[Actu] Les premiers Su-30SM arméniens
L’Arménie est un petit pays du Caucase disposant d’une frontière commune avec la Turquie, l’Iran, la Géorgie et surtout l’Azerbaïdjan avec qui le pays entretien des relations tendues suite au conflit politique (et parfois militaire) en rapport avec la problématique du Nagorniy Karabakh. Cette région indépendante, connue sous le nom contemporain de République d’Artsakh n’est pas reconnue internationalement et est composée à 95% d’arméniens. Elle fait l’objet depuis 1988 de contestations de souveraineté ayant débouché sur un conflit entre les deux pays (entre 1991 et 1994) ainsi que d’escarmouches violentes fréquentes, les dernières en date datant de 2016 et durant quatre jours.

Inutile donc de préciser que l’ambiance entre les deux pays est loin d’être au beau fixe et malgré des moyens très limités dans la région pour les questions militaires; les armées locales sont globalement correctement équipées bien que de taille réduite. En ce qui concerne l’Arménie et plus spécifiquement sa force aérienne, cette dernière étant connue localement sous le nom de Հայաստանի Ռազմաօդային Ուժեր a été fondée en août 1992. Devant appuyer principalement les troupes au sol dans le cadres de la guerre au Nagorniy Karabakh, la flotte arménienne est structurée autour des missions d’appui rapproché: il n’est donc pas étonnant que le Su-25 (11 exemplaires dont 10 achetés en Slovaquie en 2004) ainsi que des hélicoptères d’attaque Mi-24 forment le gros de la force aérienne locale.
Trois bases principales sont employées:
- Erebuni (Էրեբունի օդանավակայան)
- Shirak (Շիրակ միջազգային օդանավակայան) où est basé le 121 ShAE
- Arzni (Արզնի օդանավակայան) où est basé le 60 UAE
Ne disposant pas de chasseurs aptes à assurer les missions de police du ciel, l’Arménie a signé un accord intergouvernemental avec la Russie en 2010 lui donnant l’autorisation de disposer d’appareils russes sur la base d’Erebuni jusqu’en 2044. Reprise sous le numéro 3624 AvB, la base d’Erebuni est rattachée au district militaire du sud des VKS et comporte actuellement pas moins de 18 MiG-29 (Izd.9.13) / MiG-29UB (Izd.9.51) appartenant et volant sous cocardes russes ainsi qu’une escadrille de Mi-24; les arméniens n’ayant pas accès aux appareils en question.

A noter que les relations entre les deux pays sont excellentes, l’Arménie servant de « base avancée » russe face à la Géorgie, offrant en outre un accès aisé à la Turquie et l’Iran pour les russes. Des accords ont été signés dans le cadre de l’OTSC (Organisation du Traité de Sécurité Collective) qui permettent à l’Arménie de bénéficier de tarifs avantageux pour ses acquisitions de matériels militaires ainsi que de la possibilité de recevoir des prêts en Russie à des taux avantageux. Les avions mis en oeuvre par l’Arménie ainsi que par la Russie en Arménie n’étant pas de première jeunesse, on va assister à deux annonces quasi coup sur coup au début de 2019:
- L’annonce par la Russie du remplacement à partir de 2020 des MiG-29 d’Erebuni par des Su-30SM
- L’annonce de la commande par l’Arménie en janvier 2019 de quatre Su-30SM pour livraison en janvier-février 2020
En outre, l’Arménie, malgré un cadre budgétaire serré, souhaite acquérir dans un premier temps au-moins huit Su-30SM avec possibilité d’arriver à terme à douze appareils de ce type afin de former une escadrille complète. Les premières mentions de l’acquisition d’appareils neufs par l’Arménie remontent à 2012 mais ne débouchèrent sur rien de concret; l’arrivée au pouvoir du nouveau premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, en 2018 semble avoir remis le projet sur la table puisque quatre Su-30SM seront commandés en janvier 2019 par l’Arménie pour un montant total de 100 millions d’USD; c-à-d pour le même prix que celui pratiqué pour les forces aériennes russes.

C’est le 19 décembre 2019 que les images des deux premiers Su-30SM (30 et 31 Rouge) destinés à l’armée de l’air arménienne vont apparaître sur internet; ces images ayant été prises durant les vols de transfert vers l’Arménie des avions. Ces deux images seront rapidement suivies une semaine plus tard (le 26/12) par les images des deux avions suivants (32 et 33 Rouge) qui seront notamment photographié à Ufa en route vers leur destinataire final.
Portant les numéros de Bort 30 à 33 Rouge, les quatre Su-30SM destinés à l’Arménie arborent un camouflage en trois tons de bleus identique à celui des Su-30SM russes en service au sein des forces aériennes (VKS); la seule différence résidant dans la cocarde arménienne ainsi que l’indication du pays sur les dérives. A noter que techniquement parlant les appareils sont strictement identiques aux autres Su-30SM déjà en service en Russie et à l’export, aucune modification n’ayant été apportée à ces derniers: le HUD de chez Thales est d’ailleurs employé pour équiper les appareils concernés.

Il ne faudra pas attendre longtemps après la publication des premières images pour assister à la livraison des quatre Su-30SM arméniens en date du 27 décembre 2019 sur la base d’Erebuni en présence du premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, ce dernier documentant largement cette arrivée sur les réseaux sociaux.
Avec cette livraison, qui fait suite aux premiers appareils biélorusses livrés en novembre 2019 ainsi qu’un lot supplémentaire de quatre Su-30SM livrés au Kazakhstan en novembre 2019 également, le Su-30SM poursuit donc sa conquête de l’ancien espace post-soviétique en devenant le chasseur de « référence » des anciennes républiques soviétiques. L’appareil est/sera présent au sein des forces aériennes des pays suivants (seules les commandes actées sont prises en ligne de compte):
- Russie
- Biélorussie
- Kazakhstan
- Arménie
En outre, les dirigeants de l’Ouzbékistan ont fait savoir en août 2019 qu’ils sont également intéressés par l’acquisition de Su-30SM. Il est vrai que la Russie propose des conditions attractives pour certains clients, en proposant à la fois des packages financiers alléchants (fourniture de prêts à taux réduits) tout en vendant l’appareil au même tarif que ceux pratiqués pour le marché intérieur russe. De la sorte, ils proposent donc un appareil qui présente un niveau d’équipements strictement identique au standard russe, les armements déployés étant pour la plupart déjà connu des clients puisque issus de la dotation « classique » de l’armée russe.

L’arrivée des quatre Su-30SM au sein de la force aérienne arménienne, bien que n’étant pour le moment qu’une « micro-flotte », marque un changement significatif pour les missions de la force aérienne locale avec l’ajout d’une capacité de police du ciel ainsi que de supériorité aérienne, missions qui étaient, tant qu’à présent dévolues aux MiG-29 russes basés à Erebuni. La mise en service des Su-30SM arméniens couplé au remplacement (à moyen terme) des avions russes d’Erebuni par des Su-30SM neufs (on parle de 18 unités) verront le pays disposer d’une force aérienne aux performances significativement rajeunies, surtout si l’on compare avec les équipements antérieurement employés.

De manière pour le moins prévisible, la réaction du voisin azéri ne s’est pas faite attendre puisque le pays a fait savoir qu’il est intéressé par l’acquisition de Su-57E (variante export de ce dernier) pour équiper ses forces aériennes. Outre le côté logique de cette annonce bien que non-fondé vu que l’appareil n’est pas encore exporté, c’est surtout la posture qui est intéressante: l’arrivée de quatre Su-30SM en Arménie ne changeant pas fondamentalement (pour l’instant) l’équilibre des forces dans la région, il est cependant vrai que si les plans arméniens de passer à terme à une flotte de douze Su-30SM se concrétisent, la force aérienne arménienne disposera de capacités sans aucune mesure avec ses capacités actuelles. Mais bon ceci dépendra avant tout des finances locales; l’acquisition d’un appareil (même avec des conditions de financement avantageuses) est une chose, l’exploitation ainsi que le maintien en conditions opérationnelles de ces derniers nécessitant des budgets importants que pour faire des Su-30SM arméniens une force crédible en est une autre.