[Actu] Artillerie russe: kaboom? Yes Rico, Kaboom!
Depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022, on assiste à une sérieuse remise en question de certains concepts fondamentaux et doctrines d’emploi russes (dont une partie sont encore des réminiscences de l’époque soviétique); cette remise en question allant de pair avec une forte accélération des modifications apportées aux matériels en dotation au sein des forces armées russes notamment eu égard à la plus large prise en compte de la généralisation des drones sur le champ de bataille. Si ces tendances touchent l’ensemble des branches de l’armée russe, il est à noter que les forces terrestres (VS) sont très probablement celles qui voient leurs équipements se transformer le plus rapidement et le plus en profondeur: force est de constater que les performances enregistrées par les matériels occidentaux fournis à l’Ukraine ont été les accélérateurs (si ce n’est les éléments déclencheurs) de ces transformations…ainsi que le taux d’attrition élevé enregistré par les Russes durant les premiers mois de la guerre.
Or si il est un domaine où les forces terrestres russes sont notoirement à la traîne en comparaison avec leurs homologues occidentales, c’est dans le sacro-saint domaine (pour la doctrine russe) de l’artillerie et plus précisément des lance-roquettes multiples (RSZO/Реактивная Cистема Залпового Огня dans la nomenclature soviéto-russe). Alors que l’artillerie est depuis longtemps considérée comme étant le « dieu de la guerre » en URSS et à sa suite en Russie, il est pour le moins intéressant de voir que les lointains héritiers des rustiques et efficaces BM-8 et BM-13 plus connu sous le surnom de « Katioucha » (Катюша) marquent très nettement le pas en matière de performances (portée et précision), de modularité (un calibre pour un système) ainsi qu’en terme de mobilité par rapport à leurs équivalents occidentaux modernes. Reposant sur le triptyque 9K51 Grad (122 mm), 9K57 Ouragan (220 mm), 9K58 Smerch (300 mm) qui est globalement dans un état technique fort proche de celui de sa mise en service, le début de modernisation enregistré avec le programme Tornado (en déclinaison Tornado-G pour les 122 mm et Tornado-S pour les 300 mm) n’a produit que des effets limités ne modernisant pas en profondeur les capacités russes.
Le domaine de l’artillerie automoteur (SAU/Самоходная Aртиллерийская Yстановка dans la nomenclature soviéto-russe) connaît des problématiques similaires: matériels globalement vieillissants, manquant à la fois de précision et de portée tout en disposant d’une mobilité moyenne (reposant principalement sur de lourds châssis chenillés). Même si la situation est moins critique qu’au niveau des lance-roquettes multiples, le développement du 2S35 Koalitsiya-SV ainsi que des 2S43 Malva et 2S44 Giatsint-K apportent des réponses (partielles) aux problématiques soulevées: il n’empêche que les russes « font feu de tous bois » (manière de dire) pour apporter rapidement des solutions et par la même occasion remettre leur artillerie à niveau et ce dans un contexte où ils doivent également compenser une attrition élevée.

Bien que certaines solutions apportées soit critiquables, notamment suite aux choix techniques posés qui découlent – pour partie – des limitations industrielles russes, il est à noter que les travaux se concentrent sur l’amélioration de la mobilité, l’augmentation de la précision et de la portée des munitions: le tout en exploitant pour partie le stocks existants. En outre, la menace constituée par la généralisation du recours aux drones voit les véhicules engagés recevoir des protections supplémentaires… dont l’utilité est parfois soumises à questionnements. Cependant, si les drones sont une menace omniprésente, ils sont désormais également systématiquement intégrés par l’artillerie Russe qui a très fortement augmenté ses temps de réaction (ainsi que sa précision) en comparaison avec les premières années du conflit russo-ukrainien.
Si il est impossible de faire un tour d’horizon exhaustif des développements en cours, il existe plusieurs points méritant que l’on se penche dessus et indiquant que les russes n’hésitent plus à revoir leurs concepts et doctrines existants pour s’adapter aux menaces des champs de bataille contemporains.
- Un nouveau châssis pour le 9K57 Ouragan (220 mm)
Le lance-roquettes multiples 9K57 Ouragan (Ураган) d’un calibre de 220 mm est entré en service en 1975 et a été produit jusqu’en 1991. Employé par les régiments d’artillerie ainsi qu’au sein de brigades dans les armées combinées, le système dispose d’un ensemble de seize tubes de 220 mm installés sur le lanceur 9P140 construit sur un châssis massif 8×8 ZiL-135LM (produit entre 1963 et 1995) et propulsé par deux moteurs essence. Avec une portée minimale de huit kilomètres et maximale de trente-cinq kilomètres, le lanceur du système Ouragan est en mesure de tirer une dotation de seize roquettes en moins de vingt secondes ce qui lui permet de ratisser une zone évaluée à 42,6 hectare en une seule phase de tir.
En service à raison d’environ cent cinquante lanceurs dans la dotation russe complété par un stock de cinq cents lanceurs placés en réserve; une partie des lanceurs en réserve sont susceptibles d’être remis en service, ceci dépendant des conditions de conservation qui sont souvent plus ou moins douteuses. On se dirigeait vers une disparition progressive du système Ouragan de la dotation russe (d’où l’absence d’un programme « Tornado » pour le remplacer): l’obsolescence technique de son châssis découlant des difficultés à maintenir ce dernier en état (en l’absence de pièces détachées, la production étant achevée depuis 1991) ainsi que le manque de précision de ses roquettes faisaient de ce dernier un candidat idéal pour la retraite. Les lourdes pertes enregistrées en Ukraine ainsi que l’existence d’un stock important de lanceurs 9P140 à disposition semblent avoir significativement changé la donne.

Conscients (de longue date) des limitations techniques du châssis (comprenant deux moteurs ZiL-375Ya fonctionnant à l’essence et disposant chacun de leur propre transmission qui agissent sur un seul côté du véhicule); les responsables russes vont lancer le développement au milieu des années 1990 du 9K512 Ouragan-1M. Ce projet, qui tablait à l’origine sur l’emploi d’un châssis 8×8 BAZ-6910, verra finalement le châssis ZIL remplacé par un nouveau châssis 8×8 MZKT-7930 donnant naissance au lanceur 9A53 qui voit en outre les tubes pour roquettes remplacés par des paniers de transport et de lancement. Ce lanceur peut emporter soit douze roquettes de 300 mm (assemblées dans deux paniers 9Ya295 de six roquettes) soit trente roquettes de 220 mm (assemblées dans deux paniers de quinze) soit un panachage des deux calibres selon les besoins opérationnels. Le rechargement s’effectuant en remplaçant directement les paniers sur le lanceur. Tel qu’envisagé, l’Ouragan-1M devenait un système mixte apte à tirer les roquettes de 220 mm du système Ouragan ainsi que les roquettes de 300 mm du système Smerch.

Retardé par les difficultés économiques russes de l’époque, les essais étatiques de l’Ouragan-1M débuteront en 2012 et malgré l’achèvement concluant de ces derniers en 2015, la Russie ne recevra que six véhicules 9A53. Il semble que le coût de l’ensemble ait été rédhibitoire pour le ministère de la défense russe, et ce malgré des performances bien au-delà de la variante d’origine. L’absence de passage en production de série du 9A53, les difficultés à maintenir le véhicule en conditions opérationnelles (suite à l’obsolescence du châssis) ainsi que les lourdes pertes enregistrées en Ukraine indiquaient que le 9K57 Ouragan allait tirer sa révérence sous peu. Néanmoins, des images publiées fin 2023 illustrant un système 9K57 Ouragan installé sur un nouveau châssis 6×6 BAZ-69092 montrent que les militaires russes ont décidé de donner une seconde vie à l’ensemble en remplaçant le (préhistorique) châssis ZIL par un châssis moderne et unifié avec le châssis employé par d’autres systèmes (S-350, S-400, etc…). A noter que l’idée de remplacer le châssis ZiL n’a rien de novateur, les Ukrainiens lancèrent le mouvement en 2010 avec le programme Bastion-03 (châssis 6×6 KrAZ-6322RA) et vers 2020 avec le Bouran (châssis 8×8 Tatra Т815-7Т3RC1) tandis que les Biélorusses suivirent le même chemin en 2019 avec usage d’un châssis 6×6 MAZ-631705.
Outre l’emploi d’un châssis connu et fiabilisé de facture nationale, le gain en performances et en simplicité d’exploitation en comparaison avec le ZiL-135LM s’annonce d’ores et déjà des plus pertinent. Le nouveau châssis est de plus petit gabarit (6×6 vs 8×8) et propulsé par une motorisation simplifiée (un seul moteur diesel YaMZ-8491.10-032 développant 450 Cv en lieu et place de deux moteurs essence ZiL-375Ya développant un total de 360 Cv) qui offre à l’ensemble des performances accrues avec une vitesse de pointe pouvant monter à 80 Km/h sur routes goudronnées (65 Km/h pour le châssis ZiL) ainsi qu’une autonomie maximale sur routes pouvant atteindre 1.000 Km (570 Km pour le châssis ZiL). A l’inverse, aucun travail n’a été entrepris sur le système de ciblage: les Ouragan rééquipés avec le châssis BAZ-69092 disposent donc toujours des mêmes performances offensives qu’à l’origine.

Si le gain de mobilité offert par ce nouveau châssis est pour le moins conséquent, l’absence de cabine blindée est difficile à comprendre: les véhicules rééquipés ont reçu des protections anti-drones avec montage des « grilles de barbecue » en toiture, cependant l’ensemble ne dispose d’aucune protection contre les tirs d’armes même de petits calibres… Ce qui a déjà poussé certains équipages à « bricoler » des protections supplémentaires (à l’efficacité toute relative) avec mise en place de plaques positionnés autour de la cabine aux points les plus sensibles. A l’inverse, d’un point de vue strictement logistique: l’abandon du châssis ZiL et de ses moteurs essence permet de ne plus s’encombrer avec la contrainte liée à ce type de carburant spécifique (la quasi totalité des châssis employés disposent de moteurs diesels).

En l’état actuel des choses, aucune communication n’a été faite sur le passage « en série » ou non du rééquipement avec le châssis BAZ-69092, cependant plusieurs Ouragan détruits ces derniers mois en Ukraine étaient équipés de ce châssis: ce qui tendrait à indiquer une généralisation progressive de cette transformation.
- Vozrozhdenie (122 mm/220 mm)
Lors d’une visite officielle effectuée à l’usine NPO Splav de Toula fin février 2024 par le MoD Russe de l’époque, Sergueï Choïgou (remplacé à ce poste depuis lors), il a été possible de voir les premières images d’un nouveau système lance-roquettes multiple qui répondrait au nom de Vozrozhdenie. Construit sur base du système de minage à distance (ISDM/Инженерная Система Дистанционного Минирования) Zemledeliye (Земледелие) qui emporte deux paniers de vingt-cinq tubes de 122 mm capables de tirer des roquettes contenant des mines à une distance allant de 5 à 15 Km permettant de créer rapidement et à distance de sécurité un champs de mines sans mettre en danger (immédiat) les troupes. Le rechargement du véhicule s’effectue en remplaçant directement les paniers sur la plate-forme.

Entré en service en 2020, le système Zemledeliye repose sur un châssis 8×8 KamAZ-6560 doté d’un moteur diesel KamAZ-740.60-360 développant 360 Cv offrant à l’ensemble une vitesse de pointe de 90 Km/h. Vu l’architecture du système s’apparentant (fortement) à un système d’artillerie, les Russes vont lancer en 2023 le développement d’un nouveau système de lance-roquettes multiples bicalibre reprenant l’architecture du Zemledeliye et emportant un panier de vingt-cinq tubes pour roquettes de 122 mm ainsi qu’un panier emportant neuf tubes pour roquettes de 220 mm. Ce nouvel ensemble, répondant au nom (pas encore officialisé) de Vozrozhdenie est donc en mesure de tirer l’ensemble des roquettes de 122 mm employées par le 9K51 Grad, les roquettes provenant de la dotation du 9K57 Ouragan ainsi que les roquettes des systèmes TOS-1(-A) et TOS-2.

La visite d’usine datée de février 2024 vient confirmer l’existence de ce nouveau système qui n’en serait qu’au stades des essais: le peu d’informations disponibles permettent de voir le recours à un châssis 8×8 qui est (très probablement) un KamAZ-6560, tandis que les tubes à roquettes sont montés dans des paniers. Le système serait capable de frapper jusqu’à 15 Km (roquettes de 122 mm), cette distance passant à 35 Km (roquettes de 220 mm). Même si le système n’en est qu’à ses prémisses, le recours à une plate-forme préexistante permet d’accélérer les travaux tout en disposant d’une base déjà connue et maîtrisée. Autre caractéristique importante de l’ensemble, si il entre en production de série (annoncé pour le second semestre 2024 mais pas encore d’éléments concrets venant corroborer cette affirmation): les Russes disposeront d’un ensemble apte à remplacer (et/ou reprendre le rôle) des Grad, Ouragan et plus largement TOS-1(-A)/-2/-3 au sein d’une seule plate-forme unique.
- Le Sarma: nouveau système de lance-roquettes multiple de 300mm
Occupant le « haut du panier » (le calembour moisi est assumé) de l’échelon en matière de lance-roquettes multiples russes, le calibre 300 mm est représenté par le système 9K58 Smerch (Смерч) dont chaque lanceur 9A52-2 dispose de douze tubes de lancement de 300 mm, la portée minimale est de vingt kilomètres tandis que la portée maximale de frappe est de cent kilomètres, le lanceur est en mesure de tirer soit l’ensemble des roquettes en une salve pour faire un tir de saturation soit roquettes par roquettes pour effectuer des tirs de précision. Ce système dont le développement a été initié au début des années 1980 est admis au service en 1989 soit peu de temps avant la fin de l’URSS.

Ayant pris conscience dans le courant des années 2000 que le parc de lance-roquettes multiples était vieillissant, les responsables russes vont charger en 2012 l’entreprise NPO Splav en collaboration avec PAO Motovilikha de lancer un programme de modernisation des équipements à disposition, répondant au nom de Tornado (Торнадо) deux variantes sont développées: le 9K51M Tornado-G (modernisation des 9K51 Grad) et le 9K515 Tornado-S (modernisation des 9K58 Smerch). Entré en service dès 2016, les travaux réalisés ont porté sur l’installation d’un nouveau système de contrôle de tir automatisé ainsi que sur le développement de nouvelles munitions (guidées ou non) visant à augmenter à la fois la portée (passant à 120 Km maximum avec le potentiel de monter à 200 Km à terme) ainsi que la précision de l’ensemble via la mise en œuvre de munitions guidées (9M542/9M544/9M549) par GLONASS.
Cependant, la modernisation au standard Tornado-S n’apporte pas d’évolutions fondamentales: le lanceur 9A54 et son véhicule de rechargement 9T234-2 emploient toujours comme base le lourd et ancien châssis 8×8 MAZ-543M. Même si ce dernier offre une capacité tout-terrains pratique pour suivre les colonnes blindées peu importe le type de terrain traversé, cet ensemble est lourd (masse d’un lanceur: 43,7 tonnes), complexe à déployer et nécessite des moyens adaptés pour son transport sur de longues distances. Il est à noter que le système Smerch a été exporté dans plusieurs pays dont l’Inde qui va recourir à un châssis 10×10 Tatra T816 (lanceurs 9A52-2T) comme plate-forme de base tandis que la Chine va créer le système d’artillerie PHL-03 (calibre 300 mm) qui dérive directement du 9K58 Smerch.
Conscients des limitations et contraintes découlant du gabarit du lanceur 9A52-2, les ingénieurs de Motovilikha vont présenter une version « light » en 2007 avec le 9K58-4 Kama dont le nouveau lanceur 9A52-4 emporte non plus douze mais bien six tubes de 300 mm disposés dans un panier, l’ensemble étant implanté sur un châssis 8×8 KamAZ-6350. Le but recherché avec ce nouveau système étant de disposer d’un système offrant une plus grande mobilité ainsi qu’un plus petit gabarit, ce qui doit rendre en toute logique, l’ensemble plus facilement (aéro)-transportable. Point intéressant (et pertinent) du Kama, le lanceur est conçu pour emporter un panier de transport et de lancement du modèle 9Ya295 qui permet (à l’instar de ce qui se fait en Occident) de remplacer directement le panier au lieu de procéder au rechargement tube par tube du lanceur, ce panier ayant été employé également dans le cadre du projet Ouragan-1M abordé plus haut. Fort logiquement, un nouveau véhicule logistique adapté à ce mode de transport et de tir fut développé simultanément.

Malgré l’avantage inhérent apporté par le recours à un panier de transport et de tir, les responsables Russes vont rejeter cette idée et une version revue et « corrigée » (manière de dire) du Kama est présenté en 2009: sur cette version, le panier 9Ya295 est remplacé par un ensemble de six tubes de 300 mm du type MZ-196 toujours implanté sur le châssis 8×8 KamAZ-6350. Les essais de ce dernier vont se prolonger jusqu’en 2012 à un rythme des plus lent et il semblerait que le changement de ministre de la défense la même année ait servi de prétexte pour un enterrement de première classe du Kama, projet à l’égard duquel les militaires ne semblaient pas développer un enthousiasme débordant: finalement, les Russes vont lancer peu de temps après le projet de modernisation au standard 9K515 Tornado-S.

Les travaux effectués sur le 9K58-4 Kama vont servir de base au développement d’un nouveau système d’artillerie dont le développement est annoncé en juin 2023: répondant au nom de Sarma (index GRAU inconnu pour l’instant), le système récupère le panier à roquettes MZ-196 contenant six tubes de 300 mm qui prennent place sur un châssis KamAZ-63501 dont la cabine est blindée et offre – enfin – une protection pour l’équipage face aux tirs d’armes légères. Les tubes de 300 mm permettent de tirer l’ensemble de la dotation du 9K58 Smerch et des 9K515 Tornado-S néanmoins en comparaison avec ces derniers, la capacité offensive d’un Sarma est réduite de moitié même si la mobilité du système est revue à la hausse. La masse d’un lanceur Sarma est évaluée (en l’absence de chiffres officiels pour l’instant) à 33 tonnes: en comparaison les lanceurs 9A52-4 (Smerch) et 9A54 (Tornado-S) en charge culminent à 43 tonnes, soit un delta d’environ 25% entre les deux systèmes.

Autre élément à soulever, l’usage d’une architecture composée de tubes fixes d’un calibre de 300 mm ne permet pas de panacher l’ensemble avec des tubes d’autres calibres, le Sarma marque donc le pas en terme de polyvalence et modularité face aux productions occidentales avec leurs paniers reconfigurables pouvant embarquer des armements de calibres interchangeables. Cependant, l’intégration de la nouvelle munition guidée UMPB D-30SN (avec ajout d’un booster nécessaire pour le lancement) dans la dotation du Tornado-S et par extension du Sarma va augmenter la capacité de frappe de précision à (très) longue portée qui sera la bienvenue pour cet équipement.

Le Sarma n’en est qu’au début de sa carrière, néanmoins une fuite de documents provenant de hackers ukrainiens (donc à envisager avec les réserves de rigueur) indique que les forces armées russes ont passé commande de deux divisions de Sarma, soit l’équivalent de douze lanceurs (valeur: 155 millions de Roubles/unité) ainsi que les véhicules de soutien logistique liés (valeur: 64 millions de Roubles/unité). Cette commande vient donc directement confirmer que le système Sarma est en production de série ainsi que les essais constructeurs et étatiques complétés: vu l’historique derrière le projet, il est probable que les Russes se soient reposés sur les travaux déjà effectués avec le Kama pour accélérer le développement du Sarma. Autre élément provenant de cette fuite de documents: les Russes poursuivent les acquisitions de Tornado-S neufs sur châssis MAZ-543M, plusieurs véhicules ayant été commandés en même temps que les premiers véhicules du système Sarma.
- Le 2S44 Giatsint-K (152 mm)
Après avoir admis au service le 2S43 Malva, première artillerie autotractée construite en série sur un châssis à roues en Russie, voilà que les Russes poursuivent sur leur lancée avec la mise en service d’un deuxième modèle de véhicule du même type le 2S44 Giatsint-K (Гиацинт-K). Comme son nom l’indique, il s’agit cette fois-ci d’une artillerie autotractée construite autour du canon rayé 2A36 Giatsint-B (152 mm/calibre 47) et installé sur le châssis à roues 8×8 BAZ-6910-027 identique à celui du 2S43 Malva. Le développement du 2S44 Giatsint-K a été lancé en 2023 au sein de l’institut de recherches TsNII Bourevestnik (ЦНИИ Буревестник), qui avait déjà été chargé de développer le 2S43 Malva, l’existence du 2S44 a été « officialisée » le 9 mai 2025 lors de la parade militaire russe.
Le développement du 2S44 Giantsint-K est une réponse directe apportée à la faible portée du 2S43 Malva (qui pour rappel récupère le canon 2A64 Msta de 152 mm/calibre 47): en effet, malgré un arrêt de la production de ce dernier en 1989, le canon 2A36 Giatsint-B offre de meilleures performances en matière de portée que son équivalent 2A64 Msta avec une capacité de frappe montant à 35 Km (en comparaison le Malva frappe à 25-29 Km). Autre avantage du 2S44 Giatsint-K, ce dernier est en mesure de tirer l’obus guidé 3OF39 du système 2K25 Krasnopol. En outre, il semble que l’existence d’un stock inexploité de canons a permis de gagner du temps dans le développement du projet: le châssis étant standardisé au maximum avec le 2S43, les deux véhicules ne diffèrent guère que sur le modèle de canon employé.
Néanmoins, même si cette récupération intelligente de canons inexploités doit permettre de reconstituer à moindre frais les effectifs tout en offrant un accroissement significatif de la mobilité en comparaison avec les plates-formes chenillées; il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une solution loin d’être pérenne. L’absence de production (en l’état actuel des choses) pour les tubes de Giatsint ainsi qu’une durée de vie des tubes évaluée à 1.000-1.200 coups font que le nombre de véhicules pouvant être produits et exploités est limité par les stocks existants, néanmoins il semblerait que l’usine Motovilikha (principal centre de production de canons d’artillerie en Russie) travaille sur le retour en production de ce dernier: à voir dans quels délais et en quelles quantités. L’idée gouvernant le projet Giantsint-K est pertinente car elle apporte une réponse rapide aux besoins Russes tout en exploitant les stocks de munitions disponibles. Néanmoins aussi bien le 2S43 Malva que le 2S44 Giatsint-K sont des solutions temporaires: la transition vers un nouveau tube de 152 mm aux performances balistiques accrues va finir par s’imposer sur le long-terme, les châssis employés offrent une bonne mobilité, il ne reste plus qu’à les « armer » correctement.

Produit par Ouraltransmash (Nizhniy Tagil), le 2S44 Giatsint-K est en production de série depuis le début de l’année 2025, plusieurs convois ferroviaires transportant des unités de ce type vers le front en Ukraine ayant été aperçus à plusieurs reprises ces derniers mois. Il est également avéré que la 238ème unité d’artillerie de la garde (238-я гвардейская артиллерийская бригада) – qui exploite déjà le canon tracté 2A36 Giatsint-B – a réceptionné et engagé plusieurs 2S44 dans les opérations en Ukraine.
- Une campagne de rattrapage qui s’impose?
Bien le propos ne soit pas exhaustif, on remarque que les Russes travaillent sur plusieurs fronts simultanément pour améliorer et revaloriser leur artillerie (LRM et autotractée) tout en cherchant à compenser les lourdes pertes enregistrées. Nonobstant, les travaux en cours sont l’arbre qui cachent la forêt: ce sont avant tout des travaux de rattrapage du retard important accumulé ces vingt dernières années, ce retard étant mis en lumière de manière flagrante depuis l’engagement d’équivalents occidentaux (on peut penser par exemple aux M142 HIMARS et AS-90 notamment) présentant des performances (mobilité, portée, précision) qui surclassent largement les performances des matériaux russes dans ces domaines.

L’exemple de l’Ouragan est pour le moins exemplatif des errances décisionnelles russes qui expliquent (pour partie) le retard existant: le châssis ZiL-135LM déjà identifié comme étant obsolète et inutilement complexe à la fin des années 1980 n’a pas été remplacé avant 2025… soit 35 ans plus tard. Et encore, il reste à voir si les premières images publiées du nouveau châssis indiquent qu’il s’agit d’une transformation qui va passer au stade de la production en série ou si, comme souvent, on ne verra que quelques véhicules rééquipés de la sorte dans le cadre d’un programme de révisions générales et/ou réparations. Dans le même ordre d’idée, l’existence de plusieurs modèles d’artillerie reposant sur des châssis de différents types ne facilite pas la logistique russe (qui n’est pas un modèle d’efficacité en soi) sans même parler du fait que les Russes travaillent toujours avec une artillerie qui nécessite un rechargement tubes par tubes au lieu de fonctionner avec des paniers de roquettes. Cette méthode de travail est plus chronophage en comparaison avec le remplacement des paniers (immobilisant plus longtemps et donc exposant les véhicules et leurs équipages) mais, au vu des volumes de feu délivrés par l’artillerie russe (notamment dans la phase initiale de l’attaque sur l’Ukraine), il est un fait que recourir à des paniers de roquettes aurait généré une empreinte logistique délirante (la logistique russe n’ayant pas brillé par son efficacité) et peu compatible avec la doctrine russe (volume de feu élevé et très concentré).

Néanmoins les travaux en cours sont intéressants en ce sens qu’ils indiquent une évolution significative dans la doctrine russe. Contrairement à ce que l’on peut (un peu trop souvent) lire par ailleurs: non les russes n’ont pas « découvert la roue » en 2022. Par contre, il est un fait que l’engagement en Ukraine a mis en lumière le besoin de disposer d’une artillerie extrêmement mobile, précise, et pouvant être repositionnée (très) rapidement. Et non, toutes les guerres actuelles et futures ne se dérouleront pas dans la trouée de Fulda (encore faudrait-il pouvoir atteindre cette zone) et par conséquent les décideurs russes semblent enfin avoir pris conscience que le recours à des matériels dimensionnés dans le cadre de la guerre froide se justifie moins en 2025 qu’en 1975.

A l’inverse, la menace constituée par les drones, devenus durablement omniprésents sur le champ de bataille, est quant à elle bien réelle et concrète: elle force les décideurs militaires à revoir les niveaux et types de protection ainsi que les doctrines d’emploi. Outre les inénarrables blindages-cages en tous genres dont les Russes semblent friands: le meilleur moyen de se protéger est de pouvoir se déplacer rapidement pour éviter les tirs de contre-batterie, le châssis à roues se révélant très largement supérieur aux châssis chenillés de ce point de vue. Les Russes l’ont très bien compris, la guerre (et ses constats) ayant servi d’accélérateur aux évolutions en cours; on se dirige à terme vers une restructuration de l’artillerie russe autour d’un ensemble mixte châssis à roues pour une plus grande mobilité ainsi que châssis chenillés pour les zones géographiquement plus délicates. En outre, les Russes semblent avoir pris conscience qu’il est temps de se débarrasser de l’encombrant héritage soviétique ainsi que de sa kyrielle de modèles: entre les canons tractés D-20 et D-30, les howitzers 2S1, 2S3, 2S5, 2S7 et 2S19 ainsi que les LRM des calibres 122, 220 et 300 mm autant dire qu’il s’agit d’un foutoir sans nom qui complexifie de manière exponentielle la logistique locale.

Malgré les travaux en cours certaines contraintes industrielles persistent, notamment au niveau de la production des tubes neufs: cette problématique étant pour le moins cruciale vu le tempo élevé d’emploi de l’artillerie en Ukraine qui finit par user rapidement les tubes nécessitant un remplacement anticipé. Les contraintes industrielles (ainsi que temporelles) expliquent en partie pourquoi les Russes ont adopté une approche duale: d’un côté, ils modernisent ce qui peut l’être sur base des stocks existants et de l’autre ils développent des modèles neufs. On peut remarquer que les développements récents vont vers une évolution sans passer pour autant par une révolution en profondeur de l’artillerie russe. Reprenant des recettes pouvant être facilement mises en place (nouveau châssis, sortie du frigo de projets congelés, exploitation des stocks disponibles, etc…), les Russes exploitent toutes les options qu’ils ont à portée de main pour moderniser leur artillerie sur base des enseignements tirés de l’engagement en Ukraine et surtout eu égard aux performances observées sur les équipements occidentaux déployés par les forces armées ukrainiennes. On peut également indiquer que le recours à des équipements d’origine nord-coréenne aura un impact sur les évolutions futures de l’artillerie russe de demain.

Ce faisant, même si il est impossible de prédire de quoi demain sera fait: on se dirige clairement vers une artillerie russe qui sera beaucoup plus dangereuse dans le futur. Plus mobile, plus précise, frappant plus loin et d’une plus grande réactivité via l’intégration systématisée de la composante drone dans son cycle de détection/acquisition/tir. La priorité accordée aux châssis à roues indique qu’une mobilité accrue est devenue un élément cardinal pour les Russes, tout comme le développement de nouveaux systèmes d’artillerie ainsi que la mise au point de nouvelles munitions (à plus longue portée) démontre une volonté nette de marquer la rupture avec l’héritage soviétique et d’enfin tourner la page de ce dernier.
In fine, l’approche russe suit leur logique coutumière (que l’on retrouve à tous les niveaux de leurs forces armées) avec d’un côté une modernisation a minima de certains systèmes existants en vue d’exploiter au maximum leur potentiel disponible et d’un autre côté le développement de nouveaux modèles techniquement plus avancés bien que reposant sur des solutions techniques (pour partie) existantes qui répondent aux exigences futures…et ce même si certains choix techniques (notamment l’absence de généralisation de paniers de transport et lancement) peuvent légitimement être soumis à questionnements.

Au vu de la place centrale occupée par l’artillerie dans le dispositif offensif russe, on comprend mieux en quoi les évolutions récentes méritent d’être suivies avec attention: elles illustrent le changement doctrinal en cours avec le passage d’une artillerie axée sur l’écrasement de l’ennemi via le volume de feu délivré à une artillerie plus mobile axée sur la précision du tir pour traiter une cible. En agissant de la sorte, les Russes tournent donc progressivement la page de l’héritage soviétique où la masse primait pour passer à un ensemble plus souple et précis plus en adéquation avec les besoins et contraintes des champs de batailles contemporains…ainsi que budgétaires.







Merci pour cet article.
Une remarque concernant la zone traitée par une salve d’Uragan: 426m2. Une telle surface a beau être plus grande que mon appartement (oh, à peine), ça me semble bien faible (sauf, pour y foutre le bordel, mais là, c’est p’tete un brin overkill :).
Faut il lire plutôt 426 hectare? Ou bien encore autre chose?
A+/Yankev
Bien vu, il fallait lire 42,6 hectares (426.000 m2).
Je vais corriger ça, merci pour le signalement.
Bonne soirée 😉