[Actu] Les systèmes de défense côtiers (1): Le 3K60 Bal

Dans le registre des systèmes rarement abordés mais remplissant une tâche bien spécifique; il y a les systèmes de défense côtiers déployés près et autour des bases navales russes ainsi que des endroits stratégiquement importants pour la Marine Russe.

On dénombre actuellement trois principaux systèmes qui sont déployés et/ou en cours de déploiement par les VMF:

  • Le 3K60 Bal
  • Le K-300P Bastion-P
  • L’A-222 Berg

Ces systèmes sont en général présentés en tant que « système de défense » néanmoins selon l’adage de « la meilleure défense c’est l’attaque« , il s’agit bien évidemment d’armes offensives aptes à neutraliser toute cibles navales de surface potentielles qui s’aventureraient un peu trop près des côtes russes ainsi que de ses zones stratégiques: ces batteries doivent se concevoir à la fois en tant que systèmes pouvant fonctionner soit toute indépendance soit au sein de systèmes intégrés en complément de navires ou d’autres systèmes terrestres.

Vu les spécificités propres à chaque système, nous allons aborder chaque système dans ses détails via une série de trois articles séparés et complémentaires.

DX5JVABXUAA5VH8
Vue latérale d’un véhicule de transport et lancement du système Bal. Photo@?

Le premier système abordé a été mis au point pour assurer la relève des batteries lance-missiles côtières 4K51 Rubezh (classification OTAN: SSC-3 Styx) déployant le missile anti-navires P-15M ainsi que des batteries lance-missiles 4K44B (classification OTAN: SSC-1 Sepal) déployant le missile anti-navires P-35. En vue de remplacer ces deux systèmes vieillissants construits sur base de missiles devenus obsolètes, la Russie va développer un nouveau système de batteries côtières construites autour du nouveau missile Kh-35: le 3K60 Bal.

Le missile Kh-35

Avant de poursuivre sur le système en lui-même, il est utile de se pencher d’abord sur la munition déployée; le Kh-35 (Izd.78). Ce missile anti-navire fut conçu par l’URSS en tant que réponse à l’arrivée des missiles anti-navires Harpoon (USA) et Exocet (France) à l’aube des années 80. Les travaux préliminaires sur le projet Kh-35 (parfois dénommé « Harpoonski« ) ont été lancé en 1977 mais c’est en 1983 que le développement du missile débuta sous la houlette de Zvezda.

Repris sous la classification GRAU 3M24, le développement du Kh-35 s’éternisa notamment suite à des difficultés techniques (liées en partie au système de guidage du missile) rencontrées durant la phase de test ainsi qu’à des difficultés financières rencontrées durant les années 1990 après la chute de l’URSS. C’est la vente du missile (dans une version Export) à l’Inde en 1994 qui permit à la Russie de disposer des finances nécessaires pour achever le développement du missile ainsi que de lancer sa production en série; il faudra attendre 2003 pour voir le missile être finalement adopté par la Marine Russe… soit 20 ans après le lancement de son développement.

Kh-35E_fol_maks2009.jpg
Version export du Kh-35, le Kh-35E vu ici en version aérotransportée. Photo@Wikipedia.com

D’un point de vue plus technique, le Kh-35 est un missile anti-navire subsonique destiné à traiter les cibles d’un déplacement allant jusqu’à 5.000 tonnes qui présente les caractéristiques de bases suivantes:

  • Longueur: 4,4 m
  • Diamètre: 0,42 m
  • Envergure: 1,33 m
  • Vitesse: Mach 0,8 (980 Km/h) / Mach 0.85 (1.010 Km/h) pour le Kh-35U
  • Masse: 620 Kg (670 Kg pour la variante Kh-35U)
  • Charge offensive: 145 Kg
  • Autonomie: 130 Km (260 Km pour le Kh-35U)
  • Guidage à centrale inertielle, guidage terminal à radar actif

Le Kh-35 dispose d’un profil de vol des plus classique pour un missile anti-navire; après son lancement il suit une trajectoire en vol très basse altitude (autour des 10 à 15 m) au-dessus de la surface de la mer, une fois à proximité de la cible il descend plus bas pour se stabiliser à environ 4 m d’altitude avant de pénétrer horizontalement dans la cible. La détonation de la charge explosive à fragmentation (HE-FRAG) est conçue pour se faire à l’intérieur du navire et non au moment de l’impact avec la cible et ce en vue de maximiser les dégâts et/ou de pouvoir mettre l’équipage hors de combat.

Initialement prévu pour être employé par des navires et des silos côtiers, le Kh-35 va évoluer en Kh-35U (Izd.07) qui peut être déployé par tous types de vecteurs (terre/mer/air) faisant de ce dernier une option pouvant être facilement mise en oeuvre et qui – avantage très intéressant pour la Russie – n’est pas onéreuse à déployer; le prix du missile étant estimé à environ 500.000 USD l’unité. Les principales modification entre le Kh-35 et Kh-35U concernent le corps du missile qui a du être intégralement repensé (permettant d’accroître la portée du missile) vu que celui-ci ne résistait pas à l’éjection en cas de lancement par voie aérienne; c’est de nouveau une demande de l’Inde au début des années 2000 de pouvoir équiper ses IL-38SD avec le missile Kh-35 qui poussa la Russie a accélérer le développement d’une variante aéroportée de ce dernier (Kh-35E), cette variante évoluant par la suite et sur base des besoins russes en Kh-35U qui sera testé dès 2010 avant d’être déclaré apte au service en 2013.

12297353.jpg
Missile Kh-35UE (version export). Photo@Sputnik

Le guidage du missile se fait sur base d’informations fournies par la plate-forme de lancement employée avant le lancement et c’est une centrale inertielle qui assure le guidage durant la phase de croisière, une fois le missile à une distance inférieure ou égale à 20 Km de sa cible, c’est le système de guidage actif ARGS-35 fonctionnant en bande I/J (8-20 GHz) qui assure le ciblage final et le verrouillage sur la cible. A noter qu’un nouveau système dénommé Gran-K est en cours de développement pour remplacer l’ARGS-35 ce dernier serait capable d’accrocher sa cible à 50 Km au lieu des 20 Km de l’ARGS-35. Point important avec l’arrivée du Kh-35U, le missile n’est plus cantonné à des missions de frappe à la mer puisqu’il peut également traiter des cibles terrestres.

Seeker_Kh-35E_maks2005
Coupe de la tête d’un missile Kh-35 montrant le radar employé par le missile. Photo@Wikipedia.com

Pour assurer sa propulsion, le Kh-35 dispose d’un turboréacteur Soyuz R95TM-300 dont l’entrée d’air est semi-encastrée dans le corps du missile, cependant en vue d’améliorer les performances et l’autonomie du missile, le Kh-35U dispose d’une nouvelle motorisation plus compacte mise au point par Saturn et portant le nom d’Izd.64M, ce qui couplé à un réservoir à carburant (kérosène) de plus grande taille, lui permet de doubler son autonomie.

Au final, le missile Kh-35U a connu son baptême du feu en Syrie en 2016 vu le déploiement de ce missile à bord du Su-34; il est à noter que la Russie dispose donc avec le Kh-35 (et ses variantes) d’un missile polyvalent pouvant être embarqués à bord de navires, avions, hélicoptères, containers, silos et enfin de véhicules terrestres dont notamment le 3K60 Bal.

Le système 3K60 Bal

Le développement du système 3K60 a débuté dans le courant des années 1990 peu après la mise au point du Kh-35 avec en tête trois missions principales devant être remplies jour et nuit ainsi que par des mers allant jusqu’à une Force 6 sur l’échelle de Beaufort:

  • Contrôle des détroits et eaux territoriales
  • Protection des bases navales, installations côtières et autres infrastructures
  • Défense des côtes dans les zones potentielles de débarquements

Le système Bal, qui est classifié par les russes en tant que BRK (Береговой Ракетный Комплекс / Complexe de Missiles Côtiers), est conçu pour être hautement mobile et facilement déployable, pour ce faire, le prototype du système fut monté sur un châssis tout-terrain lourd monté en 8×8 MAZ-543M tel que celui employé notamment sur le lance-roquettes multiples BM-30 Smerch.

Бал
Véhicule de transport et de lancement prototype basé sur châssis MAZ-543M. Illustration@?

Les véhicules de série différeront par l’emploi du châssis biélorusse MZKT-7930 du constructeur Volat Defence (ex MZKT) qui est également un châssis lourd tout-terrain monté en 8×8 équipé d’un moteur turbodiesel YaMZ-846 développant 500 Cv et équipé d’une boîte de vitesse manuelle à six rapports, de plus, ce châssis dispose d’une régulation centralisée de la pression des pneus, cette dernière pouvant être ajustée en fonction du type de terrain traversé.

793000.bmp
Le châssis MZKT-7930 employé par le système Bal de série. Illustration@Volatdefence.com

Trois types de véhicules, tous montés sur châssis MZKT-7930, composent le système:

  • Véhicule de commandement (SKPUS)
  • Véhicule de transport et lancement (TPK/3S60) disposant de huit tubes
  • Véhicule de rechargement (TPM) emportant huit missiles
txZwUKAS8is
Le véhicule de lancement dans son environnement « naturel » près d’une zone littorale. Photo@smitsmitty.livejournal.com

Le système 3K60 peut se composer de la manière suivante (au maximum):

  • Deux véhicules de commandement
  • Quatre véhicules de lancement
  • Quatre véhicules de rechargement

Néanmoins la composition la plus classique au sein de la Marine Russe est d’un (parfois deux) véhicule(s) de commandement accompagné(s) de deux véhicules de lancement et deux véhicules de rechargement. L’emploi du même châssis pour l’ensemble des véhicules permet au système de disposer d’un bonne mobilité et lui offre la capacité de se repositionner rapidement; les chiffres les plus fréquemment cités indiquent que la batterie peut-être employée dix minutes après son arrivée en position. En outre, l’ensemble du système est aéro-transportable via les An-22 et/ou An-124.

35543158
Vue d’une batterie (de tests) déployée avec deux lanceurs à quatre tubes et un véhicule de commandement. Photo@submicron.ru

Le véhicule de commandement est le centre nerveux du système et est conçu autour du radar de recherche, de suivi et d’acquisition 3TS-25 Garpun; ce dernier collecte les données nécessaires avant de les transmettre au véhicule de lancement qui les fournit au(x) missile(s) qui seront tiré(s). De plus, les informations collectées par d’autres systèmes de surveillance (AWACS/autres systèmes radars) peuvent également fournir les coordonnées d’une cible aux véhicules de lancement. Le véhicule est capable de fonctionner dans un environnement NBC.

Bal-E-RC3-MAZ-7910-1S
Véhicule de commande en version prototype sur châssis MAZ-543M; on voit bien le radar Garpun déployé à l’arrière. Photo@?

A l’origine, le véhicule de transport et lancement disposait de quatre tubes contenant chacun un missile Kh-35, par la suite les véhicules de transport et lancement sont passés à huit tubes, implantés à l’arrière du châssis, ce qui permet à une batterie complète de tirer un maximum de trente-deux missiles espacés de trois secondes de manière à saturer les défenses et contre-mesures ennemies. Pour assurer sa mise en oeuvre, le véhicule de transport et lancement embarque trois membres d’équipage (un conducteur, un opérateur et un commandant) et peut également être employé dans un environnement NBC. Le véhicule de rechargement emporte quant à lui huit missiles et dispose d’une grue ce qui lui permet d’assurer la recharge d’un véhicule de lancement en trente à quarante minutes.

3516a88208208f72886328fcc273c928
Le véhicule de lancement du système Bal avec un missile Kh-35U à ses côtés. Photo@Rosoboronexport

D’un point de vue des performances offensives, les capacités du système 3K60 Bal dépendent en réalité des performances de la munition employée; alors que les premiers systèmes mettaient en oeuvre le missile Kh-35, le passage au Kh-35U avec sa nouvelle motorisation et sa capacité en carburant accrue augmentent sensiblement l’efficacité du système.

Bal-E-TEL-MZKT-7930-1S
Véhicule de rechargement du système Bal. Photo@?

Au niveau des performances du système, on dispose des chiffres suivants;

  • Masse du véhicule de lancement: 40 tonnes
  • Longueur du véhicule de lancement: 12,8 m
  • Largeur du véhicule de lancement: 3 m
  • Hauteur du véhicule de lancement: 3,6 m
  • Autonomie sur route: 850 Km
  • Vitesse maximale sur route: 60 Km/h
  • Vitesse moyenne hors-route: 20 Km/h
  • Portée du système: 130 Km (Kh-35/E) / 260 Km (Kh-35U)
  • Eloignement maximum de la côte: 10 Km

Le système, produit par KTRV, a été admis au service en 2004 au sein de la Marine Russe et on dénombre fin 2017 pas moins de 44 lanceurs déployés au sein des unités suivantes:

  • 11ème brigade de la Flotte de la Mer Noire (Utash)
  • 15ème brigade de la Flotte de la Mer Noire (Sevastopol)
  • 72ème régiment de la Flotte du Pacifique (Smolyaninovo)
  • 18ème division d’artillerie de la Flotte du Pacifique (Kunashir)

En outre il a également été exporté au Vietnam en 2010 ainsi qu’au Venezuela à raison de deux systèmes comprenant un total de huit lanceurs en version export; Bal-E avec emploi de missile Kh-35UE.

En conclusion

Le système 3K60 Bal est une solution efficace et peu onéreuse développée et mise en place par la Russie sur base d’un missile anti-navire conçu pour pouvoir être déployé par le plus grand nombre de vecteurs. Disposant d’une bonne mobilité et de la capacité à être engagé rapidement, le 3K60 est un système qui complète/se substitue de manière efficace et économique au système K-300P Bastion-P déployant le missile Oniks.

Malgré son côté efficace, le système 3K60 Bal pêche quand même par l’emploi d’un missile subsonique (facilitant donc son interception) ainsi que par l’usage d’un radar d’acquisition des cibles Garpun qui dispose d’un rayon d’action limité; bref, le système Bal présente des avantages en pouvant être acquis en plus grand nombre (grâce à son prix réduit) mais ceci se traduit également par des capacités inférieures par rapport au Bastion-P.

bal_0
Tir d’un Kh-35 par une batterie Bal. Photo@Submicron.ru

Il n’empêche que le 3K60 offre des capacités non-négligeables avec sa capacité à tirer sur un très court laps de temps une salve de trente-deux missiles anti-navires qui donneront du fil à retordre à toute marine même très bien équipée qui viendrait à s’y frotter. Ne dit-on pas en matière militaire que la « masse finit toujours par l’emporter« ? Il semble que c’est cette voie que la Russie a choisi, tout en déployant simultanément plusieurs systèmes aux performances complémentaires aptes à remplacer les systèmes mis en service à l’époque soviétique.

error: Content is protected !!
%d blogueurs aiment cette page :