[Actu] Les brise-glaces de la classe LK-60Ya (Izd.22220)

C’est le chantier naval de la Baltique qui l’a annoncé en date du 14 mai, le brise-glace à propulsion nucléaire Yakutia, troisième navire de série et par conséquent quatrième navire de la classe Arktika (Izd.22220) sera mis sur cale en date du 26 mai. Egalement repris sous le type LK-60Ya (ЛедоКол мощностью 60 МВт с Ядерной силовой установкой / Brise-glace nucléaire avec une puissance de 60 MWt); cette nouvelle classe de brise-glaces vise à renouveler la flotte de brise-glaces à propulsion nucléaire exploités par Rosatom sous le nom de Rosatomflot et constitués de navires hérités de l’époque soviétique.

La flotte de brise-glaces nucléaires russes est exploitée pour assurer la navigabilité de la Route (maritime) du Nord (Северный морской путь Севморпуть) qui est, selon la législation russe, la route maritime commerciale qui relie l’archipel russe de la Nouvelle-Zemble (Новая Земля / Novaïa Zemlia) au détroit de Béring dans les eaux arctiques et traversant la ZEE (Zone Economique Exclusive) russe. Cette route donne accès à l’Est aux principaux ports asiatiques et elle débouche à l’Ouest sur l’Atlantique; ce faisant, elle se pose en alternative plus directe au passage via le Canal de Suez pour le trafic maritime mondial.

Cependant tout qui se remémore encore un peu ses cours de géographie sait que la zone située au nord du Cercle Polaire Arctique est soumises à de sévères conditions climatiques avec des périodes de gel intenses. Assurer la navigation des navires dans cette zone implique de disposer de moyens adaptés aptes à traverser les zones prises par la glace de manière ininterrompue durant plusieurs mois bien que les conditions soient moins rudes qu’il y a quelques années, réchauffement climatique oblige.

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Le 50 Let Pobedy, dernier brise-glace nucléaire russe de la classe Arktika (Izd.10521), première du nom, admis au service en 2007. Image@D.Kiselev

Les travaux préliminaires pour une nouvelle classe de brise-glaces nucléaires ont été lancés dans le courant des années 2000 en vue d’assurer le renouvellement de la flotte qui était encore majoritairement constituée des navires de la classe Arktika (Izd.10520 et Izd.10521) produits à raison de six unités entre 1972 et 2007 (!) dont il ne reste actuellement que deux bâtiments en service, cette classe ayant été conçue pour une durée de vie de 30 ans. A ces derniers s’ajoutent les deux brise-glaces de la classe Taymyr (Izd.10580-1 et Izd.10580-2) qui approchent également de leur fin de carrière (2022, limite des 200.000 heures du réacteur) et enfin le Cargo brise-glaces à propulsion nucléaire Sevmorput (Izd.10081); la flotte actuellement en service est donc limitée à cinq bâtiments qui devraient atteindre leur fin de carrière entre 2020 et 2025 au plus tard.

Sur base des expériences acquises dans l’exploitation des Arktika et Taymyr par rapport aux conditions climatiques rencontrées ainsi que les conditions pouvant être rencontrées, Rosatomflot établit un cahier des charges en vue de créer une nouvelle classe de brise-glaces avec comme conditions principales:

  • Brise-glaces universels pouvant être employés en haute mer ou en rivières
  • Capacité de pénétration de glace de 2,8 m (vs 2,25 m pour les Arktika)
  • Classification des navires КМ✪Icebreaker 9 (classification RMRS)
  • Diminution des coûts d’exploitation
  • Durée de vie de 40 ans (vs 30 ans pour les Arktika) ou 320.000 heures pour le réacteur

Reprise sous la classification LK-60Ya (ou le code projet Izd.22220), cette nouvelle classe de brise-glaces doit bénéficier des dernières technologies notamment en ce qui concerne le réacteur et la sécurité liée que ce soit au niveau de l’exploitation, de la mise en place/enlèvement ainsi que du ravitaillement de ce dernier. C’est le bureau d’étude TsKB Iceberg (ЦКБ Айсберг) déjà chargé de dessiner et construire les classes antérieures de brise-glaces qui va être chargé de dessiner la nouvelle classe, le bureau d’études OKBM Afrikantov dessinant les nouveaux réacteurs qui sont produits par ZiO Podolskmash, les turbo-génératrices sont issues de Kirov-Energomash en collaboration avec Turboatom de Kharkiv:  la construction des navires se déroule au sein du chantier naval de la Baltique (Балтийский завод) de Saint-Pétersbourg.

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En vue d’offrir une gamme d’emploi la plus large possible à cette nouvelle classe de brise-glaces, les ingénieurs vont permettre aux navires de modifier leur tirant d’eau en jouant sur le ballastage du navire; le déplacement total évoluant de 25.540 tonnes à 33.540 tonnes de cette sorte le tirant d’eau peut varier entre 8,55 m et 10,5 m. Ceci ayant pour but de pouvoir employer dans les eaux profondes mais également dans les eaux moins profondes des embouchures des fleuves Ob et Yenisei.

Au niveau des dimensions générales, les chiffres suivants sont disponibles:

  • Longueur: 173,3 m
  • Largeur: 34 m
  • Hauteur: 15,2 m
  • Déplacement: 25.540 tonnes (minimum) / 33.540 tonnes (maximum)
  • Tirant d’eau: 8,5 m (minimum) / 10,5 m (maximum)
  • Chaîne cinématique: 2 réacteurs RITM-200
  • Puissance: 60 MW
  • Vitesse: 22 nœud
  • Equipage: 75 personnes

D’un point de vue de l’architecture générale du navire, les LK-60YA sont subdivisés en dix compartiments et disposent d’une double coque intégrale, en acier épais du type MILL 5000 produit par MMK, renforcée dans les zones les plus exposée (à la proue ainsi qu’à la poupe) dont notamment la pointe avant de la coque servant de zone d’attaque de la glace et qui est composé d’un ensemble monobloc de 75,5 tonnes en acier d’une épaisseur de 160 mm. La coque présente une largeur maximale à la base de 34 m qui se réduit légèrement en hauteur à 33 m (les flancs sont donc inclinés) pour faciliter le passage du navire dans certaines zones.

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Trois pour le prix d’un! A droite, l’Ural, au milieu l’Arktika et à gauche, le Sibir. Image@fleetphoto.ru

Les ballasts sont placés en fond de coque et latéralement de manière à disposer d’un navire offrant une grande stabilité à la mer, les superstructures sont placées très en hauteur permettant de limiter l’impact (et le ressenti) des importantes vibrations générées par la traversée de zones denses de glaces. Une plate-forme installée à la poupe permet de déployer un hélicoptère du type Ka-27, un hangar permettant d’abriter ce dernier.

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Vu 3/4 arrière de l’Arktika qui permet de voir la plate-forme et le hangar à hélicoptère. Image@?

La chaîne cinématique est construite autour de deux réacteurs nucléaires produisant de la vapeur qui actionne des turbo-génératrices, ces dernières générant de l’électricité qui actionne des moteur électriques entraînant les hélices du navire. Ce principe, bien qu’ayant connu des variantes selon les différentes classes de brise-glaces nucléaires, est toujours le même depuis l’entrée en service du premier brise-glace nucléaire soviétique, le Lenin en 1957.

Les deux réacteurs à eau pressurisée du type RITM-200 équipant les LK-60Ya ont été développés par le spécialiste russe des réacteurs atomiques notamment dans le domaine naval: l’OKB Afrikantov. Développant 175 MWt (puissance thermique) chacun et 55 MWe (puissance électrique), le RITM-200 est un ensemble monobloc où l’unité de génération de vapeur est intégrée au sein du bloc du réacteur: ceci permettant de simplifier la plomberie ainsi que les risques de fuite de radioactivité. Disposant d’une durée de vie totale de 40 ans ou 320.000 heures de fonctionnement, le RITM-200 doit bénéficier d’une révision générale après 20 ans, notamment en vue de remplacer certains équipements dont la durée de vie assignée est de 20 ans ou 160.000 heures de fonctionnement. Le carburant employé est de l’Uranium 235 enrichi à hauteur de 20% dont le ravitaillement doit être effectué tous les 7 ans. Implantés au milieu du navire en arrière du massif principal de la superstructure, chaque RITM-200 est un bloc comprenant le bouclier biologique d’une masse totale de 1.100 tonnes (donc 2.200 tonnes sur un LK-60Ya): l’ensemble présentant des dimensions de 6 m sur 13,2 m par 15,5 m.

Deux turbo-génératrices du type PTU-72 produites par Kirov-Energomash sont couplées au bloc nucléaire et chacune peut produire 36 MWe; cette électricité alimente ensuite trois moteurs électriques de 20 MW chacun soit un total de 60 MW (d’où le chiffre 60 dans la dénomination LK-60YA) ces derniers étant reliés à une ligne d’arbre propre sur laquelle est installée une hélice à 4 pales à pas fixe (d’une masse de 60 tonnes chacune) et enfin le tout est complété par un gouvernail de grande dimension.

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La chaîne cinématique d’un LK-60Ya: en rouge, les réacteurs RITM-200, en orange, les turbo-génératrices PTU-72, en jaune, les moteurs électriques, en bleu les lignes d’arbre avec l’hélice à son extrémité.

D’un point de vue des commandes, cinq navires sont actuellement en commande avec trois contrats signés par Rosatom (le client) et le chantier naval de la Baltique (le constructeur) au fur et à mesure des années:

  • L’Arktika a été commandé en date du 23 août 2012 pour un montant de 37 milliards de Roubles
  • Le Sibir et l’Ural ont été commandés en mai 2014 pour un montant de 84,4 milliards de Roubles
  • Le Yakutia et le Chukotka ont été commandés le 23 août 2019 pour un montant « supérieur à 100 milliards de Roubles« 

La série des brise-glaces de la classe LK-60YA comporte actuellement trois navires à divers stades d’achèvement, un quatrième devant être mis sur cale dans quelques jours tandis qu’un cinquième navire viendra compléter la série à terme sa mise sur cale étant envisagée pour 2021; il est donc utile de passer en revue ces derniers au cas par cas.

L’Arktika

C’est le 5 novembre 2013 que le navire tête de série, dénommé fort logiquement, Arktika (Арктика) (IMO 9694725) fut mis sur cale au chantier naval de la Baltique; les travaux préliminaires avec la découpe d’une première tôle ayant eu lieu le premier novembre 2012. Le lancement de ce dernier est intervenu en date du 16 juin 2014 avec comme obligation contractuelle de livrer le navire pour décembre 2017.

Cependant, les travaux vont prendre du retard pour plusieurs raisons notamment suite au retard connu par Kirov-Energomash dans la construction des turbo-génératrices qui ne purent pas être achevées en 2015 tel qu’il était prévu contractuellement; ceci étant la résultante de la rupture des relations avec l’Ukraine après 2014, l’usine Turboatom de Kharkiv fournissant des composants des turbo-génératrices à Kirov-Energomash. En outre, vu l’ampleur du projet et le fait qu’aucun projet de ce type n’a été mené depuis environ 25 ans, le besoin de moderniser l’outil de production s’est imposé: augmentant de la sorte le retard du projet.

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Cette photo de l’Arktika à côté de grues maritimes permet de mieux voir la hauteur importante du bâtiment. Image@Anton Vaganov

L’Arktika va être lancé en date du 16 juin 2016, les réacteurs étant installés à l’automne 2016 mais il faudra attendre septembre 2017 et avril 2018 pour disposer des turbines manquantes, permettant de poursuivre les travaux, ces derniers ayant pris un sérieux retard sur le calendrier prévisionnel établi lors du lancement du projet. De retards en problèmes techniques, c’est finalement le 16 mai 2019 que les techniciens vont commencer à procéder à l’alimentation des réacteurs en combustible nucléaire, les réacteurs étant mis en marche (test du niveau minimum de réaction en chaîne contrôlée) pour la première fois le 4 octobre 2019. Les premiers essais en mer sous propulsion diesel vont débuter le 12 décembre 2019, le but étant de tester le bon fonctionnement des équipements de base du navire, cependant en date du 4 février 2020 durant les essais de la propulsion du navire, le moteur électrique droit entraînant une des trois hélices est tombé en panne et sa réparation va se révéler impossible in situ.

La remise en état du navire va nécessiter un passage en cale sèche pour enlèvement et remplacement de l’élément défectueux, vu l’occupation de la cale sèche avec les navires en cours de construction, les travaux ne vont pas pouvoir avoir lieu immédiatement ceci induisant un énième retard supplémentaire: aucun timing précis ne pouvant être communiqué pour l’instant. Rosatomflot évalue les possibilités qui s’offre à elle dont l’option de mettre éventuellement en service le navire avec une puissance réduite ce qui aurait un effet conséquent sur la capacité de navigation du navire en eaux claires ou en zones de glaces, la réparation étant effectuée dès qu’une cale sèche pouvant accueillir le navire se libérerait et que les pièces à remplacer seront disponibles.

Le Sibir

Premier navire de série et deuxième navire de la classe LK-60Ya, le Sibir (Сибирь) (IMO 9774422) a été mis sur cale le 26 mai 2015 avec comme objectif de l’admettre au service en 2019 mais comme de coutume en matière de construction navale russe, le navire va connaître du retard dans sa construction. Une nouvelle date de mise en service fut annoncée le 12 juillet 2017, l’arrivée du navire étant maintenant attendue pour 2021 cependant lors du lancement du navire qui est intervenu le 22 septembre 2017, les responsables du chantier naval indiquaient pourvoir livrer le navire en novembre 2020.

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Difficile de se tromper sur l’identité du bâtiment ainsi que son propriétaire, il s’agit ici du Sibir en cours de construction. Image@?

Au vu de l’état d’avancement du navire, il est beaucoup plus probable de le voir admis au service en 2021 et non en 2020.

L’Ural

Deuxième navire de série et troisième de la classe LK-60Ya, l’Ural (Урал) (IMO 9658642) a été mis sur cale le 25 juillet 2016 avec comme but de le mettre en service en 2020. Comme de coutume, les calendriers ne seront pas respectés et le 12 juillet 2017, il sera annoncé que la nouvelle date de mise en service du bâtiment est envisagée pour 2022.

Les deux réacteurs RITM-200 ont été installés à bord en novembre 2018, le navire étant finalement lancé le 25 mai 2019. A noter que durant le lancement du navire, une chaîne d’ancre s’est détachée, heureusement sans faire de blessés.

L’admission au service de l’Ural est maintenant attendue pour le mois d’août 2022.

Le Yakutia

Troisième navire de série et quatrième de la classe LK-60Ya, le Yakutia (Якутия) (IMO 9911202) sera mis sur cale dans quelques jours en date du 26 mai avec une admission au service attendue pour la fin 2025.

Le Chutkotka

Quatrième navire de série et cinquième (et dernier?) de la classe LK-60YA, le Chukotka (Чукотка) devrait en toute théorie être mis sur cale en 2021. Il reste à voir si le retour sur cale de l’Arktika pour remise en état de sa chaîne cinématique aura un impact ou non sur le lancement des travaux du Chukotka.

Dans le cas où tout se déroulerait normalement, ce dernier est attendu au service pour la fin 2026.

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Et après? Est-ce que la série des LK-60YA se limitera à cinq bâtiments? C’est fort probable, surtout au vu de la mise sur cale annoncée d’un premier brise-glace nucléaire de la classe LK-120Ya Lider/Лидер (Izd.10510) qui sera d’un gabarit très supérieur puisque d’une longueur de 209 m et d’une largeur de 47,7 m tout en déplaçant 50.400 tonnes (normal) ou 71.380 tonnes (maximum) et pouvant traverser une épaisseur de glace allant jusqu’à 4,3 m (!). Trois unités sont prévues dans cette classe dont la production sera assurée par le chantier naval Zvezda de Bolshoy Kamen (Front Pacifique), la commande d’un premier bâtiment étant signée en avril 2020 pour un montant de 127 milliards de Roubles, la mise sur cale intervenant en 2020 pour une mise en service à l’horizon 2027.

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Une maquette du futur projet Lider tel qu’envisagé. Image@?

Cependant, l’accroissement du trafic et donc des besoins sur la Route maritime du Nord ainsi que le retrait de service des dernières unités héritées de l’URSS pousseront fort probablement Rosatomflot à disposer en plus de ses géants de la classe Lider, de navires de plus « petit » (tout est relatif) gabarit: c’est là que les LK-60Ya entrent en jeu et il n’est pas improbable que la série soit poursuivie sur le plus long terme.

Mais ça c’est un autre sujet.

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