[Actu] Premiers essais de la frégate Marshal Shaposhnikov

Entré en modernisation en 2016, le Marshal Shaposhnikov (Маршал Шапошников) est un destroyer de la classe Fregat (Izd.1155) qui a effectué sa première sortie en mer post-modernisation en date du 10 juillet. Repris en tant que Большие противолодочные корабли (BPK), c-à-d « Grands navires anti-sous-marins », les destroyers (selon la classification OTAN) des classes Izd.1155 et Izd.1155.1 Фрегат/Fregat (nom de code OTAN: Udaloy / Udaloy II) sont, comme leur nom l’indique, des navires spécialisés dans la lutte anti-sous-marine.

Appartenant à la Flotte du Pacifique de la Marine Russe, le Marshal Shaposhnikov sert de prototype à la modernisation de la classe Fregat (Izd.1155). Dans le cadre de cette dernière, le navire orienté à la base pour la lutte anti-sous-marine est transformé en navire polyvalent avec refonte des armements et de l’aménagement intérieur et devient un navire polyvalent pouvant effectuer des frappes anti-sous-marines, anti-navires de surface ainsi que des frappes au sol. Le navire modernisé au standard Izd.1155M est reclassifié en tant que frégate dans la classification russe: ce changement sémantique mettant en évidence le fait que le bâtiment n’est plus spécialisé mais devient polyvalent.

Sans revenir en détails sur la classe Fregat, son historique ainsi que sur le projet de modernisation, ces éléments ayant été abordés sur le blog en 2019: cette première sortie en mer est néanmoins l’occasion de se pencher sur les points les plus intéressants des travaux réalisés.

Devenus par la force des choses les principaux navires hauturiers russes, les BOD de la classe Fregat sont à la base conçus pour être exploités en tandem avec les destroyers de la classe Sarych (Izd.956): ces derniers étant spécialisés dans la lutte anti-navires de surface. Cependant, une chaîne cinématique capricieuse (chaudières vapeur) encaissant mal le manque de rigueur des équipages soviéto-russes dans l’entretien des bâtiments et la gestion des équipements ainsi que la réduction des moyens financiers disponibles pour assurer les cycles d’entretien prévus ont vu la flotte des destroyers Sarych se réduire comme peau de chagrin: des dix-sept unités produites seulement quatre bâtiments existent encore et deux sont considérés comme utilisables/en service. A l’inverse, la flotte de Fregat composée à l’origine de douze Fregat (Izd.1155) et d’une Fregat (Izd.1155.1) a connu une attrition moins sévère et dispose toujours de sept Fregat (Izd.1155) et d’une Fregat (Izd.1155.1) en service: il est vrai que cette classe de navires dispose d’une chaîne cinématique construite autour d’une turbine à gaz performante et économe qui donne pleine et entière satisfaction et la Russie a consacré le peu de moyens disponibles dans le courant des années 1990 à maintenir vaille que vaille les navires en service.

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Navires calibrés pour les opérations océaniques, les Fregat (Izd.1155) présentent les dimensions générales suivantes:

  • Longueur: 163,5 m
  • Largeur: 19 m
  • Déplacement: 6.840 tonnes / 7.570 tonnes (normal / maximal)
  • Tirant d’eau: 7,87 m
  • Propulsion: COGAG
  • Vitesses: 14 noeuds (économique) / 31 noeuds (maximale)
  • Endurance: 30 jours
  • Equipage: 249 personnes dont 29 officiers

Devant les difficultés techniques, financières et temporelles rencontrées pour mettre sur pieds un programme de construction de navires hauturiers neufs, la Marine Russe a décidé en 2015 de lancer la modernisation d’un premier navire de la classe Fregat en vue de la transformer en navire polyvalent (suivant le concept « un nouveau navire dans une ancienne coque« ): le but recherché étant de prolonger la durée de vie de cette classe de navires en attendant l’arrivée de navires neufs. Si d’un point de vue des qualités de tenue à la mer et de chaîne cinématique, les Fregat donnaient satisfaction, l’armement embarqué et les capteurs nécessitaient une refonte complète.

C’est la Flotte du Pacifique qui va ouvrir le bal en matière de modernisation de cette classe de navires avec l’entrée du Marshal Shaposhnikov au sein du chantier naval Dalzavod (Дальзавод) de Vladivostok en 2016 pour le début des travaux: ces derniers vont avancer lentement, voire très lentement et un incendie va même toucher le bâtiment le 16 février 2018 durant des travaux dans la salle des machines: heureusement sans faire de blessés. Les essais à la mer furent initialement envisagés pour la fin de 2019 mais il faudra attendre plusieurs mois supplémentaires (retard en partie dû à la pandémie de Coronavirus) pour assister à la sortie du navire en mer, qui a eu lieu le 10 juillet 2020 marquant le début des essais du constructeur.

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Le Marshal Shaposhnikov avec le Pont de l’île Rousski (Русский мост) en arrière-plan. Image@Vl.ru

La modernisation du Marshal Shaposhnikov va donc se focaliser sur deux points:

  • Remplacement des armements embarqués ainsi que des systèmes d’armes
  • Refonte des structures internes et révision générale du navire

La refonte des structures internes du bâtiment découle fort logiquement de l’installation des nouveaux armements, en outre environ 20% de la coque et des composants internes impactés par la corrosion ont été remplacés. La chaîne cinématique bénéficie également d’une révision générale complète dans le cadre de la modernisation et bien que son remplacement par un équivalent de production russe (turbine M70FRU de Saturn) ait été envisagé, ce sont les éléments d’origine qui ont été réemployés.

Le gros du travail porte donc sur les armements et la principale nouveauté est le montage de seize cellules verticales 3S-14-1155 UKSK en lieu et place d’un canon AK-100 en plage avant du navire: l’installation des cellules a nécessité le montage d’une nouvelle superstructure surélevée avec une protection pour la passerelle qui se trouve à proximité. L’installation des cellules UKSK permet au navire de mettre en oeuvre les trois types de missiles conçus pour ces dernières: Oniks, Kalibr et enfin Tsirkon.

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Le Marshal Shaposhnikov durant la première partie de sa vie. Image@Mark Allen Leonesio

Outre les cellules UKSK, le navire reçoit huit lanceurs inclinés (2 x 4) KT-184 du système 3K24 Uran, ce dernier mettant en oeuvre le missile anti-navire subsonique Kh-35(U): les lanceurs sont positionnés au pied de la passerelle aux emplacements occupés précédemment par les lanceurs quadruples du système URPK-4 Metel.

Prenant la place du canon AK-100 subsistant, un nouveau canon A-190-01 de 100 mm présentant des formes visant à réduire la signature radar du navire est installé. Si on peut se questionner sur la pertinence de cette installation sur un navire qui n’a pas été conçu en ce sens, le canon A-190-01 étant plus moderne que l’AK-100: il est fort probable que ce sont ses caractéristiques techniques qui ont motivé le montage de ce dernier et non une recherche éventuelle de réduction de la signature radar.

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Le Marshal Shaposhnikov durant sa première vie. En jaune, les deux canons AK-100. En vert, les deux lanceurs du système Metel. En orange, le radar 3R95 du système Kinzhal. Image@wikipedia.com
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Un aperçu des principaux équipements du Marshal Shaposhnikov post-modernisation. En noir, les silos du système 3K95 Kinzhal. En jaune, le canon A-190-01. En rouge, l’îlot surélevé comprenant les deux blocs de 8 UKSK. En vert, les deux lanceurs KT-184 (système Uran). En orange, nouveau radar d’un modèle inconnu. Image@Vitalicus Владивосток / Montage@RS

En vue de mettre en oeuvre les nouveaux systèmes d’armements, les systèmes embarqués passent également par la case remplacement avec (liste non exhaustive) les travaux suivants:

  • Remplacement du radar MR-760 Fregat-MA par le radar MR-710 Fregat-M
  • Installation du radar 5P-30N2 Fregat-N2
  • Installation du système de guerre électronique et de brouillage TK-25-2
  • Installation du système de communication R-779-28
  • Installation du système de contrôle Purga-115 (armements sous-marins)
  • Installation du système de tir universel MR-123-02/03 Bagira pour l’artillerie

Plusieurs questions restent en suspens par rapport à cette refonte des Fregat, notamment la question de la couverture anti-aérienne: les Fregat embarquent le système 3K95 Kinzhal (variante navale du système Tor) positionné en plage avant du navire et mettant en oeuvre le missile 9M330, la détection et le suivi des cibles étant assurés par deux radars 3R95. Ce système permet d’assurer une protection à courte portée avec une distance de frappe maximale à 12 Km qui est pour le moins faible eu égard à la taille du navire, ce dernier étant dépourvu de tout système anti-aérien à moyenne portée. Si l’on observe les photos du navire modernisé, on constate que le radar 3R95 du système Kinzhal implanté à la proue au-dessus de la passerelle est remplacé par un nouveau radar dont le modèle (et par conséquent les fonctions) est toujours inconnu pour l’instant. Est-ce que ceci implique un changement de système de défense anti-aérienne (on parle parfois du rééquipement avec le système Tor-M2KM) ou simplement le remplacement d’un radar voire même l’enlèvement d’un des deux radars dédiés? Aucune réponse précise ne peut être apportée pour l’instant, sachant que le deuxième radar 3R95 implanté à la poupe est toujours bel et bien présent.

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Cette vue de l’Admiral Levchenko permet de voir l’emplacement des deux radars 3R95 du système Kinzhal. Image@?
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La frégate Marshal Shaposhnikov avec son nouveau radar « inconnu » implanté au-dessus de la passerelle. Image@VL.ru

Toujours en ce qui concerne la protection rapprochée, les systèmes AK-630 sont toujours présents à bord du navire bien que la Russie envisage sérieusement leur remplacement par le nouveau système de défense rapprochée Pantsir-M (variante navale du Pantsir terrestre) apte à traiter à la fois les cibles navales, terrestres et aériennes à des distances d’engagement allant jusqu’à 20 Km. A noter que l’absence de Pantsir-M sur le Marshal Shaposhnikov est parfaitement logique puisque aucun contrat visant à l’implantation de ce dernier n’existe pour le moment; il semble que les ingénieurs travaillent toujours sur la recherche de l’emplacement idéal du système sur le navire et une fois ce dernier décidé, un contrat d’équipement devrait suivre dans la foulée. Ceci reste encore à confirmer.

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La frégate Marshal Shaposhnikov quittant Vladivostok. Image@Vl.ru

Un dernier point qui peut-être abordé concerne la capacité offensive qu’offre le navire modernisé, en effet, si on regarde les nouveaux emports: on constate que le Marshal Shaposhnikov sera en mesure de mettre en oeuvre seize missiles (Oniks/Kalibr/Tsirkon) au départ des cellules verticales ainsi que huit missiles Kh-35(U) au départ des lanceurs KT-184: l’ensemble offrira aux bâtiments une polyvalence sans commune mesure avec leurs capacités antérieures. Comparativement à une frégate Admiral Gorshkov (Izd.22350), l’avantage d’un point de vue du « punch offensif » revient aux Fregat modernisés, cependant l’arrivée des frégates Admiral Gorshkov dotées de vingt-quatre cellules verticales UKSK et disposant en outre d’un système SAM performant et moderne va voir ces bâtiments offrir une gamme d’armements plus étendue malgré un déplacement inférieur d’environ 2.000 tonnes. Au vu des images disponibles, il est étonnant qu’une troisième rangée comportant huit cellules verticales 3S-14-1155 UKSK n’ait pas été ajoutée (la place semble être disponible): ceci aurait offert à cette classe de bâtiment une capacité offensive plus en adéquation avec le gabarit du bâtiment. Cependant, il y a fort à parier que pour des raisons de masses et d’équilibrage du navire ce ne soit pas réalisable.

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Première sortie à la mer en quatre ans pour le Marshal Shaposhnikov. Image@VL.ru

On est donc en droit de se poser la question de l’utilité concrète de cette refonte: le Marshal Shaposhnikov ayant été admis au service le 2 février 1986, il aura donc presque trente-cinq ans de carrière lors de son retour au service prévu à la fin de l’année 2020. Certes, la problématique du renouvellement de la flotte hauturière russe ne va pas être solutionnée dans l’immédiat, au vu du rythme de production des frégates Admiral Gorshkov (Izd.22350) il faudra encore plusieurs années avant de voir disparaître les dernières unités d’origine soviétique de la flotte russe néanmoins venir investir autant d’argent tout en immobilisant un navire de cet âge pendant plusieurs années (il ne faudra certainement pas quatre ans pour traiter d’autres navires mais la construction navale russe n’est pas un modèle de rapidité) devra être mûrement réfléchi et il reste à voir si le jeu en vaudra la chandelle. Sachant que la Flotte du Pacifique repose quasi exclusivement sur les quatre Fregat à disposition comme principales unités de surface (la flotte de destroyers Izd.956 Sarych au sein de la Flotte du Pacifique va bientôt se réduire à une seule unité) complétée par le croiseur Varyag (Izd.1164 Atlant): inutile de préciser que toute immobilisation de plusieurs mois d’un bâtiment obérera de manière importante les capacités océaniques de la flotte de surface dans cette zone.

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Le croiseur Varyag (Izd.1164 Atlant) est la plus grande unité de surface en service au sein de la Flotte du Pacifique. Image@?

Au final, il reste à voir quelle suite la Marine Russe va octroyer au programme: les annonces au sujet de cette refonte ont souvent été contradictoires et les derniers échos pointent vers une refonte de l’ensemble des Fregat de la Flotte du Pacifique tandis que les Fregat de la Flotte du Nord seraient à terme remplacées en priorité par des frégates Admiral Gorshkov (ne parlons même pas de l’hypothèse Izd.22350M « Super-Gorshkov« , la mise sur cale d’une première unité étant encore une perspective éloignée). Enfin, les premières images disponibles permettent de se faire une bonne idée de la « nouvelle » frégate Fregat mais son apparence définitive est appelée à évoluer avec l’achèvement des travaux ainsi que l’intégration envisagée des Pantsir-M et éventuellement du Tor-M2KM; il sera donc nécessaire de se pencher à nouveau sur ce programme dans un proche avenir.

7 réflexions sur “ [Actu] Premiers essais de la frégate Marshal Shaposhnikov

  1. Bonjour.

    Merci pour ce premier article, promptement écrit, sur le premier Udaloy modernisé.

    Il me semble qu’il y a une petite erreur dans le texte et l’illustration au sujet de l’identification et de l’emplacement du radar de conduite de tir d’artillerie MR-123 Bagira (МР-123 багира), que l’on peut voir sur le site de l’organisme d’état russe d’exportation d’armement :
    http://roe.ru/eng/catalog/naval-systems/shipborne-electronic-systems/bagira/

    Ce nouveau radar semble bel et bien implanté sur le premier mât au-dessus de la passerelle (juste en arrière de l’ancien emplacement du radar 3R95 avant), à la place du radar originel de conduite de tir d’artillerie MR-184 (МР-184 ; code OTAN Kite Schreech).

    L’emplacement du radar 3R95 avant est donc occupé par quelque chose de nouveau que je ne parviens à identifier.

      1. Merci pour la vidéo, je suis bien conscient pour le Bagira-M (cette question m’ennuie « cordialement » depuis hier matin) mais je penche de plus en plus pour le Sfera-02 intégré dans le Bagira-M pour le « radar » dont question.

        Dans le doute, je vais m’abstenir sur cette question pour l’instant et revenir dessus une fois que j’aurais des réponses plus précises.

        1. Vu sur un forum russe, la photographie d’une affiche au chantier Dal’zavod synthétisant les travaux de modernisation du Marshal Shaposhnikov (l’affiche est sans doute récente, car elle évoque les projets proposés pour la modernisation d’un autre 1155, l’Amiral Vinogradov) :

          https://2020.f.a0z.ru/09/22-9056649-img-20200820-155212.jpg

          Ce placard semble aller dans le sens que le radar non identifié serait un 3П-95МР (3P-95MR), a priori une évolution du 3P-95 associé au système anti-aérien Kinzhal. Le texte sous l’affiche mentionne d’ailleurs que la portée des missiles anti-aériens passerait de 12 à 18 km et l’altitude maximale d’interception de 6 à 10 km, ce qui semble cohérent avec une amélioration des performances du système Kinzhal (celui monté sur la plage avant, en tout cas).

          Les propositions d’équipements supplémentaires pour le projet de modernisation de l’Amiral Vinogradov paraissent assez peu crédibles, en particulier l’installation de deux modules UKSK derrière les hangars des hélicoptères.

          1. Désolé pour la vitesse de réaction, la nouvelle interface de WordPress est particulièrement moisie en ce qui concerne les notifications de commentaires.

            J’ai vu passer également, on a enfin la réponse pour ce radar dont l’identité soulève presque plus de questions qu’auparavant.

            Pour ce que j’en lis chez les russes (avis que je partage en partie): il semble que la Marine Russe ait « pris goût » à cette modernisation et se soit rendue compte que le ratio déplacement/armements mis en oeuvre puisse être amélioré d’où les propositions de Dal’Zavod. A voir ce qu’il en ressortira eu égard à la réalité budgétaire ainsi que le temps nécessaire pour réaliser de tels travaux…

            1. Bonjour,

              Merci pour votre réponse.

              Il y a plusieurs facteurs qui me font douter du réalisme des propositions du chantier Dal’Zavod.

              Le premier est la faisabilité technique du montage de silos de lancement à l’emplacement prévu à l’arrière compte tenu du compartimentage interne du navire. On peut trouver sur l’Internet des schémas (dont il est peu douteux qu’ils ne soient pas suffisamment précis) du compartimentage des navires du type 1155 Fregat :

              https://2019.f.a0z.ru/09/02-7827213-1155-1.jpg
              https://2019.f.a0z.ru/09/02-7827213-1155-2.jpg

              Ces schémas permettent de mieux comprendre comment et pourquoi les Russes ont implanté les deux cellules de lancement octuples du système UKSK là où elles sont situées : ces cellules ont été logées dans l’ancien puits de tourelle de la pièce d’artillerie de 100 mm montée à l’avant de la passerelle. Ce puits de tourelle s’étend en profondeur dans le navire et les silos des systèmes UKSK ont donc pris la place auparavant occupée par les systèmes hydrauliques qui animaient la tourelle d’artillerie ainsi que par le monte-charge qui l’alimentait en projectiles et en charges propulsives à partir de la soute à armement implantée à proximité de la quille du navire. Malgré tout, pour installer ces systèmes UKSK, qui font environ 10 mètres de haut, ce qui représente au moins une hauteur de 4 sinon 5 ponts, sans compter les structures porteuses de ces équipements, il a fallu édifier la superstructure qui s’élève au-dessus du pont sur lequel était implantée l’ancienne tourelle d’artillerie. L’adaptation des cellules UKSK dans le puits de tourelle n’est donc pas allée de soi.

              On comprend aussi un peu mieux pourquoi ce ne sont pas trois, mais seulement deux cellules de lancement qui ont été installées, alors que, vu de l’extérieur, il semble que la place soit disponible sur le pont de la nouvelle superstructure pour ajouter une troisième cellule de lancement. Mais en réalité, à l’intérieur du navire, on se rend compte que le volume situé immédiatement à l’aplomb de l’endroit où l’on croit qu’une troisième cellule UKSK pourrait être implantée s’étalent sur plusieurs ponts des compartiments d’habitation du quartier des officiers.

              À l’arrière, si l’on examine le compartimentage situé à l’aplomb des actuelles lanceurs verticaux du système Kinzhal, on constate effectivement l’existence de « compartiments sans affectation particulière ». Mais s’ils sont sans affectation, ils ne sont évidemment pas sans utilité, surtout sur un navire hauturier sensé tenir longtemps la mer : ce sont des espaces de circulation et de confort pour l’équipage, des volumes dans lesquels on peut entasser des cartons de produits vivriers secs, de produits d’entretien ou d’hygiène corporelle, des bidons de lubrifiants, de peintures, d’équipements variés, etc… Toutes choses utiles pour tenir et affronter la haute mer un certain temps loin de sa base d’attache. Est-ce pertinent de sacrifier des volumes qui concourent à l’endurance du navire pour y ajouter des armements ?

              En outre, l’encombrement de ces silos et de la superstructure qui les abriterait, qui serait beaucoup plus volumineux que celui qui est consacré aux silos des Kinzhal et des équipements de soutien des RBU-6000, rendrait la circulation du personnel sur le pont principal moins aisée que dans la configuration actuelle, ce qui n’est pas un facteur anodin d’un point de vue de la sécurité, notamment en cas d’avaries de combat, de lutte contre l’incendie, de lutte contre le sabotage ou les attaques terroristes… Ou même pour le confort de l’équipage lors de longues croisières.

              Et pour terminer, la nécessité de loger partiellement des munitions importantes dans des superstructures qui s’élèvent, de manière plus ou moins exposée, sur plusieurs ponts de hauteur au-dessus du pont principal du navire n’est pas non plus sans conséquence sur la vulnérabilité du bâtiment. Ces superstructures sont, par exemple, exposées à des tirs perforants provenant d’armes légères. Une attaque peu coûteuse mais menée de manière déterminée et qui réussirait pourrait ainsi causer de gros dégâts, sinon mettre hors-service un système d’arme principal du navire.

              En tout état de cause, ajouter là des cellules UKSK (ou des silos du système anti-aérien Shtil, qui sont moins encombrants mais occupent tout de même une hauteur comprise entre 7 et 8 mètres, soit au moins 3 à 4 ponts) ne pourrait se faire sans travaux importants. Et là intervient le deuxième facteur qui me fait douter de la réalisation de ces travaux : le facteur temps. Il a fallu, me semble-t-il, cinq ans pour moderniser le Marshal Shaposhnikov dans sa forme actuelle. La marine russe peut-elle se permettre le luxe de prendre le risque d’immobiliser 1 des 4 Fregat de la flotte du Pacifique aussi longtemps sinon plus encore pour réaliser des travaux plus lourds que ceux qui ont été menés sur le Marshal Shaposhnikov ? Alors que partout autour d’elle, la flotte japonaise, la flotte chinoise, la flotte coréenne du sud, la flotte américaine, alignent déjà les grands navires de guerre de la taille d’un destroyer par paquets de 10 et en construisent chaque année de nouveaux en grandes quantités ?

              Troisième raison qui me fait douter, c’est la proposition de monter des systèmes anti-aériens Shtil. Si cette proposition était suivie, la marine russe se retrouverait avec non pas un, mais deux standards de modernisation, ce qui ne serait pas sans compliquer la logistique, la formation et l’entraînement des équipages et le soutien opérationnel de la flotte de Fregat. Sans compter que les aptitudes opérationnelles de chacun des navires ne seraient pas homogènes, ce qui n’en faciliterait pas non plus l’emploi tactique. Mais surtout, le système Shtil a-t-il un avenir dans la marine russe ? Nous savons que ce système n’est actuellement monté que sur les frégates 11356 Admiral Grigorovich, qui sont des bâtiments intérimaires qui n’ont été acquis que parce que la flotte de la Mer noire avait un besoin urgent de navires modernes que les retards sur le programme de frégates 22350 Admiral Gorshkov ne permettaient pas de satisfaire. Les frégates 11356, qui devaient être 6, ne sont finalement que 3 pour les raisons que nous connaissons tous. Ces frégates n’ont aucun avenir dans la marine russe. Il ne serait pas surprenant qu’elles soient un jour remplacer par des 22350 ou d’autres navires et cédées d’occasion à l’Inde, qui a acquis les 3 dernières coques destinées initialement à la marine russe et exploitait déjà ce type de navire en quantités significatives. Dans ces conditions, quel est le sens de rééquiper les Fregat avec des systèmes Shtil ? L’entretien et le maintien en conditions opérationnelles des systèmes d’armes très variés hérités de la flotte soviétique et des systèmes nouveaux qui doivent leur succéder doit déjà être un cauchemar pour les logisticiens russes. Alors, faut-il en rajouter une couche en étendant l’emploi d’un système anti-aérien qui n’est pas fondamentalement nouveau, qui n’est présent que « fortuitement » dans la marine russe et qui fait double-emploi avec le vrai système aérien-aérien d’avenir, le nouveau système Redut ?

              Autant de raisons qui me font énormément douter de la réalisation de ces travaux. Ce ne serait pas la première fois que les effets d’annonce ne sont pas suivis d’effet dans la construction navale russe.

              D’ailleurs, même si 1 ou 2 ou 3 Fregat de la flotte du Pacifique étaient modernisés, au bout de 10 ans au bas mot, sur le nouveau standard proposé par Dal’Zavod, ces bâtiments ne pourraient absolument pas compenser de manière l’infériorité quantitative et qualitative de la flotte de destroyers russes dans le Pacifique comparée à celles des marines chinoise, japonaise ou américaine. Et ce serait encore plus vrai dans 10 ans. Pour revenir dans la course, la marine russe a besoin de navires neufs qui offrent des capacités très supérieures à celles qu’elle peut espérer tirer des Fregat.

              Le standard de modernisation du Marshal Shaposhnikov constitue déjà une amélioration significative des capacités et de la polyvalence du navire. Surtout, ce navire a désormais un équipement qui lui confère une utilité, une souplesse et des possibilités d’emploi que n’ont pas les Fregat sous leur forme soviétique. Un équipement qui fait cruellement défaut à la marine russe, qui doit aujourd’hui accomplir des missions pour lesquelles les navires hérités de l’URSS n’ont pas d’équipements adaptés.

              Je ne suis pas un grand spécialiste, ni un expert, ni un professionnel des choses navales. Mais il me semble que la raison devrait plus vraisemblablement pousser les Russes, s’ils ont la volonté et les moyens de persévérer dans la modernisation des Fregat, de s’en tenir à un standard de modernisation plus réaliste, celui que nous voyons sous la forme actuelle du Marshal Shaposhnikov, même si cela signifie se contenter de capacités moins importantes que celles que l’on peut rêver avoir.

              1. Bonjour,

                Remarques plus que pertinentes, en effet.

                En ce qui concerne les schémas dont question, rendons à César ce qui est à César: ils sont l’oeuvre de I.Apalkov dans son livre « Udarnye korabli » (vivement recommandé d’ailleurs).

                Je vais certainement passer pour un naïf mais je doute que si le chantier naval dont question présente les options évoquées pour la modernisation future des autres navires de la série; ces dernières n’aient pas été étudiées par un bureau d’études au préalable. Néanmoins, vous avez parfaitement raison en ce qui concerne le compartimentage interne: tout travail de grande ampleur entraînera une immobilisation de très longue durée qui est peu compatible avec les besoins actuels de la flotte hauturière russe. Surtout dans le Pacifique où le retrait à venir des derniers Sarych va réduire la flotte hauturière disponible à sa plus simple expression.

                Tout comme vous l’indiquez également très justement: le rythme de production actuel des chantiers navals russes ne permet aucunement de tenir la « distance » face aux « voisins ». Les frégates Gorshkov, nouvelle « unité de base » de la Marine Russe ne sont produite qu’à un seul endroit (Severnaya Verf) à un rythme insuffisamment rapide, et en outre la question des réducteurs locaux n’est pas entièrement réglée. Même si les principales installations de production sont en train d’être modernisées il est peu probable de voir la construction navale russe pondre une nouvelle frégate tous les 2 ans (et encore moins un destroyer ou un croiseur). Par conséquent, les russes sont « coincés » (et encore pour quelques années): ils doivent bricoler avec les moyens du bord tout en conservant un nombre suffisant de navires disponibles. C’est chose aisée quand on dispose d’une flotte pléthorique, ça l’est beaucoup moins lorsqu’on doit jongler avec les calendriers d’entretiens, de modernisations, etc… Le cas des Fregat est exemplatif en la matière.

                Alors que ce sont globalement de bons navires, les équipements embarqués sont loin d’être polyvalents… donc les russes avaient deux choix: retrait de service et remplacement ou modernisation. En l’absence de remplacement disponible et dans le but de maintenir une force « minimale » disponible: la modernisation s’imposait. Cependant, comme souvent d’ailleurs: les russes ont lancé la modernisation sans affecter en suffisance les moyens financiers nécessaires pour réaliser celle-ci. D’où – en partie – le délai pour la réalisation des travaux.

                Toute modernisation future (qu’elle soit ou non plus « étendue ») entraînera un délai que l’on peut raisonnablement estimer à la baisse à deux conditions: financer sérieusement et régulièrement les travaux (on le voit avec le cas du K-132 Irkutsk) et employer un chantier naval correctement équipé que pour mener les travaux. Bref, Dal’Zavod malgré leur prise en charge du Marshal Shaposhnikov ne sont peut-être pas les mieux habilités à le faire. Pourquoi ne pas faire usage des installations de Zvezda? Certes, le chantier naval appartient à Rosneft mais ils prennent en charge des navires militaires au besoin et disposent d’installations hyper-modernes. Bref, option à creuser, à mon humble avis.

                Avis partagé également en ce qui concerne le Shtil, système « sans avenir » mais néanmoins toujours plus moderne et efficace que le Kinzhal actuellement embarqué. C’est actuellement toujours le gros point faible des Fregat: la défense anti-aérienne. Or si les VMF veulent les exploiter encore plusieurs années tout en les « musclant » au niveau offensif: le Shtil est quasiment la seule solution possible (la moins mauvaise, tout du moins). Le montage du (Poliment)-Redut entraînerait de facto une reconstruction quasi intégrale du navire qui n’est pas compatible avec l’âge et les moyens de la Marine Russe. Clairement, cette modernisation essaie de trouver un équilibre extrêmement délicat entre « nécessité de renouvellement », « besoins opérationnels » et « âge de la flotte ».

                Enfin, je peux comprendre également la position de la Marine Russe qui voit la modernisation d’une Fregat donner un navire d’un déplacement supérieur à 7.000 tonnes offrir « seulement » 16 UKSK là où une frégate Admiral Gorshkov en disposera de 24 à terme avec un déplacement tournant autour des 5.000 tonnes. Si il est évident que l’on ne peut aucunement comparer la modernisation d’un navire « ancien » avec la construction d’un navire neuf conçu autour des UKSK, il n’empêche que l’on peut comprendre le souhait des russes de « maximiser » l’ampleur de la modernisation pour permettre à la Marine de s’acheter ce dont elle manque le plus: du temps. L’arrivée prévue de 4 Izd.22350 à l’horizon 2027 (au plus tard) au sein de la TOF ne viendra même pas compenser le retrait de service des Sarych, et il ne faut pas espérer l’arrivée d’un premier « Super Gorshkov » (Izd.22350M) avant 2027 au bas mot et seulement si les travaux chez Severnaya Verf sont enfin achevés dans les temps.

                Au final, situation délicate et il semble que la Russie se retrouve face à la quadrature du cercle: en l’absence de navires neufs, elle bricole avec ce dont elle dispose… et la raison au niveau de la Marine Russe ne l’emporte pas nécessairement. Comme j’ai écrit un jour dans DSI (désolé de me citer, mais je ne peux pas l’indiquer de manière plus évidente): « La Marine Russe est, au final, sa meilleure ennemie ». Assez ironiquement, la situation actuelle n’est que la répétition d’une situation antérieure: l’histoire de la flotte hauturière à l’époque stalinienne était presque en tous points identique (je recommande vivement la lecture du « Stalin’s Ocean-going Fleet ») à la situation actuelle.

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