[Dossier] Le Flanker en Indonésie

L’officialisation de la commande de 11 Sukhoï Su-35 par l’Indonésie en date du 19 février de cette année marque la fin de négociations qui ont duré près de trois ans et qui ont vu la mise en place d’un contrat de barter pour financer l’acquisition des appareils.

La première commande de Sukhoï Su-27 en Indonésie remonte à 2003 et ce pays a depuis lors maintenu une politique d’acquisition mixte avec des fournisseurs occidentaux ainsi que des fournisseurs russes. Si ce choix répondait au départ à des contraintes économiques et politiques, ces dernières ont disparues mais l’Indonésie a poursuivi dans cette voie.

Faisant suite aux annonces récentes indiquant un accroissement du format de la force aérienne locale via l’acquisition de pas moins de trois escadrons de chasse supplémentaires, des multiplicateurs de forces (AWACS et Tankers) avec comme but de passer à un format de flotte qui devrait comporter au minimum 180 appareils pour permettre de couvrir toutes les zones d’importances stratégiques pour l’Indonésie; il y a donc un marché potentiel pour les appareils d’origine russe dans ce pays.

Penchons-nous plus en détails sur la composition actuelle de la flotte aérienne indonésienne et des appareils d’origine russe qui la composent en partie.

La TNI-AU, un aperçu historique

Chargée d’assurer la défense et la protection de pas moins d’un million neuf-cent mille kilomètres carrés de territoires composés d’îles, de nombreux îlots et de vastes espaces maritimes; la force aérienne indonésienne répond au nom de Tentara Nasional Indonesia-Angkatan Udara (TNI-AU). Fondée le 9 avril 1946 et suivant de quelques mois la déclaration d’indépendance datée du 17 août 1945; sa flotte des plus hétéroclite sera composée d’appareils récupérés après le départ des japonais et des hollandais.

Au début des années 60 et après avoir exploité des appareils occidentaux, l’Indonésie se tourna vers l’URSS pour se fournir en appareils militaires, tous les classiques soviétiques de l’époque firent partie de la flotte locale: MiG-15/-17/-19/-21 ainsi que des IL-28. Beaucoup plus surprenant fut la mise en service à l’été 1961 de pas moins de 26 bombardiers Tu-16KS Badger équipés de missiles air-sol KS-1 Komet.

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Le Tu-16KS codé 1614 de la TNI-AU. Photo@?

Un putsch (réussi) aura lieu en 1965 et suite à ce dernier l’Indonésie s’éloigna de la sphère d’influence de l’URSS ce qui lui fit perdre le suivi logistique nécessaire pour faire voler ses avions; à l’aube des années 70, la quasi totalité des équipements d’origine soviétiques furent soit donnés, soit vendus ou enfin détruits. Le rééquipement de la force aérienne locale se fit sur base d’appareils occidentaux d’occasion sous la forme de CAC Sabre (variante modifiée par l’Australie du F-86 Sabre) qui vinrent remplacer les MiG-21F-13 encore employés!

Par la suite, la TNI-AU sera rééquipée avec des OV-10 Bronco et des BAE Hawk Mk53 à partir de la fin des années 70. A l’aube des années 80, ce sont 33 Douglas A-4E/A-4H/TA-4H Skyhawk seront acquis d’occasion en Israël avant d’être complétés par des Northrop F-5E/-F Tiger II dès avril 1980.

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Un ancien A-4H Skyhawk de la TNI-AU. Photo@Wikipedia.com

Au milieu des années 80, la TNI-AU lança un ambitieux programme de renouvellement de sa flotte avec pour but final d’acquérir 60 chasseurs-bombardiers: le programme opposa le Mirage 2000 face au General Dynamics F-16A/B. Finalement, c’est ce dernier qui l’emporta en août 1986 avec la signature d’une lettre d’intention relative à l’achat de 12 F-16A/B Block 15 OCU (8 F-16A et 4 F-16B) dans le cadre du programme Peace Bima-Sena I; les livraisons s’étalèrent entre décembre 1989 et novembre 1990.

En mars 1996, une deuxième commande portant sur 9 F-16A/B Block 15 OCU  supplémentaires fut passée par Jakarta; les appareils concernés ayant déjà été produits dans le cadre d’une commande pour le Pakistan mais non livrés suite à des changements politiques intérieurs aux USA (amendement Pressler). Cependant, le 2 juin 1997, le président indonésien Soeharto annula la commande en mesure de rétorsion face aux accusations récurrentes américaines de viols des droits de l’homme en Indonésie.  Peu de temps après en date du 5 août 1997, le président Soeharto annonça son intention de passer commande de 12 Su-30K pour renouveler et augmenter la flotte de la TNI-AU.

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Le F-16C codé TS-1625 de la TNI-AU. Photo@Pinterest

Cette annonce ne déboucha sur aucune commande concrète; la crise financière asiatique de 1997 et la mise au ban du pays suite à l’intervention militaire face à la rébellion dans le Timor Oriental bloquèrent les intentions de Jakarta. Durant l’embargo et une fois que les finances le permirent, l’Indonésie passa commande en 2003 de deux Su-27SK ainsi que de deux Su-30MK en vue de remplacer les derniers A-4/TA-4 subsistants.

D’autres Su-27 et Su-30 seront livrés par la suite, mais nous allons y revenir plus loin. Outre l’acquisition de matériels d’origine russe, la levée de l’embargo américain vis-à-vis de l’Indonésie en 2005 offrira l’occasion à Jakarta de poursuivre ses acquisitions de F-16A/B auprès des USA.

Dans le cadre du contrat Peace Bima-Sena II, une commande fut confirmée en novembre 2011 portant sur l’acquisition de 19 F-16C et 5 F-16D Block 25 d’occasions issus des stocks de l’armée américaine et revalorisés au Block 32; les livraisons des 24 appareils s’étalèrent entre 2015 et 2017. Par la même occasion les 12 premiers F-16A/B vont passer au standard MLU (Mid Life Update) leur offrant des performances globalement similaires à celles des 24 F-16C/D.

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Le F-16C codé TS-1629 de la TNI-AU. Photo@AINonline

Enfin nous ne serions pas complet si nous parlions pas de la présence d’appareils d’entraînement avancé BAE Hawk à raison de 8 BAE Hawk 109 et 32 BAE Hawk 209; ces derniers étant progressivement complétés par la mise en service de 15 KAI T-50 Golden Eagle. L’entraînement de base des pilotes est assuré par 15 Embraer EMB-314 Super Tucano.

Le Sukhoï Su-27 et variantes au sein de la TNI-AU

Pas moins de 30 ans vont s’écouler entre le dernier vol d’un chasseur d’origine soviétique au sein de la flotte des TNI-AU et l’arrivée d’un nouvel appareil de la même provenance.

Les aléas politiques et économiques rencontrés par l’Indonésie à la fin des années 90 ont été les principaux moteurs derrière le changement de fournisseur outre le fait que l’industrie russe pratiquait des prix des plus compétitifs vu l’importance que représentait les commandes à l’export pour la survie des industries nationales.

Ainsi, entre 2003 et 2013, ce sont pas moins de 2 Su-27SK, 3 Su-27SKM, 2 Su-30MK et 9 Su-30MK2 qui ont rejoint la flotte de la TNI-AU.

Sukhoï Su-27SK/SKM

Lorsqu’un 1997 le Président Soeharto annonça son intention de faire l’acquisition d’appareils d’origine russe, l’usine KnAAZ anticipa la commande et mis au point un démonstrateur sur base du Su-27: le Su-27KI. Cette version envisagée spécifiquement pour l’Indonésie (d’où le -I dans la dénomination) découlait du Su-27SK (la variante spécifique pour la Chine) et se caractérisait principalement par le montage d’une perche de ravitaillement en vol et par l’ajout de fonctions au radar N001M permettant l’emport de missiles R-77.

Le prototype Su-27KI (numéro de construction: 36911040102) sera présenté aux autorités indonésiennes mais ne déboucha pas sur une commande ferme vu le contexte politique de l’époque avec un embargo frappant de plein fouet le pays suite à son intervention militaire au Timor Oriental. Le prototype Su-27KI ne sera pas perdu pour autant puisqu’il sera transformé en 2003 en prototype Su-27SM et employé pour des campagnes de démonstrations sous le numéro de Bort 305 Noir; peu de temps après il sera encore modifié et repris sous le type Su-27SKM.

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Le prototype Su-27SM codé 305 Noir. Photo@National Interest

En 2003, l’Indonésie se décide finalement à passer commande de deux Su-27SK ainsi que de deux Su-30MK pour une valeur totale de 192 millions d’USD. Les deux Su-27SK sont des appareils rigoureusement identiques au appareils livrés en Chine si ce n’est pas présence d’une perche de ravitaillement en vol implantée à la gauche du pilote près du cockpit.

Techniquement parlant, les Su-27SK sont des appareils de supériorité aérienne mais aptes à assurer accessoirement certaines missions air-sol. Le Su-27SK diffère notamment du Su-27 par son train d’atterrissage renforcé ainsi qu’une cellule renforcée qui lui octroie une masse maximale au décollage de 33 tonnes. En outre, le radar N001M reçoit des modes de fonctionnement supplémentaires lui permettant d’emporter de l’armement air-sol.

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Le premier Su-27SK indonésien; le TS-2701. Photo@?

Les deux Su-27SK arborant un camouflage des plus réussi seront livrés le 27 août 2003 par Antonov An-124 et ils reçurent les numéros de série TS-2701 et 2702 ainsi que les numéros de Bort 01 et 02 Rouge. D’abord basés à Iswahyudi, ils ont été déplacés en avril 2005 à Makassar sur la base Sultan Hasanuddin où ils forment le SkU 11 en compagnie des autres Flanker reçus par la suite.

L’histoire des appareils est encore une fois un peu chaotique puisque l’Indonésie lors de l’acquisition des Su-27SK/Su-30MK ne fit pas l’acquisition des armements nécessaires pour pouvoir exploiter au maximum le potentiel des appareils. En outre, les projets d’acquérir rapidement 8 à 12 Sukhoï supplémentaires sont mis au frigo en 2005 suite au tsunami dévastateur qui a frappé l’Asie le 26 décembre 2004 et qui impacta fortement l’Indonésie et son économie.

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Le Su-27SKM codé TS-2703 au-dessus de son élément naturel: la mer. Photo@Defensamilitar.blogspot.com

Par conséquent, il faudra attendre le 21 août 2007 jour d’ouverture du salon MAKS 2007 pour assister à la signature d’une commande d’une valeur de 355 millions d’USD entre l’Indonésie et Rosoboronexport portant sur l’acquisition de 3 Su-27SKM et 3 Su-30MK2. Cette commande devant « équilibrer » la flotte avec 5 Su-27SK(M) et 5 Su-30MK(2) respectivement.

Le Su-27SKM n’est autre que la variante à l’export du programme de modernisation Su-27SM mis au point pour les forces aériennes russes. Ce programme consistant notamment à l’installation d’un cockpit « tout écran » avec afficheurs multifonctions, l’amélioration des performances du radar N001M, une suite de guerre électronique et de défense plus moderne et la possibilité d’emporter une gamme de munitions plus large (dont notamment le missile anti-navires Kh-31A) faisant du Su-27SKM un appareil réellement polyvalent.

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Le Su-27SKM codé TS-2705. Photo@?

Les trois Su-27SKM portant les numéros de registre TS-2703 à TS-2705 ainsi que les numéros de Bort 03 à 05 Rouge furent livrés le 7 septembre et le 16 septembre 2010 sur la base Sultan Hasanuddin à Makkasar. Il est intéressant de constater que malgré la présence d’une « micro-flotte » de 5 Su-27, l’Indonésie dispose d’appareils à deux standards différents et la TNI-AU ne semble n’avoir jamais envisagé de profiter des révisions générales qui se font chez 558 ARZ à Baranovichi en Biélorussie pour standardiser sa flotte sur le Su-27SKM à l’inverse de ce qu’elle a fait avec les Su-30MK2.

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Sukhoï Su-30MK/MK2

Nous l’avons vu ci-dessus, une première commande portant sur deux Su-30MK a été passée au début de 2003 en même temps que celle des deux Su-27SK. Le choix de cette variante qui est également dérivée du modèle mis au point pour la Chine s’explique assez simplement; les Su-30MK sont produits dans la même usine (KnAAZ) que les Su-27SK/SKM et donc ces derniers disposent d’un équipement embarqué fortement similaire entre les deux appareils.

L’acquisition d’une variante du Su-30MKI développé et mis au point par IAPO aurait conduit la TNI-AU à disposer d’appareils fondamentalement différents (mais plus performants) de ses Su-27SK(M), de plus le prix d’acquisition n’aurait pas du tout dans la même fourchette.

Le Su-30MK trouve son origine dans la variante biplace d’entraînement du Su-27; le Su-27UB. Ce dernier évolua en Su-27PU, variante biplace spécialisée dans l’interception à long rayon d’action. Peu de temps après le vol inaugural du Su-27PU en date du 30 décembre 1989, ce dernier reçut une nouvelle désignation en vue de le faire passer pour un tout nouvel appareil: le Su-30 était né.

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Le prototype T-10PU-5, codé 05 Bleu. Photo@Sukhoï

Les aléas de l’histoire russe contemporaine font que deux usines entrèrent en concurrence en ce qui concerne la production du Su-30;

  • IAPO (Irkutsk) qui développa une variante modernisée pour l’Inde, le Su-30MKI. Cette variante se caractérisant par une électronique moderne basée sur un nouveau radar PESA, le N011M BARS, ainsi qu’une configuration aérodynamique à trois plans avec des plans canards.
  • KnAAZ (Komsomolsk-na-Amur) qui produisait les Su-27 et Su-27UB et développa pour la Chine le Su-30MK(2), variante moins poussée que le Su-30MKI, se caractérisant par le maintien de la formule aérodynamique sans les plans canards et l’emploi d’un radar N001VE(P) dérivé du radar du Su-27.

L’Indonésie porta donc son choix sur le Su-30MK de KnAAZ, l’appareil étant en production et déjà fiabilisé par son premier et principal acheteur, la Chine. En outre, le Su-30MK étant principalement envisagé pour assurer des frappes air-sol; ceci correspondait bien aux besoins indonésiens.

Les deux premiers Su-30MK furent commandés au début de 2003 en même temps que les deux premiers Su-27SK et les appareils seront livrés partiellement démontés avant d’être admis au service le 1er septembre 2003. Basés sur la base Sultan Hasanuddin et affectés au SkU 11, ils portent les numéros de registre TS-3001 et TS-3002 ainsi que les numéros de Bort 01 et 02 Rouge.

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Une vue générale de la flotte de Flanker indonésienne: deux Su-27SKM et deux Su-30MK2 accompagnés par deux F/A-18 Hornet. Photo@?

C’est le 21 août 2007 que les trois Su-30MK furent commandés par l’Indonésie, cependant ces trois appareils se différenciaient de leurs prédécesseurs en étant des appareils au standard Su-30MK2. Développé également pour la Chine, cette variante légèrement modifiée du Su-30MK se caractérise notamment par sa capacité à emporter le missile Kh-31A. La principale différence entre le Su-30MK et le Su-30MK2 résidant dans l’installation d’un radar et système de tir légèrement modifié dans le Su-30MK2: le SUU-VEP (radar N001VEP) en lieu et place du SUU-VE (radar N001VE).

Les trois appareils suivants portant les numéros de série TS-3003 à TS-3005 ainsi que les numéros de Bort 03 à 05 Rouge furent donc mis en service entre le 26 décembre 2008 et le 17 janvier 2009. Enfin, visiblement satisfaite de ses Su-30MK2, une commande supplémentaire de 6 appareils et d’une valeur de 470 millions d’USD fut passée fin décembre 2011 pour livraison en 2013.

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Le Su-30MK2 codé TS-3004. Photo@planespotters.net

Les livraisons s’étalèrent entre mars et septembre 2013, portant les numéros de série TS-3006 à TS-3011 ainsi que les numéros de Bort 06 Rouge à 11 Rouge, les appareils rejoignirent leurs confrères au sein du SkU 11.

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Le Su-30MK2 codé TS-3010. Photo@airliners.net

Enfin, lors du passage en révision générale en 2019 des deux premiers Su-30MK: ces derniers furent portés au standard Su-30MK2 de manière à mettre la flotte de Su-30 indonésiens sur le même niveau.

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Sukhoï Su-35

Alors que les livraisons de Su-30MK2 étaient toujours en cours, en mars 2013 le ministre de la défense indonésien annonça son intention de commander pas moins de 16 Flanker supplémentaires de manière à créer un deuxième escadron. Ces intentions ne débouchèrent sur aucune commande concrète mais il ne fallut pas attendre longtemps avant de voir l’idée revenir sur le tapis.

Le 7 janvier 2014, le ministre de la défense indonésien fit savoir qu’il voulait remplacer les 11 F-5E/-F survivants ayant largement atteint l’âge légal de la retraite par 16 nouveaux appareils. Les candidats potentiels étant le F-16, le F-15, le JAS-39 Gripen et le Su-35S. Le Su-30 n’entrant plus en ligne de compte vu la fin de production annoncée de ce modèle.

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Le F-5E Tiger II codé TS-051. Photo@Indoflyer.net

En octobre 2014, le commandant des forces armées indonésiennes (TNI), le Général Moeldoko , fit savoir que le Su-35 était le candidat préféré suivi par le JAS-39 et enfin par le F-16. En octobre 2015, Lockheed Martin poursuivait une campagne de promotion agressive du F-16V en Indonésie espérant encore obtenir le marché de renouvellement des F-5E/-F. Cependant, la TNI-AU était fermement attachée à son choix du Su-35S qui fut officialisé en septembre 2015.

C’est à partir de ce moment que les choses se complexifièrent.

Écrire que la commande de Su-35S par l’Indonésie a été difficile à concrétiser relève du doux euphémisme. Digne d’un soap opera avec son lot d’annonces contradictoires et de retournements de situation ; la sélection de l’appareil russe en septembre 2015 ouvrit le bal de longues et interminables négociations visant à trouver un mode de financement pour les appareils à acquérir.

L’Indonésie a préféré faire le choix du contrat de barter au lieu de passer par le classique financement/prêt pour payer ses appareils; le but recherché étant de limiter l’impact économique de cette commande. De plus, ce n’est pas la première fois que Jakarta propose cette solution pour financer ses acquisitions militaires auprès de la Russie.

Le principe d’un contrat de barter (aussi connu sous le nom de « troc » en français) consiste à échanger des biens pour financer une acquisition en lieu et place de l’emploi d’argent. A charge pour le client de revendre les biens obtenus et/ou de les employer pour ses propres besoins. Dans le cadre de l’acquisition des Su-35, c’est la société PT Perusahaan Perdagangan détenue par l’état qui se charge de fournir les marchandises dans le cadre d’un accord signé avec Rostec; les marchandises concernées par le contrat sont le café, l’huile de palme, le caoutchouc et le thé.

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Le camouflage des Su-35 indonésiens sera-t-il similaire à celui du prototype 902 Noir? Photo@Sukhoï

Les négociations ont d’abord été ralentie par le nombre d’appareils à acquérir; il semble en effet que l’Indonésie est passée de 16 à 8 appareils envisagés avant de revenir à 12 puis 11 Su-35. Si l’on se base sur le nombre de F-5 E/F survivants, il y a exactement 11 appareils à remplacer: 7 F-5E et 4 F-5F appartenant au SkU 14. L’acquisition de 11 Su-35 est donc un remplacement à l’identique sauf en ce qui concerne les capacités offertes par ce dernier. D’où une partie des hésitations indonésiennes où l’option de commander moins d’appareils (et donc d’économiser sur la facture finale) fut mise sur la table. La voie de la raison – aidée par un prix négocié à la baisse – semble l’avoir emporté au final.

De plus, un deuxième problème est assez rapidement apparu en ce qui concerne les marchandises concernées par le barter. Nous l’avons vu un peu plus haut, c’est une société étatique indonésienne qui se charge d’assurer la fourniture des marchandises concernées par le contrat de barter; il n’est un secret pour personne que les valeurs des matières premières sont fluctuantes et donc se pose la question de garantir un volume de marchandises d’une valeur suffisante que pour « payer » les avions achetés. Ce problème a été en partie contourné par l’intégration de marchandises considérées comme « stratégiques » pour le vendeur; il s’agit notamment de caoutchouc. Pour ce type de marchandises, la fluctuation (dans une certaine mesure) de la valeur importe moins que l’importance du produit pour l’acheteur et son industrie.

Lors de la signature du contrat en date du 15 février 2018, une partie des détails relatifs au montage financier final ont été communiqués. Ce dernier se décomposant comme suit: la commande d’une valeur estimée de 1,14 milliard d’USD est financée de deux manières; 15% sont payés à titre de paiement initial, 35% sont payés en argent via un financement tout ce qu’il y a de plus classique tandis que les 50% restants sont financés par le contrat de barter. Ces pourcentages seront bien évidemment à affiner une fois les chiffres précis communiqués.

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Le Su-35S codé 07 Rouge. Photo@Alexey Mityaev

Autre point qui a nécessité de longues discussions dans le cadre de cette acquisition; le contenu du contrat. Si le nombre d’appareils est maintenant connu, il est un fait moins détaillé; la mise en place d’une chaîne logistique complète permettant d’assurer le suivi du Su-35 et de la famille Flanker en Indonésie. Il s’agit ni plus ni moins que de créer à terme un ensemble d’installations capables d’assurer la MCO (Maintien en Conditions Opérationnelles) des appareils.

Vu la présence, outre les besoins indonésiens, de plusieurs opérateurs actuels et/ou potentiels de Flanker dans la zone (Vietnam, Malaysie, Myanmar, etc…): l’idée est des plus pertinente. En outre ceci permet de renforcer la collaboration entre la Russie et l’Indonésie tout en améliorant grandement les arguments commerciaux de la Russie dans cette zone de l’Asie.

La chaîne logistique à mettre en place porte notamment sur;

  • Centre de maintenance et de réparation pour moteurs AL-41F1S (Su-35) et AL-31F (Su-27/Su-30)
  • Transfert de technologies liés aux AL-41F1S et AL-31F
  • Mise en place d’une capacité de suivi et d’entretien des radars
  • Mise en place d’une capacité de suivi et d’entretien des afficheurs employés
  • Mise en place d’un système de suivi des pièces détachées et de leur gestion
  • Mise en place d’une capacité d’audit et de maintenance des systèmes critiques des appareils Sukhoï
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Tableau des compétences/capacités incluses dans le contrat Su-35. Photo@KeyPubForum

Il est évident dans un premier temps que la Russie continuera à prendre en charge les révisions générales des appareils mais la logistique régionale va s’en trouver grandement simplifiée avec ces nouvelles capacités une fois qu’elles seront implémentées; il n’est absolument pas illusoire de voir apparaître un centre complètement équipé par la suite pouvant assurer également les révisions générales. Il reste à voir si le volume d’appareils à traiter à l’échelon régional justifie d’un tel investissement.

Venons-en aux appareils en eux-mêmes; deuxième client à l’export après la Chine pour le Su-35(S), il n’y a encore que peu d’informations qui fuitent sur les exigences indonésiennes si ce n’est l’obligation de recevoir les deux premiers appareils en octobre 2019 pour leur permettre de prendre part à la parade militaire annuelle. La capacité de production de l’usine KnAAZ allant rapidement se libérer avec la fin de la commande chinoise (pour rappel, solde de 10 appareils à livrer avant la fin 2018); ceci libère donc de la place pour passer à la mise en place de la production des appareils indonésiens. Le planning prévisionnel des livraisons est le suivant:

  • 2 Su-35 en août 2019
  • 6 Su-35 à livrer pour février 2020
  • 3 Su-35 à livrer pour juillet 2020

Vu le timing relativement serré entre la décision et les premières livraisons et au vu du temps nécessaire pour former les pilotes et les mécaniciens; les Su-35 indonésiens seront identiques aux appareils employés par la Russie, c-à-d: disposant de cockpits avec indications en russe. A l’instar de ce qui s’est passé avec les Su-35 livrés en Chine.

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Su-35 Chinois. La région sera quasiment le « paradis » pour les amateurs de ce type d’appareils. Photo@?

Enfin, l’acquisition des Su-35 permettra également de disposer d’appareils aptes à employer les munitions russes déjà en dotation en Indonésie et employées par les Su-27SK(M) et Su-30MK2. Bien qu’étant un appareil optimisé pour la supériorité aérienne, le Su-35 est un appareil polyvalent parfaitement apte à effectuer des missions d’attaques au sol et il peut embarquer un vaste arsenal de munitions air-air et air-sol guidées ou non. Enfin, sa grande autonomie (sans ravitaillement en vol) de 3.600 Km pouvant être augmentée à 4.500 Km (avec deux réservoirs externes) font de lui un appareil idéal pour assurer la surveillance des vastes zones maritimes du pays.

Il est bien entendu évident que nous reviendrons sur les Su-35 en Indonésie au fur et à mesure des livraisons de ces derniers.

En conclusion

Avec une flotte de 36 F-16 et à terme une flotte de 11 Su-35, 11 Su-30MK2 et 5 Su-27SK(M), la TNI-AU dispose d’un parc hétéroclite mais complémentaire avec une partie de chasseurs lourds polyvalents à long rayon d’action et de chasseurs légers polyvalents. Bien que le contrat de Su-35 ait mis du temps à être conclu, la mise en place progressive d’une chaîne logistique locale complète capable d’assurer le suivi des appareils ainsi que des Su-27/Su-30 est un bon indicateur des intentions locales ainsi que de l’importance de la famille Flanker au sein de la TNI-AU.

En outre, si les budgets suivent les déclarations d’intention des militaires; il y a fort à parier que l’on puisse s’attendre à des commandes de matériels supplémentaires pour la Russie; l’Indonésie souhaitant poursuivre sa politique d’achats chez plusieurs fournisseurs de manière à ne plus se retrouver dépendante d’un seul en cas de sanctions comme elle a connu par le passé.

L’Indonésie s’est lancée dans le développement d’un programme de 5ème génération en collaboration avec la Corée du Sud, le KAI KF-X avec l’intention d’en commander une cinquantaine d’exemplaires.  Aucun des deux pays n’ayant une expertise dans la mise au point de ce type d’appareils; il leur faudra encore de longues années avant de disposer d’un appareil exploitable en première ligne. Par conséquent, il est raisonnable de penser que l’Indonésie devra encore se reposer sur les appareils de génération 4++ pendant encore un certain temps à moins de faire l’acquisition d’appareils de 5ème génération à l’étranger.

Vu la configuration du pays et le conflit potentiel latent en mer de Chine du sud au sujet de la ZEE (Zone Economique Exclusive) disputée notamment entre la Chine et l’Indonésie; le besoin de disposer d’appareils modernes en nombre suffisant et rapidement va s’imposer si l’Indonésie veut protéger ses intérêts économiques. Enfin, le réarmement rapide de la PLAAF et de la PLANAF avec des appareils modernes de génération 4++ et 5 vont pousser Jakarta à réagir si elle veut rester crédible face aux menaces potentielles qui l’entoure. La commande de Su-35 est un bon indicateur en ce sens, il reste maintenant à voir si d’autres commandes suivront et si elles suivront rapidement.

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Pour plus de détails sur la composition de la TNI-AU, je vous renvoie chez nos excellents confrères d’AviationsMilitaires.net ainsi que sur le site Scramble.nl

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