[Actu] Le missile hypersonique 9-S-7760 Kinzhal
Dans le cadre de la présentation faite par le Président Russe, Vladimir Poutine, sur l’état de la nation et l’avenir de la Russie en date du 1er mars; plusieurs armements nouveaux ont été présentés. Si certains armements annoncés ne sont pas des nouveautés en soi, il est un armement qui consiste une surprise – et de taille – pour nombre d’observateurs. Il s’agit du missile hypersonique air-sol 9-S-7760 (faisant partie du système 9-A-7660) Kinzhal (appelé indûment Kh-47M2) emporté par le MiG-31K.
Développé dans la plus grande discrétion depuis plusieurs années, le nouveau missile Kinzhal serait basé sur le missile balistique 9M723 équipant le système Iskander-M. Le système 9K720 Iskander est un système balistique mobile à courte portée créé en vue de remplacer, notamment, le système OTR-21 Tochka; le 9K720 est un système polyvalent capable d’emporter pas moins de 7 types de missiles différents aux capacités et emports variés.

Il est évident que dans ce genre d’annonces à caractère politique; il est nécessaire de faire le tri entre les annonces et leur but, les réalités techniques et l’utilité d’un tel armement. Si il est clair que le Président Russe n’est pas l’ingénieur responsable de la création de cette nouvelle arme, il a un message politique à faire passer et par conséquent la mise en avant de cet arme au lieu d’une autre a une justification claire et précise. Surtout dans le contexte russe actuel avec des élections présidentielles approchant à grand pas.
Concrètement que savons-nous sur ce nouveau missile ainsi que sur ses missions potentielles?
Le premier élément qui est disponible concerne son vecteur; c’est une version modifiée du MiG-31 qui est envisagé en tant que vecteur du missile, cette version passant au standard MiG-31K. Bien que les missions air-sol ne soient pas du ressort de cet intercepteur « pur », le MiG-31 est un appareil capable de voler haut et vite tout en pouvant emporter une charge utile respectable. Ce sont bien évidemment des caractéristiques pertinentes pour augmenter les performances du missile. Il semble que le choix du MiG-31 comme vecteur soit guidé par le fait que ce dernier va servir de « premier étage de lancement » en accélérant le missile jusqu’à une certaine vitesse avant de procéder au largage du missile. Grâce à ceci l’autonomie du missile est fortement augmentée par rapport à sa version terrestre.

On peut se poser la question des modifications à apporter au système d’armes du MiG-31 pour permettre l’intégration du missile ainsi que du nombre d’appareils (les appareils employés par la Marine Russe notamment?) qui seront capables d’emporter le Kinzhal. En l’état actuel des choses, il n’y a qu’un prototype (le 592 Bleu) au standard MiG-31K qui a été documenté avec emport et tir du missile. A terme, on peut envisager l’intégration du 9-S-7760 sur le Su-34(M) ainsi que sur le Su-30SM en position ventrale entre les réacteurs au détriment des autres emports vu l’encombrement du missile; il reste à voir si les performances offertes par les deux appareils avec cet emport seront pertinentes ou si son déploiement restera limité au MiG-31K.
Deuxième élément sur le missile Kinzhal, il s’agirait donc d’un missile hypersonique (apte à une vitesse supérieure à Mach 5) dérivé du missile 9M723 équipant le système Iskander, vu qu’il est dérivé du missile 9M723 il s’agit donc d’un missile du type balistique: la vitesse hypersonique maximale étant atteinte durant de vol principale. Sur base des images disponibles, le Kinzhal ressemble fortement au 9M723 les principales différences visibles étant une section arrière redessinée et des ailettes de guidage modifiées pour permettre le montage du missile sous le MiG-31K.
Si on se base sur les performances du missiles 9M723; on peut en déduire que le nouveau missile Kinzhal dispose des caractéristiques suivantes:
- Longueur: 7,3m
- Masse: estimée entre 3,8 et 4,2 tonnes (en fonction de la charge offensive du missile)
- Capacité de manoeuvres évasives en phase finale du vol: 30G (?)
- Autonomie: 2.000 Km (en comparaison avec les 500 Km du 9M723)
- Vitesse maximale: Mach 10 (durant certaines phases de vol)
- Guidage inertiel pour la phase de vol
- Guidage final pouvant être soit optique (cible fixe) soit par radar (cible mobile)
- Charge offensive: conventionnelle ou nucléaire
Il est parfaitement évident que ces données sont à prendre avec toutes les réserves qui s’imposent en l’absence de communication officielle à ce sujet. Il se confirme par contre que le missile dispose d’un profil de vol du type balistique mais que sa phase finale de vol sera « complexe » pour leurrer les systèmes de défense anti-missiles balistiques (ABM).

Troisième élément, si on se base sur l’article d’Izvestiya, le développement de ce nouveau missile aurait débuté il y a 8 ans et l’emploi du 9M723 comme base de développement est le moyen trouvé pour diminuer les temps de mise au point et de tests de mises au point, le développement au départ d’une « feuille blanche » étant évalué pour durer entre 10 et 15 ans. On remarquera d’ailleurs le silence absolu observé par les responsables russes sur ce projet alors que ces derniers sont rarement avares de déclarations en tous genres.
Enfin il semble que la phase d’intégration et de tests soit achevée puisque le Président Russe a annoncé l’entrée en service du missile au sein du district militaire du sud le 1er décembre 2017.
On le voit, il reste beaucoup d’inconnues sur ce missile et sur son déploiement effectif, cependant il semble que la Russie ait réussi à déployer un nouveau missile dérivé d’un missile balistique existant en vue d’augmenter sa portée et sa mobilité de manière exponentielle. Si l’emploi du MiG-31 a de quoi laisser perplexe vu le caractère spécialisé de l’appareil dans les missions d’interception, les caractéristiques techniques offertes par ce dernier (charge offensive, vitesse, endurance, capacité de travail en groupe) permettent de disposer d’une arme redoutablement efficace notamment pour les vastes espaces à couvrir sur la façade Pacifique où les appareils sont peu nombreux et la superficie à couvrir tout simplement gigantesque.

Il s’agit donc d’une réponse très ciblée et claire de la part de la Russie au déploiement de systèmes de défense anti-missiles balistiques (ABM) ainsi qu’un moyen efficace de contrer les forces navales croissantes présentes dans l’Océan Pacifique. Reste maintenant à voir si les performances réelles du missile Kinzhal correspondent effectivement aux performances annoncées.
Les élections présidentielles qui se dérouleront sous peu en Russie entraînent dans leur sillage un cortège d’annonces toutes plus grandioses les unes que les autres par rapport à de nouveaux armements « révolutionnaires » permettant d’augmenter l’efficacité de la dissuasion russe ainsi que les réponses apportées à certaines nouvelles menaces (ou perçues comme telles). Cependant, ce genre d’annonces sont toujours à envisager avec une extrême réserve vu le caractère politique de celles-ci et la tendance à surestimer les capacités réelles des nouveaux systèmes présentés. Reste à voir si c’est le cas (ou non) pour le 9-S-7760…