[Actu] PAK DP: le prochain intercepteur russe?
Troisième projet dans le cadre des programmes PAK, le projet PAK DP (Перспективный Авиационный Комплекс Дальнего Перехвата / Lit. Système futur d’avion d’interception longue portée) vise à développer un nouvel intercepteur capable d’assurer le remplacement du MiG-31(BM) au sein des forces aériennes russes. Alors que le projet est en cours depuis déjà plusieurs années (si l’on se base sur les contrats disponibles), un communiqué récent du groupe Rostec relatif au MiG-31BM a (re)mis (indirectement) le projet PAK DP sur l’avant de la scène. Comme souvent lorsqu’il s’agit de nouveaux projets d’envergure on peut lire tout et n’importe quoi au sujet de ce dernier: manque de compétences, manque de financements, reprise de projets antérieurs, etc… A en croire certaines sources: les russes sont tout simplement incapables de produire un design neuf.
Soit, il n’est pas dans les habitudes de la maison de tomber dans ce genre de discussions aussi stériles qu’inutiles, néanmoins, certains éléments objectifs vérifiables relatifs à ce projet sont déjà disponibles. Il est donc déjà possible de se faire une première opinion générale sur ce dernier, sur les problématiques potentielles ainsi que sur synergies que les russes vont pouvoir exploiter dans le cadre de ce dernier.
Les moyens à employer par une force aérienne découlant de besoins opérationnels précis, il est d’abord utile de définir/préciser lesdits besoins avant d’envisager les moyens et donc les contraintes auxquels ces derniers doivent répondre et par la même occasion, ceci permet de mieux comprendre l’utilité pour la force aérienne russe de disposer d’un intercepteur dans sa dotation.
L’intercepteur russe par excellence: le MiG-31
Le MiG-31 (Code projet: Izd.01 / nom de code OTAN: Foxhound) est un intercepteur « lourd » qui trouve son origine dans une résolution du gouvernement soviétique datée du 24 mai 1968, ce dernier ayant pour objectif de remplacer l’intercepteur à haute altitude MiG-25 (code OTAN: Foxbat) dont les performances brutes (ou supposées comme telles) faisaient trembler les forces aériennes occidentales (jusqu’au moment où le pilote soviétique V.I Belenko décida de faire défection à l’Ouest en atterrissant à Hakodate au Japon en 1976 avec son MiG-25… qui sera bien évidemment ausculté sous toutes ses soudures et démonté par les ingénieurs occidentaux) alors qu’en réalité, lesdites performances étaient contrebalancées par un nombre conséquent de contraintes opérationnelles et de problèmes techniques limitant les capacités offensives de l’avion.
Dis de manière relativement simple et résumée: le MiG-31 est pensé et conçu pour corriger les principales déficiences constatées sur le MiG-25 et offrir au PVO (les forces de défense aérienne soviétiques) un appareil efficace et performant devant remplacer en priorité le Tupolev Tu-128 ainsi que le MiG-25 dans la foulée.

Repartant du MiG-25 comme base de travail, le MiG-31 est un appareil aux dimensions imposantes capable d’atteindre la vitesse maximale de Mach 2,83 (3.000 Km/h) et dont les missions principales sont d’assurer l’interception des bombardiers américains et des missiles de croisière susceptibles d’attaquer (lors de sa création) l’URSS ainsi que d’assurer l’escorte à long-rayon d’action des bombardiers soviétiques. Il dispose d’une endurance sans ravitaillement conséquente (la capacité à être ravitaillée en vol ne sera ajoutée que plus tard) ainsi qu’une capacité à travailler soit en groupes d’appareils (ces derniers se répartissant les cibles) soit en étant guidé à partir du sol, tout en disposant d’un radar puissant leur permettant de couvrir une zone la plus large possible. Il s’agit donc de l’intercepteur idéal pour les vastes zones étendues et faiblement défendues/mal couvertes telle que la Sibérie.
Bien évidemment, les caractéristiques de cet appareil ont été obtenues aux détriments d’autres, les MiG-31(BM) ont comme qualités principales les points suivants:
- Une vitesse de pointe élevée
- Un rayon d’action conséquent même en volant à grande vitesse
- La capacité à monter à très haute altitude
- Un radar puissant lui permettant de voir très loin
Néanmoins, ces performances entraînent leur lot de limitations: le MiG-31(BM) est un appareil peu manoeuvrant, ayant un emport en armement peu polyvalent, soumis à fortes contraintes et donc relativement onéreux à exploiter.

Au niveau des dimensions générales de l’avion, les chiffres suivants sont disponibles:
- Longueur (totale): 22,7 m
- Envergure: 13,46 m
- Hauteur: 6,15 m
- Surface alaire: 61,62 m²
- Masse à vide: 21,82 T
- Masse normale: 37,15 T (4 x R-33 / 13.700 L de fuel)
- Masse maximale au décollage: 46,75 T
- Charge offensive: 5 tonnes répartis sur huit points d’emports, quatre ventraux et quatre sous voilure complétés par un canon interne GSh-6-23 de 23mm
- Carburant (interne): 13.700 L / 18.500 L (normale / maximale)
- Réacteurs: 2 x Aviadvigatel D-30F6 (93,16 kN / 152 kN avec PC)
- Equipage: 2
- Surcharge: +/- 5G
- Vitesse maximale: 3000 Km/h (17.000 m) / 1.500 Km/h (niveau de la mer)

Construits au sein de l’usine Sokol de Nizhny Novgorod, environ cinq cents vingt MiG-31 (et variantes) vont sortir des chaînes entre 1976 et 1994. On dénombre 349 MiG-31, 101 MiG-31DZ (pouvant être ravitaillé en vol) et 69 MiG-31B (avionique améliorée et ravitaillement en vol) sortis des chaînes avant la fermeture de celles-ci. Mis en service uniquement par l’URSS, la Russie héritera de la quasi totalité des avions lors de la chute de l’URSS en 1991, le Kazakhstan étant le seul autre opérateur du MiG-31 alignant environ une trentaine d’appareils en version d’origine dont la fin de carrière se profile lentement à l’horizon. Au début des années 1990, la Russie tenta de vendre une version « export » (un seul prototype construit) de l’avion repris sous le type MiG-31E ciblant notamment la Chine et l’Inde ainsi que dans une moindre mesure la Syrie, cependant cette variante ne trouva pas preneur.

La flotte de MiG-31 russes va progressivement se réduire au fur et à mesure des plans d’économies et de réduction des capacités de la force aérienne russe; une partie des avions retirés du service étant détruits tandis que le solde va être stocké en attente de jours meilleurs. Certaines cellules arrêtées ne comptant à peine que quelques centaines d’heures de vol au compteur, elles sont théoriquement en mesure d’être réactivées un jour si leur stockage est réalisé dans des conditions correctes (ce qui n’est pas toujours le cas). La disparition de l’URSS va entraîner la fin du projet MiG-31M (Izd.05) visant à développer une version modernisée du MiG-31, cependant cette variante ne verra pas le jour malgré la création de plusieurs prototypes et des travaux de mise au point en voie d’achèvement. Néanmoins, une partie des développements effectués dans le cadre du MiG-31M vont être intégrés dans le projet de modernisation du MiG-31, la force aérienne russe signant quatre contrats visant à moderniser la flotte d’appareils en service:
- En date du 1er avril 2007 et portant sur 12 appareils (Sokol)
- En date du 1er août 2011 et portant sur 60 appareils (Sokol)
- En date du 21 novembre 2014 et portant sur 53 appareils (Sokol + ARZ-514)
- Début 2019, un nouveau contrat portant sur un nombre indéterminé d’appareils
Pour les amateurs de technique signalons que les appareils concernés par la modernisation passent au standard MiG-31B(S)M. Ceci concernant des MiG-31, MiG-31B et MiG-31BS qui deviendront des… MiG-31BM (type 28), MiG-31B(S)M (type 58) et enfin des MiG-31BM (type 78); sans rentrer dans les détails (ce n’est pas le sujet principal de cet article), les variantes entre les trois types précédents portent sur la présence ou non d’une capacité de ravitaillement en vol ainsi que que de quelques petites nuances techniques sur les avions. Rien de fondamental en soi.

Le standard de modernisation MiG-31B(S)M, outre une révision générale de la cellule avec extension de la durée de vie de 15 ans traite en priorité l’électronique embarquée de l’avion via l’installation d’un nouveau système de contrôle de tir ainsi que d’un radar modernisé au standard Zaslon-AM. Ceci offrant à l’appareil une meilleure capacité de détection et de calcul lui permettant de prendre en charge plus de cibles simultanément. A noter également que la dotation en missiles du MiG-31B(S)M évolue avec l’intégration récente du missile R-37M (en remplacement du R-33) ainsi que du missile RVV-AE (R-77-1). Néanmoins, le standard -B(S)M peut-être considéré comme incomplet puisque laissant en suspens des questions importantes tel que l’absence d’une suite d’auto-défense moderne, un cockpit « bricolé » qui aurait bien besoin d’une refonte complète, ainsi qu’un système de commandes de vol loin d’être de première jeunesse; les forces armées russes ayant visiblement optées pour une modernisation traitant les points les plus pressant mais n’allant pas (probablement pour des raisons budgétaires) jusqu’au bout des points à traiter.

Du point de vue de la dotation actuelle, les forces aériennes russes (VKS) ainsi que l’Aéronavale (MA-VMF) disposent d’une flotte évaluée à environ cent-trente MiG-31 en service qui sera modernisée dans son entièreté au standard MiG-31B(S)M en 2023; les appareils étant prépositionnés sur les bordures extérieures du pays (couvrant principalement la Route du Nord et la zone Pacifique) où leur capacité à voler vite et loin est la plus utile. Enfin, la Russie dispose encore d’environ cent-cinquante MiG-31 stockés dont une partie peut être hypothétiquement réactivés si le besoin s’en fait sentir; ces derniers étant en outre complétés par les MiG-31K spécialisés dans l’emport du missile balistique anti-navires de surface 9-A-7660 Kinzhal, les conversions et déploiements de cette variante étant en cours.

Le PAK DP. Qu’en sait-on?
En avril 2013, le commandant en chef de la force aérienne russe, Viktor Bondarev (Виктор Николаевич Бондарев), jeta un pavé dans la mare durant une table ronde se tenant à la chambre basse de la Douma (le parlement russe) indiquant qu’en l’état actuel des choses environ 30% du pays (principalement en Sibérie ainsi que dans la zone Arctique) ne disposait pas d’une couverture aérienne, que le MiG-31 était obsolète au niveau de son système d’armes ainsi que de ses équipements de navigation et qu’il était nécessaire de développer un remplaçant à ce dernier. Fort logiquement, vu sa position, le message véhiculé bien qu’en partie exact fut en partie dramatisé pour donner plus d’impact à ce dernier auprès du monde politique.
Cette dramatisation est vérifiable notamment en regardant les dates de signature des contrats de modernisation des MiG-31: celle-ci était déjà largement entamée et venait en bonne partie corriger les problématiques mises en avant par V.Bondarev. Néanmoins, elle fit prendre conscience aux autorités russes qu’il était nécessaire de disposer d’une couverture complète du pays et surtout des zones stratégiques que sont la Route du Nord et l’Arctique ainsi que le front Pacifique.

Trois options vont donc être mises sur la table pour remédier à ce problème:
- Moderniser l’existant
- Produire du neuf avec de l’ancien (exprimé autrement: relancer la production du MiG-31)
- Créer un appareil neuf
Bien évidemment le MoD russe va mettre en avant l’option de la création d’un nouvel appareil, cependant c’est l’option de la modernisation du MiG-31 (déjà en cours) qui sera favorisée dans un premier temps: vu le potentiel disponible au sein des cellules, il eut été contre-productif de ne pas exploiter celles-ci au maximum. La relance de la production étant pour le moins illusoire vu qu’il aurait fallu recréer cette capacité de toutes pièces (ou presque). Néanmoins, les discussions à la Douma et les propos de Bondarev vont quand même faire mouche, puisque outre la prise de conscience de la problématique de la couverture du pays ainsi que la poursuite de la revalorisation de la flotte de MiG-31, les russes vont lancer les recherches préliminaires sur un nouvel intercepteur dans le courant de l’année 2014.

Les ingénieurs russes de l’OKB Sukhoï étant mobilisés sur le projet PAK FA; c’est fort logiquement vers le bureau d’études RSK MiG, ce dernier disposant du plus d’expertise dans le développement d’intercepteurs, que les décideurs russes vont se tourner. En outre, comparativement à leurs collègues de l’OKB Sukhoï les ingénieurs de RSK MiG ne croulaient pas vraiment sous la charge de travail: le gros du travail sur les MiG-29K et variantes étant achevé (ou presque). Bien que les annonces se soient multipliées depuis 2014, c’est le 25 décembre 2018 que le Holding OAK (UAC Russia) va signer un contrat de développement avec le Ministère de la Défense pour le développement du concept de l’avion, les travaux étant en cours (ou tout du moins officialisés) depuis lors.
Les plus observateurs auront remarqués que le contrat a été signé avec le Holding et non avec un bureau d’études précis: même si ce dernier est repris dans les contrats disponibles (voir exemple ci-dessous), les bureau d’études MiG et Sukhoï étant fusionnés de facto depuis plusieurs années avant de l’être de jure sous peu travaillent main dans la main et/ou partagent les technologies disponibles. Il est vrai que la création du Holding UAC Russia et son passage dans le giron de Rostec a un impact important sur les structures de recherches et productions russes: ces dernières étant fusionnées en vue de diminuer les coûts et d’augmenter les synergies entre celles-ci, il est donc difficile de déterminer avec précision qui de « MiG » ou de « Sukhoï » travaille concrètement sur le projet PAK DP.
Comme indiqué ci-dessus, le but recherché par la Russie dans le cadre du projet PAK DP est de disposer d’un intercepteur pouvant remplacer le MiG-31 et se devant donc de disposer des caractéristiques suivantes:
- Voler vite tout en allant loin
- Voir loin
- Disposer d’un emport important
De ces caractéristiques recherchées découlent certains prérequis techniques logiques à comprendre et s’inscrivant dans la droite ligne du prédécesseur MiG-31: le projet portera sur un avion de grande taille (ceci découlant de l’emport important ainsi que du besoin d’aller loin) tandis que la formule biréacteur s’impose d’elle-même à la fois vu la taille importante de l’avion, la vitesse de croisière élevée attendue (on parle d’une vitesse de croisière tournant autour de Mach 2,35) et enfin par mesure de précaution en l’absence d’infrastructures dédiées à proximité immédiate des zones d’action prévues de l’appareil.

A l’inverse, il est utile de tordre le cou à deux points relatifs au PAK DP qui semblent avoir la belle vie:
- La furtivité: contrairement à ce que de nombreuses sources affirment, il n’y a aucune mention officielle à une éventuelle furtivité du PAK DP. Certes, l’avion sera créé avec comme but de limiter sa capacité à être détecté mais vu qu’il s’agira d’une plate-forme de grande dimension devant voler très vite (et donc dans des conditions de températures et pressions importantes qui sont incompatibles avec les revêtements furtifs modernes), l’avion ne sacrifiera donc pas certaines des caractéristiques dont il doit disposer au profit d’une rédaction de sa capacité à être détecté.
- La vitesse hypersonique (Vmax supérieure à Mach 5): si les communications font état d’un avion qui doit voler vite (vitesse de pointe supérieure à celle du Su-57), il n’est aucunement fait mention d’une vitesse hypersonique pour l’avion mais bien pour les armements que l’appareil devrait emporter: ceci étant crédible au vu des récents développement en matière d’armements russes. Vu les contraintes rigoureuses sur les cellules ainsi que sur les moteurs nécessaires, inutile de rêver à la mise au point d’un avion hypersonique dans l’immédiat. La force aérienne russe n’a pas l’utilité d’un avion hypersonique surtout au vu du fait que des armements hypersoniques sont en service et/ou en phase de l’être, des développements supplémentaires en ce sens étant en cours. Par contre, ce dont la Russie a besoin c’est d’un avion qui peut rester en vitesse supersonique haute pendant une période de temps prolongé; la nuance est TRES importante puisqu’elle n’entraîne pas les mêmes contraintes techniques sur le design de l’avion.
Qu’en est-il de la faisabilité technique du PAK DP? Depuis le lancement des programmes PAK, la Russie a eu l’occasion de développer plusieurs technologies nécessaires pour créer des designs d’avions neufs. Si le PAK FA a ouvert la voie, le PAK DA (dont trois prototypes sont en cours de production) ainsi que le S-70 ont permis aux ingénieurs locaux de capitaliser sur l’expérience acquise avec le PAK FA tout en continuant à travailler sur les briques technologiques nécessaires.
Sur base des contrats disponibles, on sait que les travaux se concentrent actuellement sur le design de la cellule de l’avion: le contrat portant la référence 32009404905 concerne les travaux de « Etude des caractéristiques aérodynamiques du modèle PAK DP en soufflerie T-102« , ce dernier ayant été publié par le bureau d’études RSK MiG sur le site des avis officiels russes. En outre, en cherchant dans les documents annexés à ce contrat, on apprend que les travaux portent sur: « la détermination des coefficients aérodynamiques totaux du modèle 41 dans la gamme des angles d’attaque α= -4 ÷ 36° et des angles de glissement β= ±20° » et que l’ensemble porte sur 246 essais. L’emploi de la soufflerie T-102 du TsAGI permet d’apprendre qu’il s’agit d’essais relatif au comportement aux basses vitesses des modèles étudiés, cette soufflerie étant dédiée à ce type d’essais.

Que ce soit en matière d’avionique ou de matériaux, les ingénieurs peuvent parfaitement réemployer les travaux effectués dans le cadre des projets PAK FA, PAK DA ainsi que dans une moindre mesure du drone S-70: il est parfaitement plausible de voir le PAK DP récupérer le radar (AESA) N036 Byelka du Su-57 ce dernier étant modifié avec une antenne de plus grande dimension (permettant notamment d’exploiter la capacité de génération électrique accrue de l’avion) plus en adéquation avec la taille accrue de la cellule du PAK DP.

En réalité la principale difficulté qui risque de se poser pour les russes est la question de la motorisation. En matière de réacteurs neufs, la Russie consacre un effort important dans ce domaine: l’Izd.30 est en cours de tests, ce dernier devant équiper à terme le Su-57, le réacteur PD-14 est en cours de tests pour le MS-21, le réacteur NK-32-02 dédié au Tu-160M(2) est entré en production de série, les essais du nouveau réacteur Izd.RF pour le PAK DA vont bientôt débuter et les travaux du réacteur PD-35 ont été lancés récemment. On le voit donc les motoristes russes ne manquent certainement pas de travail et aucun des designs en cours de développement ne dispose des caractéristiques nécessaires pour propulser un avion du calibre du MiG-31(-BM) ou de son remplaçant.
L’Izd.30 qui est le moteur militaire le plus « proche », n’offre pas des performances cadrant avec les prérequis du PAK DP (notamment en matière de consommation avec post-combustion engagée): même si – ce qui est fort probable – il devait servir de base pour la création d’un réacteur en mesure de remplacer le D-30F6, les travaux à réaliser seront conséquents et onéreux. Ne parlons même pas de la création d’un réacteur neuf au départ d’une feuille blanche: le temps nécessaire rendrait la concrétisation d’un prototype PAK DP impossible (ou presque) avant au-moins 5 à 10 ans.
A l’inverse en ce qui concerne les armements, la situation a l’air plus claire: outre le réemploi probable dans un premier temps des missiles à longue portée R-37M (Izd.610M) déjà déployés par le MiG-31BM ainsi que des missiles R-77-1 (Izd.170-1), le journal Izvestiya a fait état en février 2020 du développement en cours d’un nouveau système d’interception de missiles à très longue portée (IFRK DP) étant en mesure d’intercepter les missiles hypersoniques: l’idée étant de créer un « gros » missile lancé à distance et contenant plusieurs têtes offensives plus petites (reprenant l’idée des têtes multiples – MIRV – employées sur les ICBM), ces dernières étant lancées à une distance prédéterminée et permettant ainsi d’accroître les chances d’interception, le candidat envisagé pour constituer les têtes offensives étant le K-77M (Izd.180). Cette annonce est confirmée par la publication d’un appel d’offres daté du 31/12/2019 et attribuant à Vympel des travaux de recherches dans le cadre du projet PAK DP.

Enfin, vu l’emport du missile 9-A-7660 Kinzhal par le MiG-31K ainsi que les essais en cours pour l’emport d’un nouveau missile anti-satellites: il paraît pour le moins évident que le futur PAK DP sera à même de reprendre les missions dédiées au MiG-31K et variantes lorsque ces derniers quitteront le service.

Même si les financements dédiés aux travaux en cours sont pour le moins modeste, ils sont néanmoins significatifs de par leur provenance: c’est le Ministère de la Défense qui finance les travaux, signe que le projet intéresse ce dernier. Cependant, il ne faut pas se faire d’illusions: les financements actuels portent sur des travaux de recherches préliminaires: il faudra attendre avant que la Russie ne se lance entièrement dans ce projet et mobilise les capitaux ainsi que le personnel nécessaire pour mener ce projet à terme.
- MiG-41 ou PAK DP?
Lorsque l’on aborde la question du remplacement du MiG-31 quasi automatiquement on trouve la dénomination MiG-41 qui suit dans la foulée. Petit conseil amical, à partir du moment où vous lisez « MiG-41 »: vous savez déjà que l’auteur des lignes en question soit ne sait pas de quoi il parle soit se contente de faire de la broderie.
Pourquoi? La dénomination définitive d’un avion en URSS/Russie ne lui est attribuée qu’une fois son acceptation officielle au service signée, inutile de préciser qu’en ce qui concerne le PAK DP, vu que l’avion en est encore au stade des essais en soufflerie, il est parfaitement impossible de connaître la référence sous laquelle il sera repris.
A l’inverse, comme tout appareil en cours de développement, il dispose déjà d’un code projet attribué par le bureau d’études: ce dernier étant disponible en consultant les documents officiels issus du constructeur. Plus précisément, il s’agit du code projet Izd.41 (Изд.41) et contrairement à ce que l’on pourrait croire le code projet ne donne pas d’indice sur la dénomination définitive de l’avion (à titre d’exemple: le Tu-160 porte le code projet Izd.70).
Autant dire qu’en l’état actuel des choses, les deux seules dénominations valables pour désigner le projet sont soit Izd.41 soit PAK DP. Tout le reste n’a absolument aucune valeur.
En conclusion
Contrairement à une idée relativement répandue, la création d’un nouvel intercepteur russe n’est pas un projet récent; même en faisant abstraction des ébauches réalisées par le bureau d’études MiG peu avant la fin de l’URSS, les premières annonces officielles relatives à la création d’un appareil devant assurer la relève du MiG-31 remontent déjà à 2014 et découlent des constats présentés à la Douma en avril 2013. Comme de coutume en Russie, nombreuses furent les déclarations partant dans tous les sens indiquant que le nouvel appareil serait basé sur le MiG-31, qu’il atteindrait des vitesses hypersoniques, que les ingénieurs russes reprenaient comme base les ébauches datant de l’époque soviétique du bureau d’études MiG, etc…
Bref et pour poser les choses clairement: il n’y a rien de crédible dans ces déclarations. Néanmoins une bonne partie des annonces en question furent reprises à l’envi et souvent déformées, ce qui bien évidemment n’arrange rien à la compréhension du projet. Le projet n’en étant qu’au stade du développement préliminaire et les russes ne communiquant pas officiellement sur ce dernier: il est inutile de préciser que quasiment tout ce qui concerne ce dernier relève – en l’état actuel des choses – de la littérature.
A l’inverse, il y a des éléments vérifiables facilement. La flotte de MiG-31B(S)M bien qu’approchant des trente(-cinq) ans d’âge moyen dispose encore d’une sérieuse réserve de potentiel (la cellule est construite en titane et l’appareil a été peu exploité dans les années 1990), la modernisation des appareils est incomplète sur plusieurs points (et peut donc théoriquement être complétée selon les besoins), la Russie dispose encore d’un (petit) stock d’avions pouvant être réactivés (après modernisation) et enfin le MiG-31 est exploité de plus en plus intensivement par la Russie.

De ceci découlent deux points fondamentaux:
- Le facteur temps: la Russie n’est absolument pas dans l’urgence pour développer un successeur au MiG-31
- L’utilité du projet: la Russie ne compte pas abandonner les capacités offertes par un intercepteur dédié en le remplaçant par un appareil polyvalent et moins performant (sur certains points)
Contrairement à ce qu’il fut envisagé à un moment, le Su-57 ne sera pas amené à remplacer le MiG-31. Peut-être que ponctuellement, certaines escadrilles passeront du MiG-31 au Su-57 mais ceci ne sera pas un mouvement généralisé: le Su-57 a été conçu comme appareil polyvalent devant assurer le remplacement des variantes de Flanker, pas pour remplacer le Foxhound. En effet, le Su-57 présente trois « défauts » qui feraient de lui un appareil inadapté pour assurer le remplacement du MiG-31; l’avion n’emporte qu’un nombre limité de missiles très longue portée (quatre), dispose d’un profil d’ailes qui n’est pas optimisé pour les vitesses supersoniques hautes et surtout il ne disposera pas d’une autonomie suffisamment importante à vitesse de croisière élevée. Bien que disposant de la supercroisière (avec réacteurs Izd.30), le Su-57 pourra certes maintenir une vitesse supersonique sans employer la postcombustion mais la vitesse de pointe de l’avion sera insuffisante en comparaison avec celle du MiG-31(-BM) et/ou son autonomie sera trop restreinte.
En outre, la furtivité qui a été le principal élément structurant dans le développement du Su-57 ne l’est pas dans le cadre du projet PAK DP; par conséquent les ingénieurs ont les « mains libres » pour dessiner un avion qui soit optimisé pour les missions qui lui seront dédiées et présentant un design moins « radical » dans certains contraintes techniques (mais pas pour autant plus simple à créer pour autant).
Il reste une question qui a été (volontairement) éludée tant qu’à présent: la question du coût. Autant le dire tout de suite, personne (hors responsables du programme et décideurs) ne peut communiquer sur le coût du programme et ce ne sont pas les deux contrats disponibles sur le site des avis officiel qui permettent de se faire une idée plus précise des sommes déjà engagées ainsi que des sommes qui devront encore l’être. Cependant, vu que les travaux préliminaires sont engagés depuis (environ) 2014, que la phase de développement du design conceptuel a duré environ 4-5 ans et que l’appareil en est actuellement en phase d’évaluation du design choisi: inutile de préciser que les coûts de développement sont/seront étalés sur plusieurs années et la note finale sera sera fort probablement diminuée (en partie) par la récupération de certains briques technologiques déjà développées pour les autres programmes PAK. En outre, n’étant pas pressée par le temps vu le potentiel restant dans le MiG-31(BM), la Russie peut se permettre de temporiser (légèrement) pour d’éventuelles raisons budgétaires.

Accessoirement, l’option de l’emploi d’un mix de divisions de S-400 (et/ou à terme de S-500) complétées par des intercepteur (Su-35S/Su-57) et des ravitailleurs dédiés basés à distances régulières pour couvrir les zones éloignées de la Russie coûterait beaucoup plus cher (vu les moyens à mettre en oeuvre) que de développer, produire et exploiter un intercepteur dédié moderne. L’investissement à consentir pour mener à bien le programme PAK DP sera important et il est peu probable que des clients exports (ou en nombre très restreint) puissent être trouvés pour ce dernier (à la fois pour des raisons d’utilité ainsi que de moyens) mais au vu de la taille du pays et des zones à couvrir ainsi que des intérêts stratégiques/zones de conflits potentiels (Route du Nord et Zone Pacifique notamment): il sera toujours plus pertinent et moins onéreux pour la Russie d’investir dans le programme PAK DP que de créer un vaste réseau de bases (et toute la logistique liée) pour couvrir les zones les plus reculées du pays. Même l’URSS, avec des moyens financiers tout autre que les moyens financiers russes contemporains, ne s’était pas (trop) aventurée dans cette voie.
Au final et en l’état actuel des choses, le meilleur moyen de résumer l’état des connaissances disponibles au public et relatives au projet PAK DP peut se résumer à cette très simple mais ô combien pertinente citation de Winston Churchill: « La Russie est un rébus entouré de mystère au sein d’une énigme ».
Ce à quoi on peut ajouter qu’il en va de même pour le programme PAK DP.