[Actu] Les SNLE de la classe Delfin (Pr.667BDRM)

Actifs à raison de six bâtiments concentrés à Gadzhiyevo au sein de la division 31 DPL, les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de la classe Delfin (Pr.667BDRM) sont actuellement le fer de lance de la dissuasion nucléaire sous-marine russe au sein de la Flotte du Nord. Bâtiments très facilement reconnaissables grâce à la protubérance massive, installée en aval du kiosque, qui abrite les missiles balistiques, les Delfin ont été conçus pour permettre à l’URSS de disposer de navires produits en nombre, moins onéreux à exploiter tout en reposant sur une base technique connue et fiabilisée et ce en vue de compléter les SNLE de la classe Akula (Pr.941) mieux connus sous leur nom OTAN: Typhoon.

Derniers héritiers de la famille des sous-marins de la classe Murena (Pr.667B), les Delfin sont des navires moins connus que d’autres sous-marins soviéto-russes mais ils ont le mérite de faire ce que l’on attend d’eux depuis plus de trente ans et ce sans faire trop de vagues (manière de dire): assurer la partie sous-marine de la triade nucléaire russe en attendant l’arrivée d’une nouvelle génération de bâtiments qui viendront prendre la relève: les Boreï(-A).

Avec un premier Boreï-A, le Knyaz Vladimir, qui sera livré d’ici quelques semaines à la Flotte du Nord, il est donc temps de faire le point sur cette classe de bâtiments que l’on reconnaît de loin mais au sujet de laquelle on ne s’attarde que très rarement et la littérature n’est guère prolixe.

Les Delfin, un bref aperçu historique et technique

Sous-marins lanceur d’engins à double coque intégrale divisés en dix compartiments qui furent produits au sein du chantier naval SevMash de Severodvinsk, les SNLE (RPKSN dans la classification russe) de la classe Delfin (Pr.667BDRM) sont les ultimes représentants de la prolifique famille des sous-marins dits de deuxième génération de la classe Pr.667B, qui évolueront pour donner naissance aux différentes classes suivantes:

  • Pr.667B Murena (Мурена) / 18 bâtiments
  • Pr.667BD Murena-M (Мурена-М) / 4 bâtiments
  • Pr.667BDR Kalmar (Кальмар) / 14 bâtiments
  • Pr.667BDRM Delfin (Дельфин) / 7 bâtiments

L’OTAN ne s’est absolument pas compliqué la tâche lorsqu’il a fallu classifier lesdits navires, ces derniers étant simplement repris sous les types: Delta I, II, III et IV, le Pr.667BDRM étant – fort logiquement – le Delta IV.

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Un décret du gouvernement soviétique daté du 10 septembre 1975 est à l’origine du lancement du développement de ce nouveau modèle de sous-marins qui tout en capitalisant sur son prédécesseur direct, le Pr.667 Kalmar, vient apporter de nombreuses modifications en ce qui concerne principalement la discrétion acoustique du bâtiment; les estimations les plus récurrentes tablant sur une réduction du bruit de 30% entre les Pr.667BDR Kalmar et les Pr.667BDRM Delfin. C’est le bureau TsKB Rubin qui va être chargé de développer le nouveau navire, le projet étant du ressort de l’ingénieur en chef S.N.Kovalev; le but recherché dans ce projet étant de développer un sous-marin pouvant venir compléter les futurs Pr.941 Akula en cours de développement/construction tout en étant moins onéreux à construire/mettre en oeuvre.

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Un Izd.667BDRM dont l’absence de marquages apparents ne permet pas l’identification. Image@?

Dans la plus pure tradition soviétique, les Delfin sont des sous-marins à double coque intégrale, la coque interne étant construite en acier épais tandis que la coque externe est en acier légèrement magnétisé plus fin et recouvert d’un revêtement en caoutchouc pour réduire la signature acoustique du bâtiment. Comparativement à ses prédécesseurs, la classe Delfin dispose d’une coque allongée de douze mètres, d’un déplacement accru de 1.200 tonnes ainsi que par un important travail d’installation des équipements les plus bruyants sur des suspensions et des systèmes visant à atténuer les vibrations et donc le bruit généré par cette classe de bâtiments, enfin un nouveau modèle d’hélices à cinq pales en lieu et place des sept pales des classes antérieures a été installé.

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Diagramme montrant la ligne générale des Pr.667BDRM. Image@?

D’un point de vue purement subjectif, la beauté étant un concept très relatif dont chacun dispose de sa propre interprétation, mais on ne peut pas réellement dire que les Delfin sont des navires gracieux et esthétiquement plaisant, surtout lorsque l’on compare avec d’autres réalisations datant de la même époque. Mais soit, ce sont des navires fonctionnels et efficaces: c’est ce que l’on attend d’eux avant tout.

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Cette vue de 3/4 arrière du K-114 Tula permet de mieux voir la ligne générale des bâtiments. Image@RIA News

Au niveau des principales données techniques, les chiffres suivants sont disponibles:

  • Déplacement: 11.700 tonnes (surface) / 18.200 tonnes (en immersion)
  • Longueur: 167 m
  • Largeur maximale: 11,7 m
  • Tirant d’eau: 8,8 m
  • Profondeur maximale: 400 m
  • Vitesse maximale: 14 noeuds (surface) / 24 noeuds (en immersion)
  • Endurance: 80 jours
  • Equipage: 135 personnes

La chaîne cinématique des Delfin est construite autour de deux réacteurs nucléaires de deuxième génération à eau pressurisée du type VM-4SG développant 90 MWt chacun qui sont couplés à deux turbines vapeur GTZA-635 de 20.000 kW chacune, le tout entraînant deux lignes d’arbre qui disposent chacune d’une hélice à pas fixe comportant cinq pales courbées. A cette propulsion principale vient s’ajouter deux turbo-génératrices TG-3000 de 3.000 kW chacune, deux génératrices diesel DG-460 de 460 kW et deux moteurs électriques d’appoint de 165 kW; enfin des batteries au plomb peuvent fournir 2 x 225 kW. On voit donc dans la chaîne cinématique la filiation directe avec les autres bâtiments des classes Pr.667B(D)(R): les réacteurs VM-4SG employés étant d’une génération antérieure à celle employé sur les Pr.941 Akula / Pr.949(A) Antey / Pr.971 Shchuka-B (des OK-650B/V) alors que ces derniers furent construits à la même période. 

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Une vue complète sur les hélices ainsi que les surfaces de contrôles arrières de ce Pr.667BDR (très fortement similaire à la configuration d’un Pr.667BDRM). Image@?

Les surfaces de contrôles sont réparties en deux zones; premièrement on trouve à la poupe des surfaces de contrôles selon une plan d’installation en croix composé de deux gouvernails implantés perpendiculairement par rapport à l’axe des hélices complétés par deux plans horizontaux installés sur les flancs de la coque légèrement en amont des hélices. Deuxièmement, le kiosque dispose également de deux ailerons mobiles pouvant être relevés à la verticale pour permettre d’aider à briser la glace au-dessus du kiosque.

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Bien que le bâtiment sur cette photo soit un Pr.667BDR Kalmar, on voit bien les ailerons du kiosque en position verticale permettant d’améliorer la pénétration de la glace au-dessus du kiosque. Image@?

L’armement principal est repris sous le nom de complexe D-9RM consistant en seize SLBM (Submarine-Launched Ballistic Missile) R-29RM (3M37/RSM54) qui prennent place dans des silos de lancement verticaux installés en arrière du kiosque formant une protubérance fort peu gracieuse au-dessus de la coque du sous-marin. Le missile R-29RM est un missile balistique à trois étages développé par le bureau d’études Makeyev dont la propulsion est assuré par des ergols liquides; ce dernier dérive du complexe D-9R employant des missiles R-29R mis en oeuvre par les Pr.667BDR Kalmar.

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Vue vers la poupe d’un Delfin qui permet de voir les seize silos avec leurs trappes ouvertes. Image@?

Présentant une longueur de 14,8 m ainsi qu’un diamètre maximum de 1,9 m, le missile R-29RM dispose d’un masse de lancement de 40,3 tonnes, il peut parcourir une distance allant de 8.300 Km à 11.450 Km (en fonction de la charge offensive emportée) tout en offrant une erreur circulaire probable (CEP) de 500 m; le guidage du missile étant assuré par une centrale inertielle couplée à une correction stellaire ainsi que par navigation satellite.

Comparativement aux missiles R-39 équipant les Pr.941 Akula disposant d’une propulsion basée sur des ergols solides et conçus à la même époque, les R-29RM reprennent les solutions mises en œuvre précédemment avec un missile disposant d’ergols liquides (Trioxide d’Azote N2O3 + 1,1-diméthylhydrazine H2N-N(CH3)2) pour assurer sa propulsion. Le choix effectué à l’époque, pour le moins conservateur, visait à accélérer le développement de cette classe de bâtiments, sans révolutionner en profondeur cette dernière. Il n’empêche que le choix de cette propulsion entraîne des contraintes non-négligeables, en effet, les missiles à ergols liquides nécessitent plus de temps pour être mis en œuvre, notamment via le remplissage préalable des tubes de lancement avec de l’eau avant d’effectuer le tir.

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Chargement d’un missile Sineva dans un Izd.667BDRM. Image@military-today.com

Les missiles R-29RM sont dits MIRVés (provenant de l’acronyme anglais MIRV qui signifie: Multiple Independently targetable Reentry Vehicle), ce qui indique qu’ils emportent plusieurs têtes nucléaires pouvant frapper des cibles différentes: ils présentent deux configurations possibles au niveau de la charge offensive (masse totale de 2,8 tonnes), soit quatre têtes de 200 kT chacune soit dix têtes de 100 kT chacune. Le tir des missiles peut s’effectuer jusqu’à une profondeur d’immersion de 55 mètres ainsi qu’à une vitesse maximale de 6 noeuds; l’ensemble des missiles (comme nous le verrons plus loin) pouvant être tirés en une seule salve. La version à dix têtes a été supplantée par la version à quatre têtes suite à la signature de l’accord START-1 en 1991; cette dernière étant la seule déployée depuis lors par les Delfin.

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Même si le tir des Sineva peut s’effectuer sous l’eau, il peut également être effectué en surface. Image@military-today.com

Le missile R-29RM arrivant au terme de sa vie active et en vue d’éviter le trou capacitaire lié au retrait de ce dernier ainsi qu’à l’arrêt de sa production en 1996, la Marine Russe décida de rééquiper les Pr.667BDRM avec une variante modernisée du R-29RM: le R-29RMU2 Sineva, le complexe d’armement étant repris sous le type D-9RMU2. Les travaux sur le Sineva, qui furent toujours du ressort du bureau d’études Makeyev, débutèrent en juillet 1998 et font suite à la décision de recapitaliser la flotte de Delfin; cette recapitalisation consistant en une modernisation des équipements embarqués ainsi que l’installation du missile R-29RMU2. Toujours en accord avec le traité START-1, la nouvelle variante du missile emporte quatre têtes de 200 kT bien que la possibilité de monter dix têtes de 100 kT soit conservée mais non-implémentée. C’est en 2003 que les tests étatiques du missile vont avoir lieu avant de déboucher sur une admission au service de ce dernier en 2004. Basés sur le R-29RM dont ils reprennent les caractéristiques principales et produits au sein de l’usine Krasmash (Krasnoyarsk), les missiles Sineva disposent d’un corps réalisé en alliage magnésium-aluminium, les têtes offensives du missile étant en fibres de carbone; le guidage du missile est assuré par une centrale inertielle couplée à un guidage par système Glonass. L’autonomie du missile n’a pas évolué fondamentalement entre les versions R-29RM et R-29RMU2 mais une plus grande précision au guidage (CEP réduite à 350 m) ainsi qu’une résistances accrue au brouillage sont intégrés au missile; les équipements ajoutés étant récupérés sur les missiles des projets R-39 et R-39UTTKh Bark.

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Schéma du bureau d’études Makeyev illustrant la composition du missile Sineva. Image@

Ultime variante du Sineva, le missile R-29RMU2.1 Liner a débuté ses essais en 2012 avant d’entrer en service en 2014 sur les Delfin; les principales modifications reposant sur la capacité d’emporter des charges variées dont notamment des leurres en complément des têtes nucléaires pour contrer le déploiement des systèmes anti-balistiques et donc augmenter significativement la capacité de réussite des frappes. Tous les navires de la classe Delfin emportent donc actuellement des missiles Liner en lieu et place des Sineva.

Outre les missiles balistiques, les Delfin disposent également de quatre tubes lance-torpilles de 533 mm montés à la proue du navire; ces derniers pouvant mettre en oeuvre les munitions suivantes:

  • Torpilles SAET-60M
  • Torpilles 53-65M
  • Torpilles USET-80
  • Missiles 83R et 84R du système URPK-6 Vodopad-PL
  • Leurre MG-74 Korund-2

La dotation maximale est de dix-huit torpilles, le rechargement s’effectuant à quai par une trappe centrale et verticale implantée dans la proue du navire entre les tubes lance-torpilles. Enfin pour assurer la protection rapprochée contre les menaces aériennes, quatre systèmes 9K38 Igla disposant de huit missiles 9M39 sont également embarqués.

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Cette vue de la proue du K-114 Tula permet de voir les quatre tubes lance-torpilles ainsi que la trappe de recharge en munitions. Image@?

En vue de mettre en oeuvre les armements, l’équipage des Delfin dispose du système de gestion des informations MVU-132BDRM mieux connu sous le nom d’Omnibus-BDRM (le suffixe indiquant qu’il s’agit d’un système adapté à cette classe de navires); la navigation est assurée par le système Tobol-M-2. Le système de sonar est le MGK-520.6 Skat-BDRM qui est un sonar circulaire implanté à la proue du navire complété par un radar MRK-50 Kaskad et un radar MRP-21A Zavesa-P qui disposent d’antennes traversantes se rétractant à travers le kiosque du bâtiment et enfin le système de communications répond au nom de Molniya-M.

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Cette vue du K-84 Yekaterinburg prise après l’incendie de 2011 qu’a connu ce dernier durant des travaux de révision générale, permet de voir le sonar Skat-BDRM. Image@?

Les Pr.667BDRM et la Flotte du Nord

Admis au service entre la fin de 1984 et la fin de 1990 par la Marine Soviétique, les Delfin seront dès leur sortie de construction affectés au sein de la 13ème division de la 3ème flotte de sous-marins de la Flotte du Nord où ils rejoignirent une partie des Pr.667BDR actifs (ces derniers étant répartis entre la Flotte du Nord et la Flotte du Pacifique). Peu de temps après leur mise en service et la validation du complexe d’armements D-9RM, l’URSS va faire tomber un record qui tenait depuis le 20 décembre 1969. A cette date, le SNLE K-140 (Pr.667A Navaga) effectua le tir de huit missiles R-27 en deux salves de quatre missiles très rapprochées. En 1989, la Marine Soviétique lança l’exercice Begemot (Бегемот/Hippopotame) visant à effectuer au départ du K-84 (futur K-84 Yekaterinburg), un SNLE de la classe Delfin, un tir de l’ensemble de ses seize missiles R-29RM: cependant suite à un problème technique survenu quelques minutes avant le tir du premier missile qui, sans rentrer dans les détails, aurait pu aboutir à une perte du navire et de son équipage (ce dernier agissant de manière professionnelle et rapide pour sauver le bâtiment), le test s’achèvera sur un échec complet.

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Le K-114 Tula à quai à Gadzhiyevo. Image@?

Chat échaudé craint l’eau froide n’étant manifestement pas la devise de la Marine Soviétique, les soviétiques vont lancer l’exercice Begemot 2 (Бегемот 2) qui débouchera sur le tir, réussi cette fois-ci, en une seule salve des seize missiles R-29RM (deux missiles « bons de guerre » et quatorze missiles d’entraînement) du K-407 Novomoskovsk (Новомосковск) en date du 6 août 1991; le navire étant sous le commandement du Capitaine de 2ème rang Sergey Egorov (pour l’anecdote, il passera capitaine de 1er rang après cet événement). Le but de cet exercice étant de tester la capacité du navire à assurer une frappe « ultime » dans le cadre de la dissuasion nucléaire russe. Ceci restera un des derniers « coups d’éclat » de la sous-marinade soviétique peu avant sa disparition dans la cadre de la fin de l’URSS.

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Le K-407 Novomoskovsk. Image@Oleg Kuleshov

Sur les sept navires construits entre 1984 et 1990, il en reste actuellement six en service en 2020 au sein de la Flotte du Nord de la Marine Russe (VMF) ces derniers présentant un âge moyen de trente-trois ans: il n’est donc pas difficile à comprendre que ces bâtiments sont plus proches de la fin de carrière que du début. Affectés à la 31 DPL basée à Gadzhiyevo (près de Mourmansk), les Delfin ont été fortement affectés par les restrictions économiques qui frappèrent lourdement la Marine Russe dans la période post-soviétique; c’est le chantier naval Zvezdochka de Severodvinsk (adjacent au chantier naval SevMash où ils furent produits) qui est chargé d’assurer l’entretien courant, les révisions générales et modernisations des navires de la classe Delfin.

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Le K-51 Verkhoturye lors de sa sortie de révision générale. Image@?

On peut également noter que les Delfin, à l’instar des autres sous-marins soviétiques, ne disposait pas de nom de baptême: ils n’étaient identifiés que par un code à 2 ou 3 chiffres précédés de la lettre K; l’ensemble se présentant sous la forme K-xx(x). Lors du passage à la Marine Russe, les navires vont recevoir un nom de baptême, ces derniers étant à chaque fois celui de villes russes qui signèrent un accord de jumelage en faveur d’un bâtiment, celui-ci recevant le nom de la ville signant l’accord; le nom de baptême fut simplement ajouté au code K-xx(x) employé auparavant par la Marine Soviétique et conservé par la Marine Russe.

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Le K-114 Tula. Image@VKoshkin

A titre d’exemple et pour mieux illustrer la situation rencontrée par la Marine Russe dans le courant des années 1990; le navire tête de série, le K-51 Verkhoturye (Верхотурье) est resté six ans au chantier naval Zvezdochka (arrivée en 1993) en attente de révision générale, la Russie ne disposant pas des fonds nécessaires que pour financer cette dernière et il faudra attendre le 25 décembre 1999 que pour le voir revenir en service. Cependant, il est intéressant de voir que lors de l’entrée en révision générale suivante du même navire en 2010, les travaux vont durer beaucoup plus longtemps qu’envisagé à la base car lors de la première révision générale: le chantier naval a fait usage d’équipement de seconde main issus de navires destinés à la ferraille pour réviser le Verkhoturye. Par conséquent, les travaux de remise en état vont être plus important qu’envisagé vu le besoin de remplacer les équipements d’occasion employés; ceci en disant long sur l’état des finances russes dans les années 1990…

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Le K-51 Verkhoturye. Image@Svyatoslav Morozov

La principale modification qui va intervenir sur les bâtiments, outre les révisions générales qui allongent la durée de vie moyenne de 3,5 ans, porte sur la modernisation et le rééquipement avec le missile balistique R-29RMU2 Sineva en lieu et place du R-29RM; cette décision ayant été validée en 1998 par le gouvernement russe. Les travaux vont se dérouler au sein du chantier naval Zvezdochkha et pour certains des Delfin lesdits travaux vont même s’éterniser, la durée moyenne des travaux a été de cinq ans avec un maximum de sept ans pour le premier navire traité (le K-84) et deux ans pour le dernier navire pris en charge (le K-51);

  • K-51 Verkhoturye entre le 23/08/2010 et le 30/12/2012
  • K-84 Yekaterinburg entre le 03/12/1996 et le 30/06/2003
  • K-114 Tula entre le 24/07/2000 et le 05/01/2006
  • K-117 Bryansk entre le 27/07/2002 et le xx/01/2008
  • K-18 Kareliya entre le xx/08/2004 et le xx/12/2009
  • K-407 Novomoskovsk entre le xx/11/2008 et le 27/07/2012

Outre le rééquipement sur base du SLBM Sineva, une partie des équipements embarqués, principalement les équipements électroniques, vont être remplacés en vue d’augmenter les capacités de détection du navire mais également améliorer la sécurité nucléaire des bâtiments.

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Le cas particulier du K-64

Comme indiqué ci-dessus, la série des Delfin comptait à l’origine sept bâtiments bien qu’il n’y en ait plus que six en service au sein de la Flotte du Nord mais ceci ne signifie pas pour autant que le septième bâtiment ait été la victime des restrictions post-soviétiques.

Admis au service le 23 décembre 1986, le troisième bâtiment de la classe Delfin, est d’abord connu à l’époque soviétique sous la référence K-64 avant de recevoir le nom de baptême Podmoskovye (Подмосковье) dans la première moitié des années 1990. Affecté depuis sa mise en service à la Flotte du Nord, il est arrêté en 1999 avant d’être transféré dans la réserve de la Marine et envoyé au chantier naval Zvezdochka.

Le navire va entre dans une très longue phase de travaux qui va durer pas moins de seize ans (en partie à cause du manque de moyens financiers) et qui vont voir le navire être transformé pour servir de transport à des véhicules spéciaux pouvant intervenir dans les très grandes profondeurs. Reclassifié sous le type Izd.09787 et recevant le nouveau code BS-64, les travaux les plus visibles ont notamment consisté à enlever les silos à missiles donnant au bâtiment un look beaucoup plus agréable d’ailleurs.

Le navire sera lancé le 11 août 2015 avant d’être testé en mer dans le courant de l’année 2016, sa remise en service officielle intervenant le 26 décembre 2016. Peu d’informations détaillées sont connues sur ce bâtiment par conséquent, on doit se limiter à des spéculations sur ses fonctions et missions réelles.

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Le BS-64, ex K-64. L’enlèvement des silos de missiles donne à ce navire un look bien plus élégant. Image@?

L’hégémonie absolue des Delfin en tant que principale force de dissuasion au sein de la Flotte du Nord a été battue en brèche avec l’arrivée d’un premier SNLE de quatrième génération de la famille des Boreï (Pr.09551): le K-535 Yury Dolgorukiy qui a été admis au service au sein de la Marine Russe en date du 10 janvier 2013. Avec cette nouvelle génération de bâtiment débute indirectement le remplacement des Delfin ainsi que le début de la modernisation de la dissuasion nucléaire sous-marine russe. L’arrivée d’un Boreï-A (Pr.09552) d’ici quelques semaines, le K-549 Knyaz Vladimir, va renforcer cette modernisation et impliquera fort probablement à moyen-terme le retrait de service d’un premier Delfin: il est vrai que le K-51 Verkhoturye a déjà atteint l’âge vénérable de trente-six ans et son remplacement va s’imposer endéans les cinq années à venir.

Une fin de carrière en vue?

L’arrivée progressive de la nouvelle génération de sous-marins lanceurs d’engins russes que sont les Pr.09551 Boreï (trois bâtiments) et Pr.09552 Boreï-A (sept bâtiments à terme) dont trois unités sont déjà en service au sein de la flotte du Pacifique (deux bâtiments) et de la Flotte du Nord (un bâtiment), le solde étant attendu entre 2020 et 2027 marquera à terme la fin définitive de la famille (au sens large) des Pr.667B dont le premier exemplaire fut mis en service le 27 décembre 1972.

La première victime qui tombera au champ d’honneur est le K-44 Ryazan, dernier survivant de la classe Pr.667BDR (Kalmar / Delta III) et toujours actif au sein de la Flotte du Pacifique; ce dernier ayant été admis au service en 1982. L’arrivée annoncée du deuxième Boreï-A en 2021, le Knyaz Oleg, devrait mettre un terme définitif à la série des Kalmar et directement suivre le début du remplacement des Delfin: bien que ces derniers bénéficient d’un programme d’entretien régulier et bien suivi (ce qui ne fut vraiment pas toujours le cas) au sein du chantier naval Zvezdochka, ils approchent ou dépassent déjà les trente-cinq ans de carrière (pour les navires les plus anciens) ce qui est déjà une sérieuse extension par rapport à leur durée de vie initiale qui était estimée à vingt-cinq ans. L’arrivée de K-549 Knyaz Vladimir au sein de la flotte du Nord précédant l’arrivée de Knyaz Oleg au sein de la flotte du Pacifique, fait que le calendrier des décisions de la marine russe entraînera le fait que que le début du processus de remplacement de Delfin commencera avant celui du dernier Kalmar bien que ce dernier soit le plus ancien.

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Le Kareliya et le Bryansk à Gadzhiyevo. Image @ Saturnax 

Héritiers d’une longue file de navires qui n’étaient certainement pas les plus discrets de la marine soviétique, cette famille de navires a su évoluer en profondeur tout en conservant des caractéristiques similaires (notamment la chaîne cinématique et la configuration générale du navire), les charges utiles augmentant (passage de douze à seize missiles balistiques) et la discrétion acoustique des bâtiments s’améliorant grandement à chaque nouvelle génération admise au service

Il est intéressant de voir que les Pr.667BDRM Delfin, bien qu’étant considéré comme le parent pauvre de la dissuasion nucléaire soviétique en comparaison avec les monstres hyper-médiatisés (merci Octobre Rouge) que furent les Pr.941 Akula (code OTAN Typhoon), finiront par les surpasser largement au niveau de la durée de vie: il est vrai que les Delfin sont beaucoup plus économiques à exploiter et à maintenir en conditions opérationnelles que leurs « très » grands frères bien que présentant des capacités techniques inférieures à ces derniers. Le rééquipement de Delfin avec des missiles R-29RMU2 Sineva couplé à la modernisation des équipements embarqués permet de maintenir la capacité de frappe de la flotte (les missiles balistiques ont une durée de vie limitée et il est nécessaire de les remplacer à la fin de la période pré-établie, cette dernière dépendant de plusieurs paramètres dont le type de carburant utilisé) tout en augmentant légèrement les performances du missile en termes de portée et de sa résistance au brouillage.

Au final, lorsque les derniers Delfin quitteront le service d’ici 2030, ils mettront un terme à une carrière totale de pas moins de cinquante-huit ans pour les sous-marins lanceurs d’engins dits de deuxième génération et issus de la famille des Pr.667B Murena ainsi que de ses nombreuses variantes.

Il s’agira très probablement d’un record dans ce domaine.

8 réflexions sur “ [Actu] Les SNLE de la classe Delfin (Pr.667BDRM)

  1. Merci pour cet excellent article (comme d’habitude avec Red Samovar que je consulte avec plaisir depuis un petit bout de temps déjà). Peut-être un rappel du contexte dans lequel a été prise la décision de ne garder qu’un seul Akula aurait été également bienvenue 😉

  2. Bonjour. Très bon article. Toutefois vous parlez de réacteurs de 90.000MW. C est énorme sachant qu un réacteur de CNPE français fait 960 à 1200MW. Je ne parle même pas d un SNLE français.

    1. Bien vu!

      Coquille de ma part: c’est 90 MW qu’il fallait lire… le total étant de 180 MW pour les deux réacteurs ensemble.

      Merci pour la remarque 😉

      1. Petite précision complémentaire, la puissance exprimée est celle de la chaudière nucléaire et est donc une puissance thermique, pas électrique. Les CNPE ont des puissances thermiques atteignant 4270 MWt pour les N4 et un rendement de 36% donnant 1560 MWe au final.
        Là, on est sur des puissances de 90 MWt pour chaque réacteur avec un rendement total autour de 25% (propulsion + production électrique) ce qui est très respectable pour de la propulsion navale. Pour mémoire, les K15 (150 MWt) de nos SNLE sont à un peu plus de 20% de rendement.

        1. Je n’ai pas la prétention d’être ingénieur spécialisé dans le domaine nucléaire, donc je vais ajouter cette information dans l’article et j’en tiendrais compte pour les prochains articles où ces questions seront abordées 😉

          1. C’est tout naturel, la somme des savoirs que peut acquérir un homme est faible au regard de la complexité de notre monde. Il faut d’ailleurs se méfier des spécialistes en tout …
            Superbe article, comme toujours.
            Et bravo pour vos interventions dans DSI.
            Très bien dans le dernier HS, entre autre …

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