[Actu] Les Antonov An-124-100 en Russie

Appareil massif à la silhouette caractéristique, l’An-124-100 Ruslan (nom de code OTAN: Condor) est un appareil de transport stratégique lourd développé par l’URSS pour satisfaire des besoins exprimés par ses forces aériennes notamment en matière de transport de véhicules blindés (chars de bataille notamment). A l’instar de nombre d’autres programmes en cours lors de la chute de l’URSS, cet avion s’est retrouvé dans une situation délicate après 1991 avec une perte d’utilité ainsi que la perte de la chaîne logistique conçue pour assurer le maintien en condition de l’avion.

Cependant, la charge utile de l’avion ainsi que sa capacité à emporter des charges de grandes dimensions font que celui-ci a vite trouvé sa voie dans le marché du fret aérien civil ainsi que dans le cadre de contrats avec des forces armées occidentales pour assurer le soutien logistique des armées déployées en missions à l’étranger. Un comble pour un avion né en URSS!

La flotte d’An-124 est réduite vu l’arrêt prématuré de la production en 1991 et elle est actuellement répartie entre trois grands opérateurs présents dans deux pays: l’Ukraine et la Russie. Les avions présents en Ukraine étant exploités par le constructeur sous le nom d’Antonov Airlines, nous ne étendrons pas dessus dans le cadre de cet article; l’accent sera mis sur les deux opérateurs russes de l’avion, la compagnie aérienne Volga-Dnepr ainsi que la force aérienne russe (VKS) au sein de sa division de transport (VTA).

Avec plusieurs avions qui viennent d’être remis en service, une modernisation en cours de mise au point en vue d’exploiter au maximum l’important potentiel de l’An-124-100 mais surtout l’emploi intensif de la flotte pour livrer aux quatre coins du monde des équipements et de l’aide dans le cadre de la lutte contre le Coronavirus font que la flotte de Ruslan est actuellement sur le devant de la scène, le moment est donc opportun de se pencher plus en avant sur la flotte d’An-124(-100) russes.

L’An-124: bref aperçu historique 

Dans le courant des années 1960, les forces armées soviétiques (et plus spécifiquement la branche de transport militaire, les VTA) réclamèrent la création d’un appareil de transport stratégique lourd apte à assurer la relève de l’An-22A Anteï dont l’URSS disposait à raison d’environ 50 unités et bien évidemment l’arrivée du C-5 Galaxy à la fin des années 1960 poussa les soviétiques à vouloir montrer au monde qu’ils étaient capables de faire mieux ET plus gros (sinon la course n’a aucun intérêt…). Les ingénieurs d’Antonov débutèrent les travaux le 21 juillet 1966 sur un nouveau transporteur stratégique développé sur base de l’An-22A, classifié sous le type Antonov An-122 et qui sera présenté en octobre 1967. L’An-122 présentait grosso-modo la même cellule légèrement élargie que l’An-22A mais les ailes au lieu d’être droites étaient en flèche ainsi que les stabilisateurs horizontaux, l’appareil disposait d’une masse maximale au décollage évaluée à 270 tonnes. Le projet ne faisant absolument pas le poids face au C-5 Galaxy, les ingénieurs furent priés d’aller revoir leur copie.

Le bureau d’étude Antonov fut chargé en date du 2 février 1972 de créer un nouvel avion militaire de transport stratégique et ils se mirent rapidement au travail, ce projet classifié sous le nom de code Izd.200 (le double de l’Izd.100; code projet de l’An-22) avança jusqu’au stade de la création d’une maquette à l’échelle 1:1. Cependant, vu le côté suranné du design proposé (pertinent mais suranné face aux évolutions technologiques), les ingénieurs furent priés d’aller revoir leur copie; une nouvelle résolution gouvernementale datée du 24 janvier 1977 lança le programme de développement d’un nouveau projet présentant des caractéristiques techniques beaucoup plus modernes disposant notamment de commandes de vol électriques et d’un profil d’aile supercritique, le tout étant repris sous la classification d’Izd.400.

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Cette vue de l’An-22A et de l’An-124-100 côte à côte à Tver Migalovo permet de mieux appréhender la différence de gabarit entre les deux appareils. Image@Artyom Anikeev

Une fois que le projet d’Izd.400 fut lancé en 1977, le projet avança à un rythme rapide (surtout selon les standards soviétiques) mais il est vrai que les principaux écueils à franchir dans ce type de projet étaient déjà en cours de traitement (usines et motorisation) depuis plusieurs années, l’URSS ayant anticipé ces questions. Le nouvel appareil classifié sous le type d’Antonov An-124 et baptisé du nom de Руслан/Ruslan (code OTAN: Condor) effectuera son premier vol en date du 24 décembre 1982.

L’URSS dans sa logique de planification décida de répartir la production et l’assemblage final du nouvel appareil sur deux sites de production:

  • KMZ / КМЗ Киевский механический завод (Kiev)
  • UAPK / УАПК  Ульяновский авиационно-промышленный комплекс (Ulyanovsk)

En ce qui concerne l’usine d’Ulyanovsk (devenue Aviastar-SP en 1991), il s’agit d’une installation entièrement neuve construite pour et autour de la production du nouveau transporteur stratégique tandis que l’usine KMZ (devenue AVIANT) à Kiev a été largement remaniée et modernisée pour accueillir la production du nouvel appareil. Les prévisions soviétiques tablaient sur la production d’une centaine d’An-124 devant former le gros de sa flotte de transport stratégique employée pour permettre le déploiement rapide des forces de première ligne en cas de conflits, le gros des troupes faisant usage des voies ferroviaires ou maritimes disponibles. A noter que selon les prévisions, l’usine d’Ulyanovsk devait à terme assurer la production complète de l’avion ainsi que de la motorisation, lui permettant de concentrer la production de l’An-124 en son sein.

Mais la chute de l’URSS va venir perturber les projets ainsi que la carrière envisagée pour l’An-124.

L’An-124 en Russie

Lorsque l’URSS s’éteignit en 1991, une vaste majorité des programmes en cours furent directement impactés que ce soit d’un point de vue financier (perte des budgets de développement et de production) ou d’un point de vue logistique (disparition de la chaîne d’approvisionnement); l’An-124 ne faisant bien évidemment pas exception.

Avec deux usines de production et d’assemblage final situées dans deux pays distincts et n’ayant pas nécessairement envie de collaborer (Russie et Ukraine), des ailes produites dans un autre pays (Ouzbékistan), des réacteurs produits dans un seul pays (Ukraine), etc… bref, la production de l’An-124 s’effondra presque du jour au lendemain, le dernier appareil construit à partir de rien sorti d’usine en 1991, les appareils sortis ensuite n’étant que des achèvement d’appareils déjà sur les lignes de montage. Il est vrai que les fournisseurs de composants nécessitaient d’être payés rubis sur l’ongle pour livrer contrairement aux coutumes antérieures. En outre, l’usine d’Ulyanovsk, devenue Aviastar-SP qui devait disposer de la possibilité d’assurer la production complète de l’An-124 se retrouva dans une situation difficile: les travaux de construction des halls et chaînes de montage pour les ailes et les réacteurs notamment ne furent jamais achevés et l’usine se retrouva avec la possibilité de ne produire que des éléments d’An-124 mais pas l’entièreté de ce dernier.

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Illustration des lignes générales d’un An-124. Illustration@drawingdatabase.com

Conçu pour un usage militaire, deux escadrons de l’armée de l’air exploitaient les An-124-100 en 1991: le 235 VTAP et le 566 VTAP tous deux basés à Seshcha (Bryansk), le 235 VTAP déménageant à Ulyanovsk-Vostochny en 1995 avant d’être dissous en 1999. Cependant, l’An-124 va rapidement se retrouver sur le marché civil; les opérateurs cargos ayant vite compris quels avantages il y a à retirer de la mise sur le marché civil d’un tel appareil ainsi de sa capacité de transport qui outre une charge importante permet surtout de transporter des charges hors dimensions inaccessibles aux avions-cargos civils existants qui sont prévus et conçus pour du transport palettisé.

Pour se faire une meilleure idée des dimensions – pour le moins impressionnantes – de l’appareil, les chiffres suivant sont disponibles:

  • Longueur: 69,1 m
  • Envergure: 73,3 m
  • Hauteur: 21,08 m
  • Surface alaire: 628 m²
  • Masse à vide: 178,4 tonnes
  • Masse maximale au décollage: 392 tonnes
  • Charge utile: 120 tonnes
  • Motorisation: 4 x Lotarev D-18T (4 x 229,85 kN)
  • Vitesse maximale: 865 Km/h
  • Vitesse de croisière: 850 Km/h
  • Distance franchissable: 4.650 Km (à pleine charge)
  • Dimensions de la soute: 36,5 m (longueur) / 6,4 m (largeur) / 4,4 m (hauteur)
  • Volume cubique de la soute: 1050 m³
  • Equipage: 8

Peu avant et surtout après la fin de l’URSS, plusieurs opérateurs commerciaux vont faire usage des An-124 en espérant tirer de ces derniers de substantiels revenus, de plus l’armée russe qui ne nécessitait pas d’autant d’avions de transport stratégiques, laissera d’autres opérateurs en faire usage avant de monter une structure spécifique pour les exploiter.

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Les dimensions principales de la soute de l’An-124-100. Illustration@aircharterservice.cd

Au fil des années, les opérateurs russes suivants vont exploiter l’An-124:

  • Aviastar-SP (Russie)
  • Aeroflot (Russie)
  • Polet AK (Russie)
  • Volga-Dnepr (Russie)
  • Antonov Airlines (Ukraine)
  • Maximus Air Cargo (EAU)
  • Libyan Arab Air Cargo (Libye)

Vu que cet article se concentre sur les An-124 en Russie, nous n’aborderons pas plus en détails les avions exploités en dehors du pays, ces derniers seront abordés dans le dossier relatif à l’An-124 qui sera publié à une date ultérieure.

Actuellement, les opérateurs russes de l’An-124-100 sont au nombre de deux, il s’agit de:

  • La force aérienne russe (VKS) qui exploite l’appareil au sein de sa division de transport (VTA)
  • La compagnie aérienne Volga-Dnepr

Premier exploitant redevenu récemment le plus important en taille, la force aérienne russe avec treize appareils en service en 2020 au sein de deux unités: le 235 VTAP d’Ulyanovsk-Vostochny et le 566 VTAP de Seshcha. En outre, les VKS disposent de douze An-124-100 stockés à Seshcha et Ulyanovsk qui sont susceptibles d’être remis à terme en service, les cellules étant en très bon état et peu exploitées, ce qui n’a pas échappé aux décideurs militaires puisque plusieurs appareils sont déjà passés ces dernières années en révision générale et remise en service, la flotte s’accroissant progressivement au fur et à mesure des années. Il n’est pas certain que tous les avions stockés seront remis en service mais sur base des photos disponibles et au vu de l’état des appareils: il est fort probable qu’une forte proportion de ces derniers seront remis en service.

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Le deuxième exploitant de l’An-124 est la compagnie aérienne privée Volga-Dnepr (Волга-Днепр), qui exploite douze An-124-100. Fondée le 22 août 1990 et basée à Ulyanovsk, cette société a été fondée et est toujours dirigée par A.I. Isaikin, un économiste de formation qui à l’époque soviétique travaillait à l’usine d’Ulyanovsk à la mise en place du projet An-124-100 au sein de cette entité.

Lorsque l’URSS arrêta de soutenir financièrement la mise en place de la production de l’An-124, il dirigea un groupe local qui, ayant pris conscience du potentiel offert par ce dernier sur le marché du cargo international notamment via sa capacité d’emporter des charges hors dimensions standards fonda la société Volga-Dnepr en vue d’exploiter prioritairement l’An-124-100. Bien qu’étant une initiative privée, Volga-Dnepr n’en est pas moins une société dont les premiers et principaux actionnaires furent l’usine d’Ulyanovsk, l’usine KMZ (Kiev), le motoriste ZMKB Progress ainsi que le bureau d’études Antonov; inutile de préciser que c’est une société privée très proche de l’état russe. L’actionnariat va évoluer au fil des années ainsi que la composition de la société (création de filiales dont notamment AirBridgeCargo qui exploite des Boeing B-747-8F) mais la flotte de Volga-Dnepr à l’origine constituée d’un An-124-100 et d’un IL-76TD va croître pour atteindre actuellement douze An-124-100 et cinq IL-76TD-90V qui desservent 80 pays et transportent annuellement environ 60.000 tonnes de marchandises.

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Le contrat SALIS, une collaboration ukraino-russe au service de l’OTAN

C’est en mars 2006 que Volga-Dnepr et la société Antonov sont arrivées sur le devant de la scène occidentale via la mise en place de la société Ruslan SALIS GmbH (de droit allemand et basée à Leipzig) qui emporta le contrat de l’OTAN dénommé SALIS (Strategic AirLift Interim Solution) visant à fournir une capacité de transport stratégique rapidement mobilisable pour l’OTAN; cette capacité étant basée sur l’emploi de six Antonov An-124-100 de Volga-Dnepr et d’Antonov Airlines avec deux avions mobilisables à tout moment, deux avions mobilisables endéans les six jours et enfin les deux derniers endéans les neuf jours.

Le contrat va être réattribué 2012 au même consortium et prolongé à plusieurs reprises avec plus de 3.800 missions effectuées par les An-124-100 jusqu’à la fin de ce dernier le 31 décembre 2018 et son attribution au sein d’une nouvelle société Antonov SALIS GmbH qui comme son nom l’indique ne contient plus que la société Antonov Airlines; Volga-Dnepr étant exclue de l’association. Inutile d’expliquer pourquoi l’OTAN a souhaité se passer des services d’une société russe (disposant pourtant d’une capacité de transport beaucoup plus importante que la société ukrainienne) pour assurer une partie de sa capacité de transport stratégique…

Il est à noter qu’en cas d’exploitation du maximum de la capacité requise par le contrat SALIS, Antonov Airlines se retrouverait quasiment à l’arrêt complet puisque pas moins de six An-124-100 sur les huit dont elle dispose seraient mobilisés pour ce contrat. La perte de cette collaboration va d’ailleurs poser de grosses difficultés financières à Volga-Dnepr par la suite.

Il reste une spécificité russe en rapport avec l’An-124-100, le « détachement aérien 224 » (224 LO / 224 Летный Отряд) qui est à l’origine une unité de la force aérienne soviétique fondée en 1971 réorganisée en date du 15 janvier 1993 par un décret du président russe qui va la transformer en structure commerciale enregistrée en tant que compagnie aérienne; le but étant d’exploiter la capacité de transport disponible par les An-124-100 et IL-76MD en dotation au sein de l’armée de l’air. Le 16 octobre 1995, la 224 LO est enregistrée auprès de l’ICAO, la flotte a été fluctuante au fur et à mesure des années mais actuellement elle dispose de deux An-124-100 et onze IL-76MD; les avions, basés à Tver-Migalovo sont facilement identifiables vu la présence d’un logo spécifique sur la dérive. Il est important de préciser que les avions en dotation au sein de la 224 LO appartiennent toujours à la force aérienne russe et sont exploités sans distinction aussi bien pour des besoins commerciaux que pour des besoins militaires.

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Arborant l’insigne distinctif du 224 LO sur la dérive, l’An-124-100 codé RA-82038. Image@Daniil Popov

L’An-124 aujourd’hui et demain?

L’exploitation de l’An-124 en Russie n’a pas toujours été chose aisée; en effet, pour les raisons historiques abordées auparavant, la Russie dépendait de l’Ukraine pour maintenir ses appareils en état et pour disposer d’une partie des pièces de rechange nécessaires pour le maintien en conditions opérationnelles des avions.

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Seul An-124-100 russe portant un numéro de registre en « RF » et non en « RA », le RF-82032 porte le nom de baptême Vladimir Gladilin. Image@Yurij Vladimirovich

De plus, au niveau de la force aérienne russe, l’utilité de l’An-124 était pour le moins limitée dans la période 1990-2005; pour preuve l’ancien régiment 235 VTAP (également basé à Seshcha) qui exploitait les An-124-100 fut dissoute en 1998-1999 et ses avions arrêtés vu le manque de moyens pour les maintenir en état de vol ainsi que l’absence d’utilité pour ceux-ci; idem en ce qui concerne le 566 VTAP, l’unité continua à exister mais une bonne partie de ses avions furent immobilisés dans la même période.

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La base de Seshcha est facilement identifiable grâce à sa configuration: une piste centrale avec les parkings disposés en cercle autour de celle-ci. Image@GMaps

L’Ukraine ayant hérité du bureau d’études Antonov ainsi que de l’usine KMZ (Kiev), le bureau d’études développa en 2004 une version améliorée de l’An-124-100; cette nouvelle version désignée An-124-100M-150 pouvant emporter une charge utile accrue à 150 tonnes, la masse maximale au décollage étant accrue à 420 tonnes, en outre l’appareil devait recevoir une version plus puissante des réacteurs; le Lotarev D-18T series 4. Un seul appareil de ce type a été mis au point, s’agissant en réalité de la conversion d’un An-124-100 existant, cet appareil (le S/n 01-08, registre UR-82009) étant en service au sein d’Antonov Airlines.

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L’UR-82009, seul An-124-100M-150 actif actuellement. Image@Taras Bazhanskiy

En octobre 2006, la Russie et l’Ukraine se mirent d’accord sur la relance de la production de l’An-124; un accord en ce sens étant signé en août 2007 avec la compagnie Volga-Dnepr intéressée de faire l’acquisition d’une centaine d’An-124-150M d’ici à 2030. En juin 2008, UAC Russia estima qu’il faudrait une commande ferme minimale de quarante An-124 pour pouvoir relancer la production en série du Ruslan, les estimations sur base de la demande de l’époque étant d’environ soixante-dix avions à fournir d’ici à 2030; l’usine Aviastar-SP pouvant lancer la production en série à partir de 2012.

Au fur et à mesure des années, plusieurs projets de relance vont être mis sur la table sans jamais déboucher sur une réalisation effective, à cette différence que des travaux préliminaires au sein de l’usine Aviastar-SP auraient été entrepris pour relancer la production en série autour de l’année 2013; un accord étant signé le 12 juillet 2013 entre la Russie et l’Ukraine visant à la création d’une joint venture pour produire l’An-124, les travaux entrepris chez Aviastar-SP découlant de cet accord. Un autre accord intervenu le 17 décembre 2013 entre les présidents russes et ukrainiens consacra le soutien étatique des deux pays à la relance de la production de l’An-124 et du réacteur D-18T.

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Le texte de l’accord entre l’Ukraine et la Russie consacrant le soutien étatique à la relance de la production de l’An-124 et des réacteurs D-18T.

Ce projet fera finalement long feu puisque la crise russo-ukrainienne suite aux événements en Crimée et dans le Donbass déboucheront sur une interruption de toute collaboration technique entre les deux belligérants. Ceci étant confirmé en date du 15 août 2014 par Yuri Slyusar (à l’époque Député Ministre de l’Industrie et du Commerce, devenu depuis président d’UAC Russia).

La rupture des relations entre les deux pays va avoir un impact sur la flotte d’An-124-100 russes, la Russie étant obligée de mettre sur pied une capacité de révision et d’entretien des réacteurs Lotarev D-18T ainsi que de révision générale des appareils au sein de l’usine Aviastar-SP vu que c’était la seule installation encore apte à traiter la flotte. Le problème étant que l’usine était maintenant sans contacts avec les ingénieurs du bureau d’études Antonov basés à Kiev.

A partir de 2016, l’armée russe dont la flotte d’An-124-100 était tombée à seulement neuf appareils disponibles initia un programme de remise en état de vol des appareils immobilisés de longue date avec comme but de traiter un à deux appareils annuellement au sein de l’usine Aviastar-SP d’Ulyanovsk. Certains appareils pris en charge étant par la même occasion converti du standard An-124 au standard An-124-100, tout en augmentant également la durée de vie des cellules. Depuis le début du programme de remise en service des appareils, la flotte des VKS a augmenté à treize appareils (soit environ un appareil pris en charge annuellement) avec deux autres appareils en cours de traitement pour l’instant. Il n’empêche que l’étape suivante est déjà en vue puisque Volga-Dnepr et les militaires russes ont déjà plaidés à plusieurs reprises le besoin de moderniser l’électronique embarquée de l’appareil qui est loin d’être de première jeunesse (il faut quand même huit membres d’équipage pour le faire voler).

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L’An-124-100 codé RA-82013 est un appareil réactivé très récemment après de longues années d’immobilisation. Image@Yurij Vladimirovich

Plusieurs projets de modernisation ont été avancés depuis le début des années 2010 sans qu’aucun ne se concrétise, nous ne les passerons pas en vue ici (ceci sortant du cadre de l’article), mais il se confirme maintenant officiellement que la Russie travaille sur un standard modernisé de l’An-124-100, l’An-124-100M. Plusieurs appels d’offres en ce sens ont été passés, ces derniers visant notamment à des travaux sur le système de navigation ainsi que sur l’installation d’un système d’auto-défense sur l’An-124; la refonte du cockpit avec montage d’écrans LCD multifonctions semble être une évidence. Les appels d’offres étant en cours pour l’instant il faudra attendre encore un peu avant de voir un premier appareil porté à ce nouveau standard mais ceci est une bonne indication de la volonté russe de recapitaliser et pérenniser sa flotte de Ruslan pour lui permettre d’être exploitée jusqu’à son remplacement à long-terme soit par le nouveau projet Slon (charge utile envisagée environ 180 tonnes) ou l’Ilyushin IL-106 (charge utile envisagée environ 100 tonnes); ces deux modèles étant en travaux avant un choix définitif du projet du projet qui sera amené à prendre la relève du Ruslan.

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Aisément identifiable grâce à son fuselage quasi intégralement blanc, le RA-82042 appartenant à Volga-Dnepr a été employé dans le cadre de l’aide à la lutte contre le Coronavirus. Image@Alexey Polyakov

La seule inconnue pour la flotte concerne les moteurs Lotarev D-18T, bien que la Russie dispose maintenant de la capacité de les réviser, ces derniers ne sont pas disponibles en nombre illimité et il est hors de question de voir l’Ukraine en vendre à la Russie. La seule solution disponible à moyen-terme étant la remotorisation avec le futur réacteur PD-35 ou un nouveau modèle dérivé de ce dernier; à voir si cette solution sera encore économiquement pertinente lorsque ce réacteur sera disponible sur le marché, c-à-d à l’horizon 2025-2030. En attendant, les An-124-100 exploités par les militaires n’ayant été que peu employés depuis leur mise en service (et pour une bonne partie longuement immobilisé), les cellules disposent donc d’un potentiel important, ce qui couplé aux travaux réalisés par Aviastar-SP d’extension de la durée de vie ainsi que de la modernisation en préparation permet d’envisager sereinement l’avenir de la flotte.

Le déploiement des An-124-100 dans la lutte contre le Coronavirus

A moins d’avoir passé les trois derniers mois dans un coma profond, personne n’ignore la pandémie de Coronavirus qui au départ de la Chine (province du Wuhan) a fini par s’étendre sur l’entièreté du globe. Initialement présentée par certains comme une « méchante grippe », ce virus redoutable a frappé de plein fouet l’ensemble de la planète impactant fortement les services de soins de santé ainsi que l’ensemble de l’économie mondiale. Inutile de revenir en détails sur cette pandémie, elle sort largement du cadre de cet article et du blog; cependant dans le cadre de la lutte contre la pandémie la Russie a lancé une campagne de fourniture d’équipements, de matériels et de spécialistes pour aider plusieurs pays parmi les plus fortement impactés.

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Le RA-82047 de Volga-Dnepr à Chelyabinsk le 03/04. Image@Ilya Ponomarev

Cette aide, très largement médiatisée, a mobilisé un nombre conséquent d’An-124-100 dont principalement des avions de Volga-Dnepr et dans un moindre mesure des avions de la force aérienne russe via le 224 LO. Il est important de préciser qu’une partie des vols effectués le sont dans le cadre de contrats d’affrètements où la compagnie aérienne est payée pour assurer le transport d’équipements et matériels aidés par les pays destinataires, il s’agit donc d’un transport « classique » du point A au point B, à l’inverse dans les autres cas il s’agit d’une aide matérielle fournie à titre gratuit. Tant qu’à présent, ce sont quatre pays qui ont reçu de l’aide livrée par An-124-100 (à ceci vient s’ajouter d’autres pays ayant reçu une aide avec emploi d’IL-76MD/IL-76TD):

  • Les Etats-Unis
  • La France
  • L’Italie
  • La République Tchèque

En ce qui concerne la France, les Antonov de Volga-Dnepr mobilisés sont affrétés par Geodis pour transporter un milliard de masques de protection commandés en Chine et à livrer en France; ces derniers l’étant sur l’aéroport de Vatry près de Paris. Selon le communiqué de Geodis, ce sont deux An-124-100 qui sont employés (en plus d’avions cargo d’Air France) pendant 14 semaines pour assurer les rotations; sur base des relevés disponibles, on peut voir que les avions assurent la navette entre Hong Kong et Vatry avec relâche à Krasnoyarsk. Le premier vol arrivé à Vatry s’est déroulé le 30 mars.

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L’An-124-100 codé RA-82077 de Volga-Dnepr vu à l’aéroport de Vatry. Image@CH Boudet / France Télévisions

Autre pays ayant fait usage d’An-124-100 de Volga-Dnepr, la République Tchèque qui a reçu de Chine des respirateurs et des masques en provenance de Shenzhen, les avions de Volga-Dnepr venant rejoindre des An-124 d’Antonov Airlines dans le cadre… du contrat SALIS. Au moins un appareil a effectué un vol partant le 31 mars de Shenzhen (Chine) arrivant le 1er avril à Pardubice (République Tchèque) avec relâche à Ulan-Ude et Kazan. Le vol de retour décollant le 2 avril à destination de Kazan. Dans le cas de la République Tchèque il s’agit d’un contrat d’affrètement où la capacité de transport de l’appareil vient compléter celles des avions d’Antonov Airlines.

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Le RA-82078 est l’An-124-100 de Volga-Dnepr qui a été employé pour transporter du matériel vers Pardubice (CZ). Image@?

Troisième pays concerné par l’aide russe; l’Italie. Inutile de préciser que ce pays est un des plus durement touché par la crise du Coronavirus avec des services de soins de santé complètement débordés et une population fortement impactée par ce dernier. La Russie a offert son aide (on ne parle plus ici de contrat d’affrètement) à partir du 22 mars à l’Italie avec notamment la fourniture d’équipements et de personnels spécialisés pour aider le personnel médical italien ainsi que pour assurer la désinfection de certaines zones. Fort logiquement, la Russie a joué à fond la carte médiatique de son engagement dans le pays en mettant même au point un logo spécifique pour montrer l’aide entre la Russie et l’Italie, cette campagne médiatique lui a valu des critiques féroces de la part de journalistes du journal La Stampa (soutenus ensuite par le gouvernement italien) affirmant que l’aide russe était inutile à 80%, critiques auxquelles le gouvernement russe a répondu par la voix d’Igor Konachenkov, porte-parole du MoD russe, en ne jouant aucunement la carte de l’apaisement. Soit, chacun se fera sa propre opinion sur la question, nous ne faisons pas de politique sur le blog. Toujours est-il qu’outre une noria d’IL-76TD/IL-76MD engagés dans un pont aérien vers l’Italie depuis le 22 mars, les An-124-100 de Volga-Dnepr sont également déployés vers l’Italie depuis le 30 mars avec des vols vers Milan et Bologne ces vols se poursuivant au moment de rédiger ces lignes.

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L’An-124-100 codé RA-82046 de la compagnie Volga-Dnepr est un des appareils envoyé en Italie. Image@Andrey Shapovalov

Dernier pays et certainement le plus emblématique, les Etats-Unis. Malgré des relations bilatérales pour le moins exécrables (et c’est un doux euphémisme) entre les deux pays, la Russie a envoyé au-moins deux An-124-100 dont le premier est arrivé le 1er avril (ça ne s’invente pas) à JFK (New-York) après avoir fait relâche à Shannon (Irlande) et Goose Bay (Canada). Chargé d’équipements médicaux, cette arrivée a été largement diffusée par les médias russes qui ne se sont d’ailleurs pas fait prier pour indiquer que certains des équipements livrés (des respirateurs Aventa-M notamment) sont issus de sociétés frappées par les sanctions américaines

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L’An-124-100 codé RA-82038 de la force aérienne russe arborant le blason de la 224 LO lors de son retour de New-York. Image@Said Aminov / saidpvo.livejournal.com

Il est par contre à noter que les équipements livrés ne le sont pas « free of charge » et qu’ils sont payés par les USA et livrés à la FEMA (US Federal Emergency Management Agency), néanmoins dans un contexte de relations tendues et alors que la Russie est également impactée par l’épidémie (et ce fort probablement plus qu’elle ne le laisse transparaître dans sa communication officielle): une telle livraison est pour le moins surprenante. Bien que médiatiquement parlant, ce soit un très beau coup joué par Moscou, l’aide matérielle apportée n’est pas à considérer comme une aide humanitaire puisque le matériel est payé par le destinataire; enfin, il est à noter que ces livraisons sont effectuées non plus par des avions de Volga-Dnepr mais par des avions des forces aériennes russes arborant le logo de la 224 LO.

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En conclusion

L’engagement massif de la flotte d’An-124-100 russes dans le cadre de la lutte contre le Coronavirus est un exemple flagrant de Soft Power russe où le pays joue la carte de l’entraide internationale à des fins politico-médiatiques. Il faudrait être naïf que pour y voir un gouvernement russe faire preuve d’un vaste élan d’altruisme qui réaliserait ce type d’actions uniquement pour venir en aide aux gouvernements étrangers les plus impactés par la crise sanitaire mondiale en cours; ceci étant, considérations politiques (et économiques) mises de côté, le geste est quand même à saluer dans un contexte mondial troublé où la Russie elle-même doit lutter contre les mêmes problèmes (voire pire vu l’état général du système des soins de santé en Russie) que les pays aidés actuellement.

L’emploi de la flotte d’An-124-100 vient consacrer indirectement un mouvement qui se constate depuis plusieurs années malgré un contexte géopolitique international défavorable à ce dernier (des suites de la rupture des relations entre la Russie et l’Ukraine), la flotte de Ruslan remonte en puissance et est exploitée plus intensivement qu’auparavant principalement par l’armée russe. Bien que n’ayant pas à la base une doctrine d’emploi du type expéditionnaire, l’intervention en Syrie a mis en exergue auprès des décideurs de l’armée russe le besoin de disposer d’appareils de transport lourds aptes à transporter des charges importantes sur de longues distances: dit autrement, de récupérer une capacité de transport stratégique crédible. En outre, comme indiqué dans l’article sur l’IL-76MD-90A, ce dernier présente des limitations au niveau du dimensionnement de sa soute qui rendent l’emploi à l’An-124-100 obligatoire dans certaines situations, les matériaux à transporter ne l’étant pas à bord de l’IL-76MD-90A.

Suite à la mise en place d’un programme de remise en état de vol et à terme de modernisation de la flotte militaire au standard An-124-100M, la Russie devrait disposer à terme d’une flotte recapitalisée (moins tributaire des équipements embarqués d’origine ukrainienne) et disponible en nombre suffisant que pour répondre aux besoins russes sans compter l’emploi de la flotte de Volga-Dnepr qui, bien qu’exploitée par une compagnie privée, est très proche du gouvernement russe: ce dernier ne se privant pas de mobiliser lesdits appareils pour répondre à ses propres besoins si nécessaire. Les travaux en cours doivent donc permettre à la Russie d’envisager sereinement l’avenir de sa flotte de Ruslan et lui permettre d’assurer la soudure avec l’appareil destiné à le remplacer: ce dernier étant soit le projet Slon en cours de développement ou l’Ilyushin IL-106 également en cours de travaux et pour lesquels aucune décision ferme n’a encore été actée sur le design qui sera définitivement sélectionné.

Finalement la crise du Coronavirus permet de voir que la Russie emploie sa flotte d’An-124 à la fois pour répondre à ses besoins militaires (ce pour quoi l’appareil a été créé) mais également comme outil médiatique, la capacité de transport offerte par le Ruslan ainsi que la rapidité du déploiement de ces derniers n’étant qu’un moyen d’afficher les capacités russes à pouvoir se mobiliser rapidement aux quatre coins du monde; on ne peut également pas passer à côté de l’ironie contenue dans un détail relatif aux livraisons, ce sont des appareils Volga-Dnepr qui ont été déployés en France, Italie et Chine tandis que ce sont des appareils des forces aériennes russes qui ont été employés pour livrer le matériel aux USA.

Un An-124-100 des forces aériennes russes à New-York en 2020: tout un symbole.

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