[Actu] Le drone S-70 Okhotnik

L’arrivée des premières images claires du drone S-70 semblent avoir étonné plus d’un observateur des actualités russes, cependant il n’est guère surprenant de voir ces dernières (enfin?) arriver: le programme étant en cours de développement depuis la signature d’un contrat en date du 14 octobre 2011 entre l’OKB Sukhoï et le MoD Russe.

Conçu dans le cadre du programme URBK (Udarno-Razvedyvatelnyi Bespilotnyi Kompleks / Ударно-Разведывательный Беспилотный Комплекс) il s’agit de créer et mettre au point un drone d’attaque et de reconnaissance à long rayon d’action devant à terme préfigurer le chasseur russe de Génération 6. Dans le cadre du contrat initial, le design préliminaire devait être achevé en 2014 avant de passer à l’étape de la mise au point du design technique détaillé et de lancer la production du premier prototype; pour ce faire un budget de 20 milliards de Roubles fut alloué au bureau de design. Classifié sous la référence S-70, le drone porte le nom d’Okhotnik(-B) (Охотник / « Chasseur »).

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Le contraste (de taille) entre le prototype de l’Okhotnik et le tracteur Kirovets K-700 permet de se faire une meilleure idée de la taille du drone. Image@?

Premier élément intéressant dans le calendrier, c’est la date de sélection du bureau de design; en 2011, la conception (la base tout du moins) du chasseur PAK FA est achevée et l’expérience acquise par les équipes en charge du développement de l’appareil peut être réemployée sur d’autres projets; ceci expliquant en bonne partie la sélection de l’OKB Sukhoï au détriment de RSK MiG malgré le fait que le bureau MiG travaillait sur le projet de drone Skat (Скат) depuis plusieurs années. Officiellement, il n’y a aucune information ou presque disponible au sujet de l’Okhotnik si ce n’est un document de travail du MoD russe relatif aux projets de drones qui montre une photo d’une maquette du supposé projet de drone. On sait néanmoins que c’est l’usine NAPO de Novossibirsk où est produit le Su-34 qui s’est chargé de la production du premier prototype, ce dernier a effectué ses premiers tours de roues fin novembre 2018 sans pour autant réaliser de premier vol, celui-ci étant prévu pour le courant de l’année 2019.

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Extrait du document fuité par le MoD Russe montrant une maquette de l’Okhotnik-B. Image@?

Avant de poursuivre, il est encore une fois nécessaire d’insister sur le fait qu’il n’y a aucune information officielle relative à ce nouveau drone; par recoupements et mesures on peut arriver à se faire une image un peu plus précise mais cette dernière est à prendre avec les réserves qui s’imposent. D’un point de vue des informations confirmées; on sait déjà qu’il s’agit d’un drone de pénétration, à long rayon d’action, apte à assurer des missions de frappes air-sol ainsi que des missions de reconnaissance et de surveillance à basse altitude. Il a été conçu et pensé pour pouvoir être employé dans des secteurs fortement défendu et/ou contesté, la furtivité étant un atout nécessaire pour lui permettre de remplir ces missions. Le design du drone est basé sur le concept de l’aile volante et son armement est emporté dans des soutes internes en vue de minimiser sa SER (Surface Equivalente Radar = Sa capacité à être détecté rapidement ou non par les radars ennemis).

Le moins que l’on puisse dire c’est que l’Okhotnik est un appareil plus qu’imposant dans sa catégorie, sur base de mesures prises sur les photos récemment publiées, on obtient les caractéristiques suivantes qui sont à prendre avec les réserves d’usage;

  • Longueur: 15,1 m
  • Envergure: 19,4 m
  • Hauteur: 3,1 m
  • Surface alaire: 118,1 m²
  • Propulsion: un réacteur AL-41F1 (Izd.117)
  • Vitesse maximale: 1.000 Km/h (Mach 0,81)
  • Masse à vide: 13,5 tonnes
  • Charge offensive: 3,5 – 4 tonnes
  • Capacité en carburant: 9 tonnes
  • Masse maximale au décollage (MTOW): 26,5 tonnes
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Illustration du drone Okhotnik réalisé par les membres du forum Paralay (http://paralay.iboards.ru) sur base des photos publiées.

Alors que les projets initiaux tablaient sur une motorisation composée par deux moteurs dérivés du Klimov RD-33MK, le prototype observé dispose d’un seul moteur AL-41F1 (Izd.117) disposant d’une entrée d’air unique positionné en avant de l’appareil et dont la partie post-combustion ainsi que la capacité vectorielle sont bloquées par le système FADEC du moteur; le moteur est monté en position centrale sur le châssis de l’appareil. La présence de ce moteur ne disposant pas de post-combustion active indiquerait donc (ce qui serait confirmé par le profil général de l’appareil) un régime de vol subsonique haut avec une vitesse maximale approximative de 1.000 Km/h.

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Le gabarit de l’Okhotnik est plus facilement mesurable grâce à la présence du Kirovets K-700. Image@FoxhoundBat

Bien que la SER soit importante pour un appareil chargé d’assurer des missions de pénétration au sein du dispositif ennemi, on peut voir sur les premières images une tuyère massive et mal intégrée au sein du fuselage qui tranche nettement avec les canons de la « furtivité ». Pour ce que l’on en sait actuellement, il s’agirait d’un montage provisoire permettant de tester les premiers paramètres de vol du drone avant l’arrivée du réacteur et de la tuyère définitive (modèle non-précisé). En outre, le prototype de l’Okhotnik disposerait d’une structure interne récupérée pour partie sur celle du PAK FA, ceci étant encore une fois un moyen de gagner du temps dans la conception du drone. Cependant, cette configuration ne serait pas la configuration finale attendue; par conséquent, on ne peut pas encore de tirer de conclusions fermes et définitives sur la SER définitive de l’appareil, cette dernière évoluant avec la mise au point et l’achèvement du concept initial notamment au niveau de la partie arrière comportant la tuyère et son intégration au sein de la cellule.

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Cette vue arrière de l’Okhotnik permet de mieux voir le côté « peu achevé » de l’intégration de la tuyère dans le design général. Image@FoxhoundBat

Au départ l’Okhotnik était équipé de deux larges soutes latérales implantées de part et d’autre du moteur mais vu la taille de ces dernières et suite aux tests statiques, elles ont été divisées en deux ce qui offre au drone une capacité d’emport de quatre missiles et/ou bombes guidées. Les soutes présentent des dimensions calquées sur celles du Su-57, les armements conçus pour être embarqués en interne sur le PAK FA pouvant être mis en oeuvre par le S-70; selon les estimations les plus crédibles, les soutes font environ 4,6 m de long sur environ 1m de large.  Les emports principaux envisagés sont:

  • Missiles antiradars Kh-58UShK (x4)
  • Missiles air-sol Kh-38M (x4)
  • Bombes guidées KAB-250 (x4)
  • Bombes guidées KAB-500M (x4)

En vue de mettre en oeuvre l’armement en question, l’Okhotnik dispose d’un radar (modèle inconnu) implanté dans un petit radôme implanté (de manière fort peu esthétique) à l’avant de l’appareil, divers antennes sont également implantées sur le fuselage du drone mais leur utilité n’est pas encore connue avec précision.

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Cette vue de profil de l’Okhotnik permet de voir le radôme ainsi que les diverses antennes implantées sur le fuselage du drone. Image@t.me/fighter_bomber/806

Enfin, le train d’atterrissage de l’Okhotnik semble étroitement dérivé de celui du Su-57 avec un atterrisseur avant à deux roues ainsi que deux atterrisseurs principaux à une roue chacun implantés à l’extérieur des soutes à armements.

En conclusion

L’arrivée quasi simultanée des premières images du T-50-3 arborant une représentation de l’Okhotnik ainsi que les premières images de ce dernier ne sont certainement pas le fruit du hasard. En effet, avec une première sortie en extérieur du drone dans le courant du mois de novembre 2018 et l’arrivée des photos quelques mois plus tard à quelques jours d’intervalles avec les images du T-50-3 repeint: ça sent fortement la campagne d’information ciblée. Certes, on ne sait pas encore grand chose sur l’Okhotnik en lui-même mais le message envoyé semble assez clair: le projet avance et même si il est loin d’être achevé, il montre que la Russie a fortement progressé dans le secteur des drones ces dernières années.

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Le T-50-3 au décollage avec l’Okhotnik stylisé sur sa dérive. Image@Алексей Карпулёв

Et ce sont là deux informations pertinentes qui en découlent:

  • La capacité des russes à garder sous le sceau du secret certains programmes
  • Le rattrapage rapide effectué ces derniers mois avec l’aboutissement de plusieurs programmes de créations de drones

Il est d’ailleurs surprenant de voir que dans le contexte actuel où la Russie communique (de manière contrôlée, bien entendu) au sujet d’un nombre important de programmes militaires; d’autres sont maintenus sous silence durant plusieurs années sans que leur état d’avancement ne fuite. L’Okhotnik, même si une image de mauvaise qualité avait fuité (involontairement?), répond de ce principe de la discrétion dans laquelle certains programmes russes se déroulent.

En outre, alors que la Russie avait pris un retard conséquent durant les années 1990-2000 dans le secteur des drones, elle a investi massivement dans ce secteur et elle commence enfin à retirer les fruits de ses travaux; bien évidemment les RETEX de Syrie et auparavant de Géorgie ne sont pas étrangers à ce besoin de disposer d’appareils de cette catégorie pour équiper ses forces militaires. En outre l’arrivée de l’Okhotnik met en lumière un autre phénomène intéressant: la récupération de certaines technologies développées pour le PAK FA.

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Le T-50-3 présente une vue stylisée du drone Okhotnik sur son camouflage. Image@Алексей Карпулёв

Nous l’avons vu dans le début de cet article; c’est le bureau d’étude Sukhoï qui s’est chargé de la mise au point de ce drone: rien d’étonnant donc à voir les ingénieurs récupérer une partie des briques technologiques du PAK FA pour équiper l’Okhotnik. Grâce à ce réemploi, une grande proximité technologique entre les deux plate-formes permettra de les faire fonctionner en symbiose décuplant d’autant les capacités offertes individuellement par chacune d’entre-elles.

Tout n’est pas rose pour autant, il est parfaitement clair que nous sommes devant un prototype loin d’être achevé (il suffit de voir l’intégration du réacteur et surtout de la tuyère dans la cellule), que le programme de tests va certainement être long – à l’instar de ce qui s’est passé avec le PAK FA – tout comme le fait de réemployer une structure interne basée sur celle du Su-57 va nécessiter des ajustements durant la mise au point du programme; certaines sources parlant même du fait qu’un nouveau châssis propre au drone est en cours de développement. Et la Russie est clairement consciente des difficultés qui l’attendent, le réemploi du T-50-3 pour tester une partie des composants du S-70 va en ce sens; le programme étant loin d’être en avance sur le planning originel, le fait de répartir les plate-formes pour tester certains composants devrait permettre de gagner un peu de temps sur la mise au point de l’Okhotnik.

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Le T-50-3 au roulage. Image@Михаил Поляков

Il reste encore pas mal de travail à la Russie que pour faire évoluer et parfaire le système mais le couple envisagé Okhotnik/Su-57 sera un tandem offrant des performances inégalées au sein des forces aériennes russes et même si ce dernier nécessitera encore de longues années de mise au point, on voit très clairement que la Russie comble enfin son retard dans ce secteur; l’intervention en Syrie ayant semble-t-il été déterminante en la matière pour les décideurs militaires. Accessoirement, l’arrivée de l’Okhotnik bat sérieusement en brèche la théorie selon laquelle la Russie abandonnerait l’acquisition du Su-57; si le drone est bien conçu pour travailler en tandem avec celui-ci où serait la logique de l’abandon du programme?

Comme de coutume, nous aurons largement l’occasion de documenter ce programme à l’avenir.

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Pour ceux qui souhaitent poursuivre la lecture sur le drone Okhotnik, je ne puis que vous conseiller l’article de Piotr Butowski et Antony Angrand paru dans le magazine Air et Cosmos n°2627 daté du 08/02/2019.