[Actu] La Marine Russe de demain?
Dans le cadre de réunions qui se tiennent entre le 2 décembre et le 5 décembre à Sochi; les principaux responsables russes dont notamment le président, les hauts responsables de la Marine Russe (VMF) ainsi que les représentants de la construction navale vont dresser le bilan et les perspectives pour la Marine Russe dans les années à venir. Il ne faut pas s’attendre à un ensemble détaillé et précis des navires qui seront commandés durant les mois à venir mais il est déjà possible de voir les axes de développement ainsi que les grandes orientations que la Marine Russe va prendre dans les mois et années à venir.
De manière intéressante, il semble que l’on se dirige (enfin!) vers un changement de paradigme avec le retour des ambitions océaniques; certes dans un cadre moins poussé qu’à l’époque soviétique mais les premières annonces vont en ce sens: accent mis sur le missile Tsirkon, rééquipement confirmé de l’ensemble de la flotte d’Izd.1155 Fregat avec cellules verticales UKSK, accent mis sur les sous-marins et les frégates, confirmation de la mise sur cale de « destroyers » et enfin mise sur cale de navires amphibies. On s’éloigne donc progressivement de la construction navale se limitant à produire de multiples modèles de corvettes présentant toutes des caractéristiques techniques similaires.
Concrètement à quoi peut-on s’attendre dans les mois à venir?
Le missile 3M22 Tsirkon
Nouvel élément structurant de la marine russe, le missile de croisière hypersonique anti-navires 3M22 Tsirkon/Циркон (faisant partie du complexe 3K22) est en passe de devenir le nouvel « élément central » de la Marine Russe. Alors que précédemment l’accent était mis sur la « Kalibrisation » de la flotte, c-à-d: l’installation de cellules de lancement verticales permettant l’emport des missiles Kalibr (et accessoirement Oniks), la Russie passe à l’étape suivante avec la mise en place de capacités d’emport du nouveau missile Tsirkon.
Faisant partie des réponses asymétriques apportées par la Russie à la problématique de la défense contre les marines ennemies, ce nouveau missile dont le développement a été initié en 2011 sous l’égide de NPO Mashinostroyeniya a vu son développement buter sur plusieurs difficultés techniques qui seront progressivement surmontées avec l’annonce du début de la campagne de tests dès 2015 suivi d’un premier test de tir (au sol) réussi daté du 16 (ou 17) mars 2016 ainsi qu’en avril 2017 des premiers tests de tirs réussis au départ de la mer (avec emploi du SSGN K-560 Severodvinsk / Izd.885). Les premiers tests au départ de navires de surface se seraient déroulés (conditionnel de rigueur) au départ de la frégate Admiral Kasatonov (Izd.22350) dans le courant du mois de novembre 2019.

De part les performances annoncées notamment au niveau de sa vitesse maximale ainsi que de sa charge offensive, le Tsirkon devrait à terme poser de sérieuses difficultés aux systèmes chargés d’assurer son interception et ce, à condition que les performances réelles correspondent effectivement aux performances annoncées; ceci étant fort probable vu le recentrage effectué sur ce dernier par la Marine Russe. A noter que le missile n’ayant pas encore été vu pas plus que le moindre aperçu officiel sérieux de ce dernier ne soit disponible, les détails relatifs à ce missile ne sont pas encore vérifiables.
D’un point de vue technique, les caractéristiques communiquées tant qu’à présent sur le Tsirkon sont les suivantes;
- Longueur: Entre 8 et 10 m
- Vitesse maximale: entre Mach 5 et Mach 6
- Distance franchissable: 400 Km
- Charge offensive: Entre 300 et 400 Kg
- Carburant: Liquide, T-10 Detsilin-M / Децилин-М
Le Tsirkon est mis en oeuvre à partir des cellules de lancement verticales 3S14 UKSK-M qui sont légèrement plus longues (par rapport aux 3S14 UKSK « classiques ») pour pouvoir accueillir le missile. Par conséquent, si la Russie souhaite déployer ce dernier, elle se retrouve obligée de rééquiper ses navires avec lesdites cellules.

Pour l’instant, plusieurs séries de navires sont déjà conçues et/ou en cours de transformation pour déployer le missile Tsirkon:
- Croiseurs lance-missiles Orlan (Izd.1144.2M): il s’agit des deux Orlan (Admiral Nakhimov et Piotr Velikiy) une fois sortis de modernisation
- Frégates Fregat (Izd.1155): il s’agit des navires de la classe Fregat une fois qu’ils seront sortis de modernisation avec rééquipement avec cellules UKSK-M
- Frégates Admiral Gorshkov (Izd.22350): équipées en usine de cellules UKSK-M
- Corvettes Gremyashchiy (Izd.20385): équipées en usine de cellules UKSK-M
- SSGN Yasen/Yasen-M (Izd.885/Izd.885M): équipés en usine de la possibilité de lancer les missiles Tsirkon
- SSGN Antey (Izd.949A): modification des lanceurs SM-233 (missiles P-700 Granit) pour permettre l’emport de missiles Kalibr/Oniks/Tsirkon après modernisation des navires
Bien qu’il reste encore beaucoup de travail à accomplir (on parle de la construction navale russe et de ses délais de production quasi-légendaires), la direction choisie est clairement tracée et repose sur un mélange relativement équilibré de modernisation de navires existants afin de les rendre polyvalents ainsi que la construction de nouveaux designs de navires directement équipés du missile Tsirkon. Il en va de même pour les sous-marins, entre les Yasen/Yasen-M qui seront dès leur sortie d’usine aptes à emporter des Tsirkon, les Antey vont également passer par la case rééquipement qui leur permettra de déployer également le Tsirkon.

Il reste à voir maintenant si les projets tels qu’envisagés (une partie des travaux nécessaires a déjà été engagée) seront concrétisés dans leur intégralité.
Grands navires anti-sous-marins Fregat (Izd.1155/Izd.1155.1)
Sans revenir in extenso sur la modernisation des grands navires anti-sous-marins (BPK) de la classe Fregat (Izd.1155/Izd.1155.1) qui a déjà été abordée sur le blog, on peut noter qu’il se confirme que l’ensemble des neuf navires toujours actifs passeront par la case modernisation avec montage de cellules UKSK-M. Le premier navire concerné par cette modernisation, le Marshal Shaposhnikov appartenant à la Flotte du Pacifique, vient de sortir de cale sèche bien que l’ensemble des travaux ne soient pas encore achevés. Cependant, il apparaît que le montage de seize cellules UKSK-M permette de transformer en profondeur les capacités de cette classe de navire même si il faudra patienter encore un peu pour jauger sur pièce une fois que les essais à la mer de ce dernier débuteront.

Alors qu’initialement les projets tablaient sur la modernisation d’une partie de la flotte, il semble que l’on s’oriente maintenant vers une modernisation de l’ensemble des Fregat qui à cette occasion changent de catégorie de navires en passant de la catégorie BPK à la catégorie Frégates; en résumé, « les Fregat deviennent des Frégates ».
Plus sérieusement, avec un déplacement de 7.500 tonnes en pleine charge, une endurance de 30 jours en mer, une chaîne cinématique fiable (turbines à gaz) et des qualités océaniques reconnues: les Fregat vont donc former pendant encore de longues années le noyau de la flotte hauturière russe rénovée, ces derniers étant complétés par les frégates Admiral Gorshkov dans un premier temps et par les nouveaux destroyers ensuite. La seule question qui nécessite encore une réponse par rapport aux travaux porte sur les délais impartis pour que l’ensemble de la flotte soit traitée; les travaux sur le Marshal Shaposhnikov ayant été particulièrement longs (plus de 4 ans), il faudra que deux chantiers soient mobilisés (un pour la Flotte du Nord et un pour la Flotte du Pacifique) de manière à accélérer le rythme des travaux ce qui sera pour le moins important sachant que l’âge moyen de la flotte de Fregat est de 32 ans.
Frégate Admiral Gorshkov (Izd.22350) / Destroyers « Super-Gorshkov » (Izd.22350M)
Premier constat et confirmation de ce qui était déjà discuté, la construction des frégates Admiral Gorshkov va se poursuivre. Après avoir admis au service la tête de série en 2018 l’Admiral Gorshkov, l’Admiral Kasatonov sera réceptionné dans quelques jours. Quatre autres frégates sont en cours de construction, deux unités sont à un stade avancé de construction (lancements attendus en 2020 et 2021) et enfin deux unités supplémentaires (avec nombre de cellules UKSK-M porté à 24) ont été mises sur cales en avril 2019. On parle maintenant de la poursuite de la construction de cette série avec la mise sur cale de deux unités supplémentaires à raison d’une unité en 2020 et une autre unité en 2021.
Deuxième constat et pour le moins important, l’annonce de la construction de « destroyers ». On ne parle pas de frégates (Izd.22350 Admiral Gorshkov) ni de croiseurs (Izd.23560 Lider), mais de « destroyers », ceci étant une confirmation indirecte des futurs « Super-Gorshkov » qui sont repris comme « destroyers » dans la classification russe. Cette nouvelle classe de navire dérivée des frégates Admiral Gorshkov devrait voir son déplacement accru à environ 8.000 tonnes, le nombre de cellules UKSK-M augmenté à 48 et enfin un système anti-aérien Poliment-Redut qui voit sa capacité d’emport augmentée à 96 missiles. Cette annonce est à mettre en lien avec le fait que le design préliminaire de cette classe de navire a été achevé très récemment ce qui ouvre la voie à la création de la documentation permettant de lancer la création du bâtiment une fois que le design aura été approuvé. Si tout se déroule comme prévu, la mise sur cale d’une tête de série pourrait intervenir dès 2020 et la construction se tiendrait au sein du chantier naval Severnaya Verf avec une admission au service à l’horizon 2027.

La Russie va donc suivre une politique double avec la poursuite de la construction des frégates Admiral Gorshkov tout en débutant la production en série des destroyers « Super-Gorshkov« ; le tout permettant de renouveler en partie la flotte hauturière existante.
Navires d’assaut amphibies
Autre programme déjà abordé sur le blog mais maintenant confirmé: la mise sur cales prévue de deux navires d’assaut amphibie. Outre le fait qu’il s’agira d’une première pour la Marine Russe, la production de ces deux unités se déroulera au sein du chantier naval Zaliv de Kerch pour lequel il s’agira d’une première également. La mise sur cale est attendue pour mai 2020 avec une date de sortie estimée en 2025 et 2026 respectivement.
Le design définitif du navire n’est pas communiqué mais on se dirige vers une capacité d’emport entre 12 et 16 hélicoptères ainsi qu’un déplacement qui tournerait autour des 25.000 tonnes pour une longueur de 220 m. Vu l’absence de précision sur le design ainsi que les sources parfois contradictoires sur ces derniers, les chiffres abordés sont à prendre avec les réserves de rigueur.
Sous-marins
La poursuite de la construction des sous-marins est une évidence qui ne nécessite pas de nombreuses explications, ainsi lorsque président russe parle de construction de sous-marins, il ne fait que répéter une situation qui est déjà d’application. En l’état actuel des choses et jusqu’à la fin du GPV en cours (soit jusqu’en 2027), les navires suivants sont/seront en production:
- Six SSGN Yasen-M en cours de production avec une mise en service étalée entre 2020 et 2023
- Deux SSGN Yasen-M supplémentaires seront mis sur cales en 2020 et 2021 pour livraison en 2026 et 2027
- Quatre SNLE Boreï-A sont en cours de production et seront admis en service entre 2020 et 2023
- Deux SNLE Boreï-A supplémentaires seront mis sur cales le 9 mai 2020 pour livraison en 2026 et 2027
- Cinq SSK Varshavyanka sont en cours de production pour mise en service entre 2020 et 2022
La Russie envisage de poursuivre la production de Varshavyanka pour équiper la Flotte de la Baltique mais aucun contrat en ce sens n’a été signé tant qu’à présent. A l’inverse, deux SSGN de la classe Antey (Izd.949A) sont en modernisation au sein du chantier naval Zvezda avec rééquipement des tubes lance-missiles SM-233 pour missiles P-700 Granit permettant d’emporter des missiles Oniks/Kalibr/Tsirkon. Il restera encore six navires de cette classe dont la modernisation peut s’envisager mais il faudra d’abord attendre la sortie des deux premiers bâtiments (le K-132 Irkutsk et le K-441 Tchelyabinsk) destinés à la Flotte du Pacifique que pour en savoir plus sur le nombre de bâtiments qui seront finalement concernés par cette modernisation.

Le passage en modernisation des deux premiers bâtiments a été fortement retardée mais au vu de récents contrats relatifs aux travaux à effectuer, on peut s’attendre à voir les choses évoluer rapidement dans les mois à venir.
Conclusion
Que retenir de tout ceci au final? L’élément le plus pertinent de tout ceci est qu’il y a ce que l’on sait… et ce que l’on ne sait pas. Et les silences de la Russie sont pour le moins intéressants; pas un mot sur les croiseurs Lider alors que l’industrie communique à intervalles réguliers sur ces derniers, pas un mot sur le futur sous-marin Husky, pas un mot sur l’aéronavale et son renouvellement, etc… . Indirectement, ces silences confirment ce qui apparaissait en filigrane depuis quelques temps: la remontée en puissance de la Marine Russe va se faire progressivement.
Après avoir capitalisé sur les design de corvettes et navires côtiers, l’accroissement de la série de frégates Admiral Gorshkov, la modernisation des navires hauturiers « historiques » disposant du plus grand potentiel d’adaptation (Orlan/Fregat), le lancement des destroyers « Super-Gorshkov« , la poursuite du renouvellement de la flotte sous-marine (stratégique ou non), la mise sur cales des deux premiers porte-hélicoptères; on se retrouve face à une marine qui a décidé de reprendre pied sur les océans en modernisant par étapes ses capacités océaniques.
Le recul du projet de porte-avions au-delà de 2027 et la non-confirmation (pour l’instant) des croiseurs Lider indique simplement que la Marine avance par étapes et attendra d’avoir franchi l’étape intermédiaire qui est en cours de préparation actuellement avant de passer à des navires plus gros, plus complexes et donc plus onéreux à acquérir et exploiter. Bien que n’ayant pas les mêmes besoins et contraintes que des marines comme l’US Navy ou la PLAN, l’engagement en Syrie a mis en avant les limitations capacitaires de la Marine Russe ce qui semble avoir servi d’électrochoc aux décideurs. Gageons que l’accélération de la mise sur cales de deux UDK n’est absolument pas étrangère aux constats posés durant cette intervention.

Il est évident que l’on peut encore discuter longtemps sur les informations disponibles vu leur côté parcellaire (tant qu’à présent) mais si la Russie suit (après tout entre la volonté et la réalité, il y a régulièrement un décalage) le programme qu’elle a annoncé sans pour autant le détailler, on voit quelle structure aura la flotte de surface de premier rang russe en 2027 à la fin du GPV actuel:
- Un Izd.1143.5M Admiral Kuznetsov
- Deux porte-hélicoptères
- Deux Izd.1144.2M Orlan
- Trois Izd.1164 Atlant (modernisés mais avec armements identiques)
- Neufs Izd.1155M Fregat
- Huit Izd.22350 Admiral Gorshkov
- Un Izd.22350M « Super-Gorshkov » (la tête de série)
Le tout constituant une flotte rajeunie et restructurée autour du missile Tsirkon apte à rééquiper les deux flottes principales (du Nord et du Pacifique) avec des navires aux capacités océaniques crédibles et dont la taille sera plus en adéquation avec la réalité budgétaire russe. Encore une fois, il reste à voir ce qu’il en sera réellement, le décalage entre les intentions et les concrétisations étant parfois important en matière de construction navale russe; sans pour autant tomber dans un optimisme béat, le plan annoncé semble pour le moins en adéquation avec les capacités budgétaires ainsi que productive de la Russie.
Interessant et il semble enfin que le pragmatisme l emporte. Par contre rien sur l aéronaval? Ravitailleurs AWCS et capacités anti navires…. le su34 serait une option intéressante ou plus de su30 avec la capacité antin navire?
Malheureusement aucune information sur cette question…
Merci pour cette remarquable analyse sur l’évolution de la Marine russe.
Nous revivons une prolongation de la stratégie asymétrique, P-700 Granit soviétique contre le projet de porte-avions Nimitz de l’US Navy, années 60. L’OKB-52 devenue NPO Machinostroeniya effectuera, après étude, développement… les 1ers tests fin 1975. L’utilisation opérationnelle pendant la guerre des Malouines en 1982 fut un grand succès. Voir l’article de Y. Obratsov dans Sub-marine n°9 de 2016. Depuis, il y a eu l’emploi des Kalibr en Syrie et l’arrivée des Tsirkon hypersoniques. Compétences et ténacité impressionnantes !
J’ai commandé le magazine en question pas plus tard qu’aujourd’hui: je lirais donc l’article avec intérêt une fois ce dernier réceptionné 😉
concernant le missile Tsirkon, je note un carburant liquide, ce qui implique, à priori, un temps de préparation et des installations spécifiques, au delà des VLS allongés. Pour un missile embarquée ça complique la mise en oeuvre, mais peut être que pour atteindre de telles performances en vitesse il faut en passer par là…
Remarque pertinente; cependant comme indiqué dans l’article en question, les détails précis ne sont pas encore connus sur ce dernier. L’emploi de Detsilin 10 comme carburant étant lui-même soumis aux réserves d’usage 😉
Est-il confirmé que la huitième 20380 équipe module UKSK-M ?
C’est ce qui a été annoncé; il reste à attendre les premières images du bâtiment en question.
La neuvième (Aldar Tsydenzhapov) par contre, n´a pas de module UKSK-M comme on peut voir dans les photos et pourtant c´est la première avec radar similaire aux 20385. Ce n´est pas très cohérent tout cela !
Vu que le 8ème navire et le 9ème navire ne sont pas construits au même endroit; ce ne serait pas étonnant… Avec la construction navale russe: plus rien ne m’étonne.
Mais je vais regarder plus en détails ce que je peux trouver sur la question 😉