[Actu] Perte d’un Su-25SM en Syrie
Actualité largement relayée par la presse; en date du 3 février, la force aérienne russe a enregistré la perte d’un Su-25SM lors d’une opération d’appui rapproché au-dessus de la ville d’Idlib dans le nord de la Syrie.
Outre la perte de l’appareil qui intervient durant un important regain de tension entre les factions en présence, l’armée russe doit également déplorer la perte du pilote qui bien qu’ayant pu s’éjecter a été soit abattu par les forces au sol soit aura fait sauter la grenade qu’il emportait avec lui. Les infos sur cette question ne sont pas précises et avouons-le n’ont guère d’intérêt, le résultat final restant identique.

Les vidéos disponibles sur Internet des dernières secondes du Su-25SM avant son crash permettent de voir plusieurs choses:
- Le pilote volait fort bas et donc à portée des MANPADS
- Aucun leurrage préventif n’a été effectué une fois l’appareil accroché par le missile
- Le pilote a effectué une manoeuvre évasive mais après l’impact
Le Su-25 concerné est un Su-25SM portant le numéro de Bort 06 Bleu, le numéro de registre RF-95846 ainsi que le numéro de production 10393. Ce dernier appartenait au 37 SAP de Gvardeyskoye et était piloté par le Major Roman Nikolaievich Filippov, ancien pilote de l’armée de l’air ukrainienne ayant rejoint les forces aériennes russes après l’annexion de la Crimée. Le Major Filippov a été élevé au rang de « Héros de la Russie » en date du 5 février.
Un peu de technique
Successeur lointain et moderne du célèbre Il-2 Shturmovik, le Sukhoï Su-25 Grach (Nom de code OTAN: Frogfoot) est un appareil conçu et pensé pour remplir les missions d’appui rapproché (CAS, Close Air Support) pour les troupes au sol. Découlant du prototype Sukhoï T-8 ayant effectué son premier vol le 22 février 1975, l’appareil fut mis en service au sein des unités soviétiques à partir de juillet 1981.
D’une conception rustique mais lourdement blindé, le Su-25 est un appareil conçu et pensé pour permettre un emploi dans des zones dangereuses en offrant à la fois une protection importante du pilote grâce à des blindages répartis autour du cockpit ainsi que des systèmes de pilotage démultipliés augmentant significativement les possibilités offertes au pilote de ramener l’appareil à demeure (ou dans une zone moins dangereuse) si ce dernier a subi de gros dommages.

Appareil subsonique disposant de deux turboréacteurs Tumansky R-195 bien espacés pour minimiser les pertes en cas de dommages sur un moteur, le Su-25 est avant tout conçu pour stationner sur une zone et non pour faire de la vitesse pure; cette dernière étant fixée à 975 Km/h. Il dispose de 10 points d’emports lui permettant d’emporter 4,4 tonnes d’armements (bombes lisses, bombes guidées, missiles, roquettes) ainsi que d’un canon fixe de 30 mm GSh-30-2 implanté sous le nez de l’appareil.

En tant qu’appareil assurant les missions d’appui rapproché, le Su-25 a été dès sa mise en service engagé en Afghanistan par l’Armée Soviétique où il subit des pertes importantes principalement du fait des missiles sol-air portables (MANPADS) FIM-92 Stinger livrés aux groupements rebelles locaux.
Si il est logique de voir des appareils assurant les missions d’appui rapproché être plus susceptibles de subir des dégâts/d’être détruits par ce type de menace, il semble que l’URSS ainsi que la Russie ont mis du temps à intégrer cette menace et à développer des moyens efficaces de les contrer.
La première option envisagée et employée fut, très logiquement, de faire voler les appareils plus haut pour les soustraire aux rayons d’action des MANPADS. Cependant, le Su-25 disposant de moyens de ciblages basiques, l’appui feu perdait sa principale qualité: une grande précision de tir.

La deuxième option envisagée et employée fut de conserver une altitude d’emploi basse et de « protéger » l’avion avec des systèmes de contre-mesures permettant de leurrer les tirs ennemis. Si certains systèmes permettaient de leurrer les missiles, il n’en va pas de même vis-à-vis des canons à tir rapide, et aux armes légères employées depuis le sol contre lesquelles il n’y a guère de protection si ce n’est un blindage conséquent et judicieusement placé sur l’appareil.
Cependant et en toute logique, pour pouvoir leurrer, il faut d’abord détecter: c’est là que nous allons voir le premier équipement installé sur le Su-25: le système d’alerte radar (Radar Warning Receiver) SPO-15 Beryoza. Ce système dont le développement débuta en 1969 avec une mise en service fin des années 70 pris la relève du système Sirena-3M employé sur le MiG-21.
Composé principalement de plusieurs antennes (dépendant de la zone à couvrir) et d’émetteurs couvrant les fréquences 4.45 – 10.35GHz, d’un écran d’information sur les menaces implanté dans le cockpit, d’une alimentation électrique dédiée et d’un ordinateur de gestion du système: le SPO-15 peut fonctionner soit de manière automatique, soit de manière sélective (priorité donné à un type de menace). La zone à couvrir par le système va dépendre de l’implantation des antennes; certains appareils soviétiques disposeront d’une couverture à 360° et d’autres se limiteront d’une couverture à 180° dans l’arc frontal et une simple indication gauche/droite dans les arcs latéraux et arrières.

C’est le SPO-15 qui va donc indiquer au pilote d’un Su-25 si il y a une menace, quelle est la nature de la menace et d’où elle provient; en sachant que le système cible en priorité les systèmes occidentaux qui étaient les principales menaces potentielles pour les appareils soviétiques.
Différentes versions du SPO-15 seront développées et la Russie produit toujours la version SPO-15LM de ce dernier qui se caractérise notamment par des performances plus grandes que la version d’origine ainsi que par le couplage des leurres avec la détection des menaces.
Nous arrivons donc au deuxième système de protection employé sur le Su-25: les leurres thermiques. Le Su-25 dispose de quatre (jusqu’à huit en option) lanceurs ASO-2V implantés à l’arrière de l’appareil et pouvant emporter 32 leurres thermiques de 26 mm. Comme indiqué ci-dessus, le pilote du Su-25 doit donc une fois que le système SPO-15 a détecté la menace effectuer le tir des contre-mesures en vue de neutraliser celle-ci.
De plus, le Su-25 est capable d’emporter le pod de brouillage SPS-141 Gvozdika augmentant sensiblement ses capacités d’auto-protection, au détriment d’un point d’emport d’armements d’où le fait que cette capacité fut peu exploitée.

La première modernisation du Su-25, le standard Su-25SM fut notamment conçue pour pallier en partie et pour un coût modique aux principaux défauts du Su-25. En tirant notamment les leçons de la guerre en Afghanistan et l’intervention en Tchétchénie. Dans le cadre de cette modernisation mise au point à la fin des années 2000: le système SPO-15 se fait remplacer par une variante plus moderne le L150 Pastel.
Ce dernier dispose des mêmes capacités de base que le SPO-15 sauf qu’il offre des possibilités d’emploi plus vastes et plus complètes; notamment la capacité de traiter en priorité certains types de cibles préprogrammés avant le vol dans le système ou alors de pouvoir assurer le guidage de missiles anti-radiation. Le système est bien évidemment couplé aux leurres embarquées (qui restent inchangées sur le Su-25SM), le tir de ces dernières étant guidé par le système L150 Pastel (le pilote dispose évidemment de la possibilité de le faire manuellement). Enfin, le Su-25SM reçoit les pods de brouillage MSP-410 Omul en extrémités des ailes, ces derniers offrant des fonctions similaires mais plus performantes que le SPS-141 du Su-25.

Dernière (?) modernisation en date, le standard Su-25SM3 est considéré comme étant la version « ultime » du Su-25. Le système d’auto-défense bien que déjà revalorisé partiellement avec le Su-25SM passe ici réellement à la vitesse supérieure avec le montage du système L-370K-25 Vitebsk. Ce système de protection et de brouillage intégré (qui reprend le L150-16M Pastel) offre enfin une protection importante au Su-25 que ne lui offrait pas les systèmes précédents (par rapport à certaines menaces tout du moins).
Le L-370K-25 est un système modulaire comprenant;
- L’unité de contrôle L-370-01
- Le module L-370-02-K25
- Le système d’alerte radar L150-16M
- Les capteurs d’alerte UV Zakhvat
- Les pods de brouillage L-370-3S
- De nouveaux lanceurs de leurres UV-26M
Comparativement à ses prédécesseurs, le Vitebsk est capable de prendre en charge des menaces de différents types tout en y apportant une réponse modulable en vue d’augmenter son efficacité; l’emploi de leurres de différents types est maintenant possible; chacune pouvant traiter un type de missile (guidage) différent.

Les pods de brouillage travaillent également sur un plus grand nombre de fréquences tandis que le Su-25SM3 dispose enfin d’un système MAWS (Missile Approach Warning System) moderne et efficace permettant de neutraliser les MANPADS les plus modernes. Il manquera cependant encore un système DIRCM (Directional InfraRed Counter Measures) que pour disposer de la protection « complète » qu’on est en droit d’attendre pour un appareils amené à évoluer dans un environnement aussi dangereux que les basses altitudes.
Cette modernisation est en cours d’évaluation depuis 2015 et les premiers Su-25SM3 ont été livrés aux forces aériennes russes fin 2017.
En conclusion
On le voit donc, l’URSS et après elle la Russie ont mis beaucoup trop de temps à considérer la mise en place de moyens de protections efficaces pour leurs pilotes de Su-25. Pourtant, au vu des altitudes auxquels ces derniers sont amenés à évoluer; la priorité devrait être de leur offrir une protection maximale.
Certes, les moyens n’ont pas toujours été disponibles pas plus que les technologies nécessaires pour y arriver mais à l’heure où la Russie dispose enfin de Su-25 bien protégés, il est des plus étonnant qu’elle emploie encore des appareils plus anciens et plus vulnérables pour aller frapper des zones réputées dangereuses. L’appui feu est certes une mission souvent considérée comme ingrate par les états-majors mais elle est toujours plus efficace et moins onéreuse qu’un volée de missiles Kalibr…
Bien entendu, il est facile de juger à distance et installé confortablement derrière un clavier d’ordinateur, cependant le pilote russe semble avoir également été surpris par le tir de missile ayant conduit à sa perte; l’absence de réaction de sa part alors que le tir de missile était déjà en cours indique que soit il n’était pas au courant de l’arrivée de ce dernier soit il n’a pas réagit avec la célérité qui s’impose. Quoiqu’il en soit, toute personne peut commettre des erreurs; il est simplement dommage que la technique n’ait pas été en mesure (alors qu’elle était disponible!) de rattraper celle-ci.
Espérons que la force aérienne russe comprenne – enfin?- la leçon durement apprise.