[Actu] Première sortie en mer pour l’Admiral Nakhimov (Projet 1144.2M)
Enfin! Après plus de vingt-cinq années passées depuis sa dernière sortie en mer, le croiseur lourd lance-missiles à propulsion nucléaire (TARKR / ТАРКР dans la classification russe) Admiral Nakhimov (Адмирал Нахимов) du Projet 1144.2 Orlan (code OTAN: Kirov) a repris la mer pour la première fois le 18 août 2025 après avoir subi une refonte lourde au chantier naval SevMash de Severodvinsk. Cette refonte qui a fait couler énormément d’encre à son sujet vu la durée, le coût ainsi que la pertinence des travaux s’inscrit dans le concept russe développé à l’aube des années 1990 de « un nouveau navire dans une ancienne coque » qui visait à palier les difficultés techniques d’une grande partie des chantiers navals passés dans le giron russe à produire des navires océaniques après la perte des chantiers navals de la Mer Noire (devenus la propriété de l’Ukraine) lors de la dissolution de l’URSS en 1991.

Véritables léviathans des mers avec leurs presque 26.000 tonnes de déplacement en charge et leur propulsion nucléaire, les croiseurs lance-missiles des Projets 1144 et 1144.2 Orlan (Орлан) sont les derniers représentants de la marine soviétique telle que rêvée par l’Amiral Sergueï Gueorguievitch Gorchkov (Сергей Георгиевич Горшков). Envisagés pour servir de réponse asymétrique à la problématique des GAN (Groupes AéroNavals) de l’US Navy, les croiseurs Orlan ont été conçus pour détecter, engager et détruire les porte-avions à grande distance: pour ce faire, les deux armements principaux embarqués sont le missile antinavire 3M45 (P-700) Granit ainsi que le système de défense antiaérien à longue portée S-300F qui doit permettre de créer une bulle antiaérienne au-dessus du navire et de son escorte. Le recours à la propulsion nucléaire, même si elle complexifie significativement le navire (taille, blindage, protections antiradiations) et par conséquent ses coûts de production et d’exploitation, doit permettre d’offrir une endurance (théorique) illimitée: pour une marine soviétique ne pouvant pas se reposer sur un ensemble de bases amies où faire relâche, le choix de cette propulsion faisait sens. A l’époque tout du moins.

La fin de l’URSS et l’effondrement économique qui s’ensuivit, la disparition (qui ne sera que temporaire) de la menace principale, la complexité inhérente des navires (découlant en bonne partie de sa propulsion nucléaire), le besoin de mobiliser des équipages pléthorique pour armer ses bâtiments ainsi que le manque d’installations d’entretien adaptées vont voir les trois croiseurs construits (Projet 1144: Admiral Ouchakov, Projet 1144.2: Admiral Lazarev et Admiral Nakhimov) être très rapidement arrêtés avant de passer en réserve: au même moment, la construction du quatrième et dernier bâtiment (Piotr Velikiy du Projet 1144.2) en cours depuis 1986 va être fortement ralentie avant de s’achever en 1998.

Ayant longtemps hésité sur le futur à donner à ces bâtiments (retrait de service ou modernisation), l’option de la modernisation avec transformation en navires polyvalents est finalement décidée et malgré plusieurs faux départs (l’Admiral Ouchakov ainsi que l’Admiral Lazarev ont été conservés pendant de longues années en vue d’être modernisés…pour finalement être retirés du service et/ou détruits), c’est finalement l’Admiral Nakhimov qui joue le rôle de cobaye en étant le premier croiseur du Projet 1144.2 qui entre en modernisation dès 2013 (malgré qu’il soit arrêté depuis 1997). Sa sortie de chantier le 18 août 2025 après un peu plus de dix années de travaux et son passage au standard modernisé Projet 1144.2M marque donc un moment historique dans la carrière de cette classe de bâtiments et ce même si de nombreuses questions restent en suspens par rapport à ce projet.
- L’Admiral Nakhimov, ex Kalinin: une carrière écourtée
Troisième navire et deuxième du Projet 1144.2 Orlan, le Kalinin (Калинин) est mis sur cale le 17 mai 1983 au chantier naval de la Baltique (anciennement chantier naval 189) sous le numéro de construction 803 avant d’être lancé le 26 avril 1986 et finalement être admis au service actif en date du 30 décembre 1988. Affecté à la Flotte du Nord et basé à Severomorsk, il change de nom le 22 avril 1992 pour devenir l’Admiral Nakhimov (Адмирал Нахимов) en hommage à l’Amiral Pavel Stepanovitch Nakhimov (Павел Степанович Нахимов) qui remplace Mikhail Ivanovich Kalinin (Михаил Иванович Калинин), politicien bolchévique membre du Politburo et décédé en 1946 dont le nom de baptême ne convenait plus – fort logiquement, vu le contexte de l’époque – à la jeune Russie post-communiste.

La carrière de l’Admiral Nakhimov va être des plus brève puisqu’il est placé en réserve (pour des raisons budgétaires) et transféré à Severodvinsk (chantier naval SevMash) en juillet 1997, soit neuf ans à peine après son admission au service, dans le but de procéder à un carénage et des réparations sur le bâtiment: ce transfert ressemblant très fortement à un enterrement de première classe vu la situation financière russe de l’époque. Contrairement aux autres navires de cette classe: la décision est prise (et budgétisée, élément important!) en 2006 de le remettre en service après lui avoir fait bénéficier d’une modernisation en profondeur (selon le concept de « un nouveau navire dans une ancienne coque« , concept qui sera appliqué à d’autres classes de navires et sous-marins avec plus ou moins de succès) portant sur le remplacement de l’ensemble des armements et équipements embarqués. C’est le chantier naval SevMash de Severodvinsk, spécialiste des travaux sur les installations nucléaires, qui est chargé de la réalisation des travaux; le contrat de modernisation étant signé le 13 juin 2013.

En théorie, la vie opérationnelle de l’Admiral Nakhimov doit être prolongée de 35 à 40 années supplémentaires après sa modernisation; cette durée de vie s’expliquant notamment par la très faible utilisation du navire durant la première partie de sa carrière ainsi que l’ampleur des travaux réalisés sur ce dernier. Pour les amateurs de détails, on peut signaler qu’au cours de sa carrière, l’Admiral Nakhimov a porté les numéros de coque suivants; 180 (1989), 064 (??), 085 (1991) et 080, ce numéro étant toujours d’actualité après la sortie de chantier du navire.
Affecté à la Flotte du Nord durant la première partie de sa vie opérationnelle, il est des plus probable que l’Admiral Nakhimov rejoindra, à nouveau, les effectifs de celle-ci à la fin de ses essais constructeurs et étatiques: prenant ainsi la place du croiseur Piotr Velikiy (Пётр Великий) du Projet 1144.2 dont l’avenir est pour le moins incertain malgré le fait que ce dernier soit plus récent (admission au service le 18 avril 1998) que l’Admiral Nakhimov.
- Le Projet 1144.2M et ce que l’on en sait
La modernisation de l’Admiral Nakhimov est conçue comme un travail de fond qui vise à transformer radicalement le navire: à la fin des travaux, l’Admiral Nakhimov passe au standard Projet 1144.2M qui voit le navire évoluer d’une mission principalement orientée vers la destruction des porte-avions ennemis et de leur escorte avec emploi du missiles antinavires 3M45 Granit, vers un navire polyvalent apte à déployer un nombre élevé de missiles Oniks, Kalibr et Tsirkon faisant de ce dernier un « quasi » navire-arsenal apte à frapper au sol et en mer tout en disposant d’une capacité de lutte antiaérienne à courte/moyenne et longue portée conséquente. Les travaux à réaliser, de très grande ampleur, vont donc porter sur l’intégralité du bâtiment: au final, il ne reste plus grand chose « d’origine » à bord du navire une fois sa sortie de chantier naval.

La réputation de solidité des constructions soviétiques étant très loin d’être usurpée, la coque (en acier de nuance AK-27) et les superstructures (en alliage aluminium/magnésium AMg-6) sont dans un état globalement bon et ne vont nécessiter que des travaux d’entretien normaux pour être remis en état. Conçus pour être déployés dans toutes les mers et océans jouxtant les frontières de l’ex-URSS sur de longues périodes de temps sans nécessairement bénéficier des carénages nécessaires: les ingénieurs ayant dessiné et calculé la coque des Orlan ont dû intégrer ces contraintes dans leurs calculs, avec comme conséquence que les navires de cette classe disposent d’une base solide qui semble avoir relativement bien résistée aux longues années d’inactivité ainsi qu’au manque d’entretien récurrent durant la décennie 1990-2000. A l’inverse, les armements et capteurs embarqués ont très rapidement dépassé le stade de l’obsolescence nécessitant donc leur remplacement: un lourd travail de refonte des structures internes va devoir être entrepris en vue d’installer les nouveaux armements. Sur base de vidéos disponibles sur Internet (publiées entre 2017 et 2020) on peut également constater que l’ensemble de l’isolation des compartiments du navire ainsi que le câblage et la tuyauterie sont intégralement renouvelés.

Au vu de ce qui précède, les travaux effectués sur le navire au niveau des parties externes de la coque vont être « relativement » limités et se sont déroulé assez rapidement (en comparaison avec la durée totale du projet): ponçage de la coque, réparations des zones endommagées et/ou attaquées par la rouille, application d’un primer antirouille et antifouling, la peinture finale de la coque ayant lieu à partir de l’été 2019 et achevée au début 2020 peu de temps avant que le navire ne sorte du bassin de SevMash.
La chaîne cinématique n’a pas connu d’évolutions fondamentales dans le cadre de la modernisation; l’architecture propulsive reprise sous le type CONAS (COmbined Nuclear And Steam) est composée de deux réacteurs nucléaires à eau pressurisé du type KN-3 (235U fortement enrichi à environ 70%) développant un total de 300 MWt (2 x 150) auxquels s’ajoutent deux turbines vapeur GTZA-653 de 70.000 Cv et enfin deux chaudières auxiliaires KVG-2 au mazout le tout entraînant deux arbres disposant chacun d’une hélice (à cinq pales). Les premiers projets de modernisation tablaient sur le remplacement des réacteurs par un modèle plus récent; il n’en sera finalement rien puisque ceux-ci seront conservés, une révision en profondeur des enceintes et un renouvellement de la protection radiologique sont effectués tandis que les cœurs (nécessitant une recharge au bout de 10 à 12 ans d’utilisation) sont ravitaillés en 235U neuf. A l’inverse, les deux turbines vapeur GTZA-653 d’origine sont remplacées par des modèles neufs provenant de Kirov-Energomash; l’entièreté des équipements de pilotage et de sécurité de l’ensemble propulsif sont revus et remplacés. Enfin, au niveau des parties basses de la coque ainsi que de la propulsion: les lignes d’arbres et les hélices ont été démontées, réparées et rééquilibrées avant remontage sur le navire. Cette étape se terminant au début de l’année 2019.

Le gros du travail et la partie la plus visible porte sur le remplacement des missiles antinavires 3M45 (P-700) Granit installés dans vingt silos inclinés du type SM-233 positionnés en plage avant du navire sous le pont. Armement principal des Orlan, le 3M45 Granit est un missile aux dimensions imposantes d’une longueur de 10 m, d’un diamètre de 0,85 m et d’une masse de 7 tonnes. Les ingénieurs ont fait le choix de remplacer l’intégralité du système Granit par dix nouveaux modules de huit cellules verticales soit un total de quatre-vingt cellules de lancement verticales du type UKSK 3S14-11442M (le suffixe 11442M faisant référence au standard de modernisation). Ces dernières sont capables d’emporter des missiles 3M55 Oniks, 3M14 Kalibr ou 3M22 Tsirkon: le panachage potentiel offert par l’installation des cellules verticales UKSK permet donc de transformer en profondeur le rôle de l’Admiral Nakhimov. Ce dernier passe du stade de navire orienté frappe antinavires de surface au stade de navire polyvalent pouvant effectuer des frappes sur mer et sur terre. Le montage des cellules verticales s’accompagne également de l’installation du système de rechargement en missiles, le SM-456-22350 ainsi que du système de tir lié: le UKSUR 3R-14H-11442M.

Autre système qui est remplacé: le S-300F Fort. L’Admiral Nakhimov (à l’instar de ses prédécesseurs) a été équipé du système de défense anti-aérienne à longue portée S-300F (variante navalisée du S-300P) tandis que le dernier navire produit, le Piotr Velikiy dispose d’un ensemble hybride composé pour moitié du système S-300F et pour moitié du système S-300FM. Les missiles 5V55RM employés par le S-300F sont stockés dans douze lanceurs rotatifs B-203 implantés sous le pont en plage avant du navire devant l’emplacement occupé par les cellules de lancement verticales UKSK. La dotation maximale est composée de nonante-six missiles 5V55RM (douze silos contenant chacun respectivement huit missiles): deux radars rotatifs 3R41 Volna (Top Dome) implantés à l’avant et à l’arrière du navire assurent l’acquisition des cibles et le guidage du missile (nécessitant de pointer le radar vers la cible), la distance d’engagement minimale étant de 5 Km et maximale de 75 Km. Le Piotr Velikiy se distingue en emportant (pour moitié) le système S-300FM qui embarque le missile 48N6M à guidage semi-actif et à la portée accrue à 150 Km.

Il est utile de préciser que le missile 48N6M déployé par le S-300FM présente un diamètre légèrement accru par rapport au 5V55RM, ce qui a poussé les ingénieurs russes à développer un nouveau container de lancement rotatif: le B-203A. Dans le cadre de la modernisation, des travaux lourds ont été effectués au niveau des silos de missiles du S-300F. Bien que les Russes n’ont pas précisé l’ampleur et le contenu des travaux en question: il est un fait que le missile 5V55RM étant largement obsolète, le remplacement de ce dernier s’imposait. Deux options sont donc possibles: soit les russes ont modernisé l’ensemble pour le faire passer a minima au standard S-300FM (peu probable) avec de nouveaux silos et emport du missile 48N6M soit ils ont fait passer l’ensemble à un standard navalisé proche du S-400 (plus probable) avec nouveaux silos et embarquant en outre le missile à très longue portée 40N6 (distance d’engagement maximale théorique du système 380 Km). Néanmoins, la faiblesse principale du système à longue portée n’a pas été gommée: le recours à des silos de lancement rotatifs en lieu et place de cellules verticales fixes voit le système disposer de temps de réaction plus lent vu le besoin de repositionner le silo pour procéder au tir d’un missile.

Sur les photos publiées durant la modernisation de l’Admiral Nakhimov il a été possible de voir que le compartiment en plage avant ainsi que les compartiments latéraux arrières du navire abritant les silos du système 3K95 Kinzhal ont été entièrement démontés. Le système Poliment-Redut de lutte anti-aérienne à moyenne portée, version navalisée du système terrestre S-350 et déployant le missile navalisé 9M96E d’une portée maximale de 60 Km venant se substituer au Kinzhal. A noter que le Kinzhal avait comme gros point faible d’offrir des temps de réponse beaucoup trop lents par rapport aux menaces: le recours au Poliment-Redut doit venir gommer ce défaut.
Pour la protection rapprochée du navire, l’Admiral Nakhimov dispose de quatre lanceurs du système 4K33 Osa-M (ces derniers sont absents du Piotr Velikiy) ainsi que de six tourelles du système 3M87 Kashtan (Close-In Weapon System). Alors que les premières informations tablaient sur un enlèvement du système Osa-M et un remplacement du Kashtan par une version modernisée; le Kashtan-M. Il n’en sera finalement rien puisque dans le cadre de la modernisation, c’est le système Pantsir-M (variante navalisée du Pantsir-S1 terrestre) combinant un ensemble de huit tubes lance-missiles (dotation totale de quarante missiles) et deux canons GSh-6-30 (de 30 mm) à tir rapide qui vient prendre la relève des Kashtan. L’Admiral Nakhimov dispose de six (2×3) tourelles installées latéralement et réparties équitablement de chaque côté du navire; celles-ci offrent une bulle de protection à courte et moyenne distance couvrant un arc de cercle « presque » complet autour du navire.

Enfin le canon double AK-130 (deux tubes de 130 mm) implanté en plage arrière du bâtiment près du hangar à hélicoptères a été enlevé et est remplacé par un modèle plus récent de canon A-192M (un tube de 130 mm) installé en même position. A noter que l’AK-130, vu la complexité (double tube) et la disparition des producteurs de certains de ses composants peu après la fin de l’URSS, n’a été que très peu employé: la Russie n’étant pas en mesure de produire les pièces de remplacement en vue de maintenir ces derniers en fonctionnement. Leur remplacement par un modèle fonctionnel, moins complexe d’un point de vue technique et moins encombrant sur un navire prend tout son sens. On remarque d’ailleurs que l’emploi du canon A-192M sur l’Admiral Nakhimov voit la Marine Russe uniformiser ses équipements: ce modèle étant également présent sur les frégates du Projet 22350 Admiral Gorshkov (Адмирал Горшков).
Un nouveau système de proximité prévu pour la lutte anti sous-marins et anti-torpilles va être installé: le Paket-NK. Le système est composé d’un sonar de désignation de cibles (Paket-AE), d’un système de contrôle (Paket-E) ainsi que de deux lanceurs rotatifs de torpilles placés en containers. Le système peut fonctionner soit de manière automatique en étant intégré dans le système de défense du navire soit indépendamment. Le système, monté à raison de deux lanceurs quadruples remplacera les 10 tubes lance-torpilles de 533 mm.
Pour mettre en œuvre les armements cités ci-dessus, la suite de radars et de capteurs embarqués évolue en profondeur: on peut néanmoins regretter que, vu l’ampleur des travaux effectués sur le navire ainsi que les délais d’immobilisation, les ingénieurs russes n’aient pas fait le choix d’intégrer directement des antennes plates sur la mâture principale un peu à l’image des mâtures des frégates du Projet 22350 Admiral Gorshkov et corvettes du Projet 20380 Steregushchiy. Est-ce pour des raisons techniques, des raisons financières ou autres que ce choix n’a pas été effectué? Il n’est pas possible en l’état actuel des choses de répondre à cette question.

Les deux radars principaux du navire composant le système MR-800 vont être remplacés. Le radar MR-600 Voshkod situé sur le mât principal est remplacé par le nouveau radar MR-650 Podberezovik produit par Salyut. Ce radar comporte une antenne plate de grande dimension et est prévu pour assurer la détection des cibles aériennes ainsi que de surface et il offre une plus grande résistance au brouillage que le système embarqué actuel. D’un point de vue des performances, ce radar peut couvrir une zone de 500 Km et assurer la détection d’un avion à 300 Km et d’un missile à 55 Km (ces valeurs varient bien évidemment en fonction de la taille de l’objet à détecter). La distance de détection minimale est de 5 Km. L’antenne, rotative, pèse 4,7 tonnes et implantée au sommet du mât principal. Sur base d’images publiées par le chantier naval SevMash lors de l’admission au service d’un sous-marin du Projet 955A Boreï-A en 2022, il fut possible de voir que le radar MR-650 était déjà installé sur l’Admiral Nakhimov.
Le radar MR-710 Fregat est remplacé par une variante plus moderne; le MR-710 Fregat M2. Ce radar, également produit par Salyut, est composé de deux antennes plates légèrement désaxées montées dos-à-dos sur un support rotatif commun, qui sert à la détection des cibles aériennes et de surface. Ce radar offre une résistance accrue au brouillage par rapport à son prédécesseur et peut couvrir une zone de 300 Km; il est capable de détecter un avion à maximum 230 Km et un missile à 50 Km, sa capacité de détection minimale étant de 2 Km. En ce qui concerne les radars de navigation; les trois radars MR-212 sont remplacés par des radars MR-231 ainsi que les systèmes de navigation MR-232-3 liés. On peut également voir la présence d’au-moins deux radars 5P-30N2 Fregat MA-4 (avec un léger doute sur le modèle exact) positionnés latéralement sur le mât principal.

La grande inconnue porte sur les radars dédiés au système antiaérien à longue portée « S-300F » (en l’absence de détails sur la version post-modernisation, autant se référer à l’ancienne dénomination): deux nouveaux radars font leur apparition en lieu et place des 3R41 Volna du S-300F. Implantés au-dessus de la passerelle ainsi qu’au-dessus du deuxième bloc de superstructures vers l’arrière du bâtiment, ces deux radars seraient (conditionnel de rigueur) des N1S, version navalisée du radar 92N6 (Grave Stone) fonctionnant en bande I/J et assurant les fonctions de détection, suivi et guidage des missiles antiaériens et provenant du S-400 (ce qui, au passage, donnerait une « première » idée sur le système antiaérien à longue portée embarqué).
Les informations obtenues par les radars et capteurs sont transmises au nouveau système Poyma-E; ce système de traitement des données radar est du type modulaire et peut aligner un nombre variable de consoles (allant de deux à neuf) qui permettent aux opérateurs d’assurer à la fois le suivi des cibles aériennes et maritimes avec une capacité de traitement allant jusqu’à deux cents cibles simultanément. Le système Poyma-E assure l’engagement des cibles, leur suivi et transmet les données de tirs aux systèmes d’armes; il permet aux opérateurs de disposer d’une image tactique complète pour déterminer le meilleur système d’armes à employer. Le système de combat intégré répond au nom de Lesorub-E et intègre le Poyma-E, l’architecture de l’ensemble étant inconnue pour l’instant.
Au niveau de la lutte anti sous-marine, plusieurs systèmes neufs apparaissent; installation du système ISPN-M1 Minotaur, sonar actif/passif d’une portée maximale de 74 Km en remplacement du sonar MGK-355 Polinom: le Minotaur est composé d’un sonar implanté dans le bulbe d’étrave et complété par un sonar à immersion variable positionné à la poupe du bâtiment. A ce dernier s’ajoute le sonar MG-757.3 Anapa-ME servant à assurer la lutte contre les hommes grenouilles et les petites unités sous-marines.
D’autres systèmes embarqués sont également remplacés, notamment les systèmes de protection, les lance-grenades et les contre-mesures mais vu l’absence d’informations sur ces points plus précis, il faudra attendre la sortie du bâtiment (et des photos plus détaillées) pour pouvoir compléter les informations déjà disponibles. Il est un fait que cet aperçu n’est aucunement exhaustif: l’Admiral Nakhimov a été en travaux de manière intensive pendant près de dix ans, la Marine Russe (VMF) a réclamé des changements d’équipements à de nombreuses reprises durant la durée de ces derniers, en conséquence pourvoir déterminer avec précision le contenu des travaux relève de la gageure: il est avant tout nécessaire de se baser sur les images disponibles et les informations qui finiront par filtrer durant les essais du bâtiment.
- Le calendrier des travaux: le festival du « décalage vers la droite »!
Bien que présent au chantier naval SevMash depuis 1997 et malgré un premier calendrier ambitieux pour le retour au service de ce dernier, le navire ne va être réellement pris en charge par SevMash qu’à partir du 14 août 1999. Néanmoins, il faudra attendre encore presque dix années (!) durant lesquelles rien (ou presque) ne va se passer sur l’Admiral Nakhimov. Les projets, encore très vagues à l’époque, tablaient sur un passage à l’ère digitale du bâtiment et au remplacement de ses armements… sans détailler plus.

Un timide début des travaux va intervenir en septembre 2008 avec le déchargement du combustible nucléaire des réacteurs. Cependant, il faudra encore attendre quatre années supplémentaires pour voir le projet technique de la modernisation être préparé et les travaux préparatoires entamés. Mais c’est la date du 13 juin 2013 qui sert de point de départ officiel des travaux de l’Admiral Nakhimov avec la signature du contrat de modernisation entre SevMash et le Ministère de la Défense; le calendrier à l’époque tablait sur un retour au service à l’horizon 2018. Ce calendrier, comme on va le voir, va se révéler excessivement optimiste.
Une fois le contrat signé, les travaux vont débuter assez rapidement; en décembre 2013, les techniciens débutèrent l’état des lieux approfondi du navire pour établir l’ampleur des travaux à réaliser tandis qu’en janvier 2014 furent lancés les travaux préparatoires permettant de faire entrer le bâtiment dans la piscine de SevMash où les travaux vont se dérouler. Pas moins de six pontons vont être nécessaires pour assurer la flottabilité et un passage précis du bâtiment à travers le portail d’entrée de la piscine du chantier naval SevMash; le navire étant positionné dans la piscine devant l’atelier numéro 50, cette opération est effective le 24 octobre 2014. Si on souhaite être précis dans les calendriers et l’estimation des délais, on peut considérer que ce positionnement dans le bassin de SevMash marque le début effectif des travaux sur le navire.

Les travaux de démantèlement des structures internes vont démarrer au début de l’année 2015, le chantier naval SevMash annonçant même le 2 novembre 2015 que l’enlèvement des anciens équipements était achevé; néanmoins il faudra attendre le mois de février 2016 pour voir la fin des travaux d’évaluation de l’état de la coque permettant d’entamer la réparation et remise en état de celle-ci. Comme de coutume avec la construction navale russe, le calendrier des travaux va être modifié à plusieurs reprises avec les désormais célèbres (en Russie) « décalages vers la droite » indiquant un (ou plusieurs) retard(s) dans l’exécution de travaux. Bien que la cause des retards ne soit pas détaillée, sur base de sources russes, il apparaît que des difficultés ont été rencontrées dans le remplacement des chaudières vapeurs produites par Kirov-Energomash ce qui s’est traduit par un retard d’au-moins deux années. Ceci n’a pas empêché les travaux à la coque et aux hélices d’être achevés en 2019; la coque étant intégralement repeinte et les hélices (et arbres) rééquilibrées et remises à cette période.

Néanmoins, le 19 août 2020 a été une étape importante pour l’Admiral Nakhimov, la sortie du bassin de SevMash (où il était entré six ans plus tôt) est réalisée et le navire positionné sur son quai d’achèvement où vont se dérouler la deuxième étape des travaux de modernisation. L’achèvement des travaux est d’abord annoncée pour la fin de l’année 2023: la recharge des réacteurs en combustible ayant débuté en janvier 2023 tandis que l’équipage (en cours de constitution et provenant pour partie du Piotr Velikiy) prenant progressivement ses quartiers dans le navire dans le courant de l’année 2023 rendait cette date d’achèvement plausible. Néanmoins, ce calendrier était encore un peu trop ambitieux puisqu’il va encore s’écouler plus d’une année supplémentaire pour voir les premières images datées de décembre 2024 montrant l’Admiral Nakhimov sous tension indiquant que le système électrique du bâtiment est fonctionnel et illustrant l’enlèvement des échafaudages entourant les superstructures, l’étape suivante étant le passage au stand de démagnétisation de SevMash en mai 2025. Finalement, l’Admiral Nakhimov effectue sa première sortie en mer le 18 août 2025: cette sortie n’est qu’une première étape dans une longue campagne d’essais qui va se subdiviser en deux, une première phase avec les essais usines suivis par la deuxième phase avec les essais étatiques qui doivent culminer par la levée du drapeau et son retour au service au sein des VMF.

Ainsi, SI aucun retard ne vient affecter le navire durant sa campagne d’essais, son retour au service n’est pas à espérer avant – au bas mot – la fin de l’année 2026 (donc avec huit années de retard sur le calendrier originel). L’ampleur des travaux est telle qu’il est impossible en l’état actuel des choses de disposer d’un navire actif en quelques mois: l’apprentissage du fonctionnement des équipements ainsi que la correction des inévitables défauts qui apparaîtront vont nécessiter au bas mot encore une année d’essais et de travaux correctifs.
Au final (?), si on prend la peine de se pencher sur le calendrier de l’ensemble des travaux: on peut donc voir que la modernisation a nécessité onze ans (2014-2025) de travaux avec un navire qui aura été immobilisé chez SevMash pendant vingt-six années (1999-2025)!
- Eléphant blanc ou projet pertinent?
La première sortie en mer de l’Admiral Nakhimov ne peut empêcher de soulever certaines questions et interrogations. Est-ce qu’un projet de cette ampleur se justifiait pour une Marine dont les besoins en matière de renouvellement sont pour le moins conséquents, surtout eu égard aux difficultés connues par sa construction navale? Est-ce que les sommes investies (on parle de deux cents milliards de Roubles mobilisés par ce projet, somme qui est à envisager sur la durée totale des travaux) se justifient? Eût-il été préférable de mobiliser cette somme dans la construction de frégates Admiral Gorshkov supplémentaires? Est-ce que l’exploitation d’un tel navire se justifie encore en 2025? Etc…
Il est un fait avéré et reconnu que la construction navale russe est notoirement sous-performante en termes de délais de construction et de capacité de production. Exception faite de la construction sous-marine qui « ne se porte pas trop mal« , la construction de navires de surface est clairement inefficace: le temps moyen de production d’une frégate du Projet 22350 Admiral Gorshkov (d’un déplacement moyen de cinq-milles tonnes) s’établit à dix ans. Le chantier naval Severnaya Verf n’ayant réussit à produire que cinq (!) frégates du Projet 22350 dans un délai de dix-neuf ans (délai écoulé depuis la mise sur cale de l’unité tête de série). Or les unités océaniques de la Marine Russe (VMF) sont proches de la retraite: les destroyers du Projet 1155 Fregat (code OTAN: Oudaloï) atteignent l’âge moyen vénérable de trente-huit ans et le projet de refonte de ces derniers présente un tableau pour le moins contrasté, avançant plus ou moins rapidement dans la Flotte du Pacifique, le programme patine très fortement au sein de la Flotte du Nord. La situation au niveau des croiseurs toujours en service n’est guère plus reluisante: les deux croiseurs du Projet 1164 Atlant (code OTAN: Slava) sont en fin de carrière, disponible en nombre réduit, globalement toujours en état d’origine et n’offrent que des performances limitées, tandis que le croiseur Piotr Velikiy du Projet 1144.2 Orlan est en attente d’un carénage et éventuellement d’une modernisation en profondeur sur le même modèle que l’Admiral Nakhimov… Les prévisions originelles tablaient sur une prise en charge de ce dernier à la sortie de l’Admiral Nakhimov mais le délais des travaux semble avoir douché les espoirs russes. A noter que le retrait de service du Piotr Velikiy semble même avoir été discuté il y a quelques mois; sans décision ferme sur son sort… pour l’instant.

Reste donc la question fondamentale: est-ce que l’Admiral Nakhimov va devenir un énième éléphant blanc de la Marine Russe? Si il est un fait qu’il offre des performances pour le moins pertinente avec une capacité de croisière au long cours des plus utile ainsi qu’une capacité offensive sans égale au sein de la Marine Russe: avec quatre-vingts cellules verticales UKSK embarquée, soit l’équivalent de cinq frégates du Projet 22350 (bref, le nombre de frégates produites en dix-neuf années!), ainsi qu’un système de défense antiaérien à (très) longue portée, vu de la sorte, on peut penser que « bien vu les gars, ça valait l’investissement« . A l’inverse SI le Piotr Velikiy venait à être retiré du service prématurément (malgré qu’il soit plus jeune que son grand frère, bien qu’ayant été exploité plus intensivement): l’Admiral Nakhimov serait le seul navire de sa classe en service… ce qui, indirectement, réduirait son utilité opérationnelle: le navire remplirait plus un rôle de « showing the flag » que de protection des lignes de communications navales russes ou de la flotte de sous-marins stratégiques, n’étant disponible pour aller en mer qu’à intervalles irréguliers (dépendant des cycles de carénages et de ravitaillements).
Bref, ça ferait beaucoup d’argent (qui eût été plus utile par ailleurs) investi dans un projet à l’utilité des plus discutable; même si son existence permet à la Marine Russe d’aligner un navire aux capacités océaniques conséquentes, lui offrant la possibilité de conserver un embryon de capacité d’action aux long cours qui est loin des ambitions de l’époque soviétique mais plus en phase avec les moyens et besoins actuels des forces armées russes dans leur ensemble. Vu la capacité de production de Severnaya Verf, seul chantier naval russe qui produit actuellement des « navires océaniques » (les frégates de 1er rang du Projet 22350): il est utopique de penser que l’argent mobilisé dans la modernisation de l’Admiral Nakhimov aurait permis de produire plus de frégates en échange, le chantier est déjà à capacité maximale et travaille avec les délais de production qu’on luit connaît. De commander plus de frégates, certainement: mais quel intérêt de passer commande si la capacité de l’outil industriel ne suit pas le nombre de navires en commande? A l’inverse, la modernisation du chantier naval maintes fois retardée, aurait pu être accélérée et permettre la mise sur cale d’une première unité des futurs destroyers du Projet 22350M « Super-Gorshkov » plus tôt sans pour autant bénéficier d’une première unité en service en 2025. Bref, beaucoup de « si » et de « théories » mais il est un fait qu’avec ou sans les moyens mobilisés pour la modernisation de l’Admiral Nakhimov: l’état général de la flotte océanique russe de surface serait identiquement la même aujourd’hui.
Enfin au vu de la « révolution » (déjà envisagée mais qui se généralise) du drone naval et de la menace que font peser ces derniers pour les navires sur tous les océans et mers du globe; la question de la pertinence du déploiement d’un navire de grande dimension constituant une cible pour le moins alléchante se pose et se discute. Néanmoins, l’emport d’un nombre élevé de capteurs et de systèmes défensifs que permet la taille conséquente d’un tel navire peut également être une qualité en soi augmentant les chances de destruction des drones en question…à condition que ces systèmes soient fonctionnels, pas comme sur le croiseur Moskva (Projet 1164).
Bref, tout va dépendre de la manière dont on envisage de regarder le verre: à moitié vide ou à moitié plein? L’avenir nous dira si les Russes ont eu raison ou non d’investir autant dans cette modernisation et si la suite logique de celle-ci se concrétisera ou non.

