[Actu] Les actualités des sous-marins nucléaires russes

C’est le 19 mars que la force sous-marine russe a fêté son 113ème anniversaire; cette occasion étant reprise pour servir de base à plusieurs déclarations intéressantes concernant la flotte de sous-marins russes. Entre les annonces de livraisons dans le courant de l’année ainsi que les tests de nouvelles armes sur certains bâtiments, attardons-nous un peu sur ces déclarations et leur intérêt.

Bien évidemment, comme de coutume en matière de construction navale russe; les déclarations d’intentions sont à prendre avec le recul nécessaire et l’enthousiasme des déclarations doit être tempéré par rapport aux réalités techniques et économiques.

SSGN Izd.885(M) Yasen-M

Sous-marins nucléaires lanceurs de missiles de croisière (SSGN) dits de « quatrième génération », les Izd.885(M) Yasen(-M) doivent assurer la relève des SSGN Izd.949A Antey (huit navires en service) ainsi qu’indirectement du reliquat de SSN Izd.971 Shchuka-B toujours actifs.

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Le K-266 Orel, un Izd.949A Antey. Image@Wikipedia.com

Le développement de la classe Izd.885 Yasen est lancée en 1977 sous l’égide du bureau de design SPMBM Malakhit de Saint-Pétersbourg, le projet étant dirigé par V.N. Pyalov avec le chantier naval SevMash devant assurer la production des bâtiments. Capitalisant sur l’expérience acquise avec les SNA de la classe Lira (Izd.705) qui malgré leur armement important disposaient d’un équipage réduit grâce à l’usage accru d’automatismes pour gérer le bâtiment ainsi que sur les travaux effectués sur les SSN Shchuka-B (Izd.971), le but recherché étant de créer un bâtiment polyvalent apte à remplacer les nombreux designs en service au sein de la Marine Soviétique en standardisant la flotte sur un modèle unique. L’histoire étant ce qu’elle est, la classe Yasenégalement connu un développement laborieux et fortement retardé, le retard encouru l’ayant été plus pour des raisons financières que des raisons techniques: outre la définition du design final qui a été revu à plusieurs reprises, la construction de la tête de série ne sera pas lancée avant 1993 et sera interrompue à plusieurs reprises par manque d’argent. La sortie du premier bâtiment de cette classe, le K-560 Severodvinsk a eu lieu presque 21 ans après sa mise sur cale. Certainement un record en la matière.  

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Le K-560 Severodvinsk. Image@DefPost

Représentant une rupture que l’on peut considérer comme étant quasi-doctrinale avec les sous-marins soviétiques antérieurs; la classe Yasen dispose d’une simple coque sur une bonne partie de sa longueur avec seulement certaines sections du bâtiment qui sont doublées, ceci s’éloignant clairement des concepts soviétiques où les sous-marins disposent d’une double coque complète sur toute la longueur du bâtiment.

Au niveau des caractéristiques techniques, la classe 885 présente les dimensions suivantes;

  • SSGN à double coque partielle
  • Déplacement de 8.600 tonnes en surface et de 13.800 tonnes en plongée
  • Longueur de 120 m
  • Largeur de 13 m
  • Tirant d’eau de 10 mètres
  • Profondeur de plongée maximale 600 mètres
  • Equipage de 100 personnes

La propulsion est assurée par un réacteur nucléaire à eau pressurisé OK-650V de 190 MW couplé à une turbine vapeur OK-9VM qui entraîne via un arbre de transmission une seule hélice à 7 pales; cette chaîne cinématique permet au bâtiment d’atteindre la vitesse maximale en submersion de 31 noeuds tandis qu’en surface cette vitesse se réduit à 16 noeuds.

Au niveau de l’armement embarqué; la classe Yasen dispose de dix tubes lance-torpilles de 533 mm (huit tubes sur les 885M) qui sont implantés équitablement de part et d’autre du navire mais contrairement à ses homologues non pas à l’avant du bâtiment mais latéralement sur les flancs presqu’au droit du massif. En outre, les Yasen disposent du système CM-346 qui consiste en huit tubes de lancement verticaux du système 3R-14 UKSK pouvant chacun contenir un maximum de quatre missiles soit au final un emport théorique de maximum trente-deux missiles de croisière du type Oniks/Kalibr et à terme Tsirkon.

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Une vue du K-560 Severodvinsk au chantier naval SevMash. Image@RD.net

Vu le temps nécessaire pour produire le K-560 Severdovinsk, la Russie a eu la possibilité de développer une variante de l’Izd.885 plus moderne se différenciant notamment au niveau des capteurs embarqués et de certaines caractéristiques du bâtiment; cette nouvelle version que l’on pourrait désigner comme étant « de série » est l’Izd.885M Yasen-M (ou 08551) par opposition au Severodvinsk qui est un Izd.885 (ou 08850).

Le deuxième bâtiment, le K-561 Kazan est sorti de production en mars 2017 avant de débuter une longue campagne de tests qui s’achèvera avec la livraison du bâtiment à la marine russe prévue pour le mois de décembre de cette année; il devrait en toute théorie rejoindre la Flotte du Pacifique. La flotte totale de Yasen(-M) devrait compter sept navires dont au moins deux autres bâtiments qui seront lancés en 2020 avec en ligne de mire l’arrivée du dernier bâtiment prévue pour 2023.

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Outre la mise au service du K-561 cette année, on devrait assister au lancement du K-573 Novosibirsk et du K-571 Krasnoyarsk cette année également mais vu la durée des essais avant l’acceptation au service, leur arrivée au sein des VMF n’est pas à espérer avant 2020.

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Le K-561 Kazan durant des essais à la mer. Image@navyrecognition.com

En plus de l’arrivée du K-561 Kazan cette année, une deuxième information est tombée il y a quelques jours: le premier essais de tir du missile hypersonique 3M22 Tsirkon (Циркон) au départ d’un Izd.885M est prévu pour 2020. Ce déploiement, parfaitement logique puisque le missile est prévu pour être mis en oeuvre au départ des cellules UKSK, marquera donc l’arrivée proche du Tsirkon au service actif ainsi qu’il augmentera sensiblement les capacités de frappes du Yasen-M, renforçant d’autant un arsenal conséquent.

SNLE Izd.955(A) Boreï-A

Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) dits de « quatrième génération », les Izd.955(-A) Boreï(-A) (Борей) ont été conçus pour prendre la relève des Izd.667B / BD / BDR / BDRM (aussi connus sous les noms de Delta I à Delta IV) ainsi que des Izd.941 Akula. Le développement des Boreï a débuté au milieu des années 80 sous l’égide du bureau TsKB MT Rubin (de Saint-Pétersbourg) avec Vladimir Zdornov en tant qu’ingénieur en chef du projet.

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Le K-117 Briansk est un 667BDRM, aisément reconnaissable à sa silhouette particulière. Image@?

Conçu autour du nouveau missile balistique R-39UTTKh Bark (Р-39УТТХ Барк) en cours de développement, les SNLE devaient emporter 12 missiles en silos implantés verticalement en aval du massif. La chute de l’URSS et la disparition des budgets liés a fortement ralenti ce projet et il faudra attendre le 2 novembre 1996 pour voir la mise sur cale du sous-marin tête de série au sein du chantier SevMash de Severodvinsk.

En décembre 1998, coup de tonnerre sur le projet: le missile R-39UTTKh, dont le développement en était à son troisième tir raté, est purement et simplement abandonné. La Russie se retrouvait donc dans une situation difficile puisqu’elle avait un SNLE en cours de construction mais aucun armement disponible pour équiper ce dernier! Il fut envisagé de redessiner le projet pour pouvoir emporter le missile R-29RMU Sineva équipant les SNLE Izd.667BDRM mais finalement la Russie lança le développement d’un nouveau missile balistique: le RSM-56 Bulava (Classé 3K30 en codification GRAU), ce dernier étant conçu pour équiper le SNLE en cours de construction.

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Le K-551 Vladimir Monomakh. Image@?

Le développement du nouveau missile balistique ne fut pas de tout repos mais ce dernier fut poursuivi malgré les échecs de tirs connus au début du programme. Le premier Izd.955 Boreï fut redessiné pour pouvoir emporter le Bulava. L’avantage de ce dernier étant un gabarit plus petit que le Bark qui permettait de faire passer l’emport de 12 à 16 missiles.

Le nouveau missile Bulava a une masse de 36,8 tonnes, une longueur de 11,5 m, un diamètre de 2 m et il présente une autonomie maximale de 9.300 Km. En outre, il est doté de trois étages dont deux à carburant solide (une première en Russie) et un à carburant liquide. Le missile est dit « Mirvé », ce qui signifie qu’il dispose de 10 têtes nucléaires capables de frapper des cibles différentes bien entendu. La CEP (Erreur Circulaire Probable) du missile est de 350 mètres.

D’un point de vue technique, l’Izd.955 Boreï présente les caractéristiques suivantes:

  • SNLE à double coque
  • Déplacement de 14.720 tonnes en surface et de 24.000 tonnes en plongée
  • Longueur de 170 mètres
  • Largeur de 13,5 mètres
  • Tirant d’eau de 10 mètres
  • Profondeur de plongée maximale 450 mètres
  • Equipage de 107 personnes

L’armement est composé de 16 tubes de lancements pour missiles RSM-56 Bulava, 6 tubes pour torpilles de 533 mm et 6 tubes de 324 mm pour système RPK-2 Vyuga. La propulsion est assurée par un réacteur nucléaire à eau pressurisé OK-650V de 190 MW couplé à une turbine vapeur AEU qui entraîne une seule hélice ainsi qu’un hydrojet. La vitesse maximale en submersion est de 30 noeuds tandis qu’en surface cette vitesse se réduit à 15 noeuds.

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Le K-535 Yuri Dolgorukiy. Image@?

En l’état actuel des choses, la Marine Russe doit recevoir pas moins de huit SNLE Izd.955/Izd.955(A) Boreï avec une répartition équitable à terme des bâtiments entre la Flotte du Pacifique et la Flotte du Nord. Vu le temps nécessaire pour construire les trois premiers Boreï, la Russie a eu le temps de développer une version modernisée et partiellement redessinée sur certains aspects (notamment au niveau des capteurs embarqués ainsi qu’au niveau des qualités de navigation et de discrétion), repris sous le type Izd.955A (ou 09552) Boreï-A. A noter que les trois premiers Boreï ont récupérés la partie avant de trois SSN Izd.971U qui furent cannibalisés pour être réemployés dans la construction des Izd.955.

Sachant que, les trois premiers bâtiments du type Izd.955 (09551) sont déjà en service depuis l’admission au service du K-535 Yuri Dolgorukiy en date du 01/10/2013, que le quatrième – le K-549 Knyaz Vladimir qui est un Izd.955A (09552) – va rejoindre la flotte russe en décembre 2019 et avec quatre bâtiments supplémentaires en cours de construction au sein du chantier naval SevMash pour livraisons étalées entre 2020 et 2021; il est nécessaire pour la Russie d’envisager l’avenir. Les prévisions initiales tablaient sur l’acquisition de pas moins de 14 SNLE Boreï mais les ambitions ont été revues à la baisse, comme de coutume.

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Le K-551 Vladimir Monomakh. Image@?

Si l’on en croît les déclarations du MoD russe, Sergueï Shoygou, dans le cadre d’une visite au chantier naval SevMash datée du 12 mars; la Russie envisage le lancement de deux Izd.955A Boreï supplémentaires en 2024, ces derniers étant également répartis équitablement au sein des deux flottes principales de la Marine Russe avec admission au service actif à l’horizon 2026-2027.  Il y a largement de quoi être dubitatif devant les délais invoqués, pour les raisons suivantes:

  • Délai moyen de production d’un SNLE Izd.955 de minimum 5 ans
  • Quid de la capacité de production entre 2021 (sortie du dernier Izd.955A mis sur cale) et 2024 (mise sur cale du bâtiment suivant) chez SevMash?
  • Vieillissement de la flotte de SNLE Izd.667BDRM qui nécessitera d’être remplacée avant 2027

Outre les traditionnelles questions budgétaires (même si la construction de Boreï est semble-t-il incluse dans le GPV 2018-2027); l’abandon de la version envisagée Boreï-B au profit de plus de bâtiments Boreï-A est logique mais le timing soulevé par le MoD russe est peu crédible. Sauf si la construction est lancée dès 2023 voire plus tôt (après tout, il n’y aura plus ni Boreï ni Yasen en construction à la fin de 2023 libérant donc de la place chez SevMash) il est peu probable de voir deux nouveaux bâtiments supplémentaires à l’horizon 2027 si ces derniers sont mis sur cale en 2024 et ce même si les délais de tests sont appelés à se réduire vu que les futurs équipages débuteront leurs entraînements avec le lancement de la construction des navires.

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Sous-marin spécial 09852 Belgorod

Construit sur base d’un SSGN Antey Izd.949A inachevé, le K-329 Belgorod a été mis sur cale le 24/07/1992 pour la Marine Russe avant de voir sa construction abandonnée chez SevMash vu l’absence de fonds à disposition pour l’armée. En 2010, le projet de transformer le bâtiment pour assurer des missions spéciales tel que le transport du nouveau drone nucléaire sous-marin Status-6 (devenu Poseidon entre-temps) en cours de développement fut initié, les travaux n’étant lancés qu’en 2012.

Les travaux effectués sur le Belgorod ne sont pas détaillés, ce qui est logique vu l’emploi à terme notamment comme vecteur du Poseidon, mais on sait que les tubes lance missiles ont été enlevés pour permettre l’emport d’autres types de charges: le bâtiment a été reclassé sous un nouveau type, l’Izd.09852. La Russie annonce maintenant que les essais à la mer du Belgorod vont débuter en 2019 pour une remise à la Marine en 2020. Il sera suivi deux ans plus tard par le Khabarovsk (Izd.09851) qui sera également apte à emporter six drones Poseidon à l’instar du Belgorod.

En conclusion

L’année 2019 va marquer un tournant intéressant pour les sous-marins nucléaires russes; en effet avec la mise en service des Knyaz Vladimir, Kazan et Belgorod ce sont pas moins de trois nouvelles classes de bâtiments à propulsion nucléaire qui feront leur entrée au sein de la flotte russe. Leur arrivée marque donc la concrétisation de longues années de travail qui furent retardées pour les diverses raisons abordées ci-dessus et elles vont permettre à la sous-marinade russe de renouveler une flotte vieillissante bien que maintenue en bon état opérationnel vu son importance au sein de la dissuasion nucléaire russe.

Il s’avère que les Boreï et les Yasen formeront la base de la flotte sous-marine nucléaire russe qui seront complétés par les Izd.949A Antey modernisés au standard Izd.949AM; l’ensemble formant un ensemble cohérent et crédible apte à assurer les missions traditionnelles de la flotte sous-marine russe qui continuera son renouvellement à plus long terme sur base de la plate-forme modulaire Husky actuellement en cours de création par les ingénieurs du bureau de design SPMBM Malakhit.

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Le K-560 Severodvinsk au port. Image@?

Néanmoins, les déclarations relatives au deux Boreï-A supplémentaires sont à prendre avec les réserves d’usage vu le calendrier de réalisation envisagé; non pas que la réalisation des deux bâtiments supplémentaires soient peu crédible (au contraire) mais le timing proposé l’est très clairement. Vu les coûts importants liés à des bâtiments modernes tels que les Yasen qui sont réputés onéreux à la construction, il est évident que ces derniers ne seront pas acquis dans les quantités initialement envisagées néanmoins la Russie ne fait pas l’impasse sur ces derniers pour autant, preuve si il en est de l’importance de la flotte sous-marine pour le pays.

Enfin, l’arrivée du Belgorod et à terme du Khabarovsk qui pris ensemble seront aptes à déployer pas moins de douze drones nucléaires sous-marins Poseidon va offrir à la marine russe des capacités nouvelles et pour le moins très spécifiques sur lesquelles il sera intéressant de se pencher plus en avant dès que plus d’informations à leur sujet seront disponibles.