[Actu] Le Su-35 en Iran, la fin d’une arlésienne?

Véritable arlésienne contemporaine, la livraison (ou non) de Sukhoï Su-35 à la force aérienne iranienne (IRIAF) annoncée à plusieurs reprises mais jamais confirmée tant qu’à présent serait (conditionnel plus que de rigueur) sur le point de se concrétiser si l’on en croît certaines sources iraniennes avant le 21 mars date où les iraniens fêtent le Norouz (le nouvel an du calendrier persan). Appareils produits à l’origine dans le cadre d’une commande portant sur trente Su-35 destinés à équiper la force aérienne égyptienne (EAF) : les avions sortis des chaînes de production de l’usine KnAAZ dès 2020 vont longtemps être stationnés (et visibles) sur les parkings de l’usine ainsi qu’à Zhukovskiy mais sans pour autant que leur livraison se concrétise.

Malgré l’existence de contrats d’assurance couvrant les avions produits et stockés, aucune information officielle n’a filtré sur les raisons de cette absence de livraisons à l’Egypte. Néanmoins, dès que le choix égyptien a commencé à filtrer dans la presse dès le premier trimestre 2019, Washington a commencé à agiter la carte du CAATSA vis-à-vis de l’Egypte. Le pays disposant d’un nombre importants d’équipements d’origine américaine (et ce même si les responsables égyptiens ont toujours veillé à varier les sources d’approvisionnement) il semblerait que la menace ait fait mouche puisque les avions n’ont pas été livré à leur client. Doublé gagnant pour les Etats-Unis (manière de dire) puisque c’est la deuxième fois que cette menace impacte le Su-35 à l’export: la commande indonésienne portant sur onze Su-35 ayant finalement été abandonnée par suite des pressions américaines…Jakarta se tournant ensuite vers le Rafale de Dassault pour se rééquiper (six avions commandés tant qu’à présent).

L’Iran n’a pas manqué de montrer un intérêt pour les productions russes ces dernières années : sous le coup de sanctions occidentales, il est impossible de vendre en Iran du matériel qui dispose de composants américains. De plus, l’Iran est sous le coup de plusieurs embargos visant à interdire l’exportation d’armements de et vers le pays: ces embargos, décrétés à la fois par l’Union Européenne (Position Commune 2007/140/PESC datée du 27 février 2007) ainsi que par l’ONU (Résolution 1747 adoptée le 24 mars 2007 ainsi que la Résolution 1929 adoptée le 9 juin 2010) sont des réponses au programme nucléaire iranien et visent à forcer le pays à se conformer aux demandes internationales en la matière. Par conséquent, Téhéran se retrouve confronté à la problématique de l’approvisionnement et du renouvellement de ses forces armées et notamment de sa force aérienne. La seule option dont dispose alors l’Iran pour maintenir sa force aérienne en état est de mettre en place des programmes de modernisation en vue de prolonger la durée de vie des avions (dont une bonne partie ont déjà largement atteint l’âge légal de la retraite) et de travailler avec un pourcentage d’appareils immobilisés servant de banques d’organes pour maintenir les autres en service.

Néanmoins, même en fonctionnant de la sorte, le pays va se retrouver confronté à deux problématiques: outre l’âge avancé des avions les plus anciens, il y a également la question des consommables. Les avions d’origine américaine (F-4, F-5 et F-14) qui forment le gros de la dotation emploient des munitions occidentales: hors les Etats-Unis ne fournissent – fort logiquement – pas les iraniens en missiles et bombes. Des adaptations coûteuses (et parfois « exotiques ») ont été nécessaires pour permettre aux appareils en question d’emporter des munitions d’origine russes et chinoises voire de facture locale. Le ciel va s’éclaircir en 2020 avec la levée (en partie) de l’embargo frappant l’Iran qui fait suite à la Résolution 2231 de l’ONU (également connue sous le nom de Joint Comprehensive Plan of Action / JCPOA) adoptée le 20 juillet 2015 et entrée en vigueur le 18 octobre 2015: cinq ans après la date d’entrée en vigueur du JCPOA, le commerce de certains armements de et vers l’Iran redevenant possible. Evidemment, il ne faudra pas attendre longtemps pour voir apparaître les premières rumeurs d’acquisitions de matériels russes (on a pu lire presque tout et son contraire à ce sujet: Su-30, Su-34, Su-35, Su-57 et MiG-29) ainsi que chinois (J-10) sans que ceci ne débouche sur la moindre commande. Néanmoins, la mécanique était engagée et des réflexions étaient très clairement en cours au sein des décideurs iraniens par rapport au renouvellement de leurs forces armées… sans suites pour autant.

L’arrivée de Su-35 au sein de l’IRIAF, si elle vient à se confirmer, apporterait un sérieux coup de jeune à une force aérienne dont on peut dire, sans prendre de risques de se tromper, que la quasi-totalité de sa dotation est obsolète ou en voie de l’être. Néanmoins, même si cette dernière devait recevoir tout ou partie des trente appareils produits pour l’Egypte, il ne faut pas s’attendre à une révolution copernicienne de l’IRIAF : cette dernière dispose de forces aériennes voisines très bien équipées étant à la fois quantitativement et qualitativement supérieures, à un vaste éventail de missions à accomplir et le tout dans un contexte international où il lui est difficile d’acquérir facilement des équipements modernes. Par contre, cette arrivée de sang neuf marquerait le début d’un renouvellement longuement attendu et pendant longtemps – légalement – impossible.

Enfin, avant de poursuivre: les questions techniques relatives au Su-35(-S) ayant été discutées in extenso dans le dossier consacré à ce dernier et publié ici le 22 août 2019, celles-ci ne seront pas abordées dans le présent article.

Le Su-35 et l’Egypte, un secret de polichinelle?

C’est le 18 mars 2019 que le journal Kommersant annonce que le Sukhoï Su-35S vient d’être commandé par un troisième client à l’export (après la Chine et l’Indonésie) dont l’identité n’est pas précisée bien que les regards se portent vers l’Egypte. Cet article va faire pas mal de remous puisque il sera expurgé le lendemain du site internet du journal et l’information soigneusement évitée par la presse russe pendant plusieurs mois. En outre, un des deux journalistes derrière cet article, Ivan Safronov, sera inculpé pour trahison en juillet 2020.

Malgré des rumeurs persistantes parlant de cette commande, aucune confirmation officielle n’a été effectuée par les deux protagonistes au contrat. Il faudra attendre la publication d’un appel d’offres officiel russe concernant des fournitures d’équipements pour l’usine KnAAZ dans le cadre d’un contrat référencé de la manière suivante: № CAIRO/N/AF/ROSOBORONEXPORT/2018/10 (P/1781811151143). Il n’y avait plus aucun doute possible sur le fait que l’Egypte avait effectivement passé commande de Su-35; confirmation peu de temps après avec la publication d’images satellites sur Google Earth (datée du 7 mai 2020) illustrant des Su-35 sur le parking de l’usine KnAAZ; ces derniers disposant d’un camouflage identique en tous points à celui porté par les MiG-29M(2) employé par l’EAF.

Le Su-35 codé 9212, bientôt en service en Iran? Image@Ivan Zubov/AviMedia

Le contrat d’une valeur estimée de 2 milliards d’USD contenait une autre inconnu: le nombre d’appareils commandés. En l’absence de chiffres officiels, on a pu lire tout et son contraire: vingt, vingt-quatre, trente-et-un appareils…. bref, rien de bien précis. Fort heureusement (?), un tableau présenté au MoD russe lors d’une visite officielle à l’usine KnAAZ où sont produit les Su-35(S) a permis d’apprendre qu’il y avait trente appareils en cours de production pour un client export; en recoupant toutes les informations on obtient donc une image beaucoup plus claire de la situation. Avec trente appareils commandés fin 2018, la production a débuté en 2019 et les premiers appareils sont sortis d’usine vers avril-mai 2020: la commande devant être achevée en 2022.

Les premiers nuages vont très rapidement apparaître au-dessus de cette commande, les Etats-Unis ayant eu vent des intentions égyptiennes (gageons que ces derniers doivent également lire la presse russe), ils vont très rapidement agiter la carte des sanctions liées au CAATSA. Est-ce que la menace américaine a fait mouche ou est-ce pour une autre raison? Toujours est-il que malgré l’achèvement de la production des avions (ces derniers sont stockés sur le parking de l’usine KnAAZ ainsi qu’à Zhukovskiy), aucun de ceux-ci ne va être livré à l’Egypte. Néanmoins, jusqu’à la fin de l’année 2022, rien ne permettait d’affirmer que les avions ne seraient pas livrés: plusieurs contrats d’assurance couvrant les appareils étant en vigueur: que ce soit pour le stockage, le transport ainsi que l’usage dans le cadre d’entraînements. Bref, une situation parfaitement normale pour des appareils devant être livrés dans un (plus ou moins) proche avenir. De plus, les images disponibles permettent de voir qu’une partie des avions produits ont été actifs – a minima – entre mai 2020 et la fin décembre 2021: depuis lors, peu (ou pas) d’images disponibles de ces derniers (ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils sont restés inactifs).

Le Su-35 codé 9210 est photographié à Zhukovskiy le 15 juin 2021. Image@?

De fil en aiguille, l’absence de livraison des avions a commencé à poser des questions… et comme souvent, il ne faudra pas longtemps pour que les premières rumeurs relatives au futur des Su-35 apparaissent. Petite précision qui a son importance, les rumeurs n’ont en général que peu (ou pas) d’intérêt mais en l’absence de la moindre once d’informations officielles, il est nécessaire de prendre en ligne de compte le « peu » qui est disponible et de l’appréhender tout en gardant à l’esprit qu’il s’agit avant tout de rumeurs. Avec le recul, on comprend également mieux pourquoi ni l’Egypte ni la Russie ne souhaitaient communiquer au sujet de cette commande et pourquoi la réaction russe à l’article de Kommersant sera pour le moins « radicale ».

Bref, la situation (vérifiée et vérifiable) au début de 2023 est la suivante: les Su-35 sont toujours présents en Russie (Komosomolsk et Zhukovskiy), aucune information officielle ne vient confirmer/infirmer une livraison à l’Iran, aucune information officielle ne vient réfuter le refus égyptien de prendre livraison des appareils et enfin ces derniers sont toujours couverts par des contrats d’assurance. Si les informations parlant d’une livraison avant le Norouz se confirment, il ne faudra plus attendre longtemps pour voir de l’activité autour des avions.

Photo datée du 18 janvier 2023 et qui illustre les Su-35 stockés à Komsomolsk… et autour desquels il ne se passe – en apparence – pas grand chose. Image@forums.airbase.ru

L’IRIAF en 2023, une force vieillissante

L’actuelle Force aérienne de la République islamique d’Iran (نیروی هوایی ارتش جمهوری اسلامی ایران mais plus connue sous l’acronyme anglais IRIAF) a été constituée en février 1979 sur les cendres de la Force aérienne impériale d’Iran (IIAF). Ayant récupéré l’entièreté des équipements, infrastructures ainsi que de la structure de la force aérienne impériale ; la révolution iranienne qui s’acheva le 11 février 1979 avec la prise du pouvoir par l’Ayatollah Khomeini et la proclamation de la République Islamique en remplacement de l’Empire d’Iran dirigé par le Shah (Muhammad Rizā Shāh Pahlevi) va voir la force aérienne connaître une très sérieuse perte d’efficacité suite à des séries de purges et de « retraites forcées » d’officiers et de militaires qui aura comme conséquence de voir ses effectifs diminuer de moitié.

Pour ne rien arranger, l’entièreté des équipements alignés par la force aérienne iranienne étaient d’origine occidentale et plus spécifiquement américaine ; la chute du Shah, qui était très proche des Etats-Unis et son remplacement va voir les américains suspendre les livraisons d’équipements militaires ainsi que de consommables (pièces de rechanges et munitions) ce qui va avoir un impact conséquent sur les capacités de l’IRIAF.

Un F-4D Phantom II en service au sein de la force aérienne impériale iranienne (IIAF). Image@?

L’ennemi historique de l’Iran, l’Irak dirigée a l’époque par Saddam Hussein, va profiter de cette faiblesse apparente pour lancer le début de ce qui deviendra la guerre Iran-Iraq ; cette dernière a débuté le 22 septembre 1980 avec des frappes irakiennes sur huit bases de l’IRIAF ainsi que quatre installations militaires iraniennes. La réponse ne tarda pas et dès le 23 septembre l’IRIAF lança l’opération Kaman 99 qui vit le déploiement d’un ensemble de deux cents et six avions (F-4, F-5 et F-14) pour effectuer des frappes sur les installations militaires et civiles iraquiennes (dont la capitale, Baghdad). La guerre entre les deux belligérants va se transformer en guerre des tranchées et se prolonger durant huit ans jusqu’à la resolution 598 de l’ONU en 1988 qui va consacrer le cessez-le-feu et le retour au statu quo ante bellum (soit la situation en vigueur au début de la guerre).

Outre le fait que le F-14A Tomcat est un superbe appareil, les couleurs de la force aérienne impériale iranienne (IIAF) lui vont à ravir! Image@?

L’IRIAF va se retrouver confrontée à une double problématique durant ce conflit : ne bénéficiant plus d’alliés et sous le coup d’un embargo économique suite à la révolution de 1979, à l’inverse de l’Iraq qui sera largement appuyée et ravitaillée par l’Occident durant les premières années de la guerre, le pays se retrouve dans l’obligation de préserver ses moyens à disposition sous risque d’épuiser complètement le potentiel des avions en service et de ne pas avoir de solution de remplacement. A l’inverse, les pilotes iraniens qui ont en général bénéficié d’un excellent niveau de formation sont ressortis très fortement expérimenté de cette guerre (a l’inverse de leurs homologues irakiens qui ne se démarquaient pas franchement par la qualité de leur formation). Outre le coût économique de cette guerre, l’impact sur les forces aériennes iraniennes ainsi que le coût humain délirant (entre 680.000 et 1,2 million de morts militaires et civils), l’Iran va assister à la montée en importance des Gardiens de la révolution (aussi connu sous le nom de Pasdaran ainsi que l’acronyme anglais IRGC) qui sont une organisation paramilitaire composée d’une force terrestre, d’une force aérienne (IRGCAF) ainsi que d’une marine et dont la mission première est fort logiquement d’assurer la défense de la révolution iranienne ainsi que de la République. A l’inverse, l’armée iranienne a pour mission de défendre les frontières du pays et d’assurer le maintien de l’ordre : les deux entités travaillent séparément et surtout bénéficient de budgets distincts et très largement favorables aux Pasdarans, ces derniers ayant en outre mis la main sur les secteurs les plus lucratifs de l’économie iranienne.

Su-22M3 et Su-22UM appartenant à l’IRGCAF (numéro de série au format 15-xxxx). Image@Stephan de Bruin/AirHistory.net

Ainsi, l’IRIAF va se retrouver au début des années 1990 avec une flotte pour le moins vieillissante et usée par de longs mois d’opérations. Les trois principaux types d’avions en opération étant 181 F-5E Tiger II admis au service dès 1974, 225 F-4D/E et RF-4E Phantom II admis au service dès 1968 et enfin 79 F-14A Tomcat admis au service dès 1974 et mettant en œuvre le missile air-air longue portée AIM-54 Phœnix. Un timide début de renouvellement de l’IRIAF va intervenir avec l’acquisition auprès de l’URSS de quatorze MiG-29A réceptionnés en 1990, complété par vingt MiG-29A supplémentaires en 1991 et enfin six MiG-29UB livrés en 1993-1994 soit un total de quarante MiG-29. A ces avions de chasse vont venir s’ajouter douze bombardiers tactiques Su-24MK livrés en 1991, et enfin la Chine va fournir vingt-six chasseurs Chengdu F-7N (version construite sous licence en Chine du MiG-21) ainsi que vingt exemplaires de sa variante d’entraînement FT-7N dès 1990.

Le lancement de l’opération Tempête du Désert le 17 janvier 1991 faisant suite à l’invasion du Koweït par l’Irak va directement bénéficier à l’IRIAF : une partie des pilotes irakiens ayant décidé de faire défection en Iran avec leur « monture » vu leur faible probabilité de survie en cas d’engagements face au rouleau compresseur de la coalition occidentale. Ainsi les anciens ennemis de l’Iran vont permettre à l’IRIAF de se rééquiper… gratuitement! En très peu de temps l’IRIAF va recevoir quatre MiG-29 irakiens (dont un MiG-29UB), trente-trois Sukhoï (quatre Su-20, cinq Su-22M2, neuf Su-22M3 et quinze Su-22M4), sept Sukhoï Su-25K ainsi que vingt-quatre Mirage F1BQ et F1EQ.

Mirage F1BQ (anciennement irakien) de l’IRIAF. Image@?

Les avions récupérés que l’Iran va conserver à titre de réparations pour les dommages de la guerre Iran-Irak de 1980-1988, vont rejoindre la dotation de l’IRIAF ainsi que celles de l’IRGCAF (la composante aérienne des gardiens de la révolution): l’appartenance des appareils étant facilement traçable. Les avions relevant de l’IRIAF disposent d’une immatriculation commençant par un 3 (format 3-xxxx) tandis que les avions relevant de l’IRGCAF disposent d’une immatriculation commençant par un 15 (format 15-xxxx) ainsi que (parfois) du badge des gardiens de la révolution (comprenant une AK-47) en lieu et place de la rondelle aux couleurs iraniennes des avions de l’IRIAF.

Ayant pris conscience que la perte d’accès à la chaîne logistique occidentale suite à la révolution de 1979 risquait de mettre en péril le futur de leur flotte, les iraniens vont progressivement développer (avec un certain succès) une capacité de révision puis de modernisation locale pour leurs appareils. Cependant, certaines pièces plus spécifiques (radars, ordinateurs, système de contrôles de tir, pompes hydrauliques) sont très difficiles voire impossibles à obtenir; c’est pourquoi plusieurs tentatives vont être mises sur pieds en vue d’obtenir au marché noir des pièces de rechange pour leur appareil le plus complexe (bien que le plus performant): le F-14A Tomcat. Ces tentatives, nombreuses, vont se révéler tellement problématiques, surtout lors du retrait de service des derniers F-14 de l’US Navy, qu’une proposition législative connue sous le nom de « Stop Arming Iran Act » va être proposée d’abord au Sénat des Etats-Unis (référence S.387, datée du 25 janvier 2007) et peu de temps après à la Chambre des représentants (référence H.R. 1441, datée du 9 mars 2007): finalement, le président G.W. Bush approuvera cette proposition en 2008.

Le F-14A numéro de série 3-6054 de l’IRIAF. Image@M.Motahari

Outre les Su-25K irakiens récupérés en 1991, l’Iran va également obtenir en 2003 un lot de trois Su-25UBK d’occasion acquis auprès de la Russie: les plans initiaux prévoyaient une commande plus importante qui ne s’est jamais concrétisée. Par une de ces pirouettes dont l’histoire de la zone regorge, cinq Su-25K et trois Su-25UBK vont être prêtés à la nouvelle force aérienne irakienne (IqAF) dès le début de juillet 2014… les Su-25K étant en réalité des anciens appareils irakiens récupérés par les iraniens en 1991! Ce prêt à l’Irak est donc un véritable « retour aux sources » pour les Su-25K. De manière moins anecdotique, cette livraison de trois Su-25UBK forme également les derniers appareils réceptionnés par l’Iran… en vingt ans!

L’embargo de 2007 visant la vente d’armes de et vers l’Iran va avoir un impact significatif supplémentaire sur la flotte iranienne: les techniciens de chez CAIC qui collaboraient au maintien en conditions opérationnelles (MCO) des F-7N et FT-7N vont retourner au pays, forçant ainsi les iraniens à se devoir se débrouiller pour maintenir leurs appareils en vol. N’ayant pas trente-six solutions face à eux, les responsables et ingénieurs vont reprendre les méthodes déjà appliquées auparavant: immobilisation d’une partie de la flotte pour servir de banques d’organes et développement d’une capacité de révision/modernisation locale.

Le FT-7N portant le numéro de série 3-7718 a été perdu dans un crash le 27 avril 2016. Image@Shahram Sharifi

La problématique de la MCO, l’attrition naturelle ainsi que l’inexorable vieillissement de la flotte iranienne vont avoir comme conséquences que le nombre d’appareils en ligne va se réduire tandis que les programmes de modernisation développés localement n’apporteront que des gains de performances marginaux. Néanmoins, tout n’est pas non plus aussi mauvais qu’on ne pourrait ne le penser: les iraniens ont été en mesure de développer des filières locales en matière d’équipements électroniques ainsi que d’armements tout en étant en mesure (pour partie) de produire par eux-mêmes une partie des pièces de rechange nécessaires pour maintenir leurs avions en état. Et au vu de l’hétérogénéité de leur flotte actuelle; ce maintien en vol d’avions ayant parfois cinquante ans de carrière relève du véritable tour de force.

L’IRIAF résumée en une seule photo. Image@S.M.J Tabib

Même si les chiffres disponibles sont à envisager avec les réserves de rigueur, les flottes combinées (IRIAF et IRGCAF) disposent des appareils de première ligne suivants en 2023:

  • F-14A: 40 (dont seulement une vingtaine entièrement apte au combat)
  • F-4D/F-4E: 10 F-4D et 50 F-4E
  • RF-4E: 4
  • F-5E/F-5F: 44 F-5E et 16 F-5F
  • MiG-29A/MiG-29UB: 30
  • Su-22M3/Su-22M4: 20 (une partie des avions reçus ont été transférés en Syrie)
  • Su-24MK: 30
  • Mirage F1EQ/F1BQ: 23
  • F-7N/FT-7N: entre 20 et 30

La principale problématique étant bien évidemment le vieillissement de la flotte: aucun appareil neuf et/ou d’occasion de première ligne n’a été admis au service depuis 2003, de plus certains projets de modernisation consomment des cellules existantes: c’est le cas notamment des F-5E et F-5F qui servent de base aux projets de HESA (Kowsar, Saeqeh et Azarakhsh). Ces projets ne sont en réalité que des resucées du « Tiger II » plus ou moins modifiées du F-5 n’apportant pas de réels gains en performances. Des projets de création d’avions neufs ont bien été mis sur la table, dont le « célèbre » (sic) Qaher-313 mais ce dernier n’est rien moins qu’une opération de marketing et il faudra encore attendre de très longues années (au bas mot) pour voir ce dernier éventuellement prendre l’air un jour.

Le Saeqeh de HESA ne peut certainement pas renier son origine qu’est le F-5E Tiger II. Image@Shahram Sharifi

En attendant, il est utile de rappeler que la flotte de F-14A présente un âge moyen de 49 ans, celle de F-4D s’établit à 52 ans tandis que les avions les plus « récents » sont les MiG-29A et FT-7 qui ont entre 30 et 32 ans d’âge moyen. Bref, et malgré des programmes de modernisation limités ainsi que d’intégration de munitions de facture locales sur certains des modèles en service, l’ensemble de la flotte approche (voire dépasse très largement) la date du retrait de service. On comprend mieux pourquoi l’arrivée éventuelle du Su-35 dans la dotation locale va apporter un sérieux coup de sang neuf dans une force aérienne qui en a bien besoin et cette perspective est quand à elle beaucoup plus crédible que l’option du Qaher-313.

Le Qaher-313, il roule mais ne vole pas… Image@?

La Russie et l’Iran, un donné pour un rendu ?

Depuis le lancement de « l’opération militaire spéciale » en Ukraine, la Russie s’est retrouvée (plus ou moins) isolée au niveau international (principalement avec l’Occident) tout en tombant sous le coup de sanctions draconiennes visant à mettre son économie et sa capacité industrielle à genoux. En outre, la durée et l’ampleur des combats ont mis en évidence un cruel manque de certains équipements (drones par exemple) ainsi que des stocks de munitions se vidant rapidement ; l’Iran va servir (en partie) d’usine pour les militaires russes en fournissant notamment des drones-kamikazes Shahed-131 et Shahed-136 ainsi que des drones de reconnaissance Mohajer-6, certaines sources ont fait état de la fourniture de missiles de croisière par les iraniens mais sans que ce soit démontré pour l’instant.

Des drones Shahed-131/Geran-1 employés par les russes. Image@?

Bien qu’ayant été rebadgés sous un nom russe, personne n’est dupe sur la provenance du matériel employé par les russes pour frapper l’Ukraine. La question qu’il faut alors se poser est de savoir ce qu’ont obtenu les iraniens en échange. On ne dispose(ra) certainement jamais de la réponse précise (il est peu probable que les deux parties concernées souhaitent en parler) mais il serait parfaitement plausible de voir un accord « profitable » pour les deux parties où l’Iran recevrait des avions neufs et modernes dont la Russie ne sait que faire (les Su-35 ne sont pas au standard russe Su-35S) et en échange l’armée russe recevrait un certain nombre et types d’équipements militaires de facture iranienne.

Autre point à soulever dans le cadre de ce marché, en fournissant des appareils modernes à Téhéran, Moscou dispose d’une certaine forme de levier sur Tel-Aviv : la possibilité de fourniture d’équipements militaires israéliens à Kiev ayant été soulevé à plusieurs reprises, il ne serait pas improbable que le pouvoir russe utilise cette option du rééquipement des forces armées iraniennes comme un moyen de démontrer aux israéliens de ne pas s’investir (ou pas de trop) dans la fourniture d’équipements à Kiev sans quoi il serait possible pour Moscou de faire monter en gamme les forces armées iraniennes, ce qu’Israël cherche absolument à éviter. Certes, cette éventualité n’est pas démontrée mais pour un gouvernement russe qui cherche à limiter les soutiens à Kiev : tous les moyens sont bons… et même, si ce n’est pas une découverte en soi, les équipementiers israéliens sont généralement à la pointe de la technologie donc le recours à leurs productions pour équiper les forces armées ukrainiennes pourrait avoir un impact certain sur le taux des pertes russes.

Vol d’essais du 9211 au départ de Zhukovskiy en février 2021. Image@Vyacheslav Grushnikov

Après, tel le couteau à double tranchant, Moscou ne souhaite pas non plus braquer (trop) Tel Aviv dont l’actuel gouvernement dirigé par Benyamin Netanyahou dispose d’un sérieux pouvoir de nuisance notamment vis-à-vis des intérêts russes en Syrie ainsi que d’une capacité de frappe sur l’Iran: donc tout soutien (ou non) à l’Iran par la Russie doit se calculer par rapport à la réaction potentielle des israéliens ainsi que dans une certaine mesure des turcs. Bref, pour une Russie en manque de « partenaires » dans cette zone du monde, toute la difficulté va être de positionner de manière fine le curseur de l’aide militaire fournie à l’Iran eu égard aux conséquences potentielles que cette aide ne manquera pas d’entraîner.

En outre, vu l’accroissement de l’aide militaire fournie à l’Ukraine, il faut s’attendre à ce que la Russie cherche à se procurer rapidement d’autres équipements en Iran pour poursuivre ses frappes sur l’Ukraine: restera donc à voir ce que les industriels russes seront en mesure de fournir à leurs homologues iraniens en échange. Chaque partie en présence disposant d’équipements susceptibles d’intéresser l’autre, on peut s’attendre à voir cette coopération se renforcer (dans une certaine mesure) dans les mois à venir: une première étape de ce renforcement de la coopération entre les deux pays, devrait passer par la mise en place sur le sol russe (à Elabouga au Tatarstan) d’une usine de production de drones iraniens capable de produire 6.000 drones devant servir dans le cadre de « l’opération militaire spéciale » russe en Ukraine. Cependant, en l’absence de détails, on ne peut qu’émettre des suppositions pour l’instant sur les futurs contours de la collaboration entre les deux pays mais il semble déjà évident que si cette livraison de Su-35 se confirme, ce sera un excellent indicateur de l’approfondissement du rapprochement entre la Russie et l’Iran.

Livrera? Livrera pas?

L’arrivée (toujours hypothétique) des Su-35 en Iran constituera un apport de sang neuf salutaire pour l’IRIAF mais ne solutionnera pas fondamentalement la problématique de l’obsolescence de la force aérienne iranienne. Avec une flotte d’avions dont les trois modèles les plus nombreux (F-4, F-5 et F-14) ont atteint ou dépassé les cinquante ans de carrière et dont les performances face à des avions modernes sont des plus douteuses (bien qu’ayant bénéficié de programmes de modernisations limités développés en collaboration avec la Chine notamment), l’arrivée d’avions neufs (et qu’il y en ait vingt-quatre ou trente livrés ne change rien au propos) ne sera qu’une évolution sans être une révolution. De plus, vu la « concurrence » entre l’IRIAF et les Pasdarans : les moyens financiers disponibles limités sont répartis entre deux structures qui remplissent des missions similaires, ce qui impacte directement la capacité de renouvellement ainsi que les budgets d’exploitation disponibles de celles-ci.

De manière pour le moins ironique, c’est la menace agitée par les Etats-Unis des sanctions liées au CAATSA qui semble avoir poussé l’Egypte à abandonner ses projets d’acquisition de Su-35, et ce à un stade avancé vu l’achèvement de la production des avions ainsi que le début de la formation des pilotes, qui va offrir une opportunité en or aux russes. N’ayant aucun intérêt à récupérer des avions qui ne sont pas produits au standard russe Su-35S ou qui nécessiteraient de repasser en usine pour être remis au type, les russes se sont retrouvés avec trente avions neufs sur les bras, prêts à être livrés très rapidement. La mise au ban de la Russie de la scène internationale suite à l’attaque sur l’Ukraine semble avoir fait sauter les verrous russes qui semblaient hésiter à fournir les iraniens en matériels modernes. L’occasion faisant le larron dixit la maxime populaire, les intérêts des deux pays ont convergés jusqu’à se rencontrer lorsque l’armée russe s’est retrouvée contrainte à s’approvisionner en Iran pour s’équiper en drones et autres consommables ; bien que rien ne permette de confirmer qu’il s’agisse d’un accord de ce type, il n’est pas déraisonnable de supposer un marché gagnant-gagnant entre les deux parties où les russes reçoivent les équipements nécessaires en échange de tout ou partie des ex Su-35 égyptiens.

Conçu pour l’Egypte et finissant – peut-être – en Iran. Le 9213 n’a pas encore été livré, qu’il « voit du pays ». Image@Vyacheslav Grushnikov

Accessoirement, le calcul russe est très certainement le moins mauvais à sa disposition: vu la perte de clients exports à prévoir dans les mois et années à venir suite à la mauvaise presse entourant la Russie, son matériel ainsi que le risque de sanctions, il était peu probable (à de rares exceptions près) de voir la Russie réussir à obtenir des commandes (importantes) de matériels neufs auprès de nouveaux clients voire de clients « historiques ». Ce faisant, si cette livraison vient à se confirmer, elle permettra aux russes de s’attacher les bonnes grâces des iraniens qui, déjà sous le coup de sanctions, ont tout intérêt à maintenir de bonnes relations avec Moscou: il semble qu’excepté la Chine (dans une certaine mesure), ce soit le seul pays prêt à fournir du matériel militaire moderne à Téhéran.

Hasard du calendrier ou indication que la livraison de Su-35 à l’Iran se rapproche? L’annonce le 19 janvier 2023 qu’Israël a envoyé une demande officielle (LOR / Letter Of Request) en vue d’acquérir vingt-cinq F-15EX ainsi que la modernisation des F-15I Ra’am (variante locale du F-15E Strike Eagle); bien que le pays n’ait jamais caché ses intentions de continuer à panacher ses acquisitions en commandant à la fois du F-35I Adir ainsi que de poursuivre les acquisitions de variantes modernes du F-15, la commande de F-15EX ne s’était pas concrétisée à l’inverse de celles d’Adir supplémentaires. Cette annonce indique-t-elle une certaine fébrilité locale? C’est peu probable, la situation politique en Israël a été compliquée par les difficultés à former un gouvernement qui ont eu comme conséquences de retarder les commandes prévues; en outre, vu les appareils en dotation au sein de l’IAF: inutile de préciser que ce ne sont pas vingt-quatre ou trente Su-35 qui vont constituer une « grande » menace face aux équipements israéliens ou qui risquent de changer fondamentalement le rapport des forces régionales. Néanmoins, on peut légitimement voir dans ce choix, un « curieux » hasard du calendrier: sachant que les F-15EX sont des vecteurs parfaitement capables d’effectuer des frappes à longue distance sur le territoire iranien…

On le voit donc cette question de la livraison (ou non) de Su-35 à l’Iran est loin d’être anodine et de se limiter à la seule question des avions. Sa concrétisation viendrait rajouter une pierre de plus au rapprochement en cours entre les deux pays, rapprochement qui – outre la livraison d’armements iraniens aux forces armées russes – a franchi une étape importante avec la signature le 29 janvier, d’un accord officialisant la mise en lien des systèmes de transferts interbancaires (SPFS pour la Russie et SEPAM pour l’Iran), ce qui permettra – une fois mis en place – de s’affranchir du passage par le système SWIFT (manière de contourner les sanctions et de « protéger » les échanges entre les deux parties). Bien évidemment, cet accord permettant de faciliter les paiements entre Moscou et Téhéran pourrait permettre – par exemple – de faciliter les ventes de matériels militaires entre les deux pays.

Un F-4 Phantom II en service au sein de l’IRIAF, bientôt une image du passé? Image@?

Bref, beaucoup de questions… qui sont toujours sans réponses pour l’instant. Néanmoins et même si les rumeurs sont à prendre pour ce qu’elles sont, il est intéressant de voir que les premières mentions de l’acquisition de Su-35 par l’Iran furent assez « discrètes », autant les derniers communiqués en date citent le Brigadier Général Hamid Vahedi qui est le commandant-en-chef de l’IRIAF ainsi que Shahriar Heidari, un membre du parlement iranien appartenant au comité en charge de la sécurité nationale; pas franchement n’importe qui en somme. Les médias russes qui parlant de cette acquisition – qui se ferait dans le cadre d’un contexte plus large comprenant notamment des hélicoptères ainsi que des équipements terrestres – indiquent que les avions commandés seraient affectés à la base d’Ispahan (8 TAB) qui est actuellement équipée de trois escadrons de F-14A (81, 82 et 83) ainsi que d’un escadron mixte de F-5A/B et FT-7N (85).

On remarque d’ailleurs que pour des rumeurs, celles-ci deviennent de plus en plus persistantes et précises notamment sur les détails; de là à dire qu’elles sont fondées, il n’y a qu’un pas… Que chacun est libre de faire ou pas. Enfin, détail « intéressant » (?) si cette livraison vient à se confirmer: le Su-35 sera exploité par les forces aériennes russes, chinoises et iraniennes. Sachant que les trois pays coopèrent déjà au niveau militaire (à plus ou moins grande échelle) et que la Chine fournit actuellement à la Russie certains des composants nécessaires pour les Su-35: l’Iran disposerait donc de la possibilité d’acquérir les composants en question et ce malgré les sanctions en vigueur. Sachant que les dirigeants du pays, pour qui les sanctions font partie du quotidien, ont été contraints de faire preuve de beaucoup d’ingéniosité dans le passé pour acquérir des pièces de rechange pour ses avions d’origine occidentales, cette possibilité de se fournir en Chine représente un avantage non-négligeable.

Mais soit. Pour l’instant, tout ceci ne sont que des conjectures. Réponse (définitive) dans moins de deux mois?

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