львов
Son lancement va être suivi par une longue période d’essais des équipements internes, l’admission au service étant prévue pour la fin de l’année 2020; cette période va se prolonger plus que de rigueur suite aux conséquences de la pandémie COVID-19 ainsi qu’une importante charge de travail des équipes de SevMash sur les SNLE Boreï-A (Izd.955A) et SSGN Yasen-M (Izd.885M): ces derniers étant prioritaires (vu les retards qu’ils ont connu) sur le Belgorod.
Les travaux et essais sur le Belgorod vont reprendre dès le début de 2021 et progressent à un bon rythme puisqu’une première divergence des réacteurs a lieu en avril 2021; enfin, c’est le 25 juin 2021 que le navire est sorti en mer pour la première fois marquant par la même occasion le début des essais constructeur. La mise en service du navire est annoncée pour la fin de l’année 2021, ce qui est – avis personnel – très peu probable, 2022 étant une option beaucoup plus crédible.
Le GUGI
L’arrivée au service dans quelques mois du K-329, permet d’aborder une autre question: celle de qui va exploiter ce bâtiment? Alors que fort logiquement, on est en droit de penser que le Belgorod sera rattaché à la Marine Russe (VMF), ce ne sera pas tout à fait le cas puisque c’est au GUGI (ГУГИ) que sera rattaché le navire. Les badges et blasons rattachés au Belgorod ne laissent aucun doute sur cette question, l’emblème du GUGI (un crabe) étant systématiquement repris; le crabe symbolisant les fonctions principales du GUGI, les missions en eaux profondes.
Sous l’acronyme GUGI se cache en réalité la « Direction principale de la recherche en haute mer du ministère de la Défense de la Fédération de Russie » (Главное Управление Глубоководных Исследований Министерства обороны Российской Федерации); cette unité dispose d’un statut très spécifique puisqu’elle est rattachée à la Marine Russe mais elle reçoit ses ordres exclusivement du ministère de la défense: le commandant-en-chef de la Marine Russe n’a strictement rien à dire pas plus qu’il ne peut intervenir dans le fonctionnement de cette unité. Indication que cette unité n’aime guère la publicité: elle n’apparaît pas sur l’organigramme des forces armées russes disponible sur le site Internet de l’armée russe.
La première (?) version du fanion du Belgorod avec le crabe, symbole du GUGI en-dessous. Image@CrazyMK
Les missions du GUGI peuvent se résumer de la manière suivante:
Recherches océaniques et dans les grands fonds
Recherche et sauvetage des navires coulés
Etudes physiologiques sur l’impact des grandes profondeurs sur le corps humain
Réalisation de tests de nouveaux équipements de secours
Evidemment, ces missions sont les plus plausibles eu égard aux équipements à disposition, néanmoins il est très probable (voire même évident sans pour autant tomber dans des suppositions fumeuses) que cette unité à d’autres missions complémentaires sur lesquelles la Russie ne communique peu ou pas du tout. L’emploi du crabe comme symbole de l’unité n’est pas que symbolique; en effet, les missions principales du GUGI portent sur les fonds marins. Si la surveillance (dans un but scientifique) de ces derniers est un fait: la surveillance, le déploiement, la mise en oeuvre et l’entretien d’équipements à visée militaire (systèmes de surveillance et de communication sous-marins) sur le plancher océanique ne font guère de doutes… et représentent fort probablement les missions principales du GUGI.
Le fanion du Belgorod dont la représentation ne laisse guère de doute sur l’utilité de ce dernier. Image@CrazyMK
Le personnel composant le GUGI est composé d’officiers de haut rang (majoritairement des capitaines de 1er rang) issus de la Marine Russe et triés sur le volet; ces derniers étant hautement spécialisés pour les missions à remplir. L’incendie de l’AS-31 Losharik (exploité par le GUGI) le 1er juillet 2019 a mis en évidence cette hyper-spécialisation dans la composition des équipages: sur les quatorze victimes recensées, sept étaient des capitaines de 1er rang et trois étaient des capitaines de 2ème rang et toutes appartenaient à l’unité militaire 45707 basée à Peterhof. A titre de comparaison, lors de la catastrophe du K-141 Koursk: sur les cent dix-huit victimes seulement deux détenaient le grade de capitaine de 1er rang! C’est d’ailleurs le GUGI qui va être mobilisé pour effectuer les relevés et travaux préliminaires sur l’épave du Koursk (notamment la neutralisation des armements encore présents à bord) avant de procéder à son renflouement et retour à la terre pour découpage.
Fort logiquement vu la spécialisation de cette unité, le GUGI dispose de son matériel propre et spécifique qui est composé de navires de surface ainsi que de sous-marins spéciaux (et uniques en leur genre); le matériel en question n’étant pas à disposition de la Marine Russe (bien que les sous-marins forment la division 29 DPL de la Flotte du Nord et basés à Gadzhievo). Les principaux bâtiments (liste non exhaustive) en service sont:
Navire de recherches océanographiques Evgeny Goriglezhan (Projet 02670)
Navires expérimentaux Seliger, Ladoga et à terme Ilmen (Projet 11982)
Navires de recherches océanographiques Yantar et Almaz (Projet 22010 Kruys/Крюйс)
Sous-marin nucléaire BS-136Orenburg (Projet 09786, ex Izd.667BDR)
Sous-marin nucléaire BS-64Podmoskovye (Projet 09787, ex Izd.667BDRM)
Ces bâtiments sont complétés par un ensemble de véhicules sous-marins (à propulsion nucléaire) pouvant opérer dans les grandes profondeurs qui sont transportés et déployés au départ des sous-marins BS-136, BS-64 et à terme K-329, il s’agit notamment de:
Trois stations autonomes à grande profondeur des projets 1851 et 1851.1 Nelma: les AS-21, AS-23 et AS-35
Trois stations autonomes à grande profondeur du projet 1910: les AS-13, AS-15 et AS-33
Une station autonome à grande profondeur du projet 10831: l’AS-31 Losharik
En outre, le GUGI devrait recevoir dans les années à venir le sous-marin nucléaire Khabarovsk (Projet 09851) de construction entièrement neuve qui sera également en mesure de mettre en œuvre le drone sous-marin 2M39 Poseidon: le lancement du navire au sujet duquel on sait encore moins de choses que le Belgorod, devrait avoir lieu au chantier naval SevMash dans le courant de l’année 2021. Un autre bâtiment similaire (projet 09853) devrait être construit dans un futur un peu plus lointain, ce dernier n’ayant pas encore été mis sur cale tant qu’à présent. L’arrivée du Belgorod et à terme du Khabarovsk, va fort probablement signifier la fin de carrière pour le BS-136 Orenburg: ce dernier ayant été lancé en 1981 a donc déjà atteint les quarante années de carrière et est un des deux derniers représentants de la famille des SNLE de la classe Kalmar (Izd.667BDR Delta III).
Le GUGI est dirigé depuis le mois de mars 2021 par le Vice-Amiral Vladimir Vladimirovich Grishechkin (Владимир Владимирович Гришечкин).
De part le fait que le Belgorod est construit sur base d’un SSGN de la classe Antey et vu que les deux dernières coques (K-135 et K-160) qui auraient pu (hypothétiquement) être employées pour réaliser d’autres transformations similaires ont été détruites en 2012: le K-329 Belgorod restera un bâtiment unique au sein de la dotation russe.
Le navire, dont l’équipage a été formé en 2018, est actuellement sous le commandement du capitaine de 1er rang Anton Alekhin. En théorie, le K-329 Belgorod rejoindra la Flotte du Nord bien que certaines sources aient fait mention de sa possible affectation au sein de la Flotte du Pacifique: ceci semble pour le moins improbable dans un premier temps vu la proximité de la Flotte du Nord avec le chantier naval SevMash de Severodvinsk.
Le Belgorod: un peu de technique
Sous-marin nucléaire (APL dans la classification russe) pour missions spéciales repris sous le code Projet09852, le K-329 Belgorod (Белгород) dérive étroitement des sous-marins nucléaires de la classe Antey (Izd.949A), il récupère donc une base technique existante et connue mais qui a été modifiée en profondeur pour lui permettre de remplir les nouvelles missions qui lui ont été confiées. Par conséquent, même si aucunes données techniques précises au sujet du navire n’ont été communiquées, on peut déduire avec une plus ou moins grande marge de certitude certaines informations relatives à ce navire.
Schéma illustrant les formes générales des SSGN de la classe Granit et Antey. Ce schéma permet de mieux illustrer le point de départ du Belgorod.
Les travaux effectués sur le bâtiment peuvent être résumés en trois points principaux:
Allongement du navire avec montage d’une nouvelle partie centrale et modification du kiosque
Modification de la proue pour permettre l’emport du drone sous-marin 2M39 Poseidon
Ajout de la capacité à servir de bateau-mère pour des sous-marins plus petits
Le Belgorod étant construit sur base de la coque d’un Antey, on peut sans trop prendre de risques conclure qu’il dispose d’une double coque intégrale en acier (acier AK-33 pour la coque interne épaisseur variant de 45 à 68 mm, acier nickel-chrome pour la coque externe) subdivisée au-moins en dix compartiments et disposant d’au-moins quatre ponts. Le premier élément de différenciation qui saute aux yeux est bien évidement l’allongement du navire qui, comparativement aux Antey, passe d’une longueur de 154 m (Izd.949A) à une longueur estimée de 178 m (09852), il est utile de préciser que certaines sources font mention d’une longueur totale de 184 m. Cet allongement étant justifié, notamment, par l’ajout de la capacité à servir de bateau-mère pour des sous-marins plus petits ainsi que par l’emport des 2M39 Poseidon.
Ce schéma illustre les subdivisions internes d’un sous-marin de la classe Antey. On remarquera la présence de dix compartiments, bien que la numérotation n’en comporte que neuf (les compartiments 5 et 5bis contiennent les réacteurs); ceci expliquant pourquoi les deux chiffres sont avancés lorsqu’on parle de cette classe de bâtiments. Image@Pavlov
Pour les amateurs de « concours de taille »: avec cet allongement, le K-329 Belgorod devient le plus long sous-marin du monde, surclassant les SNLE de la classe Typhoon (Izd.941 Akula) qui ne font « que » 175 m de long.
Les chiffres suivants relatifs au K-329 et relativement crédibles sont disponibles:
Longueur: 178 m (certaines sources parlent de 184 m)
Largeur (maximale): 18,2 m
Déplacement: environ 17.000 tonnes (en surface) / 30.000 tonnes (en plongée)
Tirant d’eau: 9,2 m
Equipage: environ 120 hommes
Autonomie: 4 mois
Le K-329 Belgorod lors de son départ de Severodvinsk pour sa première sortie en mer. Bien que massif, le navire n’en est pas moins élégant. Image@CrazyMK
L’absence des tubes lance-missiles (et des trappes caractéristiques) pour missiles 3M45/P-700 Granit positionnés sur les flancs du navire entre les deux coques ainsi que l’allongement du navire modifient fortement l’esthétique du bâtiment: il perd sa forme évasée caractéristique héritée des Antey avec une proue et une poupe plus étroites couplées à un « corps » large (ce qui donna le surnom de « bâton » à cette classe de navires) pour présenter une ligne générale plus uniforme et rectiligne se rapprochant des SNLE de la classe Boreï-A (Izd.955A). La proue du navire est redessinée pour s’adapter aux drones sous-marins Poseidon avec notamment un allongement de la zone en amont du kiosque ainsi qu’une forme plus large et plus arrondie pour la pointe avant du bâtiment.
Le K-549 Knyaz Vladimir, unité tête de série de la classe Boreï-A. On ne peut être que frappé par la similitude des lignes de ce bâtiment avec celles du Belgorod. Image@Oleg Kuleshov
La partie médiane du bâtiment comprend un kiosque retravaillé et modifié par rapport au kiosque d’un Antey; il est d’ailleurs intéressant de constater que la forme générale du kiosque du Belgorod se rapproche fortement de celle d’un SNLE de la classe Boreï-A. Un mât de communication (rétractable) satellitaire Kora est implanté au milieu du kiosque, on trouve également un périscope Parus-98 et enfin un petit radar de recherche de surface (également rétractable) implanté à l’avant du kiosque.
Le K-329 Belgorod lors de son retour à Severodvinsk après sa première sortie en mer. Image@CrazyMK
Le kiosque est implanté au droit du deuxième compartiment du bâtiment et c’est dans ce dernier que l’on retrouve le poste de commandement central (GKP/ГКП), qui dispose d’un système de gestion des informations de combat (BIUS/БИУС) du type IUS MN-PM composé de consoles implantées dans le poste de commandement central du navire et permettant de centraliser l’ensemble des informations collectées par les capteurs embarqués du navire ainsi que de mettre en œuvre les équipements/armements à disposition. Le système de navigation du Belgorod est un modèle dérivé du système Symfoniya-049A des Antey et faisant suite au projet de recherches Peremontirovka (Remontage/Перемонтировка).
Le kiosque du K-456 Tver (Pr.949A Antey). Image@?
Le kiosque du BS-329 Belgorod (09852). Image@CrazyMK
Autres modifications visibles sur la coque, l’ajout de deux groupes de trappes latérales: un bloc de quatre trappes de dimensions identiques au droit du kiosque du navire ainsi qu’un ensemble de cinq trappes de formes différenciées vers l’arrière du bâtiment. L’utilité de ces trappes (accès techniques à certaines zones du navire ou déploiement d’équipements externes?) nous est inconnue tant qu’à présent; cependant vu la proximité des quatre trappes de dimensions identiques (numérotée A à D sur les images ci-dessous) avec la porte latérale du kiosque, il est fort probable que ce soit un accès à des radeaux gonflables du modèle KSU-600N-4 employés dans le cas d’une évacuation d’urgence en mer.
Répartition des deux zones de trappes visibles sur la coque. Image@CrazyMK / Montage@RS
Les cinq trappes situées à l’arrière du navire
Les quatre trappes situées près du kiosque
En l’absence de photos du dessous de la coque du Belgorod il est impossible de déterminer les modifications apportées sur cette zone, néanmoins l’installation de points d’arrimages ainsi que d’un sas d’accès permettant de passer en mer du Belgorod à des navires plus petit est confirmée, l’ensemble étant complété par l’installation de « spoilers » latéraux pour abriter les navires accrochés sous le Belgorod.
Une maquette du Belgorod: on peut voir les ailerons repliables à l’avant du navire en position basse ainsi que l’emplacement dédié sous la coque pour l’emport de navires plus petit. Bien que ce soit une maquette, elle permet de se faire une meilleure idée de la forme que présente le dessous du navire. Image@Saturnax
Malgré l’absence de photos précises de cette zone, il est fort probable que la chaîne cinématique soit intégralement reprise des Antey: le Belgorod disposerait de deux réacteurs nucléaires OK-650M.02 (2 x 190 MWt) couplés à deux turbines vapeur OK-9DM (2 x 50.000 Cv) le tout entraînant deux lignes d’arbre disposant chacune d’une hélice. Alors que les Antey disposent d’hélices à sept pales, aucune photo ne permet de confirmer et/ou infirmer l’emploi du même modèle d’hélice sur le Belgorod: les russes ayant méticuleusement cachés ces dernières sur toutes les photos publiées du bâtiment.
A l’inverse, grâce à un avis de marché publié, on peut apprendre que le bâtiment a reçu deux moteurs auxiliaires latéraux (thrusters) repris sous le type PUZOF (ПУЗОФ); ces derniers étant couverts par le contrat 4/356-13/5809/26977 daté du 26/09/2013 signé entre le chantier naval Zvezdochka et SevMash. L’implantation des deux moteurs en question n’a pas été précisée mais il est fort probable qu’ils soient implantés à la poupe dans un carénage latéral à proximité des surfaces de contrôles.
Encadré en rouge, on voit ce qui serait (conditionnel de rigueur) le compartiment d’un des moteur auxiliaire latéral du Belgorod. Image@Rossiya1
Les surfaces de contrôles sont réparties en deux zones du navire: à la proue et à la poupe selon un schéma très fortement similaire à celui d’un Antey. On trouve deux ailerons latéraux rétractables positionnés à la proue du navire sur le bas de la coque au droit du compartiment des torpilles (à l’inverse sur les Antey, ces derniers sont en position haute). A ceux-ci s’ajoutent un ensemble de surfaces de contrôle implantées à la poupe selon un plan en croix et composées de trois gouvernails (un en position supérieure au-milieu entre les hélices et deux en position inférieure) complétés par deux ailerons implantés perpendiculairement par rapport à l’axe des hélices.
Les surfaces de contrôle arrières du Belgorod ainsi que ses hélices soigneusement dissimulées. Image@Oleg Kuleshov
Modification notable entre le Belgorod et les Antey: la modification de la forme des deux gouvernails inférieurs, ceux du Belgorod présentant une partie mobile redessinée (en rapport avec l’ajout des moteurs auxiliaires latéraux?). Le gouvernail supérieur est identique à celui d’un Antey, un carénage abritant un sonar à immersion variable étant implanté à son sommet.
L’armement principal du navire est constitué des drones sous-marins 2M39Poseidon mis en œuvre au départ de deux tubes de grand diamètre (référence 2P39) implantés à la proue du navire en hauteur; la dotation totale est estimée à six drones. Ces tubes de très grandes dimensions sont produits par PZ Mashinostroitel (Perm) et découlent du contrat 09852.360278.021, le soutien technique étant fourni par le bureau d’études GRTs Makeyev (spécialiste des missiles balistiques terrestres et marins) et fait suite au contrat 390/5807/29916 daté du 20 août 2014. Signe évident que le 2M39 Poseidon est un armement atypique, c’est un des spécialistes des missiles balistiques soviéto-russes qui s’est chargé d’apporter son soutien technique dans la création des tubes 2P39.
Le rechargement en torpilles d’un Antey s’effectue par une trappe implantée à la proue au milieu entre les tubes lance-torpilles; vu les dimensions et l’encombrement des drones 2M39, la trappe en question a été déplacée sur la partie supérieure de la coque et dédoublée. Les deux trappes sont positionnées sur le dessus de la coque au droit des deux tubes 2P39.
La trappe de rechargement en torpilles d’un Antey. Image@?
On remarque en orange l’absence de trappes sur l’avant du navire tandis qu’en rouge on peut distinguer le début de la jointure d’une des deux trappes de rechargement positionnée sur le dessus de la coque. Image@CrazyMK / Montage@RS
Le 2M39 Status-6/Poseidon
Dans la longue liste des nouveaux armements « modernes » présentés par le président russe lors de son discours de l’état de la nation daté du 1er mars 2018 se trouve une arme pour le moins originale et dont la présentation de 2018 vient confirmer une première fuite enregistrée « à l’insu de leur plein gré » (sic) lors d’un reportage réalisé à Sochi en novembre 2015.
Répondant à l’origine au nom de Status-6 (code OTAN: Kanyon) et devenu par la suite Poseidon (Index GRAU 2M39), ce choix faisant suite à une consultation populaire tenue par le MoD russe (!): il s’agit d’un drone sous-marin autonome à propulsion nucléaire contenant une charge offensive nucléaire (avec possibilité de substitution par une charge conventionnelle). Dis autrement il s’agit d’une sorte de « super-torpille » dont le but est de frapper des cibles côtières (ports, bases navales, etc…) ou alors de détonner en mer, ce qui lui permettrait de créer des tsunamis pouvant détruire de vastes bandes côtières (et/ou de les irradier).
C’est le 23 mai 2014 que le bureau d’études TsKB MT Rubin signe avec le ministère de la défense russe un contrat portant sur « Recherche sur la création de systèmes robotiques avec des véhicules sous-marins autonomes sans pilote d’autonomie accrue … » et repris sous le nom de projet Tsefalopod (Céphalopode / Цефалопод). Une garantie bancaire de 789 millions de Roubles couvrant la période allant de mai 2014 à la fin 2016 est attribuée au bureau d’études Rubin pour couvrir les frais de développement induits par ce nouveau programme; cette garantie couvrant entre 10 et 30% du montant total des travaux de recherches et développements (en accord avec la législation russe en vigueur).
Plusieurs entreprises vont intervenir dans le programme Tsefalopod, il s’agit de:
Les entreprises en question, toutes spécialisées dans le domaine sous-marin et/ou des armements stratégiques vont cependant travailler sous la houlette du bureau d’étude Rubin qui est le maître d’œuvre du projet.
Le 2M39 est un drone sous-marin de très grandes dimensions ayant la forme générale d’une torpille et construit autour d’un corps en alliages disposant d’une grande résistance. Les dimensions disponibles qui n’ont jamais été officialisées et sont donc à aborder avec les réserves de rigueur tablent sur: un diamètre de 1,8 m, une longueur de 20 m et une masse d’environ 100 tonnes. A titre de comparaison, la célèbre torpille russe VA-111 Shkval (Шквал), a un diamètre de 533 mm, une longueur de 8,2 m et une masse d’environ 2,7 tonnes (soit grosso-modo trente fois moins qu’une drone 2M39)!
Montage photo sur base d’extraits vidéos qui permet de se faire une idée de la forme générale ainsi que de la taille (imposante!) du 2M39. Image@mil.ru
Au niveau de l’agencement interne du 2M39 et sur base des informations qui ont « fuités » dans la presse, on peut se faire une idée générale des éléments constitutifs de celui-ci:
Un sonar implanté dans la tête du drone
La charge nucléaire (ou conventionnelle)
Le détonateur
Les équipements de guidage, navigation ainsi que communication très longue portée
Le réacteur nucléaire ainsi que la turbine vapeur
Le condenseur et la transmission
L’hydrojet ainsi que les surfaces de contrôles repliables
Autant le dire tout de go, les performances du 2M39 Poseidon relèvent pour l’instant du domaine du secret défense. Néanmoins, on sait que la propulsion repose sur un mini-réacteur nucléaire refroidi par métal liquide: les surfaces de contrôle sont repliables et positionnés en forme de croix. Le choix de la propulsion nucléaire repose sur deux contraintes: offrir une grande autonomie au drone et être en mesure d’effectuer d’importantes pointes de vitesse (d’où le choix d’un réacteur refroidi par métal liquide permettant de mieux absorber les brusques variations de températures), les chiffres les plus couramment communiqués sur le 2M39 font mention d’une distance franchissable de 10.000 Km ainsi que d’une vitesse de pointe de 100 Km/h.
Une vue des surfaces de contrôle ainsi que de l’hydrojet (bien que « légèrement » flouté) du 2M39. Image@mil.ru
Concrètement, le but recherché avec le 2M39 est de disposer d’une arme de dissuasion (semi-)autonome pouvant être tirée à grande distance, disposant d’une forte endurance, en mesure d’éviter les contremesures classiques grâce à sa capacité de pointes de vitesse et faisant peser une menace permanente sur l’ennemi: ce dernier ne sachant pas où et quand, le 2M39 pourrait frapper. Vu la présence d’un nombre conséquent de villes, d’installations militaires, de centres économiques dans les zones côtières américaines (cible principale pour ce type d’armements), il est aisé de comprendre l’intérêt gouvernant la création du 2M39. Cependant, vu la capacité de destruction dont dispose le Poseidon, capacité qui est similaire (pour partie) à celle d’un missile balistique intercontinental (au niveau des effets) et ne pouvant pas être contré par le bouclier anti-missiles américain: il est évident qu’il ne s’agit pas d’un armement « conventionnel » et que son emploi s’inscrit dans le cadre de la dissuasion nucléaire russe, le 2M39 étant à envisager plus comme une arme de deuxième frappe et non comme arme de première frappe.
Fort logiquement au vu des dimensions de ce drone, il ne peut pas être emporté par des navires « classiques » mais nécessite la mise en oeuvre de plates-formes dédiées; c’est le cas du K-329 Belgorod mais également du sous-marin nucléaire Khabarovsk (Projet 09851) ainsi que du sous-marin conventionnel B-90 Sarov (Projet 20120); à noter qu’en ce qui concerne ce dernier il s’agit d’un navire servant pour des essais et non pour effectuer des missions opérationnelles. Les russes ont fait savoir que le pays déploiera à terme trente-deux 2M39 Poseidon sur différents vecteurs sous-marins répartis entre la Flotte du Nord et la Flotte du Pacifique, la construction de bâtiments supplémentaires étant envisagée à moyen-terme.
La maquette du Belgorod présentée il y a quelques années laissait entrevoir, en plus des deux tubes dédiés pour le 2M39 Poseidon, la présence de tubes lance-torpilles pour torpilles conventionnelles sur le navire. Cependant, aucune image (jusque très récemment) ne permettait de confirmer la présence (ou non) des tubes en question. Mais, en se penchant plus en avant sur les contrats publiés: on apprend qu’il y a eu une commande (5807/28297 datée du 01/07/2014) passée auprès du chantier naval Krasnoe Sormovo portant sur l’acquisition de tubes à torpilles pour le projet 09852 (le Belgorod donc), ce contrat étant en outre complété par un autre signé par le chantier naval SevMash avec le bureau d’étude SPMBM Malakhit (4/15/8992/30428 datée du 13/02/2015) et visant à mettre à jour la documentation technique ainsi que le suivi technique du système de torpilles/missiles employé sur le projet 09852.
Ce montage permet de mettre en évidence le positionnement (supposé) des tubes lance-torpilles avec en rouge les tubes 2P39 et en vert ce qui ressemble à des tubes « classiques ». Image@CrazyMK / Montage@RS
Les deux contrats en question ne laissaient guère de place au doute et ceci est finalement confirmé par une photo très récente du navire rentrant de sa première sortie en mer, cette photo illustre l’implantation retenue des tubes (attention qu’en ce qui concerne les tubes conventionnels, il reste des interrogations en l’absence de photos plus nettes de ceux-ci):
Deux « gros » tubes 2P39 (pour le Poseidon) présentant une forme atypique consistant en un demi-cercle sur lequel vient se superposer un trapèze, la trappe de chaque tube semble être subdivisée en deux parties mobiles
Quatre tubes « conventionnels » de 533 mm présentant une forme circulaire classique et implantés à raison de deux unités au-milieu entre les deux tubes 2P39 ainsi que deux à l’extérieur de ces derniers
En-dessous des tubes dédiés on trouve un sonar Kizhutch-PM (Кижуч-ПМ) développé par Okeanpribor et implanté à la proue mais en partie basse, ce dernier étant en outre complété par un sonar Gneiss-PM (également produit par Okeanpribor) ainsi qu’une antenne de sonar à immersion variable implantée à la poupe du navire au sommet du gouvernail supérieur.
Encadré en rouge, le carénage abritant l’antenne du sonar à immersion variable. Image@Oleg Kuleshov
Outre les armements, le deuxième rôle (et fort probablement le rôle principal) du Belgorod est le transport et le déploiement de véhicules et drones sous-marins ainsi que l’emploi en tant que bateau-mère pour des sous-marins et plates-formes de plus petites dimensions aptes à fonctionner dans les très grandes profondeurs. Le détails précis des emports possibles n’est fort logiquement pas connu mais certains emports ont déjà été annoncés et/ou sont les plus crédibles.
Première type de plates-formes que le Belgorod sera en mesure de déployer: le drone sous-marin 2R52 Klavesin-2R-PM. Issu de travaux réalisés par TsKB MT Rubin et IMPT, il s’agit d’un drone sous-marin d’une longueur de 6,5 m, d’un diamètre de 1 m, d’une masse d’environ 3,7 tonnes, une autonomie de 50 Km et la capacité à plonger jusqu’à une profondeur de 2.000 m (ce chiffre étant à confirmer). Peu d’informations filtrent au sujet de ce dernier, mais ses missions principales sont la cartographie des fonds marins, les recherches en grandes profondeurs, la photographie sous-marine: bref, il s’agit avant tout d’un équipement servant à la collecte d’informations.
Le drone 2R52 Klavesin-2R-PM. Image@Voennodelo
Le Klavesin-2R-PM est embarqué dans un compartiment positionné sur le dessus de la coque en arrière du kiosque, une petite grue repliable implantée à l’arrière du kiosque permettrait (la présence de celle-ci doit être envisagée avec les réserves de rigueur) d’embarquer ou de débarquer le drone.
Deuxième type de plates-formes pouvant être déployées par le Belgorod: les « Stations nucléaires autonomes en eau profonde » (AGS / Атомные Глубоководные Станции), sous ce nom se cachent en réalité des sous-marins à propulsion nucléaire de petite taille, adaptés pour être employés dans les grandes profondeurs et en mesure d’intervenir sur des installations placées sur les fonds marins. Adaptés pour les grandes profondeurs mais disposant d’une endurance limitée: ces sous-marins nécessitent de disposer d’un « vaisseau-mère » pour les amener sur site, tant qu’à présent ce rôle était tenu par les BS-136 (Projet 09786, ex Izd.667BDR) et BS-64 (Projet 09787, ex Izd.667BDRM). Le K-329 Belgorod viendra s’ajouter aux deux navires en question, et il est fort probable qu’à terme il pousse vers la retraite le BS-136 Orenburg, ce dernier fêtant sa quarantième année de carrière en novembre 2021.
Une des rares images disponibles de l’AGS AS-31 Losharik. Image@?
Les AGS en service au sein du GUGI sont:
L’AS-31 Losharik (Projet 10831) qui est actuellement indisponible suite à l’incendie catastrophique du 1er juillet 2019
L’AS-23 (Projet 1851)
Les AS-21 et AS-35 (Projet 1851.1)
Les tâches principales affectées aux AGS consistent en la cartographie des fonds marins, l’écoute des communications transitant par les câbles sous-marins, l’installation d’équipements de surveillance sur les câbles en question, la mise en place de réseaux de renseignements sous-marins (ainsi que des systèmes permettant de les alimenter) mais également de récupérer les débris (avions, navires, etc…) dans les fonds marins.
Troisième type de plates-formes pouvant être déployées par le Belgorod: le système d’écoute sous-marin Garmoniya (Harmonie / Гармония) et ses composants. Ce système d’écoute sous-marine est en cours de mise en place par la Marine Russe pour permettre de surveiller les fonds marins ainsi que les axes « stratégiques » pour la Russie. Son alimentation est assuré par des petits blocs énergétiques nucléaires compacts et autonomes dénommés Shelf (Шельф) qui peuvent être transportés sur le dessus de la coque du Belgorod et mis en place en grande profondeur par les AGS tel que le Losharik, en outre le système repose sur des stations robotiques automatisées qui mettent en place et déploient les différents systèmes d’écoutes employés. Le Belgorod ainsi que les autres sous-marins « porteurs » du GUGI serviront donc au transport, mise en place et entretien des composants de ce système.
Les photos disponibles du Belgorod permettent notamment de voir qu’il y a au-moins trois points d’arrimages pour équipements externes positionnés sur le dessus de la coque du navire: équipés de plusieurs crochets, ces derniers doivent – fort logiquement – servir au transport de diverses charges et équipements externes.
Cette vue 3/4 arrière du Belgorod permet de voir les trois zones d’arrimage positionnées sur le dessus de la coque ainsi que leur répartition. Image@CrazyMK / Montage@RS
Et après? Il est fort probable vu ses dimensions et ses caractéristiques techniques « supposées » que le K-329 Belgorod sera en mesure d’effectuer d’autres missions: cependant comme indiqué auparavant le GUGI et la Marine Russe ne sont guère loquaces sur ces questions.
Tout ça pour ça?
Avec la mise en service annoncée du K-329 Belgorod pour la fin de l’année 2021 (plus probablement dans le courant 2022, vu les retards coutumiers de la construction navale russe), la Russie va disposer d’un bâtiment moderne, polyvalent et sur lequel on ne sait au final… pas grand chose! Relevant, normalement, du très discret GUGI, doté de capacités atypiques (le caractère hybride du navire exposé plus haut) tout en étant finalement assez peu couvert par les médias russes, on nage en plein flou une fois que l’on aborde ce bâtiment. Indication que la Russie ne souhaite pas communiquer plus que de raison au sujet de ce navire, l’interdiction stricte (avec vérifications à l’appui) qui fut faite aux journalistes de photographier l’avant du navire lors de son lancement au chantier naval SevMash en 2019 ainsi que le masquage systématique des hélices; toutes les photos disponibles de cet évènement montrent le bâtiment sous les mêmes angles et aux mêmes distances, indiquant clairement un « contrôle » de la couverture médiatique.
Fort logiquement, en l’absence d’informations, on peut lire un peu tout et son contraire au sujet du Belgorod: c’était prévisible, la nature a semble-t-il horreur du vide d’après Aristote. Entre les vues d’artiste imaginant l’intérieur (qui, pour rappel, est toujours non-documenté) du bâtiment ou les performances prétendument exceptionnelles de ses armements (non-encore testés à bord): le gros de la littérature existante repose plus sur des interprétations basée sur les rares documents disponibles que sur des éléments concrets et vérifiables. Néanmoins, le peu d’informations publiées laissent entrevoir un navire aux capacités non-négligeables: la dotation de six 2M39 Poseidon représente une capacité de destruction potentielle conséquente même si celle-ci est à envisager par rapport aux conséquences qui découleraient de son emploi (on ne parle pas ici d’une « simple » torpille). Armement relevant de la dissuasion nucléaire et faisant de facto du Belgorod une vecteur stratégique; la capacité à déployer des sous-marins pouvant être employés dans les grandes profondeurs (tel que le Losharik) ainsi que d’autres bâtiments et équipements font que le Belgorod doit avant tout être envisagé comme une plate-forme polyvalente dédiée aux missions discrètes et pour lesquelles les russes n’ont pas spécialement envie (ce qui est légitime) d’accorder une grande publicité.
Le simple fait de voir le bâtiment employé à terme par le GUGI indique que même si il dispose d’une capacité offensive évidente, il sera employé en priorité pour des missions spéciales et à l’instar des autres bâtiments employés par le GUGI, on ne peut avoir qu’une idée partielle du contenu des missions effectuées. Par contre, sans entrer dans les concours de « taille de navires » qui n’ont strictement aucun intérêt, on ne peut être qu’impressionné par le niveau d’expertise atteint (ou retrouvé?) par les constructeurs navals russes (bureaux d’études et constructeurs) principalement en ce qui concerne la construction de sous-marins. Après avoir traversé une décennie dévastatrice (1990-2000) en matière de construction navale, perdant à la fois des compétences, du personnel ainsi qu’une bonne partie du tissus industriel nécessaire pour produire des équipements technologiquement aussi complexes que des sous-marins nucléaires: la Russie est de retour sur l’avant de la scène. Certes, ce retour n’est pas « grand » en ce sens que la construction navale russe n’est pas la construction navale chinoise (les moyens à disposition étant de toutes manières incomparables) pas plus que la construction navale soviétique mais transformer un navire inachevé stocké pendant de longues années et construit sur une coque dont l’origine remonte à la fin des années 1960 tout en le modifiant en profondeur pour lui permettre d’assurer des missions spéciales est un tour de force que peu de pays sont en mesure de faire.
Au final, et c’est peut-être l’élément le plus intéressant relatif au K-329 Belgorod: la construction navale russe vient de démontrer qu’elle est pleinement capable de construire des sous-marins spéciaux aptes à répondre à des contraintes opérationnelles diverses et variées, et même si les problématiques de la construction navale russe sont connus et documentés, l’arrivée du Belgorod est un bon indicateur d’un certain « niveau de santé » retrouvé de ce secteur. Il reste encore beaucoup de travail à réaliser sur le Belgorod (ce qui nécessitera encore un certain temps) pour voir le bâtiment être pleinement opérationnel (essais de tir d’un 2M39 Poseidon, par exemple) et il est fort probable qu’il sera modifié au cours de sa carrière pour les besoins du GUGI (ou de la Marine Russe?); ce qui nous donnera donc l’occasion de revenir sur ce bâtiment aussi unique qu’atypique au sein de la flotte sous-marine russe.