[Dossier] L’Ilyushin IL-80 Eimak, « l’avion du jugement dernier » russe
Parmi les nombreuses catégories d’avions militaires il est une catégorie au sujet de laquelle les informations publiées sont en général volontairement très lacunaires voire réduites au strict minimum ce qui se comprend aisément au vu des missions que ces derniers doivent remplir. Appelés « Avions du jugement dernier » (Doomsday Planes) aux Etats-Unis, il s’agit des appareils qui doivent servir de postes de commandement volant en cas de déclenchement d’hostilités à grande échelle (avec éventuellement des frappes nucléaires) ou dans le cas de catastrophes naturelles qui verraient les centres de commandement au sol être soit menacés et/ou détruits nécessitant d’être en mesure d’assurer la continuité de la chaîne de commandement ainsi que de la dissuasion du pays.
Devant assurer notamment le relais avec les composantes des forces stratégiques dans un environnement potentiellement très dangereux (guerre nucléaire, par exemple), ces avions disposent de moyens de communication puissants et redondants, d’une autonomie accrue (capacité de ravitaillement en vol), tout en offrant une capacité de survie accrue pour son équipage. De plus, vu le risque existant de voir les systèmes électroniques embarqués ainsi que les moyens de communications employés être mis hors service par une impulsion électromagnétique (IEM), les appareils chargés d’assurer ces missions mettent en œuvre des moyens de protection face à celles-ci dont notamment l’abandon des cockpits « tous écrans » employés sur les avions modernes pour un retour aux affichages analogues qui sont moins susceptibles d’être mis hors service par une IEM ainsi que le blindage du câblage employé dans les avions.
L’apparition du Boeing E-4(B) basé sur une cellule de Boeing 747-200 en 1973 et par la suite du Boeing E-6(B) TACAMO (employé par l’US Navy) va pousser l’URSS à se pencher plus en avant sur ce concept et à développer une version locale permettant de remplir des missions similaires, répondant au nom d’Ilyushin IL-80 et produits à quatre exemplaires qui seront par la suite renforcé par deux IL-82 (basés sur l’Ilyushin IL-76) ainsi que, dans une moindre mesure, par le Tu-142MR assurant des missions similaires à celles du Boeing E-6B (assurer le contact avec les SNLE russes) et fort logiquement exploité par l’Aéronavale Russe (MA-VMF). Vu les coûts induits dans le développement et la mise en œuvre de tels avions ainsi que de l’utilité de ces derniers, il n’y a que deux pays actuellement qui disposent des postes de commandement volants: les Etats-Unis et la Russie.
Ayant l’illustre (?) honneur d’être la seule variante créée ainsi que les derniers Ilyushin IL-86 toujours actifs; le passage en modernisation du troisième IL-80 sur les quatre existants est donc l’occasion de se pencher plus en avant sur cet appareil méconnu.
L’IL-80: un bref aperçu historique
Il est impossible d’aborder la question de l’IL-80 sans passer d’abord en revue l’historique de l’IL-86 et de son évolution; les deux appareils sont intrinsèquement liés et l’un n’existerait tout simplement pas sans l’autre.
A la fin des années 1960, l’URSS employait l’Ilyushin IL-62(M) comme appareil long-courrier sur les principales lignes du réseau Aeroflot; cet élégant quadrimoteur présentait un design « fortement inspiré » (bien que se différenciant sur plusieurs aspects) du Vickers VC10 britannique. Composé d’un fuselage monocouloir, d’un empennage en T et de quatre moteurs groupés par paires implantés à l’arrière du fuselage près de la base de la dérive: l’IL-62 (motorisé par des turboréacteurs Kuznetsov NK-8), et à sa suite l’IL-62M (version remotorisée avec des turboréacteurs Soloviev D-30KU) pouvaient emporter un maximum de 186 passagers. L’augmentation importante du trafic aérien découlant de la démocratisation de ce dernier eut pour effet d’entraîner une saturation de plus en plus importante des aéroports: les infrastructures au sol pouvaient bien évidemment être adaptées à ce nouvel afflux de clientèle mais l’augmentation du nombre de vols entraîna une augmentation des risques (plus d’avions en vol = plus de risques d’accidents) ainsi qu’une augmentation des coûts; en outre un afflux important de clientèle était attendu dans le cadre des jeux olympiques qui devaient se tenir à Moscou en 1980. Pour répondre à ces problématiques, les avionneurs occidentaux répondirent par la mise au point d’une nouvelle génération d’avions de plus grande capacité avec l’arrivée, à la fin des années 1960, des Boeing 747 Jumbo Jet, McDonnell Douglas DC-10 et Lockheed L-1011 TriStar. La mise au point de tels avions pouvant transporter entre 300 et 450 passagers a été rendue possible par l’arrivée d’une nouvelle génération de turboréacteurs à double-flux offrant une gamme de poussée ainsi qu’une fiabilité accrue par rapport à leurs prédécesseurs qu’étaient les Boeing B-707 et Douglas DC-8.

L’URSS va se retrouver face à la même problématique que les pays occidentaux et l’emploi de l’IL-62(M) pouvant emporter un maximum de 186 passagers va vite devenir problématique. C’est pourquoi le 13 octobre 1967, le bureau d’études Ilyushin va être chargé de développer une variante à 250 sièges de l’IL-62: l’IL-62M-250. Cette variante de l’IL-62M se distinguait de l’appareil d’origine par un allongement du fuselage de 6,8 m cependant ce projet fera long feu puisqu’il ne quittera pas les planches à dessin: la variante envisagée n’apportant qu’un gain marginal par rapport à l’appareil d’origine et son potentiel étant plus que limité, les décideurs soviétiques abandonnèrent rapidement l’idée.
C’est le 8 septembre 1969 que le bureau d’études Ilyushin va se voir attribuer un projet visant à développer un nouvel appareil pouvant transporter pas moins de 350 passagers sur de longues distances; les prérequis techniques précis attendus par ce nouveau projet étant définis le 22 février 1970, ces derniers établissaient le besoin d’offrir une vitesse de croisière de 900 Km/h, une autonomie de 5.800 Km avec 20 tonnes de charge et 3.600 Km avec 40 tonnes, enfin la possibilité de pouvoir embarquer les passagers depuis le sol sans équipements aéroportuaires (exploitation du type « bagages avec soi » sur laquelle nous reviendrons plus loin) était également incluse dans les prérequis techniques.

Les ingénieurs de chez Ilyushin en collaboration avec l’institut TsAGI vont envisager plusieurs designs pour le nouvel appareil bien que la configuration envisagée à l’origine reprennent le même type d’implantation que sur l’IL-62M avec quatre moteurs D-30KU disposés à l’arrière et groupés par paires sur les flancs du fuselage, l’aile étant identique à celle de l’IL-62M tandis qu’un nouveau fuselage était développé. Plusieurs concepts de fuselages vont être étudiés avec notamment un fuselage en forme d’ellipse à double pont disposant de sièges sur les deux ponts, un fuselage en forme d’ellipse à simple pont et enfin un fuselage de section circulaire à double pont où les passagers prennent place en haut tandis que l’espace pour le cargo et les valises se situe dans le pont en bas. Finalement, c’est la dernière option qui sera préférée: permettant d’installer neufs sièges de front séparés par deux couloirs en classe économique et pouvant accueillir jusqu’à 380 passagers. Outre le fuselage, les études vont également porter sur l’implantation des ailes, des empennages ainsi que sur le nombre et la position des réacteurs, presque toutes les options vont être envisagées: ailes hautes et réacteurs sous voilure (similaire à la configuration de l’IL-76), empennage en -T ou traditionnel, trois réacteurs selon la même implantation que le Boeing 727 ou reprenant l’implantation des DC-10 et L1011 Tristar, et enfin quatre réacteurs sous voilure ou groupés à l’arrière du fuselage. La quasi totalité des options possibles furent évaluées par les ingénieurs soviétiques; la plus surprenante étant fort probablement l’option comprenant deux réacteurs implantés sous voilure à proximité de l’extrémité de l’aile couplé à deux réacteurs implantés à l’arrière du fuselage près de la base de la dérive.
Il est d’ailleurs intéressant de voir que pour des raisons plus idéologiques que techniques, les ingénieurs soviétiques ont longtemps refusés d’envisager définitivement la configuration devenue classique en Occident d’un fuselage de section circulaire avec ailes basses présentant une flèche importante et réacteurs sous voilure telle qu’employée sur les Boeing 707 et Douglas DC-8, la « science » soviétique devait trouver sa « propre » voie qui, au final, ne sera qu’une perte de temps dans le cadre du développement de l’IL-86.

Outre les questions relatives au design général de l’avion, un premier problème va rapidement se poser; la poussée développée par les turboréacteurs D-30KU bien que considérée comme « suffisante » pour motoriser l’IL-86 eu égard à la masse maximale au décollage envisagée va par contre se révéler problématique pour pouvoir assurer une course au décollage en toute sécurité dans le cas de la défaillance d’un réacteur; une première solution sera trouvée au début de 1973 avec le choix des turboréacteurs D-30KP (variante disposant d’un taux de dilution ainsi que d’une poussée légèrement accrus) en remplacement du D-30KU, de plus une nouvelle aile sera développée: le réemploi de l’aile de l’IL-62M se révélant incompatible avec la masse prévue de l’appareil. Le choix du D-30KP implantés sur pylônes sous voilure couplé à une nouvelle aile de plus grandes dimensions devait permettre de résoudre la question de la sous-motorisation et indirectement pousser au choix du design définitif de l’appareil: un fuselage de section circulaire de grand gabarit avec ailes basses et réacteurs sous voilure. Vu les retards rencontrés par le projet IL-86, les décideurs soviétiques – dans un contexte international de relative « accalmie » entre les deux grands blocs politiques – vont creuser la piste occidentale pour acquérir les moteurs leur faisant défaut pour motoriser l’IL-86 et lui offrir des performances significativement accrues par rapport à la version employant les turboréacteurs D-30KP. Le constructeur britannique Rolls-Royce avec son RB211 ainsi que l’américain General Electric avec son CF6 vont être contactés en vue de fournir un nombre réduit de moteurs, l’URSS ayant très clairement dans ses cartons l’idée de les démonter intégralement et d’établir une copie locale de ces derniers; connaissant les « us et coutumes » locales, les deux constructeurs vont proposer la vente de lots plus conséquents de moteurs ce que l’URSS refusera obstinément, une chaîne de production en URSS étant même envisagée à un certain stade.
Néanmoins, les négociations vont se prolonger au-delà des délais raisonnables et en vue de ne pas retarder encore plus le projet IL-86, le 26 mars 1975 fut approuvé l’emploi du nouveau turboréacteur Kuznetsov NK-86 pour propulser l’IL-86. Dérivé du Kuznetsov NK-8, ce dernier est un turboréacteur double flux à faible taux de dilution (ce point est détaillé dans la description technique de l’avion) qui est très gourmand: par conséquent, l’IL-86 présentera un rayon d’action relativement faible en comparaison avec ses homologues occidentaux de l’époque. Les décideurs soviétiques vont cependant avoir du « flair » en sélectionnant un réacteur soviétique puisque le projet d’acquisition de turboréacteurs occidentaux finira par tomber à l’eau, ce faisant la sélection du NK-86 si elle permit à l’avion de voir le jour, obérera sérieusement ses performances finales notamment en matière de rayon d’action.

C’est l’usine n°64 de Voronezh (reprise maintenant sous le nom de VASO) qui fut chargée de produire l’IL-86, cette usine étant entièrement rééquipée à cette occasion et le personnel réentraîné pour maîtriser les nouveaux processus de production lié à l’IL-86 (les différentes sources consultées parlent d’une cinquantaine de processus de production neufs à maîtriser par le personnel). Deux prototypes vont être assemblés, plusieurs usines fournissant les composants nécessaires, et c’est à Moscou au sein de l’usine MMZ Strela du bureau d’études Ilyushin que va se dérouler l’assemblage final du premier appareil codé CCCP-86000 (SSSR-86000 en alphabet latin). Le premier prototype prendra l’air le 22 décembre 1976 au départ de la piste de l’aérodrome de Khodynka (également connu sous le nom d’Aérodrome central M.V Frunze / Центральный аэродром имени М. В. Фрунзе) localisé presque au coeur de Moscou (7 km du Kremlin) et adjacent à l’usine MMZ Strela ainsi que du bureau d’études Ilyushin. Le premier vol fut réalisé par un équipage composé du commandant E.I Kuznetsov, du copilote G.N.Volkhov, du navigateur V.V.Shchetkin et enfin du mécanicien naviguant I.N.Yakimets.

Les essais du premier IL-86 vont se dérouler au départ de l’aéroport de Zhukovski (Moscou), le prototype étant d’ailleurs présenté en juin 1977 (recevant le numéro 347) lors du 32ème salon aérien du Bourget (Paris) et c’est le 20 octobre 1978 que la première étape des essais de l’appareil va s’achever, il sera également présenté au salon du Bourget en 1978 (recevant le numéro 348). Un deuxième prototype (CCCP-86001) va sortir d’usine en octobre 1977 avant d’effectuer son premier vol le 24 octobre 1977.

La production en série de l’IL-86 va suivre dans la foulée et se tiendra entre 1979 et 1997 (le gros de la production étant concentré entre 1979 et 1993 avec une moyenne de six à huit avions produits annuellement à Voronezh), le total des appareils produits s’établissant à cent-deux IL-86 complétés par quatre IL-80 prélevés directement sur la chaîne de montage. Fort logiquement, l’opérateur principal de l’IL-86 fut la compagnie étatique soviétique détenant le monopole du transport aérien en URSS: Aeroflot. Bien que proposé à l’exportation, notamment pour Interflug (Allemagne de l’Est, deux appareils) et LOT (Pologne, quatre appareils): aucun IL-86 ne sera exporté à l’époque soviétique, il faudra attendre la fin de 1991 pour voir la compagnie chinoise China Xinjiang Airlines acquérir trois IL-86 qui resteront en service jusqu’à sa disparition en 2003.

Les ingénieurs soviétiques poursuivirent le travail sur l’IL-86 travaillant sur deux variantes de ce dernier: l’IL-86V qui aurait du transporter un plus grand nombre de passagers (environ 450) sur des distances allant jusqu’à 3.500-4.000 Km ainsi que sur l’IL-86D qui aurait du être une variante à long rayon d’action de l’IL-86. Si ces deux variantes tombèrent à l’eau, le projet d’IL-86D va évoluer progressivement pour donner naissance à plus long-terme à l’Ilyushin IL-96-300 (qui donnera ensuite naissance à la variante allongée IL-96-400); sans entrer dans les détails, ceci étant une autre histoire, l’IL-96-300 sera le premier véritable gros-porteur long courrier soviéto-russe produit et il corrigera les principaux problèmes rencontrés par l’IL-86 notamment en matière de rayon d’action.
L’éclatement du monopole d’Aeroflot en 1992 et la création des compagnies aériennes qui furent parfois appelées « Babyflot » vit l’IL-86 poursuivre sa carrière à la fois dans la nouvelle Aeroflot (et ses futures filiales) mais également dans une kyrielle de compagnies russes nouvelles dont la grosse majorité disparaîtra au fur et à mesure des années; certains appareils continuant leur carrière à l’étranger dans certaines anciennes républiques fédérées, cas notamment de l’Ouzbékistan, de l’Arménie ainsi que du Kazakhstan. L’arrivée d’avions occidentaux plus modernes, moins gourmands en carburant et surtout respectant les normes d’émissions de bruit les plus strictes vont sonner la fin prématurée de la carrière de l’IL-86; l’ensemble des avions étant retirés du service (parfois avec moins de quinze ans de carrière au compteur) à partir de 2004-2005.

Retirés du service régulier dès la fin de 2010, c’est le 29 janvier 2011 qu’un dernier vol entre Antalya (Turquie) et Moscou effectué par le RA-86141 appartenant à Donavia (Aeroflot-Don) clôturera définitivement la carrière civile de l’IL-86; un très grand nombre d’appareils ayant été découpés depuis leur retrait de service néanmoins plusieurs appareils sont exposés en Russie ainsi qu’en Ukraine. Au cours de sa carrière, l’IL-86 présenta un taux de fiabilité relativement élevé (surtout en comparaison avec les autres appareils soviétiques) puisqu’on ne dénombre qu’un seul crash mortel de ce dernier, ce dernier ayant eu lieu le 28 juillet 2002 avec le RA-86060 appartenant à Pulkovo Airlines qui s’écrasa lors d’un vol de repositionnement (sans passagers) peu après le décollage de Moscou Sheremetyevo suite à un problème technique et une mauvaise réaction de l’équipage par rapport à celui-ci; quatorze des seize personnes à bord décédèrent.

A la fin des années 1970, début des années 1980 les militaires soviétiques émirent le souhait de disposer d’un appareil équivalent au Boeing E-4(B) permettant de garantir la continuité de la dissuasion nucléaire en cas de catastrophes naturelles mettant en danger/rendant inutilisable les centres décisionnels soviétiques ou dans le cas d’une hypothétique troisième guerre mondiale (qui, selon les perceptions de l’époque, finirait par devenir nucléaire); pour ce faire, les ingénieurs vont évaluer plusieurs plate-formes disponibles à l’époque mais c’est l’Ilyushin IL-86 qui va se révéler le plus adéquat notamment en matière de charge utile ainsi que de taille de fuselage permettant d’y installer les équipements techniques nécessaires, cependant la distance franchissable de la version civile étant pour le moins restreinte nécessita d’apporter des solutions permettant de solutionner cette problématique.
Un premier avion construit au standard IL-86 va sortir des chaînes de montage de l’usine de Voronezh en 1985 (le CCCP-86146) et effectuer son premier vol le 29 mai 1985; néanmoins il s’agissait, lors de son premier vol, d’un appareil n’ayant encore reçu aucune modifications par rapport à la variante civile. Un long travail de conversion va être engagé, toujours au sein de l’usine n°64 de Voronezh, qui débouchera sur un « deuxième » premier vol du CCCP-86146 porté au standard IL-80, en date du 5 mars 1987. Trois appareils supplémentaires vont être produits dans la foulée du CCCP-86146: les CCCP-86147/86148/86149 qui sortiront des chaînes en 1985-1986 avant d’entrer en conversion au standard IL-80, une fois les quatre avions convertis au standard souhaité ils vont être engagés dans le programme de tests étatiques devant déboucher sur l’admission au service des appareils.

C’est au cours du programme de tests que va avoir lieu une première étape importante pour l’IL-80 avec l’essai de tir d’un ICBM (missile balistique intercontinental) dont l’ordre de tir est fourni par un IL-80 (le CCCP-86146) en vol; ce test – réussi – se déroula dans le courant de l’été 1990 au départ de l’aérodrome de Baïkonour validant ainsi le fonctionnement d’une partie des systèmes de l’appareil. Cependant, la disparition de l’URSS en décembre 1991 va venir perturber le programme d’essais qui était en cours de l’IL-80 et c’est la Russie qui va prendre le relais et assurer la fin du développement et de la mise au point de l’IL-80.
L’IL-80 Maxdome: un peu de technique
Construit sur base de l’avion civil moyen-courrier gros porteur Ilyushin IL-86 (code OTAN: Camber), l’Ilyushin IL-80 Eimak (également connu sous le nom IL-86VKP ou IL-86VzPU, sous le code projet Izd.80 et sous l’index GRAU: 9-A-9675) est un poste de commandement volant (VKP: Воздушных Командных Пунктов) construit à quatre exemplaires (code OTAN: Maxdome) au sein de l’usine VASO (Voronezh, anciennement usine n°64) dont la mission principale est de maintenir le contact avec les forces stratégiques en cas de destruction des sites de commandement terrestres dans le cadre du système de commandement automatisé Zveno-S. L’emploi de l’Ilyushin IL-86 comme base pour cette variante s’explique par le fait que ce dernier dispose d’un fuselage de grandes dimensions permettant le montage d’équipements encombrants, qu’il offre une distance franchissable importante et enfin qu’il dispose de la possibilité d’embarquer l’équipage directement depuis le sol sans nécessiter d’équipements externes pour embarquer.

S’intégrant au sein du centre de commandement automatisé Zveno-S (Izd.65S) dont il est un des éléments constitutifs, l’IL-80 va mettre en œuvre un ensemble de moyens de communications, de relais, de capteurs et d’antennes permettant aux responsables russes soit de communiquer à distance les ordres de lancement des missiles stratégiques russes soit de directement « prendre la main » et d’assurer directement les tirs des missiles: ce système est composé de plusieurs éléments mobiles dont l’IL-80 est une des clefs de voûte. Le développement d’une version modernisée du système Zveno-S, le Zveno-2S a forcé le développement d’une variante modernisée de l’IL-80: l’IL-80M compatible avec le Zveno-2S.

Les russes disposent actuellement (nous le détaillerons plus loin) d’avions à deux standards différents:
- L’IL-80 compatible avec le système Zveno-S (un appareil, actuellement hors service)
- L’IL-80M compatible avec le système Zveno-2S (deux appareils en service et un troisième en modernisation)
Avant de poursuivre cette présentation technique, il est nécessaire de préciser que les éléments techniques présentés sont basés sur ceux de l’IL-86. Vu l’absence d’images illustrant (fort logiquement) l’intérieur de l’IL-80(M): il est nécessaire de se baser sur ce dernier pour présenter les détails de cette variante. Par conséquent, il sera systématiquement fait emploi de l’IL-86 auquel viendra s’ajouter les modifications connues et documentées de l’IL-80(M).
Description et design général
L’Ilyushin IL-86 est un appareil aux lignes élégantes construit autour d’un fuselage monotube large en métal en forme de cigare présentant un diamètre maximal de 6,08 m et pouvant à l’origine accueillir 350 passagers en configuration haute densité avec neuf sièges de front séparés par deux couloirs. Le fuselage, pressurisé, présente comme caractéristique intéressante d’être subdivisé en deux ponts: un pont principal supérieur continu et deux ponts inférieurs de part et d’autres du caisson d’aile central.

Les ingénieurs soviétiques ont conçus l’avion pour permettre l’embarquement par deux moyens distincts: de manière classique, quatre portes sont installées de chaque côté du fuselage (soit un total de huit) permettant l’embarquement et le débarquement des passagers de l’avion via l’emploi de passerelles aéroportuaires mais il est également de monter à bord directement à partir du sol, faisant usage de quatre portes avec escaliers repliables installées en position basse (trois d’un côté de l’appareil et une seule de l’autre) qui ne nécessitaient pas de déployer des équipements aéroportuaires spécifiques pour monter à bord; les passagers accédant au pont supérieur de l’avion via des escaliers internes. De plus, il existait la possibilité (surnommée « bagages avec soi ») que les passagers puissent embarquer directement avec leurs valises et se chargent de les installer dans des casiers spécifiques prévus à cet effet sur le pont inférieur; inutile de préciser qu’au vu du cauchemar logistique potentiel que cette idée représentait, cette option n’a guère été employée.

Néanmoins, l’existence des deux ponts à bord de l’appareil ainsi que la possibilité d’embarquer directement depuis le sol vont se révéler utile pour le développement de l’IL-80: en cas de situation d’urgence, il est possible à l’équipage d’embarquer à bord de l’avion dans n’importe quel aéroport; de plus, le vaste espace disponible dans le pont inférieur pourra être réutilisé pour d’autres usages, comme nous allons le voir par la suite.
Première différence – et de taille – entre l’IL-80 et l’IL-86: l’absence complète de hublots sur le fuselage de l’IL-80 ainsi que la disparition de plusieurs des portes hautes et des portes basses. Là où un Il-86 dispose d’un total de huit portes principales (implantées à raison de quatre de part et d’autres du fuselage), deux portes en position basse (une de chaque côté du fuselage) et deux trappes pour les soutes (une de chaque côté du fuselage), l’IL-80 voit le nombre de portes d’accès fortement réduit. Au final, ne sont conservées que deux portes d’accès (une en position haute et une autre en position basse) du côté du commandant de bord, deux portes en position haute du côté du copilote et enfin une trappe d’accès à la soute.
Les ailes du type cantilever et de section trapézoïdale sont installées en position basse au milieu du fuselage auquel elles sont fixées via un caisson d’aile central et elles présentent une flèche d’un angle constant de 35°. Présentant une surface alaire importante de 320 m², les ailes se décomposent en trois parties: la partie centrale intégrée au fuselage, la partie interne et la partie externe. Les surfaces mobiles de chacune des ailes sont composées de:
- Becs de bord d’attaque continus (même au droit des pylônes supportant les réacteurs) subdivisés en six éléments qui couvrent toute la longueur de l’aile
- Deux volets de bords de fuite composés de deux segments et disposant de deux fentes pouvant se déployer jusqu’à un angle de 40°
- Cinq spoilers (pour détruire la portance): les spoilers-sols implantés près de l’emplanture ne servent qu’au sol et les spoilers airs-sols peuvent être employés au sol et en l’air
- Un aileron basse vitesse
En outre, les ailes disposent de deux « wing fences » (Lit. clôtures d’ailes) sur l’extrados des ailes, au droit des réacteurs, qui permettent de mieux canaliser le flux d’air sur la partie supérieure de l’aile dans les cas d’un vol avec un fort taux d’incidence. Enfin, les réacteurs sont implantés sur des pylônes qui sont avancés par rapport à la voilure pour permettre de servir de masses anti-flottement (« flutter« ).

L’empennage de l’IL-80 est composé d’une dérive fixe comprenant une gouverne de direction mobile subdivisé en deux parties ainsi que deux stabilisateurs horizontaux, fixés sur le fuselage à la base de la dérive, disposant chacun de deux gouvernes de profondeur; le tout étant actionné par des moteurs électriques commandés par le pilote et offrant un débattement allant de 2 à 12°. La surface totale de la dérive est de 96,5 m² tandis que la surface des stabilisateurs horizontaux est de 56,06 m².
La climatisation de l’IL-80 a été retravaillée par rapport à celle de l’IL-86; celle-ci a été modifiée et équipée de filtres spécifiques permettant d’employer l’avion dans des environnements dangereux tout en protégeant l’équipage.
Le train d’atterrissage est composé d’un atterrisseur avant mobile se rétractant vers l’avant sous le plancher du cockpit et composé de deux pneus KT-185 (1.300×485 mm) complété de trois atterrisseurs principaux qui sont équipés de quatre roues dotées de freins à disque du type KT-171 (1.300×480 mm) installées en tandem et implanté à raison d’un atterrisseur sous le fuselage (se rétracte vers l’avant) et d’un atterrisseur sous chaque aile près de l’emplanture de celle-ci (se rétracte latéralement dans l’axe du fuselage).

Dimensions générales
Vu que l’IL-80 est très étroitement dérivé de l’IL-86, il n’est guère étonnant de voir que celui-ci présente des dimensions générales et des performances très fortement similaires à la variante civile; l’appareil étant à la base conçu pour transporter un nombre conséquent de passagers, il présente donc des dimensions importantes et ne peut pas être déployé à partir de n’importe quel aéroport (nécessité d’une piste en dur d’une certaine longueur).
Les chiffres suivants relatifs à l’IL-80 sont disponibles:
- Longueur: 59,54 m
- Diamètre du fuselage: 6,08 m
- Hauteur maximale: 15,81 m
- Envergure: 48,06 m
- Surface alaire: 320 m²
- Masse à vide: 115 tonnes
- Masse normale au décollage: 208 tonnes
- Masse maximale au décollage: 215 tonnes
- Charge utile: 40 tonnes
- Equipage (pilotage): trois
La durée de vie d’un IL-86 est de vingt ans (avec possibilité d’extension à vingt-cinq ans) ou 10.000 cycles (soit entre 20.000 et 35.000 heures de vol) avant de nécessiter un passage en révision générale. Vu le faible taux d’emploi de l’IL-80 durant de longues années (comme nous le verrons par la suite), on comprend aisément que ce dernier est encore très loin d’avoir épuisé son potentiel d’heures de vol. Plusieurs sources font mention du fait que l’IL-80 bénéficie d’une aile ainsi que d’un fuselage renforcés notamment pour pouvoir encaisser l’onde de choc d’une explosion nucléaire: ceci est plausible bien qu’il ne soit pas possible de confirmer/infirmer cette information; néanmoins, la masse des équipements embarqués (l’électronique soviéto-russe n’étant pas réputée pour sa compacité ainsi que sa légèreté) rendent plausible un renforcement du fuselage et des ailes de l’avion.

Système de vol et équipage
Le cockpit, pour le moins spacieux, est situé au même niveau que le pont supérieur et est positionné à l’avant de l’avion; dans la plus pure tradition soviétique, ce sont pas moins de quatre membres d’équipage qui peuvent prendre place dans ce dernier. Le pilotage de l’avion nécessite la présence de trois personnes:
- Le commandant de bord est installé à l’avant à gauche
- Le co-pilote est installé à sa droite et assure en outre les fonctions de navigateur et opérateur radio
- Le mécanicien navigant est assis latéralement derrière le co-pilote; c’est lui qui se charge notamment de la gestion des moteurs (dans la logique de pilotage soviétique)
Un siège supplémentaire est présent à bord du cockpit; situé en retrait derrière le siège du commandant de bord il peut être déplacé pour être positionné plus près bien que légèrement en retrait entre les sièges du commandant de bord et du co-pilote, ce dernier permettant notamment à un instructeur de prendre place et de surveiller le déroulement du vol. On le voit donc, les soviétiques ne manquaient jamais d’équipages dans leurs appareils, ceci étant la réponse apportées à deux problématiques précises: le manque/moindre efficacité des systèmes d’automatisation modernes à bord des appareils soviétiques ainsi que le besoin d’assurer une « surveillance » constante des équipages et éviter les défections à l’Ouest. Il est en effet plus facile de préparer un passage à l’Ouest avec un nombre restreint de personnes qu’en grand nombre, le risque étant grand d’avoir un informateur du KGB dans les personnes informées avec tout ce que ceci impliquait à l’époque…
L’équipage bénéficie d’une excellente vue depuis le cockpit, les verrières étant composées de deux grandes baies frontales rectangulaires complétées par deux baies latérales de plus petite taille de chaque côté du cockpit. Principale différence entre le cockpit de l’Ilyushin IL-86 et l’IL-80 et deuxième différence entre les deux appareils: une des deux petites baies latérales du cockpit est masquée, ceci ayant fort probablement pour but de limiter l’impact potentiel d’une IEM.


Le cockpit de l’IL-80, bien que non-documenté à ce jour, reprend très probablement la même architecture que celle de l’IL-86 disposant uniquement d’afficheurs analogiques; les principaux instruments de base étant concentrés devant les deux pilotes et encadrés en blanc pour permettre à ceux-ci de se focaliser dessus en cas de situation de vol dégradée. Pour assurer le pilotage de l’avion, les deux pilotes disposent chacun d’un manche à balais central, de deux pédales pour le palonnier, les commandes des gaz des quatre moteurs se trouvant sur un pupitre central entre les deux pilotes.

Le mécanicien navigant dispose d’un poste de travail perpendiculaire au tableau de bord des pilotes et est installé derrière le co-pilote (donc à la gauche de l’avion); le poste de travail permet de gérer notamment les quatre systèmes hydrauliques principaux, les moteurs, leur puissance et le régime de vol adopté ainsi que l’alimentation en carburant (tout le centre du panneau de commande est dédié à ces fonctions). Il est d’ailleurs à noter que dans la plus pure tradition soviétique, le pilote de l’avion « pilote » celui-ci: c-à-d qu’il ne s’occupe pas des moteurs mais se concentre uniquement sur le vol de l’avion. C’est le mécanicien navigant qui s’occupe des moteurs et qui se déplace pour sélectionner le régime moteur nécessaire selon le régime de vol; c’est également ce dernier qui se charge de la surveillance et de la gestion du carburant et du transfert de ce dernier entre les différents réservoirs selon les besoins. Enfin, la lutte anti-incendie est également du ressort du mécanicien navigant, les commandes des extincteurs ainsi que l’isolement de l’arrivée en carburant dans les moteurs relèvent de ses attributions.

Les commandes de vol sont du type hydro-mécaniques, les pilotes disposent également d’un pilote automatique SAU-1T-2 qui, couplé au système de navigation Pizhma-1, permet d’assurer un vol entièrement automatisé. Un récepteur GPS ainsi qu’un système TCAS (système d’alerte de trafic et d’évitement de collision) ont été installés à bord des IL-86 dans le courant des années 1990. Les équipements embarqués (récepteurs VOR et DME) permettent un atterrissage aux instruments dans la limite des normes minimales de l’OACI Catégorie II.
Enfin, le cockpit dispose de deux enregistreurs de vol (« les boîtes noires »): un enregistreur phonique ainsi qu’un enregistreur de données de vol.
En ce qui concerne l’aménagement intérieur de l’appareil, les choses sont assez simples: il n’existe aucune information sur ce point. Les équipes devant mettre en œuvre les équipements de communication ainsi que le transport des hauts-responsables amenés à prendre place à bord de l’IL-80 nécessitent des espaces dédiés tout comme il en va de même en ce qui concerne les armoires techniques liées aux installations embarquées: il est donc parfaitement évident que l’aménagement connu sur l’IL-86 ne peut pas servir de base pour en déduire l’aménagement effectif de l’intérieur de l’IL-80. Vu l’absence d’informations sur ce point, nous devons malheureusement laisser ce dernier en suspens jusqu’à nouvel ordre.
Motorisation
Quatre turboréacteurs à double flux Kuznetsov NK-86(A), disposant d’inverseurs de poussée, et présentant un faible taux de dilution sont installés sur pylônes sous les ailes à raison de deux moteurs sous chacune des ailes. Dérivé du Kuznetsov NK-8 équipant notamment les Tu-154 et IL-62, le NK-86(A) est loin d’être un moteur performant: très gourmand, peu puissant et extrêmement bruyant, ce dernier point sera d’ailleurs la principale raison du retrait prématuré de l’IL-86 du service lors de l’entrée en vigueur des normes de bruits édictées par l’OACI au sein du Chapitre 3 de l’annexe 16.

Le NK-86(A) est un moteur compact, à démarrage pneumatique, composé d’un compresseur basse pression à cinq étages, d’un compresseur haute pression à six étages, la chambre de combustion est du type annulaire et enfin d’une turbine haute pression à un étage et d’une turbine basse pression a deux étages. L’ensemble présente les dimensions suivantes:
- Longueur: 6,238 m
- Diamètre de la soufflante: 1,445 m
- Diamètre du moteur: 1,6 m
- Masse à vide: 2,54 tonnes
D’un point de vue des performances, la poussée maximale d’un NK-86 est de 127 kN (soit un total de 508 kN pour l’IL-80/IL-86) sa poussée de croisière étant de 31,5 kN, le taux de dilution (dixit Wiktionary; « dans un réacteur à double flux, rapport du débit du flux secondaire à celui du flux primaire ») étant de 1,15. La consommation en fuel est importante puisque estimée à 7,7 tonnes en poussée continue maximale, ce chiffre se réduisant fort logiquement selon le profil de vol de vol et la poussée nécessaire en cours de route.
Le Kuznetsov NK-86: faute de grives, on mange des merles?
L’arrivée d’une nouvelle génération de long-courrier gros porteur en Occident a été rendue possible par la mise au point d’une nouvelle génération de turboréacteurs à double flux présentant un fort taux de dilution ainsi qu’une poussée significativement accrue; ceci permettant d’accroître la masse maximale au décollage et donc la charge utile transportée.
L’URSS parfaitement consciente de la nécessité de développer ce type de réacteurs, se retrouva rapidement dans une situation délicate en ce qui concerne le projet d’IL-86; en effet, les ressources disponibles (principalement techniques et humaines) étaient mobilisées sur le développement et la mise au point du nouveau turboréacteur NK-25 destiné à motoriser le bombardier régional Tu-22M(3), de plus le calendrier prévisionnel de l’IL-86 était trop court que pour permettre de développer un réacteur présentant un niveau technique (poussée, consommation et durée de vie) au niveau de ses homologues occidentaux. L’URSS se retrouva très rapidement distancée en matière de turboréacteurs civils et/ou pour les appareils de transport: ceci ayant notamment comme conséquence l’emploi du « peu performant » D-30KP pour l’IL-76 ainsi que du NK-86 pour l’IL-86. Il est d’ailleurs à noter que cette problématique va se prolonger jusque l’époque contemporaine puisque le premier turboréacteur « moderne » soviétique pour avions civils, l’Aviadvigatel PS-90(A) est loin d’être à la hauteur de ses homologues occidentaux datant de la même époque; que ce soit en matière de poussée, de durée de vie et de consommation de carburant, l’arrivée du PD-14 augure un sérieux rattrapage en ce domaine par la Russie même si les performances de ce dernier sont encore très légèrement en retrait des performances de ses contemporains.
Une solution envisagée pour rattraper (en partie) le retard accumulé fut d’envisager l’acquisition de réacteurs occidentaux pour équiper l’IL-86 des contacts en ce sens ayant eu lieu avec la Grande-Bretagne pour faire l’acquisition de moteurs Rolls-Royce RB211 équipant notamment le Lockheed L-1011 Tristar ainsi que les Boeing B-747 de British Airways ainsi qu’avec les USA en ce qui concerne le réacteur CF6 de General Electric équipant notamment les DC-10 et Boeing B-747. Cette nouvelle classe de turboréacteurs à double flux et fort taux de dilution offraient des gammes de puissance et des taux de dilution surclassant largement ceux offerts par le NK-86:
- CF6-6: 184 kN de poussée maximale, taux de dilution de 5,80
- RB211-22: 184 kN de poussée maximale, taux de dilution de 5,1
En outre, dans un contexte où les compagnies aériennes mettaient la pression aux constructeurs pour réduire la consommation en carburant; cette nouvelle génération de turboréacteurs (dont l’origine se trouve dans le développement du Lockheed C-5A Galaxy) se devait d’être économe et donc de permettre aux avions d’offrir une distance franchissable accrue ainsi qu’une longue durée d’exploitation entre deux cycles d’entretien. En résumé, il fallait des réacteurs puissants, fiables et économes: bref toutes les caractéristiques dont le NK-86 ne disposait pas (ceci semble se confirmer par le fait que presque tous les crash d’IL-86 furent liés d’une manière ou d’une autre à des problèmes de réacteurs). Les décideurs soviétiques (bien aidés par un contexte international de relative accalmie entre l’URSS et l’Occident) vont donc essayer d’acquérir les technologies nécessaires en Occident permettant de faire de l’IL-86 un véritable appareil long-courrier; les discussions à ce sujet vont s’étaler sur de très longues années et le Royaume-Uni était pour le moins intéressé par une telle vente puisque le développement du RB211 avait coûté très cher à Rolls-Royce et les soviétiques étaient prêts à payer sans – trop – discuter. Les USA flairant le potentiel commercial (et dans une moindre mesure l’impact médiatique: l’ennemi soviétique qui achète des turboréacteurs en Occident, c’eut été un beau coup de communication pour l’époque) qu’une telle vente représenterait proposera la vente d’un lot de CF6 pour rééquiper l’IL-86 ou une variante à long rayon d’action de ce dernier: l’IL-86D.
Envisageant plus que probablement de développer une copie locale du réacteur acquis, les soviétiques se proposèrent d’acquérir un petit lot de moteurs (moins d’une vingtaine d’unités) dans un premier temps mais les constructeurs occidentaux n’ayant pas oubliés la vente des Rolls-Royce RB.41 Nene qui donnera naissance au Klimov VK-1 propulsant les MiG-15, MiG-17 et IL-28, proposèrent de vendre des plus grandes quantités: à la fois pour rentabiliser (en partie) l’investissement consenti dans les programmes ainsi que pour limiter la perte financière en cas de développement d’une variante soviétique des réacteurs en question. Les décideurs soviétiques semblent avoir eu le plus grand mal à se décider sur cette acquisition, le dossier traînant pendant plusieurs années connaîtra une fin peu glorieuse puisque l’intervention soviétique en Afghanistan ainsi que le refroidissement rapide des relations entre les deux grands blocs politiques vont voir les USA et dans la foulée le Royaume-Uni opposer une fin de non-recevoir à cette vente potentielle.
Bien que le programme IL-86 souffrira de l’absence d’un turboréacteur moderne, les ingénieurs soviétiques vont se retrouver au pied du mur et le besoin de disposer d’un turboréacteur offrant une poussée importante débouchera sur le lancement du projet qui donnera naissance au Lotarev D-18T employé sur les Antonov An-124 et An-225; une variante de l’IL-86 équipé de ce réacteur et reprise sous le type IL-86D ne se concrétisera pas mais donnera naissance par la suite à l’IL-96-300. De manière pour le moins ironique, peu après la chute de l’URSS, des projets de remotorisation de l’IL-86 avec des moteurs occidentaux (CFM56-5C2 et V2500 notamment) furent proposés permettant d’accroître les performances (rayon d’action) de l’avion mais ces derniers ne débouchèrent (encore une fois) sur rien de concret principalement pour des raisons financières mais également techniques: le diamètre des réacteurs envisagés aurait nécessité de redessiner les pylônes.
Malgré les faibles performances offertes par les réacteurs, ceci n’empêcha pas les soviétiques de plaisanter sur la question en indiquant que « si l’IL-86 est en mesure de décoller, c’est grâce à la courbure de la terre » (la vidéo ci-dessous permet de voir que la course au décollage ainsi que le taux de montée sont loin d’être « époustouflants ») tout comme ceci n’arrêta pas les ingénieurs qui présentèrent une version légèrement améliorée du NK-86, le NK-86A présentant une température d’entrée de la turbine augmentée de 1260 K à 1280 K (via l’introduction de nouvelles lames de rotor dans le premier étage de la turbine) ont permis d’augmenter légèrement la poussée maximale à 130 kN ainsi que la durée de vie du réacteur qui passe de 3.000 à 4.000 heures de vol.
L’IL-86 dispose d’un unité de puissance auxiliaire (APU / Auxiliary Power Unit) du type VSU-10, couplé à quatre génératrices GT-40PCh6, chargée de produire de l’électricité qui alimente le conditionnement d’air au sol et enfin qui fourni l’air nécessaire pour le démarrage des réacteurs. Enfin, chaque réacteur dispose de son propre système hydraulique, l’appareil comporte donc quatre systèmes hydrauliques, employant du fluide NGZh-5u pouvant être employé sur des gammes de températures allant de -60 à +150°, ces systèmes étant alimentés par une pompe installée dans chaque réacteur et servent notamment pour: le déploiement des trains d’atterrissage, le freinage de l’appareil, la commande des surfaces de contrôles des ailes, des gouvernes de profondeur, des stabilisateurs horizontaux ainsi que pour d’autres sous-systèmes. Chaque système hydraulique alimente les équipements situés de son « côté » de l’appareil.

Vu les besoins fortement accru en électricité de l’IL-80, deux sources d’alimentation électrique supplémentaires sont installées sur l’IL-80 dans des pods implantés sous les ailes entre le réacteur le plus proche du fuselage et l’emplanture des ailes. Consistant en deux pods d’une longueur de 9,5 m et d’un diamètre d’environ 1,3 m il s’agit en réalité d’une modification du turbopropulseur AI-24 de l’Antonov An-24 repris sous le nom de turbo-alternateurs AI-24UBE; ces derniers fournissent l’électricité pour les équipements additionnels ajoutés pour créer l’IL-80: les équipements de base issus de l’IL-86 sont quant à eux alimentés par l’unité de puissance auxiliaire VSU-10 d’origine.
Performances
L’IL-86 emporte 86 tonnes de carburant stocké dans les ailes ainsi que dans le caisson d’aile central, cette capacité en carburant lui offre une distance franchissable de 5.000 Km; le tout à une vitesse de croisière de 850 Km/h. L’Ilyushin IL-80(M) se distingue de l’IL-86 en étant modifié sur deux points: l’ajout d’une perche de ravitaillement en vol ainsi que l’ajout de réservoirs à carburant supplémentaires dans les soutes à bagages.

Une perche de ravitaillement en vol fixe est implantée latéralement à l’avant de l’avion à la gauche du commandant de bord; elle est directement reliée aux réservoirs de carburant via une canalisation externe qui court le long du fuselage. De plus, plusieurs sources font mention de l’ajout de réservoirs à carburant supplémentaires dans les soutes à bagages permettant d’accroître significativement la distance franchissable de l’IL-80(M). Bien que ceci n’ait jamais été confirmé officiellement, cet ajout est plus que probable: surtout au vu du besoin de disposer d’une importante distance franchissable au vu des missions que ces appareils sont amenées à effectuer.
Moyens de communication
Vu la mission principale de l’appareil, les moyens de communication embarqués répondent à des besoins bien précis (assurer la communication et l’intégration avec les systèmes Zveno-S/Zveno-2S) et sont le coeur des capacités de l’appareil (outre une distance franchissable importante ainsi qu’une capacité de survie accrue), ces derniers étant repris sous la référence 83T120 et développé par le centre NPP Polet de Nizhny Novgorod. Le but des équipements de communication embarqués est d’assurer l’échange sécurisé d’informations/ordres avec l’ensemble des moyens (air, mer et terre) assurant la dissuasion nucléaire russe dans un environnement pouvant être soumis à un fort brouillage, pour ce faire un vaste ensemble de moyens est mis en oeuvre: systèmes satellites, systèmes basses fréquences, systèmes hautes fréquences, etc. Par conséquent, les IL-80(M) sont bardés d’antennes disposées sur et sous le fuselage et il est important de préciser que chaque appareil existant présente une configuration d’implantation unique des antennes qui découle de la présence standardisée des principales antennes complétée par une alternance au niveau de l’implantation ainsi que du nombre des antennes secondaires.
Pour résumer, on peut décrire les différentes antennes en les classifiant de trois manières:
- Les antennes positionnées sur le dessus du fuselage
- Les antennes disposées sous le fuselage
- Les antennes présentes aux extrémités des stabilisateurs horizontaux
Bien qu’il ne soit pas possible d’identifier l’ensemble des antennes ainsi que les fonctions que celles-ci remplissent, on dispose d’un aperçu de l’ensemble de celles-ci ainsi que des fonctions présumées qu’elles remplissent.

En ce qui concerne les antennes implantées sur le dessus du fuselage; la première et fort probablement la différence la plus visible entre un IL-86 et un IL-80(M): la présence d’un carénage de grandes dimensions en forme de kayak retourné et positionné sur le dessus du fuselage à l’avant de l’appareil légèrement en retrait du cockpit. Ce carénage, composé de matériaux « radio transparent » (ceci se voit notamment au fait que la peinture sur ce dernier s’écaille très rapidement) comprend plusieurs antennes employées notamment par des moyens de communication satellitaires, il n’est malheureusement pas possible d’en dire beaucoup plus sur ce dernier puisqu’il n’existe aucune photo d’un appareil où ce carénage est démonté; néanmoins au vu de sa taille et de sa forme, il semble évident qu’il abrite des antennes de grandes dimensions.
Plusieurs antennes sont également présentes sur le dessus du fuselage avec une antenne de petite taille située juste au-dessus du cockpit (en amont du carénage) complété par plusieurs antennes de différentes tailles (destinées également aux moyens de communication) implantées entre le carénage et la dérive. On remarque également l’implantation d’un carénage plat qui prolonge la base de la dérive et qui renfermerait une antenne réceptrice pour un système de communication à très basses fréquences.

En ce qui concerne les antennes situées sous le fuselage de l’IL-80, on retrouve l’antenne principale du système radio à très basse fréquence R-826PL Fregat (similaire à celle employée par le Tu-142MR). Ce dernier est composé d’une antenne émettrice repliable, actionnée par un système hydraulique, d’environ 4 Km de long et de 7,5 mm de diamètre dotée d’un cône de stabilisation à son extrémité installée dans la soute arrière de l’appareil, celle-ci permet d’assurer la continuité des communications avec les SNLE (Sous-marins Nucléaires Lanceurs d’Engins) en cas de perte des autres moyens de communications. Lorsque l’antenne est repliée, il reste une protubérance externe latérale située sur le flanc du fuselage du côté du commandant de bord où l’extrémité de l’antenne vient se loger; vu l’importance de la traînée induite par l’antenne lorsqu’elle est déployée et le risque qu’elle représente en cas de problèmes techniques, il est possible pour l’opérateur du système de « couper » celle-ci pour garantir un atterrissage sans encombres de l’appareil.


Le système de communication à hautes fréquences se compose de deux longues antennes rectangulaires et allongées qui sont installées parallèlement sous le fuselage en aval de l’atterrisseur central (ces dernières sont absentes sur le RF-93642). Enfin, venant compléter celles-ci et implantées aux extrémités des stabilisateurs horizontaux sous ces derniers, dans un petit carénage discret, se trouvent deux antennes émettrices pour système à hautes fréquences.
Contremesures et guerre électronique
De manière pour le moins surprenante sur un appareil de cette valeur et ayant une telle importance stratégique, il n’y a aucun moyen de protection embarqué connu. La modernisation au standard IL-80M ne semble pas avoir vu les appareils connaître la moindre modification de ce point de vue.
L’IL-80(M) en exploitation au sein de la force aérienne russe
Lorsque l’URSS s’effondre le 26 décembre 1991, c’est la force aérienne russe (VVS) qui prend la relève de celle-ci récupérant la vaste majorité des équipements employé par la force aérienne soviétique (VVS) ainsi que par les forces de défense anti-aérienne (PVO). A cette occasion, les quatre IL-80 passent dans le giron de la jeune VVS et c’est en 1992 que l’IL-80 sera admis au service. Néanmoins, les avions vont passer le plus clair de la décennie 1990 au sol sur la base de Chkalovsky stockés sans utilisation et ce principalement par manque de moyens ainsi que d’utilité apparente.

A noter que les IL-80 qui portaient un numéro d’immatriculation « classique » en URSS composé du préfixe CCCP (SSSR en alphabet latin) auquel venait se rajouter le groupe de chiffres employés pour identifier les IL-86, les IL-80 s’intégrant dans la logique arithmétique de ces derniers (CCCP-86146, 86147, 86148 et 86149), virent le préfixe CCCP remplacé par le préfixe RA avec conservation des mêmes groupes numériques lors du passage à l’époque russe (RA-86146, 86147, 8148 et 86149); ces numéros de registre restant intacts jusqu’au passage en modernisation des appareils qui voient ces derniers recevoir un nouveau numéro de registre à la fin des travaux. Enfin, dernier changement à noter en matière d’immatriculation des avions: le passage des appareils modernisés à une immatriculation en RF (préfixe employé par les appareils militaires russes) complété par un groupe de chiffres qui n’ont plus aucun lien avec la logique arithmétique des IL-86 (RF-93642 et 93645).

On peut également ajouter que les avions portaient à leur mise en service une livrée quasiment identique en tous points à la livrée de la compagnie aérienne Aeroflot; fuselage blanc et gris avec lisérés bleus et logos Aeroflot ainsi que le drapeau soviétique sur la dérive. Cette livrée sera modifiée lors de la disparition de l’URSS: le drapeau russe remplaçant le drapeau de l’URSS sur la dérive. Les appareils perdront les logos Aeroflot lors de leurs passages en révision générale/modernisation mais les couleurs de bases (blanc, bleu et gris) sont toujours employées sur les appareils actuellement, on constate par contre l’apparition de l’étoile rouge cerclée de bleu et de blanc (les couleurs russes) sur la dérive d’un des IL-80M (RF-93642) en remplacement du drapeau russe.
Alors que le 10 juillet 1991 (toujours à l’époque soviétique donc), NPP Polet avait été chargé par le Ministère de la Défense de développer le système Zveno-2S devant faire usage de systèmes de communications améliorés embarqués à bord de l’IL-80 (contrat 1945/62/1): les travaux vont être fortement impactés par la disparition de l’URSS et il faudra attendre le 15 avril 1997, pour voir le ministère de la défense russe et Ilyushin signer un contrat portant sur le développement de la modernisation des équipements embarqués de l’IL-80 (ainsi que de l’IL-82), les travaux s’inscrivant dans le cadre de la mise au point du système Zveno-2S. Cependant, encore une fois, l’absence de moyens disponibles ainsi que certaines difficultés techniques vont voir les travaux traîner en longueur: sur base d’un procès opposant le MoD et Ilyushin, en 2012 les travaux contractés n’étaient pas encore achevés (soit 15 ans après la signature du contrat de développement). Un premier appareil, le RA-86147 devenu par la suite RF-93645, va être pris en charge par l’usine Beriev de Taganrog pour passage au standard IL-80M, les travaux sur ce dernier ne s’achèveront pas avant la fin de 2007: il faudra encore attendre 2010 pour assister au début des essais étatiques de l’appareil modernisé et c’est le 1er décembre 2015 que ces derniers s’achèveront. En résumé, il s’est écoulé pas moins de 24 ans (!) entre le lancement des premiers travaux sur le Zveno-2S et l’acceptation au service du premier IL-80M.

Une fois le premier appareil porté au standard IL-80M et bien que les tests étatiques ne soient pas encore achevés, un deuxième appareil va entrer en modernisation: le RA-86148 qui ressortira en 2013 avec la nouvelle immatriculation RF-93642 qu’il arbore toujours actuellement. Le sort des deux autres appareils est moins évident: en ce qui concerne le dernier IL-80 produit, le RA-86149, il y a un hiatus de presque 10 ans dans sa carrière active (2009-2019) sans le moindre vol documenté de ce dernier et ce n’est qu’au début 2019 qu’il a été réactivé avant d’être envoyé chez Beriev à Taganrog. Comme indiqué plus haut, l’intérieur des IL-80(M) n’est pas documenté vu le secret entourant ces avions, néanmoins ce secret ne semble pas aussi absolu qu’il n’y paraît: le RA-86149 actuellement stocké à Taganrog avant le début des travaux de modernisation a été visité par des cambrioleurs (!) le 7 décembre 2020 ces derniers ayant emportés un ensemble de radios et d’équipements de communication présents à bord! Inutile de préciser que même si l’avion n’était pas en exploitation au moment du vol, on peut se poser d’évidentes questions sur la sécurité de certaines usines du secteur de la production militaire russe; la facilité avec laquelle les voleurs ont pu opérer à de quoi laisser perplexe surtout au vu de l’importance de l’appareil en question.

Le sort réservé au premier appareil et prototype, le RA-86146, est actuellement inconnu: il est fort probable vu son âge et son stockage sans ses réacteurs que ce soit la fin pour ce dernier. Néanmoins, il n’est pas possible de tirer une conclusion définitive sur le sort qui lui est réservé, ce ne serait pas la première fois que la Russie remet en service un appareil après de très longues années de stockage. La flotte russe d’IL-80(M) repose donc actuellement sur les deux appareils déjà portés au standard IL-80M (RF-93642 et RF-93645) avec à terme le troisième appareil (RA-86149) qui est actuellement en modernisation chez Beriev à Taganrog d’où il ressortira au même standard IL-80M que les deux appareils traités antérieurement. Ce faisant, avec trois appareils en service, la Russie disposera en permanence d’au-moins un appareil prêt à décoller.
La situation de la flotte d’IL-80(M) en 2020 peut donc se résumer de manière assez simple:
- Le RA-86146 (IL-80) est hors service (réacteurs enlevés) et stocké sur l’aéroport de Chkalovsky,
- Le RA-86149 (IL-80) est actuellement chez Beriev à Taganrog pour révision générale et modernisation au standard IL-80M
- Le RF-93642 (IL-80M) est en service et présent à Chkalovsky
- Le RF-93645 (IL-80M) est en service et présent à Chkalovsky
L’avenir des IL-80(M) au sein des forces aériennes russes semble à première vue tout tracé: poursuite des missions qui leur sont dévolues jusqu’à l’arrivée d’un remplaçant sur base de l’IL-96-400M (Izd.9631). Il est vrai qu’avec le retrait de service de l’IL-86 et au vu des capacités techniques de l’IL-80(M), son remplacement par l’IL-96-400M est parfaitement compréhensible; cette nouvelle variante civile de l’IL-96-300 qui devrait effectuer son premier vol en 2021 ne présente qu’un intérêt somme toute limité (voire nul) pour les compagnies aériennes russes (présence de quatre moteurs PS-90A notamment) mais elle présente un intérêt certain pour les militaires grâce à l’autonomie de base de cette variante (pouvant également être accrue sur le même modèle que l’IL-80M avec installation de réservoirs supplémentaires dans les soutes) ainsi que sa capacité de transport. En outre, l’IL-96-400M est entièrement construit sur base de composants russes, par conséquent, l’appareil bien que comparativement moins performant que ses homologues occidentaux ne pourra pas être impacté par d’éventuelles sanctions occidentales.

Néanmoins, l’entrée en modernisation sous peu du RA-86149, troisième appareil qui sera traité, indique que la carrière des IL-80(M) est amenée à se prolonger encore de quelques années. En effet, au vu du rythme de production envisagé de l’IL-96-400M (un à deux appareils annuellement), il ne faut pas s’attendre à disposer d’un remplaçant pour les IL-80 avant au bas mot 2025 (et encore ceci est pour le moins très optimiste). Le projet de remplacement de l’IL-80(M) avec une nouvelle plate-forme basée sur l’IL-96 n’est pas neuf en soi puisque la question a déjà été mise sur la table en 2015 dans le cadre du projet Zveno-3S mais c’est le développement de l’IL-96-400M qui va permettre de faire réellement décoller le projet: cette variante de l’IL-96-300 disposant d’un fuselage allongé ainsi que d’une électronique de bord revue offrira des performances (théoriques pour l’instant) plus en phase avec les prérequis techniques nécessaires pour créer un nouveau poste de commandement volant; les premières ébauches disponibles (donc amenées à évoluer) indiquent que les solutions déployées sur l’IL-80(M) (bossage au-dessus du cockpit, perche de ravitaillement en vol et générateurs supplémentaires sous les ailes) seront fort probablement réemployés sur ce nouvel appareil. Sur base des contrats officiels disponibles, les travaux de développement de la nouvelle génération d’appareils « du jugement dernier » sont actuellement en cours (numéro de contrat étatique: 18271873210671452208000445 / Référence VzPU-UN) et sont le fruit d’une collaboration – fort logique – entre l’usine VASO (Voronezh) et l’usine Beriev (Taganrog).
En conclusion
Comme pour de nombreux autres programmes soviétiques datant de la même époque, le développement et la mise au point des IL-80(M) Maxdome vont être très sérieusement ralenti par la fin de l’URSS: pire, les avions vont rester cloués au sol pendant presque dix ans sur leur base de Chkalovsky (Moscou) en compagnie des deux IL-82 ainsi que d’autres appareils aux missions spécifiques, les militaires ne voyant pas l’intérêt (pas plus qu’ils ne disposaient des budgets) d’exploiter ces avions, et principalement l’IL-80(M), dans un contexte international de détente relative entre les ennemis d’autrefois.
Histoire de ne rien arranger, les essais de mise au point de l’IL-80(M) n’étaient pas achevés lors de la disparition de l’URSS. Ceci aura pour conséquence de voir les travaux d’acceptation et de mise en service définitive des avions traîner en longueur pendant plusieurs années et le programme de modernisation des appareils lancé en 1991 à la fin de l’URSS va accumuler un retard important qui ne débouchera sur une sortie de modernisation d’un premier appareil qu’en 2015 (!).

Le retour des budgets dédiés aux questions militaires ainsi que principalement la dégradation des relations internationales de plusieurs grands pays avec la Russie; ont poussé cette dernière à remettre en état de vol et réinvestir dans sa flotte d’IL-80(M) tout en lançant un programme de modernisation même si il semble que les travaux se limiteront à terme aux trois appareils encore disponibles qui sont complétés par deux IL-82 dont la disponibilité est soumise à questionnement ainsi que dans une moindre mesure aux Tu-142MR des MA-VMF (l’aéronavale russe), dont la première étape de modernisation est actuellement en cours de développement. Contrairement aux Etats-Unis et de manière pour le moins surprenante, il ne semble pas que la Russie maintienne en permanence en vol un voire plusieurs de ses IL-80/Tu-142MR cependant, au-moins un IL-80(M) est en permanence disponible pour la QRA (Quick Reaction Alert) prêt à décoller très rapidement si le besoin s’en faisait sentir. Les photos disponibles sur Internet des IL-80(M) (assez curieusement et malgré l’importance stratégique de ces derniers, les IL-80(M) sont relativement aisés à photographier de près, à l’inverse il y a un blackout total sur les images de l’intérieur de l’avion) permettent de voir qu’il y a toujours un appareil prêt à décoller: les véhicules de service assurant un démarrage rapide de l’IL-80(M) étant présents aux côtés et reliés à un avion.

Basé sur une plate-forme retirée du service et offrant des performances techniques limitées (notamment suite à l’emploi des réacteurs NK-86), l’IL-80(M) bien qu’étant des appareils relativement jeunes (en nombre d’heures de vol et en âge) vont rapidement devenir problématiques à maintenir en service vu le nombre restreint d’appareils existants et la disparition de la chaîne logistique apte à assurer le maintien en conditions opérationnelles des appareils. Ces arguments plaident donc pour un remplacement à moyen terme des appareils ainsi qu’un léger accroissement de la flotte: avec seulement deux appareils actuellement disponibles (le troisième est en modernisation et le sort du quatrième est très incertain) au moindre problème technique sur un des appareils actifs, la continuité de la dissuasion nucléaire russe en cas d’évènements graves serait sérieusement remise en question… alors que justement les IL-80(M) ont été conçus dans le but inverse: permettre la continuité dans les pires circonstances possibles de la dissuasion nucléaire russe!
Quel bonheur de vous relire après cette longue interruption.
Heureusement que Twitter existe. Je n’ai pas eu d’inquiétude sur votre état de santé.
Vous avez parfaitement raison en disant que L’Il 86 est un bel avion
Un grand merci pour ce reportage
Ladoga
Merci pour votre commentaire 😉
Bonjour,
Merci pour cet article très complet et bien illustré.
Pour info (et info à vérifier d’ailleurs), un Il-80 aurait été « victime » d’un vol de composants électroniques :
https://www.rtbf.be/info/monde/detail_la-russie-inquiete-d-un-vol-commis-dans-un-avion-prevu-en-cas-de-guerre-nucleaire?id=10649835
Si on passe sur l’illustration de l’article qui n’a rien à voir avec un IL-80 (mais le journaliste le mentionne, donc faute avouée…) , on ne peut s’empêcher d’imaginer un scénario digne d’un roman d’espionnage….
Ou bien un électronicien avait un besoin urgent de composants de bonne qualité, ou bien quelqu’un s’intéresse de près aux systèmes de communication de la composante nucléaire russe… 🙂
Merci encore pour le fantastique travail d’information que vous réalisez,
Cordialement,
David Cammaerts
Bonjour,
Le vol à bord du RA-86149 est mentionné dans l’article 😉
Bonne journée à vous