[Actu] Le retour du Tupolev Tu-204P?

C’est le journal Izvestiya qui a publié il y a quelques jours l’information selon laquelle le Tu-204/214 deviendrait la base sur laquelle serait créée le nouvel appareil de lutte anti-sous-marine russe. Cette annonce qui semble à première vue crédible et cohérente (en l’absence d’officialisation par la Marine Russe) voit donc indirectement feu le projet Tu-204P (variante de patrouille maritime du Tu-204) revenir sur le devant de la scène. Il est bien évidemment impossible de disposer dès maintenant des détails techniques ainsi que des performances offertes sur ce nouveau projet, mais certains éléments peuvent déjà être abordés eu égard aux besoins russes ainsi que des caractéristiques de la plate-forme envisagé.

La question de la lutte anti-sous-marine et des moyens déployés par la Russie a déjà été abordée auparavant sur le blog donc nous n’y reviendrons pas in extenso, cependant il est utile de se pencher sur le choix effectué par la Russie et quelles sont les options possibles de développement en la matière.

La lutte anti-sous-marine russe; les moyens disponibles

Concentrés au sein de l’aéronavale russe (MA-VMF), les principaux moyens aériens mis en oeuvre pour assurer la lutte anti-sous-marine en Russie sont composés par trois types d’appareils qui présentent trois caractéristiques communes:

  • Disponibles en nombre limité
  • Performances limitées
  • Cellules vieillissantes

Premier modèle déployé, l’Ilyushin IL-38(N) (nom de code OTAN: May) est une variante militarisée de l’avion civil moyen-courrier IL-18 (Coot) qui effectua son premier vol le 4 juillet 1957. Conçu pour devenir le nouvel avion principal de lutte anti-sous-marine soviétique, l’IL-38(N) effectua son premier vol le 28 septembre 1961 et sera admis au service le 17 janvier 1969; sa production initialement envisagée pour couvrir environ 250 appareils sera finalement restreinte à 65 avions et interrompue en 1972. Présentant des caractéristiques techniques limitées en matière de rayon d’action, l’IL-38(N) est parfois envisagé comme avion de lutte anti-sous-marine côtier en opposition avec son grand frère le Tu-142. L’Aéronavale russe (MA-VMF) dispose de 46 IL-38 ainsi que de 8 IL-38N (variante modernisée) à noter qu’une partie des IL-38 ne sont pas en service mais stocké et susceptible d’être réactivés si nécessaire; les chiffres de 18 IL-38 et 8 IL-38N actifs sont plus proches de la réalité, ces derniers étant répartis entre la Flotte du Nord et la Flotte du Pacifique. Le programme de modernisation de la flotte qui a été interrompu quelques années a repris récemment avec un appareil réactivé en cours de traitement en ce moment.

L’IL-38 codé 01 Bleu. Image@Nikita Zhuravlev

Deuxième appareil déployé, le Tupolev Tu-142MK/MZ (nom de code OTAN: Bear F mod.3/mod.4) est une variante du bombardier stratégique Tu-95 adaptée pour les missions de lutte anti-sous-marine. Appareil de grandes dimensions ayant effectué son premier vol le 18 juillet 1968 et admis au service en décembre 1972, le Tu-142 dispose d’une endurance et d’un rayon d’action importants ce qui fait de lui l’appareil idéal pour les missions à long rayon d’action plus en adéquation avec les besoins soviétiques. Revers de la médaille, sa taille fait de lui un appareil qui nécessite des installations spécifiques que pour être mis en oeuvre tout comme son exploitation est réputée complexe et onéreuse. Produit à une centaine d’exemplaire jusqu’en 1994, l’Aéronavale russe (MA-VMF) dispose d’une trentaine (tous les appareils ne sont pas en service) de Tu-142MK/Tu-142MZ répartis entre la Flotte du Nord et la Flotte du Pacifique. Un programme de modernisation de la flotte est en cours de développement en vue de prolonger la carrière de l’appareil de plusieurs années et d’accroître significativement ses performances.

Le Tu-142MZ codé 59 Rouge. Image@SAP

Troisième et dernier appareil employé, l’hydravion Beriev Be-12N (nom de code OTAN: Mail) qui effectua son premier vol le 18 octobre 1960. Appareil qui fut un temps retiré du service par l’Aéronavale, l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 a vu ce dernier revenir en service au sein de la Flotte de la Mer Noire. Appareil en fin de course disposant d’équipements embarqués loin d’être de première jeunesse, il va bénéficier d’une modernisation légère pour lui permettre de voler encore quelques années en attente de l’arrivée d’un appareil apte à le remplacer.

Deux Beriev Be-12. Image@Artem Starkov

Outre les appareils à voilure fixe qui forment le gros de la flotte russe, signalons également l’existence de l’hélicoptère embarqué Kamov Ka-27 (variantes Ka-27PL et Ka-27M) apte à assurer les mêmes fonctions tout en pouvant être basé sur tous les navires russes disposant d’une zone d’appontage et d’un hangar.

On le voit donc avec ce rapide aperçu de la flotte à disposition, le nombre d’appareils est limité et vu son âge, dispose d’équipements embarqués qui sont loin d’être de première jeunesse. L’URSS était déjà consciente de cette situation et c’est une résolution gouvernementale soviétique datant d’avril 1980 qui va officialiser le début des travaux de design préliminaire d’un nouvel hydravion de grande taille capable d’assurer les missions de patrouille maritime, de lutte anti sous-marine ainsi que des missions de recherche et secours en mer. Repris sous le nom de projet Izd V, le projet recevra par la suite la dénomination de Beriev A-40 Albatros (Nom de code OTAN: Mermaid). Ce dernier restera cependant au stade de prototype suite à la disparition de l’URSS bien que des annonces récentes parlent d’un retour en production de ce dernier.

Le prototype A-40. Image@?

La Russie consciente également des limitations de la flotte à disposition lança en 1996 le projet d’un nouvel appareil de lutte anti-sous-marine basé sur le Tupolev Tu-204; le Tu-204P (противолодочный / anti-sous-marins).

Le projet Tu-204P

Le Tupolev Tu-204P est, comme son nom l’indique, basé sur le Tupolev Tu-204, appareil moyen-courrier biréacteur moderne conçu pour assurer le remplacement des Tupolev Tu-154 et Tu-134 et dont le premier vol eut lieu le 2 janvier 1989. Conçu pour assurer la relève à la fois de l’IL-38 et du Tu-142, cette variante dédiée à la lutte anti-sous-marine a vu son développement initié par le décret 61-10 daté du 19 février 1996, à la demande du Ministère de la Défense russe.

Reprenant la cellule de base ainsi que les ailes du Tu-204, le Tu-204P se distinguait notamment par le montage d’un nouveau radôme bulbeux installé à l’avant de l’appareil comprenant un nouveau radar de recherche, au-dessus de ce radôme se trouvait une perche de ravitaillement en vol installée juste devant le cockpit de la même manière que sur le Tu-142.

Seule image connue de la « maquette » du Tu-204P tel qu’envisagé. On remarquera les bics employés sous les ailes pour matérialiser les pylônes. Image@onepamop.livejournal.com/

C’est une suite électronique Novella qui constituait le coeur du projet, cette dernière étant construite autour d’un nouveau radar (modèle non déterminé) installé dans le radôme. Au niveau des armements, deux soutes étaient envisagées: une pour les armements offensifs (torpilles, mines, missiles) et une pour les bouées, à ceci venait s’ajouter la possibilité d’emporter des missiles anti-navires de surface Kh-35 installés à raison de deux par ailes sur des pylônes sous voilure.

La vue arrière de la maquette n’apporte aucune information complémentaire sur le Tu-204P. Image@onepamop.livejournal.com/

Le projet Tu-204P fut envisagé pour offrir une alternative moins onéreuse et plus facilement déployable au Beriev A-40 bien que ne disposant pas de la capacité nautique de ce dernier; il n’empêche qu’étant de conception plus simple (appareil dérivé d’une cellule civile), cette option était toute désignée pour prendre la relève de la flotte en exploitation dont une partie (l’IL-38) était déjà construite sur une cellule civile de (l’IL-18D). Malgré le potentiel de cette variante, les travaux s’arrêteront au stade préliminaire à l’horizon 2000 – d’où le peu d’informations disponibles à son sujet – , la priorité étant donnée à la modernisation de la flotte d’IL-38 au standard IL-38N avec nouvelle suite embarquée Novella.

Le Tu-204/Tu-214; présentation technique

Le Tupolev Tu-204 est un avion biréacteur moyen-courrier monocouloir civil conçu pour prendre la relève du Tu-154 et devenir un équivalent soviétique au Boeing B-757. Pouvant accueillir un nombre maximum de 210 passagers, le Tu-204 a effectué son premier vol le 2 janvier 1989: prévu pour rééquiper Aeroflot, la production de l’avion dessiné par l’OKB Tupolev se déroulait dans deux usines, l’usine KAPO/Gorbunov (Kazan) pour le Tu-214 et l’usine Aviastar-SP d’Ulyanovsk pour le Tu-204.

Le premier prototype Tu-204 codé CCCP-64001. Image@?

Présentant une configuration classique, le Tu-204 est construit autour d’un long fuselage métallique tubulaire offrant une disposition maximale monocouloir de 3+3 sièges, les ailes basses supercritiques sont implantées au milieu de la cellule et elles emportent chacune un réacteur à double flux Aviadvigatel PS-90A développant 159 kN (le Tu-204 peut également être équipé de réacteurs occidentaux) monté sous pylône, des winglets de grande taille sont installés à l’extrémité des ailes. L’empennage est composé d’une dérive et d’un gouvernail ainsi que de deux stabilisateurs horizontaux disposant chacun d’une gouverne de profondeur. Le train d’atterrissage est composé d’une roulette avant composée de deux roues et implanté sous le fuselage au droit du cockpit tandis que les atterrisseurs principaux, disposant chacun de quatre roues, sont implantés entre les nacelles réacteurs et la jonction aile-fuselage.

Le cockpit (similaire à celui de l’IL-96-300 mis au point à la même époque) est construit autour d’écrans multifonctions avec la présence de six écrans à cristaux liquides (LCD) qui permettent aux pilotes de disposer de toutes les informations nécessaires pour assurer le pilotage de l’avion. Les manches à balais ont la forme – assez surprenante – de guidon de moto. Les commandes de vol sont électriques et quadruplexées, ce qui est une première pour un avion civil de conception soviétique tandis que le pilotage des moteurs se fait via l’emploi d’un système du type FADEC (Full Authority Digital Engine Control).

Cockpit du Tu-204/214 avec les six écrans multifonctions et les « guidons de moto ». Image@H.Meier

A l’inverse de ses homologues occidentaux, le Tu-204 dispose d’un équipage composé de trois membres, ceci s’expliquant par des raisons doctrinales et non techniques. En effet, dans la conception soviétique en vigueur à l’époque de la création de l’avion, l’équipage d’un avion civil se devait d’être pléthorique en vue d’éviter les envies de défections à l’Ouest. Par conséquent, alors qu’il n’y a besoin que de deux membres pour piloter l’avion, le Tu-204 dispose d’un équipage à trois membres, tout comme l’IL-96-300 d’ailleurs: ceci ayant un impact non-négligeable sur le succès de l’avion sur le marché à l’exportation.

La variante de base, connue sous le nom de Tu-204 (Tu-204C pour la version cargo) donnera naissance à plusieurs variantes civiles et par la suite militaires, les plus importantes étant:

  • Tu-204: variante d’origine (MTOW: 94,6 tonnes)
  • Tu-204-100: variante commerciale de base (MTOW: 103 tonnes)
  • Tu-204-120(C): variante dotée d’avionique et de réacteurs occidentaux
  • Tu-204-300: variante à fuselage raccourci et autonomie accrue
  • Tu-204SM: version modernisée (cockpit, électronique et réacteurs)
  • Tu-214: version à rayon d’action et charge utile accrue
  • Tu-214R: version de reconnaissance et guerre électronique
  • Tu-214ON: version pour les missions de reconnaissance Open Skies
  • Tu-214PU: poste de commandement volant
  • Tu-214SR/SUS: avions employés comme poste de relais de communications
  • Tu-214LMK: appareil d’entraînement pour les pilotes de Tu-160M2/PAK DA

Au niveau des dimensions générales, les chiffres suivants (valables pour le Tu-214) sont disponibles:

  • Longueur: 46,20 m
  • Hauteur: 13,90 m
  • Envergure: 42 m
  • Surface alaire: 184,17 m²
  • Diamètre fuselage: 3,8 m
  • Motorisation: 2 x PS-90A (2 x 157 kN)
  • Masse à vide: 59 tonnes
  • Masse maximale au décollage: 110 tonnes
  • Charge utile: 25 tonnes
  • Carburant: 35,7 tonnes
  • Vitesse maximale: 900 Km/h
  • Vitesse de croisière: 790 Km/h
  • Autonomie (charge utile complète): 3.560 Km
  • Distance franchissable: 6.500 Km

La capacité en carburant de 35,7 tonnes offre au Tu-214 une distance franchissable de 6.500 Km mais il existe également la possibilité (employée sur certaines variantes militaires) d’augmenter la distance franchissable à 11.000 Km avec installation de réservoirs supplémentaires dans les soutes. En outre, il n’est pas impossible que l’Aéronavale envisage l’installation d’une perche de ravitaillement sur le Tu-214 pour accroître son rayon d’action si le besoin s’en faisait sentir.  La charge utile annoncée de 25 tonnes est celle de la version civile, cette dernière devra bien évidemment être réévaluée en fonction des équipements militaires qui seront installés à bord de l’avion.

Difficile de ne pas reconnaître le modèle, vu que c’est écrit en grand sur son fuselage. Le RA-64501 est le premier prototype du Tu-214. Image@SSSR-85131

Conçu pour rééquiper Aéroflot, la disparition de cette dernière dans sa forme soviétique va être dévastatrice pour le Tu-204/214 qui deviendra un échec commercial complet malgré le fait que l’avion ne démérite pas. Offrant la possibilité d’être équipé d’une électronique ainsi que d’une motorisation occidentale, ce dernier n’a pas su trouver sa place sur le marché mondial des appareils moyen-courrier et ce pour plusieurs raisons:

  • La présence de trois membres d’équipage dans le cockpit
  • L’absence d’un soutien logistique mondial permettant d’offrir une disponibilité importante à l’avion
  • Les réacteurs PS-90A offrant des performances inférieures à leurs homologues occidentaux
  • La mauvaise réputation (parfois galvaudée et parfois justifiée) des avions soviétiques réputés peu fiables et dangereux

Si certaines desdites critiques sont pertinentes (notamment les trois membres d’équipage, l’absence de soutien logistique et des réacteurs peu économes), l’argument de la dangerosité de l’appareil n’est pas fondée. Il y a eu des crash largement documentés après la chute de l’URSS, mais ces crash sont dans une grande proportion attribuables à des erreurs grossières de pilotage ou un entretien défaillant de la part de la kyrielle de compagnies nées sur les cendres d’Aéroflot.

Le Tu-204-120C codé SU-EAJ appartenait à la compagnie Air Cairo Cargo et fut sous-louée à TNT Airways. L’avion disposait d’une électronique et de moteurs occidentaux (RB-211-535). Image@Daniel Thiel

Finalement, le Tu-204 et le Tu-214 excepté quelques usages anecdotiques au sein d’un nombre restreint de compagnies aériennes russes et étrangères (dont Air Koryo, TNT et Air Cairo Cargo) trouvera son utilité dans les applications militaires. La production du Tu-204 va consister en deux prototypes et cinquante-cinq appareils de série tandis que celle du Tu-214 comporte trente-et-un avions et deux de plus sont en production en ce moment au sein de l’usine KAPO, l’usine étant en mesure de produire deux Tu-214 annuellement.

Le Tu-214P; quelles options?

Bien que la question de la variante de Tu-204 à employer ne soit pas encore tranchée, il semble que le choix soit pour le moins évident, vu l’existence de variantes déjà militarisées du Tu-214 ainsi que la disponibilité d’au-moins six (ou sept) cellules relativement récentes exploitables rapidement couplé au fait que cette version est toujours en production; l’emploi du Tu-214 comme base pour le nouvel avion semble plus évidente que celle du Tu-204 dont la production est arrêtée et dont le nombre d’avions – globalement plus anciens – disponibles est restreint.

Liste des sept (le cas du RA-64515 est soumis à réserve) Tu-214 disponibles.

En outre, de part l’existence de variantes militaires (Tu-214R, Tu-214SR, Tu-214SUS, Tu-214ON, Tu-214PU), une partie du travail d’intégration de certains équipements militaires ont déjà été réalisés sur cette plate-forme; notamment l’intégration de lance-leurres (nous le verrons plus loin). Mais un des avantages les plus important en faveur du Tu-214 est l’existence de la possibilité (exploitée sur les Tu-214SR de la flotte de transport officielle russe) d’accroître très significativement la distance franchissable de l’avion qui passe à presque 11.000 Km (à comparer avec les 6.500 Km de base du Tu-214) via l’ajout de réservoirs à carburant supplémentaires dans les soutes. Vu le montage à prévoir de soutes à armements, cette option ne sera pas exploitée entièrement, mais reste une option plausible pour cette variante offrant à l’avion la possibilité de couvrir de vastes zones océaniques ou offrant un temps sur station ceci étant pour le moins utile à la Russie vu les distances à couvrir.

Un des deux Tu-214R, le 64511. Image@Andrey Zakharenko

Reste donc la question des équipements que l’on risque de retrouver sur cette nouvelle variante; ces derniers, outre les performances de la plate-forme, étant structurants dans les capacités finales offertes par l’avion. Avant de continuer la lecture, il est nécessaire de préciser que les options envisagées reposent sur les capacités techniques russes ainsi que sur les besoins induits par les missions à accomplir: vu que le projet en est toujours à ses débuts, aucune décision ferme en matière d’équipements n’a été prise tant qu’à présent.

Suite de recherche et d’acquisition des cibles

Elément principal d’un appareil de lutte anti-sous-marine; le système de recherche et d’acquisition des cibles. Deux options s’offrent à la Russie:

  • La suite Novella développée par Leninets et employée sur l’IL-38N ainsi que pour la modernisation des Tu-142MK/MZ
  • La suite Kasatka développée par Radar MMS et employée par le laboratoire volant IL-114LL

Il est plus probable de voir la suite Kasatka sélectionnée pour équiper le nouvel avion, cette dernière étant plus récente que la suite Novella (dont le développement remonte aux années 1990) et son développement se poursuit actuellement avec la présentation de la suite Kasatka-E intégrant des éléments d’intelligence artificielle lors du salon MAKS 2019.

L’IL-114LL qui sert de laboratoire volant pour la suite Kasatka. Image@UAC Russia

Système modulable composé de plusieurs équipements intégrés, la suite Kasatka a été conçue pour pouvoir être déclinée en plusieurs variantes adaptées selon la plate-forme sur laquelle elle est installée. Vu la capacité d’emport et la taille du Tu-214, c’est le Kasatka-SB qui est la variante dédiée pour cet appareil, cette dernière étant composée des équipements suivants:

  • Radar circulaire KS-1 avec une portée maximale de 150 Km
  • Un système de transfert d’informations KS-2
  • Un système électro-optique (télémètre laser, caméra TV, capteur IR) KS-3
  • Radars latéraux KS-9 avec une portée maximale de 50 Km
  • Système radio-hydro-acoustique KS-10
  • Perche de détection d’anomalies magnétiques KS-12
  • Système de lancement de bouées acoustiques KS-11

Ces équipements étant bien évidemment susceptibles d’évoluer selon les exigences du client. A noter qu’au vu de la présence de la tuyère de l’APU dans le cône de queue du Tu-214, le montage d’une perche de détection d’anomalies magnétique à cet emplacement est peu probable, cette dernière – si installée – prenant alors place au sommet de la dérive.

Maquette de l’IL-114MP telle qu’envisagé pour la Marine Russe avec encadré en jaune: la tourelle opto-électronique, en vert: le radar de recherche et d’acquisition et en bleu: les antennes du système de renseignement électronique. Image@? / Montage@RS
Une image valant mieux qu’un long discours; hypothèse en ce qui concerne le positionnement des équipements et soutes sur une variante de lutte anti-sous-marine du Tu-214. En jaune: l’emplacement de la tourelle opto-électronique, en vert: l’emplacement du radar de recherche principal, en rouge: l’emplacement des soutes à armements/bouées et en orange: l’emplacement des pylônes pour les armements sous voilure. Image@Ivan Sychev / Montage@RS

L’emploi du Kasatka-SB (ou une variante) n’est pas une certitude absolue mais au vu de sa modernité, de sa capacité d’évolution ainsi que de la poursuite des travaux sur celle-ci: son emploi tombe sous le sens pour un nouvel avion amené à fonctionner pour les trente ans à venir.

Armements

Après la question de la suite de recherche et d’acquisition des cibles suit fort logiquement la question des armements et de la charge offensive. En tant qu’avion de lutte anti-sous-marine, deux éléments sont une certitude: l’emport de bouées de détection et de torpilles/charges de profondeur. Par conséquent l’installation de soutes à armements/bouées coulent de source, à voir où elles peuvent être implantées, bien que les options soient restreintes.

Vu la présence de réservoirs de carburant dans le caisson d’aile central, dans l’emplanture des ailes, dans la queue de l’avion ainsi que dans les ailes: les zones pouvant accueillir des soutes à armements sont limitées, l’option le plus plausible étant l’implantation d’une soute à armements en amont du caisson d’aile central tandis que la soute à bouées prendrait place en aval de l’aile. Ceci étant à voir selon l’impact de ces soutes sur le centre de gravité de l’avion.

Cet IL-38SD de l’INF transporte deux Kh-35 sous son fuselage; cette option n’a pas été sélectionnée sur les IL-38N russes. Image@?

Avec une charge utile de 25 tonnes, le Tu-214 présente un potentiel important pour les missions offensives, cependant il est plus que probable que sa charge utile sera diminuée pour favoriser l’emport de carburant et donc accroître le rayon d’action de l’avion.

Par contre, ce qui se confirme en filigrane avec l’annonce d’un « renforcement » de l’aile, c’est l’installation de pylônes à armements sous voilure.

« (…) самолета Ту-214 с усиленным крылом (…) »

Doit-on y voir l’ajout d’une capacité anti-navire de surface avec emport de missiles Kh-35(U) sous voilure? C’est plus que probable, cette option ayant déjà été envisagée pour le projet de Tu-204P. Il reste à voir le nombre et l’implantation des pylônes par rapport aux réacteurs ainsi que les missiles acceptés (ou éventuellement un pod de ciblage) par ces derniers.

Cette vue du dessous d’un Tu-214R permet de mieux appréhender les zones disponibles pour permettre l’implantation d’équipements. Image@Dmitry Romashko

Outre les armements embarqués, il semble que la Russie se dirige également vers le déploiement de drones pour accompagner les avions de lutte anti-sous-marine, le Tu-214 étant capable de piloter les drones à distance, l’emploi de ces derniers augmenteraient alors la capacité de détection de l’avion. Enfin, pour les missions de secours en mer, un container contenant de l’équipement de première nécessité pourra être transporté.

Systèmes d’autodéfense

Vu l’importance de ce type d’appareils ainsi que la taille de la plate-forme employée, les systèmes d’auto-défense sont une obligation en vue d’assurer la protection d’avions qui sont souvent employés seuls ou en groupe mais sans escorte; il est par conséquent évident que l’on retrouvera des lanceurs de leurres thermiques (Chaff/Flares), ces derniers étant déjà intégrés sur le Tu-214R et il est probable que la même configuration soit réemployée.

Le Tu-214R codé 64511 permet de voir encadré en rouge l’emplacement des leurres thermiques et en bleu l’emplacement d’une antenne en croix d’un système de renseignement électronique telle qu’employée par le Kasatka. Image@ADSBRADAR.ru / Montage@RS

On peut également s’attendre au montage d’un système DIRCM (Direct InfraRed Counter-Mesures) fort logiquement le L-370 President-S qui devient progressivement la norme en Russie (cas de l’IL-76MD-90A, IL-96-300 et à terme An-124-100).

Au final, l’appareil idéal?

Au final, le Tu-214 serait-il l’appareil idéal? Il est bien évidemment impossible d’en juger pour l’instant vu que les décisions fermes n’ont pas encore été actées et que l’équipement définitif n’est pas encore connu. Néanmoins au vu des performances offertes par l’avion, au vu des équipements disponibles et des bribes d’informations déjà parues, plusieurs éléments permettent d’avoir un sentiment positif par rapport à ce projet.

Offrant une capacité d’emport inégalée, une autonomie respectable tout en pouvant offrir de la place pour un nombre non-négligeable d’opérateurs: le Tu-204/214 s’avère être l’option la plus crédible et la plus pertinente pour rééquiper l’Aéronavale russe. Sans même faire de projections sur le très long terme, l’appareil offre également un potentiel de modernisation conséquent: avec le remplacement de l’électronique embarquée par celle développée pour le Tu-204SM et/ou une hypothétique remotorisation sur base du réacteur PD-14 qui verrait les performances de l’appareil s’accroître significativement (via la réduction de la consommation en carburant), inutile de préciser que ces éléments plaident fortement en faveur du Tu-204/214.

Enfin, si on compare l’IL-38(N) qui bien qu’économique à exploiter ne dispose que de trois opérateurs, d’équipements embarqués aux performances limitées ainsi qu’un rayon d’action restreint ou un Tu-142MK/MZ qui dispose d’un rayon d’action étendu mais est onéreux à exploiter et mettre en oeuvre: il devient étonnant de voir la Russie encore se questionner sur la plate-forme à sélectionner. L’argument économique régulièrement mis en avant pour justifier l’indécision russe ne tenant pas vraiment dans le cas d’espèce: la possibilité de récupérer des cellules relativement récentes (pour débuter) ainsi que le gain de performances offerts par le Tu-204/214 font que l’argument économique perd de son sens.

La lutte anti-sous-marine en Russie; quoi pour faire quoi?

Bien que n’étant pas prioritairement une puissance maritime de premier rang, il est pour le moins naïf de concevoir la Russie sans appréhender son besoin de disposer d’une capacité navale moderne et efficace apte à assurer la protections de ses lignes de communications ainsi que des intérêts considérés comme stratégiques pour le pays, cette capacité navale nécessitant une capacité aérienne en soutient pour pouvoir être considérée comme réellement crédible. Si il est parfaitement évident que la Marine Russe revient de très loin et qu’elle est sans commune mesure avec la Marine Soviétique; le retour d’une Marine Russe aux ambitions océaniques assumées se confirme clairement avec la mise sur cale de nouvelles frégates, la mise sur cales de deux navires d’assaut amphibie, la mise au point de nouveau destroyers ainsi qu’à court terme la mise sur cale de nouveaux SSGN et de SNLE supplémentaires. Vu sous cet angle, on ne peut être que frappé par la pauvreté abyssale des moyens aériens de lutte anti-sous-marine déployés par l’aéronavale russe.

Le Tu-142MZ codé 53 Noir est le dernier (en date) avion sorti de révision générale chez Beriev à Taganrog. Image@Beriev.com

Outre la question des capacités techniques qui sont discutables (vu l’âge des appareils), celles-ci étant à envisager par rapport aux programmes de modernisation en cours (IL-38N) et à venir (Tu-142MKM), il n’empêche qu’avec environ vingt-cinq IL-38(N), trente Tu-142MK/MZ et sept Be-12: les forces disponibles sont ridiculement faibles. Sans même prendre en ligne de compte le fait que certains avions ne sont pas exploités tandis que d’autres suivent le cycle logique des révisions et entretiens, on en arrive à un pays qui ne peut aligner globalement qu’une petite vingtaine d’appareils (dans le meilleur des cas) pour assurer au quotidien la couverture de pas moins de 37.653 Km de côtes…! Certes, la Marine Russe n’a pas vocation à assurer une couverture océanique globale avec sa Flotte néanmoins, les chiffres sont éloquents et sans concession.

Outre ce nombre très faible, un autre élément est pour le moins curieux: l’Aéronavale russe ne dispose d’aucun moyen aérien de lutte anti-navires de surface à long rayon d’action depuis le passage des Tu-22M3 de l’Aéronavale vers la Force Aérienne (VKS). En effet, les trois plate-formes de lutte anti-sous-marine ne disposent d’aucun armement anti-navires de surface (alors que cette option existe pour l’IL-38, puisque les IL-38SD de l’Indian Navy emportent le missile Kh-35) et leurs emports actuels sont pour le moins anciens. Que ce soit au niveau des bouées ou au niveau des armements offensifs. L’arrivée annoncée des MiG-31K avec missiles Kinzhal au sein de l’Aéronavale va permettre de compenser très partiellement ce trou capacitaire mais il est pour le moins étonnant de constater l’absence d’une plate-forme à long rayon d’action disposant des moyens de recherche et d’acquisition de cibles de surface au sein des MA-VMF.

Deux MiG-31K, bientôt en service au sein de l’Aéronavale russe? Image@eng.mil.ru

Autant il est facile de comprendre pourquoi la Russie de 2000 ne nécessite pas de disposer d’une aéronavale forte vu l’état global de la flotte sous-marine ainsi que la flotte de surface, autant ce n’est plus le cas de la Marine Russe de 2020 et ce le sera encore moins à l’horizon de la fin de l’actuel GPV en 2027. En effet, outre l’engagement en Syrie qui a mis en avant le besoin de disposer d’une marine réactive et moderne, la transformation progressive de la Mer Noire en « mer intérieure russe » par la force des choses, la présence accrue des forces de l’OTAN en Baltique, en Mer de Barents et en zone arctique ainsi que la situation globalement plus tendue dans l’Océan Pacifique font que la Russie va nécessiter des moyens aériens conséquents permettant de protéger ses SNLE (Boreï-A/Delfin) et dans une moindre mesure ses SSGN (Antey/Yasen-M). Dans un contexte où la Marine Russe essaie d’assurer une permanence à la mer de ses SNLE, l’absence d’avions de lutte anti-sous-marine aptes à couvrir lesdits navires est un handicap important et il semble que les décideurs russes en sont conscients depuis au-moins 1996 et le premier projet de Tu-204P.

Comme de coutume, la politique semble s’être immiscée dans cette question avec plusieurs propositions mises en avant pour servir de plate-forme de base au nouvel avion de lutte anti-sous-marine. Entre le Be-200, l’A-40, l’IL-114 et enfin le Tu-204/214, les décideurs russes ont eu une pléthore de propositions (certaines étant plus crédibles que d’autres) sans pour autant déboucher sur un choix alors que la flotte à disposition ne rajeunissait pas et que les programmes de modernisation traînaient également à se concrétiser. De longues années ont donc été perdues en palabres inutiles et il est à espérer que le choix du Tu-204/214 si il est enfin entériné permettra d’aller de l’avant rapidement.

Un jour en service au sein de l’Aéronavale russe? Image@Yurii Kakurkin

Quid de l’IL-114MP? Une des options les plus sérieuses initialement envisagée pour prendre la relève des IL-38/Tu-142 est une version militarisée de l’avion régional à turbopropulseurs Ilyushin IL-114, cette variante étant reprise sous le type IL-114MP. Développé par l’équipementier Radar MMS qui commanda en 2004 un IL-114 pour conversion auprès de l’usine TAPO de Tashkent (Ouzbékistan), le laboratoire volant IL-114LL sera livré au client le 28 avril 2005 avant d’entrer en usine pour montage des équipements spécifiques pour la patrouille maritime ainsi que la lutte anti-sous-marine avec la suite embarquée Kasatka-S. C’est durant le salon MAKS 2007 que l’avion achevé fut présenté, les modifications apportées à ce dernier étant pour le moins conséquentes. Outre le montage de des équipements externes, l’intérieur de l’avion a été remodelé avec montage d’une zone de stockage des bouées ainsi qu’une zone pour les opérateurs avec douze postes de travail, l’équipage étant composé des deux pilotes et des douze opérateurs.

Schéma illustrant l’aménagement d’un IL-114MP. Image@Radar MMS

Le coeur du système de recherche et d’attaque est le Kasatka-S (déjà abordé plus haut) auquel vient s’ajouter la possibilité d’emporter des missiles Kh-35(U) sous voilure ainsi qu’un canon GSh-2-23 installé latéralement à l’avant de l’avion; enfin, une soute à armements est implantée entre le radar avant et le caisson d’aile central.

L’IL-114 a été envisagé pour pouvoir être décliné en plusieurs variantes spécialisées, l’IL-114P (surveillance côtière) et l’IL-114MP (variante anti-sous-marine et anti-navires de surface) cependant malgré le fait que cette plate-forme dispose de solides arguments en sa faveur, notamment au niveau d’un coût de l’heure de vol peu élevé ainsi que d’un coût d’acquisition restreint (par rapport à des alternatives plus « lourdes ») plusieurs problèmes fondamentaux restreignent son intérêt;

  • La production de l’IL-114 à Tashkent est achevée depuis près de dix ans à l’usine TAPO de Tashkent
  • La relance de la production par la Russie sous la forme modernisée IL-114-300 nécessite encore quelques années de travail et la priorité est donnée aux versions civiles pour remplacer les avions turbopropulseurs régionaux d’origine soviétique toujours actifs en Russie
  • L’endurance, la charge utile ainsi que la petite taille de l’avion font qu’il n’est pas la solution optimale pour couvrir les longues distances induites par la taille des zones marines russes
  • L’accroissement de la masse découlant du montage des équipements de lutte anti-sous-marine voit la nécessité de disposer d’une classe de turbopropulseurs plus puissants ce dont la Russie ne dispose pas actuellement (l’AI-20D est produit en Ukraine) et aucun développement en ce sens n’est en vue avant plusieurs années
Illustration des variantes envisagées d’IL-114. Illustration@Piotr Butowski

La Russie se retrouve donc avec un appareil qui ne répond que partiellement à ses besoins, pour lequel elle n’a pas la motorisation à disposition et qui nécessitera encore de longues années avant d’être disponible pour assurer le remplacement de sa flotte actuelle. Il reste à voir si l’option d’un flotte mixte avec l’IL-114MP servant d’appareil « côtier » couplé à un Tu-214P servant d’appareil « océanique » va être poursuivie ou si l’Aéronavale va se concentrer sur une seule plate-forme, le Tu-214P. Vu le contexte budgétaire et les délais impartis, il serait plus logique de reprendre les équipements développés pour l’IL-114MP et de se concentrer sur le Tu-214P qui offre un potentiel d’évolutions bien plus important même si plus onéreux à exploiter et acquérir.

Néanmoins, il est quand même nécessaire de rappeler qu’avec un âge moyen de cinquante (!) ans pour la flotte d’IL-38(N) il est très clairement temps de passer aux décisions et de lancer les travaux le plus rapidement possible. Le Tu-142MK/MZ permet une plus grande souplesse vu qu’il est plus récent (âge moyen de trente-cinq ans) et qu’il débute sa modernisation maintenant mais ceci ne corrige pas le problème fondamental du nombre restreint d’appareils disponibles. On ne s’arrêtera même pas sur le Be-12 qui bien qu’adapté à sa zone de déploiement est également un digne représentant de ce que l’on pourrait appeler la « triade gériatrique » de la lutte anti-sous-marine russe.

En conclusion

Si le projet de création d’un avion de lutte anti-sous-marine sur base du Tu-204/214 vient à se concrétiser, ce qui est plausible au vu du fait que l’aéronavale travaille déjà sur la définition des prérequis techniques tandis que l’OKB Tupolev travaille sur le design préliminaire, la Russie disposerait à terme d’un équivalent au Boeing P-8A Poséidon. Cette évolution logique permet également de voir que les critiques originelles vis-à-vis du Poséidon (vitesse plus élevée vu la motorisation employée, fonctionnement à plus haute altitude) ne sont pas rédhibitoires pour les missions envisagées, ou tout du moins que la modification des profils de vol adoptés ne réduit pas fondamentalement la capacité de détection de l’appareil.

Les avantages offerts par le Tu-204/214 sont nombreux;

  • Appareil entièrement russe donc ne pouvant pas être impacté par d’éventuelles sanctions occidentales
  • Appareil fiabilisé et maîtrisé offrant des performances pertinentes eu égard aux missions à remplir
  • Basé sur un cellule civile donc économique à exploiter
  • Cellules disponibles immédiatement pour lancer les travaux préliminaires (et permettant donc gagner du temps)
  • Similitudes techniques avec d’autres variantes militaires du Tu-214 permettant de faciliter l’entraînement des équipages et de développer des synergies entre les différentes variantes
  • Charge utile significativement accrue par rapport à l’IL-38(N) ainsi que le Tu-142

En outre la sélection du Tu-204/214 offre à la Russie ce dont il lui manque cruellement: du temps. Vu l’âge avancé de la flotte existante, il est plus qu’urgent de déployer des solutions modernes rapidement sous peine de se retrouver dans la situation où la couverture aérienne de ses SNLE ne pourra plus être assurée (ce qui est déjà fort probablement en partie le cas). La récupération envisagée de cellules de Tu-204/214 inemployées et disposant d’une importante vie résiduelle vu leur faible utilisation antérieure fait que le gros des travaux devrait porter sur l’intégration des équipements embarqués ainsi que des soutes à armements/bouées.

Dans l’article d’Izvestiya, il est fait mention de 2030 pour la production en série de ce nouvel appareil. Le délai imparti semble relativement long vu qu’une bonne partie des briques technologiques existent déjà: les équipements développés pour l’IL-114MP sont disponibles et connus tout comme les cellules des Tu-214 servant de base le sont également. Bien évidemment, il reste à intégrer les équipements permettant de piloter des drones ainsi que la mise en place des soutes à armements et des éventuels pylônes sous voilure. Ceci ne se fera bien évidemment pas en deux jours, mais de là à attendre dix ans, on semble passer d’un extrême à l’autre. Il est plus probable de voir les premiers appareils convertis de la sorte apparaître à l’horizon 2025 (cinq années pour développer le projet, créer un prototype et débuter les essais ne semblent pas être un délai intenable, même pour la construction aéronautique russe) et en fonction des résultats passer à la production de série d’appareils neufs (une fois le filon épuisé des cellules d’occasion) à l’horizon 2030. Si l’on en croît la presse locale, l’usine KAPO (Kazan) qui est responsable de la production des Tu-214 se prépare à assembler cette nouvelle variante qui reposerait sur un Tu-214 disposant d’une aile renforcée; cependant la capacité de production annuelle est évaluée à deux (!) Tu-214, un accroissement de la production s’imposera donc en cas de sélection de ce dernier et ceci sera encore plus une nécessité si les projets de création d’une variante AWACS du Tu-214 viennent à se concrétiser; l’usine Gorbunov (KAPO) disposerait donc à côté de la production de bombardiers stratégiques (Tu-160M2/PAK DA) d’une production régulière d’avions militaires lui offrant une charge de travail constante sur plusieurs années.

Le dernier Tu-214 produit (en date) sorti des chaînes à la toute fin de 2018. Image@Maksim Sturm

De manière quasi unanime, l’option du Tu-204/214 en tant que base de la future plate-forme de lutte anti-sous-marine est vue de manière positive; on peut même pousser le raisonnement plus loin sans trop prendre de risques en constatant que depuis 1996 presque 25 (!) ans ont été perdu pour en revenir au même stade et suivre l’option la plus évidente pour la Russie: développer un Tu-204P pour moderniser l’aéronavale russe. Certes, on ne va pas réécrire l’histoire et juger a posteriori, il n’empêche que même en prenant en ligne de compte le contexte économique et politique il est parfaitement absurde de voir que la situation n’a pas bougé d’un iota en vingt-cinq ans et qu’il est maintenant nécessaire de travailler dans l’urgence pour éviter à moyen terme le trou capacitaire qui se profile à l’horizon avec les conséquences délétères que ce dernier aurait sur les SNLE ainsi que par truchement sur la capacité de dissuasion russe. Et c’est bien là que le bât blesse en réalité: la mise sur cale de nouveaux sous-marins (SSGN et SNLE) ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt des lacunes de l’aéronavale ainsi que de la Marine Russe. La décision de lancer un nouvel avion de lutte anti-sous-marine indique qu’il y a eu une sérieuse prise de conscience de cette problématique, il reste maintenant à voir si la concrétisation suivra les intentions.

D’une manière ou d’une autre, les projets sont condamnés à se concrétiser parce qu’il est illusoire de voir un IL-38(N) atteindre l’âge vénérable de soixante ans de carrière active même si ce dernier est très économique à exploiter; l’environnement marin finit systématiquement par être impardonnable pour le matériel employé.

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