[Actu] Le Sukhoï LTS « Checkmate »

Ce n’est pas tous les jours que l’on assiste à la présentation d’un nouvel avion de combat et encore moins lorsque ce dernier est russe: le dernier exemplaire en date étant le Su-57 dont le premier vol remonte (déjà) à 2010. Plusieurs mentions récentes dans la presse faisaient état de travaux en cours visant à développer un nouvel appareil de combat léger, cependant, en l’absence de financements étatiques pour ce nouveau programme: ces annonces semblaient peu susceptibles de se concrétiser.

Et pourtant, c’est le 13 juillet qu’UAC Russia a créé la surprise en publiant une vidéo venant confirmer qu’un nouvel avion de combat russe serait présenté durant le salon MAKS 2021 qui se tient du 20 au 25 juillet à Zhukovsky (Moscou). L’arrivée du nouvel appareil pour sa présentation officielle est entourée par une campagne médiatique agressive mêlant le « buzz » piloté par Rostec couplé à des photographies « fuitées » (volontairement ou non) sur les réseaux sociaux. La présentation de l’avion a été annoncée par la mise en place d’un site internet dédié avec une vidéo ainsi qu’un décompte annonçant la date et l’heure de la cérémonie de présentation; en outre vu l’importance de l’évènement pour l’industrie aéronautique russe, l’appareil a été montré en exclusivité au président russe peu avant la présentation officielle.

Grâce à la couverture médiatique autour de ce projet, il est déjà possible d’avoir un aperçu relativement fiable de ce qu’il est et de ce qu’il n’est pas ainsi que des buts poursuivis par les responsables russes avec ce nouvel appareil.

Le Sukhoï Checkmate, un peu de technique

Même si ceci semble évident, il est utile de rappeler que nous sommes face à une maquette à l’échelle 1/1: par conséquent, les performances annoncées peuvent encore largement évoluer au fur et à mesure de l’avancement du projet. Il est donc utile d’envisager les données disponibles avec toutes les réserves de rigueur.

Chasseur léger tactique furtif, le Sukhoï Checkmate (Шах и Мат / Litt. « Echec et Mat« ) fait suite au programme LTS/ ЛТС (Легкого Тактического Самолета / Chasseur Léger Tactique) qui vient donc compléter par le bas le tandem « lourd » formé par le Sukhoï Su-57 Felon et le drone S-70 Okhotnik. Orienté principalement vers l’export, l’avion tel que présenté actuellement est un appareil monoplace avec la possibilité de le faire évoluer à terme vers une version biplace ainsi qu’une version drone. Développé par Rostec/UAC Russia sur leur propre initiative (donc en l’absence d’une demande et de financements étatiques russes), les buts poursuivis sont la création d’une plate-forme polyvalente, construite autour d’une architecture ouverte et évolutive permettant l’intégration d’équipements étrangers selon les besoins des clients. En outre, l’appareil doit, pour un coût à l’heure de vol réduit, être performant, disposer d’une signature radar réduite et enfin offrir des capacités offensives significatives.

Le numéro de Bort 75 Bleu affiché sur l’avion est une référence évidente (et assumée) au Su-57. Image@UAC Russia

D’un point de vue de l’architecture générale, il s’agit d’un appareil furtif (présenté comme tel) construit autour d’un réacteur central disposant d’une entrée d’air positionnée sous le fuselage (au droit du cockpit) et dont la tuyère arrière est encadrée de deux dérives monoblocs mobiles et inclinées. Les ailes reprennent la forme générale de l’aile du Su-57, intégrée au fuselage (concept du Blended Wing Body) pour augmenter la portance de l’avion, avec, en plus, un saumon d’aile qui est coupé et présentant un profil droit. Le cockpit positionné en hauteur à l’avant de la cellule est doté d’une verrière qui semble identique à celle du Su-57 avec une partie avant fixe et une partie mobile qui coulisse vers l’arrière. L’appareil dispose de trois soutes à armements avec deux soutes latérales positionnées sur les flancs de l’entrée d’air complétées par une soute ventrale. Le train d’atterrissage est composé d’une roulette avant double positionnée sous l’entrée d’air au droit du cockpit tandis que les atterrisseurs principaux composé d’une seule roue sont positionnés au milieu de l’appareil à hauteur de l’emplanture des ailes.

Vue générale du Checkmate. Image@?

Les chiffres disponibles actuellement sont les suivants:

  • Masse maximale au décollage: 18 tonnes
  • Charge offensive: 7,4 tonnes
  • Vitesse maximale: Mach 1,8
  • Altitude maximale: 16.500 m
  • Autonomie: 3.000 Km
  • Rayon d’action: 1.500 Km
  • Points d’emport: cinq points en soutes

La masse maximale au décollage annoncée est de 18 tonnes et si l’on compare avec le Su-57: le Checkmate présente donc un rapport presque égal à 1:2 par rapport au Su-57 (masse maximale au décollage de 35 tonnes), ceci lui permettant d’avoir une charge offensive maximale de 7,4 tonnes soit environ la moitié de la charge offensive du Su-57.

Certainement la plus grande inconnue en ce qui concerne le projet: le radar embarqué. Il s’agit d’un radar AESA (type non-précisé), installé dans le radôme et complété par des antennes installées dans le bord d’attaque, l’ensemble pourra assurer le suivi de trente cibles aériennes et d’en engager six simultanément tandis qu’au niveau des cibles au sol, le radar sera en mesure d’assurer le suivi de deux cibles simultanément. La question en suspens par rapport au radar étant: est-ce qu’il s’agit d’un nouveau modèle de radar AESA (peu probable) ou un dérivé du N036 Byelka employé par le Su-57 (plus probable)? Rien ne permet de trancher cette question pour l’instant. Par contre, l’avion dispose d’un système de veille infrarouge (IRST) implanté devant la verrière de l’appareil et légèrement décalé vers la droite du pilote: il s’agit plus que probablement d’un système similaire voire identique au 101KS-V employé sur le Su-57. Enfin on retrouve sous le fuselage légèrement en retrait du train d’atterrissage un système de ciblage électro-optique. 

Vue rapprochée sur le radôme du Checkmate, on aperçoit l’IRST sur le dessus. Image@?

La propulsion de l’appareil est assurée par un réacteur Izd.30 doté d’une tuyère vectorielle permettant de réduire la distance au décollage de l’avion ainsi que d’accroître sa manoeuvrabilité, l’extrémité de la tuyère est en forme de « pétales » (en vue de réduire la signature thermique de l’appareil). de plus l’avion dispose également d’une unité auxiliaire de puissance (APU). L’entrée d’air du Checkmate présente une forme de U aplati et échancré tout en étant incliné vers l’arrière; elle est située à l’avant de l’appareil au droit du cockpit sous le fuselage, l’air étant directement dirigé vers le turboréacteur qui occupe une position centrale et presque rectiligne dans le fuselage de l’avion.

Une vue frontale de l’avion avec un bon aperçu de l’entrée d’air de ce dernier. Image@Said Aminov

Alors que les premières annonces faisaient mention de deux étapes de motorisation avec, à l’instar du Su-57, une première étape qui aurait vu l’appareil équipé d’un réacteur temporaire (AL-41F?) et ensuite du réacteur définitif Izd.30 dont les essais sont actuellement en cours, le calendrier prévisionnel du projet laisse à penser que l’avion sera directement équipé du réacteur Izd.30. 

Une vue sur la tuyère ainsi que les dérives de l’appareil. Image@?

D’un point de vue de l’autonomie, le Checkmate sera en mesure de parcourir une distance de 3.000 Km, le rayon d’action (avec charges offensives) se réduisant à 1.500 Km: cependant, l’avion pourra être ravitaillé en vol, une perche rétractable étant implantée latéralement sur le fuselage devant le cockpit à la gauche du pilote, de plus, des réservoirs supplémentaires pourront être emportés en soute selon les besoins. 

L’avion dispose de trois soutes à armements: deux petites positionnées latéralement sur les flancs de l’entrée d’air avec chacune un point d’emport et une principale (identique à celle du Su-57) avec trois points d’emport et située sous le fuselage à l’avant de l’avion. Cet ensemble permet à l’avion d’emporter simultanément jusqu’à cinq munitions (missiles, bombes ou roquettes) tandis qu’une nacelle canon peut être installé dans les soutes latérales. Il n’est pas fait mention d’emports possibles sous les ailes tant qu’à présent bien que cette option ne soit pas à exclure d’office. 

Les emports possibles et communiqués pour l’instant sont les suivants:

  • Air-air: RVV-SD, RVV-MD
  • Air-sol: Kh-38MLE, Kh-58UShKE, Grom-E1, FAB-250M, KAB-250LG-E, K08BE, K029BE
  • Roquettes: S-8, S-13

Le cockpit est pour ainsi dire une reprise à l’identique du Su-57, la seule et principalement différence entre les deux avions résidant dans le fait que le Checkmate dispose d’un grand écran LCD multifonctions unique couplé à un afficheur tête haute (HUD) tandis que le Su-57 dispose de deux écrans. De manière intéressante, le cockpit du Checkmate préfigure le cockpit que présentera le Su-57 version modernisée (projet Megalopolis) avec un seul écran LCD large unique, fortement similaire au modèle présenté durant le salon MAKS 2019. Le pilotage s’effectue avec emploi d’un joystick central placé devant le pilote tandis que les commandes de moteurs sont du type HOTAS (Hands On Throttle-And-Stick).

Un aperçu du cockpit du Checkmate. Image@Kanal 1

Au niveau du calendrier des travaux, un premier vol de l’avion est attendu pour 2023, un lot de prototypes étant attendu pour 2024-2025 avec la construction d’un premier lot d’appareil de (pré-)série dès 2026. Ce calendrier qui semble ambitieux, eu égard aux travaux à réaliser, peut se comprendre aisément sachant que l’ingénieur responsable du programme est Mikhaïl Strelets qui est également l’actuel chef du programme Sukhoï Su-57 ainsi que le chef du bureau d’études Sukhoï.

Il apparaît clairement que les ingénieurs du bureau d’études Sukhoï ont largement, et fort logiquement, capitalisé sur les travaux réalisés dans le cadre du projet Su-57 pour créer le Checkmate, récupérant un maximum de briques technologiques développées pour ce dernier et unifiant au maximum le Checkmate avec le Su-57 ainsi que le Su-35S. Réduisant donc d’autant l’ampleur des travaux à réaliser et par conséquent diminuant la facture finale du projet qui devrait s’établir (en théorie) à environ 30 millions d’USD par avion.

Le Sukhoï Checkmate, pour qui? Pour quoi?

Reste la question principale: que faire avec ce nouvel appareil? La présentation d’UAC Russia est pour le moins explicite en ce qui concerne le marché-cible de l’avion: l’exportation. Les quatre pays repris dans la présentation (Inde, Vietnam, Argentine, EAU) sont des clients plus ou moins crédibles en matière d’acquisition de matériels militaires russes. Le Sukhoï Su-57 occupant le créneau des « appareils lourds » (donc plus onéreux à acquérir et exploiter), l’idée de mettre au point un appareil plus léger capitalisant en partie sur les technologies développées pour le Su-57 prend tout son sens.

Néanmoins, à l’instar de ce qui se passe avec le MiG-35, c’est la position de l’armée de l’air russe qui sera intéressante à suivre: les VKS/VMF n’ont jamais caché le fait qu’ils veulent disposer de plates-formes « lourdes » et bimoteurs qui disposent d’une autonomie sans ravitaillement en vol importante. Le faible volume de MiG-35 commandés par la Russie (six appareils tant qu’à présent) découle de ce choix qu’on peut qualifier de « doctrinal »: disposant d’une autonomie trop faible à pleine charge, l’appareil ne correspond que très imparfaitement aux besoins des forces armées russes, par conséquent, les commandes de ce dernier sont restreintes et ce malgré plusieurs annoncés de commandes futures qui ne se sont toujours pas concrétisées. Vu l’absence de commandes par les forces armées russes, les clients à l’export sont hésitants n’ayant pas envie à la fois de déverminer l’appareil tout en courant le risque de voir sa production rapidement arrêtée ce qui risquerait d’impacter fortement le service après-vente de ce dernier. In fine, c’est la situation du chien qui se mord la queue: les clients ne se pressent pas au portillon en l’absence de commande(s) russe(s) et la Russie n’a – semble-t-il – pas besoin du MiG-35.

Les logos des différents acteurs impliqués dans le projet ainsi que le logo dédié à l’appareil. Image@?

La situation sera très probablement identique avec le Sukhoï Checkmate: dans le cas de l’absence d’intérêt des forces armées russes pour ce dernier (et pour l’instant l’armée russe est particulièrement silencieuse à son sujet), il est peu probable de voir Rostec développer sur fonds propres l’appareil avec le risque de n’avoir qu’un faible nombre de commandes (certaines sources et donc de ne pas récupérer les très importants fonds investis dans le programme. Trois scénarios peuvent être envisagés: soit l’armée russe a déjà fait savoir en coulisses que le projet les intéresse (et au vu des performances annoncées, ce n’est pas impossible), soit le patron de Rostec, S.Chemezov, a reçu de sérieuses garanties au plus haut niveau (il fait partie de la « garde rapprochée » du président russe) que le programme serait soutenu et/ou financé par l’état russe soit il y a déjà des prospects sérieux et crédibles qui se sont engagés sur un volume de commande non-négligeable (ce qui est moins probable pour l’instant). Il y a fort à parier qu’il y ait une part de vérité dans les trois scénarios en question. 

Le programme n’en est encore qu’à ses « débuts » néanmoins, outre la question de l’utilité de ce projet, reste la question de la capacité à le produire. Si le développement et la mise au point du Checkmate ne devraient, logiquement, pas poser de sérieuses difficultés à la Russie (les équipes ayant largement eu le temps de se faire la main avec le Su-57): reste la question de qui va le produire? L’usine KnAAZ (Komsomolsk-sur-l’Amour) tourne déjà à plein régime avec le Su-57 et le Su-35S qui se « battent » pour occuper l’espace à disposition, l’usine NAZ (Novosibirsk) est occupée avec le Su-34(M) et le S-70, tandis que l’usine IAZ (Irkutsk) travaille sur le Su-30SM(D) et ce sans même parler des productions civiles au sein de ces usines. On le voit donc, la mise en place d’une nouvelle chaîne de production va devoir se faire ailleurs, dans une usine qui devra soit être intégralement rééquipée soit complètement reconstruite: les options disponibles étant pour le moins restreintes. Ceci, bien évidemment, venant alourdir un peu plus la facture finale du projet.

Conçu comme une réponse aux F-35 et chasseurs légers chinois sur le marché à l’exportation, le Checkmate suit une idée simple et pertinente: capitaliser sur des technologies existantes et fiabilisées pour proposer un appareil léger et performant qui ne soit « pas trop » onéreux à exploiter en comparaison avec les plates-formes « lourdes » qui ne répondent pas spécialement aux besoins de toutes les forces aériennes. Néanmoins, et malgré la couverture médiatique entourant le projet: il reste beaucoup de travail à accomplir pour disposer d’un appareil exploitable, pas mal de questions entourant le projet sont actuellement sans réponses et enfin, il reste la question existentielle autour des financements (importants) nécessaires pour mener à bien le projet. En outre, dans le contexte international des sanctions découlant du CAATSA pouvant frapper les pays faisant l’acquisition d’équipements russes, il est utile de se poser la question de la pertinence d’un projet russe concentré principalement sur le marché à l’exportation.  

Autant dire que nous aurons donc très largement l’occasion de revenir sur ce projet à l’avenir.    

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