[Dossier] Antonov An-225 Mriya; le dernier rêve de l’URSS?

A la fin des années 1980, alors que je n’étais encore qu’un enfant; mes parents décidèrent de m’abonner à une collection composées de fiches parlant d’aviation, ces fiches comportaient sur le recto une photo de l’avion et sur le verso une explication technique à laquelle je ne comprenais pas grand chose. Même si comme tous les enfants j’appréciais de regarder les avions, cet ensemble de fiches employant des termes abscons (à cette époque) marqua fortement mon esprit de part l’étrangeté de l’aspect de certains avions. Gros, petits, à une seule aile, à plusieurs ailes, atterrissant sur l’eau, etc… Mais je fus marqué par certains avions plus que d’autres.

Ainsi, il en est un qui me tapa plus spécifiquement dans l’œil. Pas le plus beau, pas le plus rapide: non, rien de tout ça. Il s’agissait d’un avion démesuré (quand on a 8 ans, tout paraît un peu gigantesque) comportant 6 réacteurs et frappé d’une étoile rouge sur sa « queue ». En outre, un drôle de mot que je ne savais absolument pas déchiffrer et que j’essayais désespérément de prononcer ornait son nez: Мрiя. A ce sujet d’ailleurs, mon père eut un énorme fou-rire quand je lui dis le plus sérieusement du monde que « Les messieurs avaient écrit le -R à l’envers! » Trêve d’anecdotes et de souvenirs d’enfance, presque trente ans plus tard, c’est à mon tour de parler de cet appareil pour lequel j’ai une affection toute particulière.

Et ce n’est pas tous les jours que l’on fête le trentième anniversaire de son premier vol, pourtant si il est bien un avion unique en son genre qui vient de passer ce cap; c’est bien l’Antonov An-225 Mriya qui effectua son premier vol le 21 décembre 1988 soit il y a un peu plus de trente ans.

Appareil tout à fait unique en URSS et par la suite en Ukraine, il fut conçu pour répondre à un besoin simple: assurer le transport de la navette spatiale soviétique Buran ainsi que des composants du lanceur Energiya entre les divers centres de production et d’essais et le pas de tir. Tout naturellement l’URSS s’est tournée vers son spécialiste ès appareils de transport lourds qu’est Antonov pour créer ce nouvel appareil. Ayant à son catalogue les imposants An-22A Anteï et le tout récent An-124 Ruslan (Nom de code OTAN: Condor), c’est sur base de ce dernier que va repartir le bureau de design Antonov pour créer son nouveau titan des airs; l’An-225 qui recevra le petit nom de Мрiя/MriyaRêve » en ukrainien).

Cet anniversaire est l’occasion idéale d’aborder plus en avant l’An-225 et son histoire.

L’Antonov An-225: un aperçu historique

Le programme spatial soviétique a eu une histoire longue, complexe et jalonnée de hauts faits et de tragédies sans nom, cependant malgré les moyens déployés et le fait que les soviétiques n’ont jamais mis un pied sur la lune, le programme ne s’est jamais réellement arrêté vu l’importance stratégique de cet « espace » pour les belligérants de la guerre froide. C’est pourquoi lorsque les USA ont lancé leur projet de véhicule spatial réutilisable (ce qui allait devenir la « navette spatiale »), les soviétiques leur embrayèrent le pas une fois qu’ils eurent vent du projet. Cependant les défis à relever étaient tout simplement gigantesques; nécessité de créer un lanceur, nécessité de créer le véhicule et les technologies/compétences liées, mobiliser les capitaux et disposer du tissus industriel nécessaire pour mettre en place l’ensemble des briques technologiques nécessaires pour atteindre cet objectif.

Même si l’URSS ne partait vraiment pas gagnante, elle réussit « presque » à mener à bien ce projet, le peu qui lui manqua pour y arriver découlant des événements géopolitiques ayant entraînés sa disparition; la navette créée portera le nom de Buran (classification GRAU 11K35) tandis que le lanceur sera connu sous le nom d’Energiya (classification GRAU: 11K25). Mais ceci est un autre sujet.

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La navette spatiale Buran accrochée au lanceur Energiya. Image@?

Dans le courant des années 1960, les forces armées soviétiques (et plus spécifiquement la branche de transport militaire, les VTA) réclamèrent la création d’un appareil de transport stratégique lourd apte à assurer la relève de l’An-22A Anteï dont l’URSS disposait à raison d’environ 50 unités et bien évidemment l’arrivée du C-5 Galaxy à la fin des années 1960 poussa les soviétiques à vouloir montrer au monde qu’ils étaient capables de faire mieux ET plus gros (sinon la course n’a aucun intérêt…). Les ingénieurs d’Antonov débutèrent les travaux le 21 juillet 1966 sur un nouveau transporteur stratégique développé sur base de l’An-22A, classifié sous le type Antonov An-122 et qui sera présenté en octobre 1967. L’An-122 présentait grosso-modo la même cellule légèrement élargie que l’An-22A mais les ailes au lieu d’être droites étaient en flèche ainsi que les stabilisateurs horizontaux, l’appareil disposait d’une masse maximale au décollage évaluée à 270 tonnes. Le projet ne faisant absolument pas le poids face au C-5 Galaxy, les ingénieurs furent priés d’aller revoir leur copie. Le bureau d’étude Antonov  fut chargé en date du 2 février 1972 de créer un nouvel avion militaire de transport stratégique et ils se mirent rapidement au travail, ce projet classifié sous le nom de code Izd.200 (le double de l’Izd.100; code projet de l’An-22) avança jusqu’au stade de la création d’une maquette à l’échelle 1:1. Cependant, vu le côté suranné du design proposé (pertinent mais suranné face aux évolutions technologiques), les ingénieurs furent priés d’aller revoir leur copie; une nouvelle résolution gouvernementale datée du 24 janvier 1977 lança le programme de développement d’un nouveau projet présentant des caractéristiques techniques beaucoup plus modernes disposant notamment de commandes de vol électriques et d’un profil d’aile supercritique, le tout étant repris sous la classification d’Izd.400.

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Malgré son âge, cet An-22A est toujours en service au sein des forces armées russes. Image@Gleb Borzyakov

Avant de poursuivre, il est bon de se rappeler que pour construire un appareil de transport lourd, trois choses sont nécessaires:

  • Un design facile à construire et simple à mettre en œuvre
  • Une usine assez grande que pour le produire en série
  • Une motorisation fiable, puissante et économe en carburant

Or sur ce dernier point la situation en URSS était loin d’être satisfaisante, l’URSS qui bénéficiait d’une grande expertise en matière de réacteurs militaires à hautes performances ne disposait d’aucun réacteur civil moderne apte à développer de fortes puissances tout en offrant une fiabilité suffisante pour motoriser un avion civil ou un cargo militaire lourd. Les causes de ce problème se trouvent dans deux facteurs:

  • La priorité absolue donnée aux moteurs militaires
  • Des décisions politiques contre-productives et/ou tardives

Lorsque Nikita Krouchtchev arriva au pouvoir après la mort de Staline, les crédits affectés aux recherches aéronautiques furent réorientés vers les missiles (la marotte du nouveau SecGen) ce faisant l’URSS prit un très gros retard dans le domaine des technologies aéronautiques qui à cette époque évoluaient très rapidement. La motorisation en souffrira cruellement et la priorité donnée aux programmes militaires fera que l’URSS se retrouvera à l’aube des années 70 avec des réacteurs civils ayant au bas mot une génération de retard face à leurs homologues occidentaux. Après avoir – sans succès – tenté d’importer en 1976 des réacteurs à double flux anglais Rolls Royce RB211 (tels qu’employés sur les L-1011 Tristar), l’URSS prit conscience que le développement d’un nouvel appareil de transport lourd passait obligatoirement par la mise au point d’un nouveau réacteur.

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Réacteur Rolls Royce (impossible de manquer le logo latéral!) RB211. Image@?

En vue de créer le nouveau réacteur nécessaire pour propulser l’appareil de transport stratégique envisagé, les ingénieurs de chez Lotarev repartirent du réacteur à double flux D-36 équipant les An-72 et An-74 comme base mais les travaux furent beaucoup plus complexes qu’envisagés vu le besoin de disposer d’une fiabilité accrue ainsi que de présenter une consommation en carburant modérée vu l’usage prévu de ce réacteur dans le secteur civil. Les travaux lancés dans le milieu des années 1970 prirent du retard et ce n’est qu’à la fin de 1980 que les premiers essais au sol furent réalisés, ces tests se prolongeant jusqu’à la moitié de l’année 1982. Les retards rencontrés par la mise au point du moteur entraînera de facto un retard à la sortie du premier An-124, de plus, la fiabilité des premiers moteurs était faible ainsi que leur durée de vie limitée (4.000 heures de vol); ces problèmes seront solutionnés au fur et à mesure des années.

Autre élément qui doit être abordé avant de poursuivre; l’usine de production. Vu les dimensions que le nouvel appareil envisagé allait présenter, le besoin de construire de nouvelles usines de production adaptées (ou de moderniser des installations existantes pour le nouvel appareil) s’imposa. L’URSS dans sa logique de planification et de répartition du travail acta la décision de diviser la production du nouvel appareil sur deux sites de production:

  • KMZ / КМЗ Киевский механический завод (Kiev)
  • UAPK / УАПК  Ульяновский авиационно-промышленный комплекс (Ulyanovsk)

En ce qui concerne l’usine d’Ulyanovsk (devenue Aviastar-SP en 1991), il s’agit d’une installation entièrement neuve construite pour et autour la production du nouveau transporteur stratégique tandis que l’usine KMZ (devenue AVIANT) à Kiev a été largement remaniée et modernisée pour accueillir la production du nouvel appareil.

Une fois que le projet d’Izd.400 fut lancé en 1977, le projet avança à un rythme rapide (surtout selon les standards soviétiques) mais il est vrai que les principaux écueils à franchir dans ce type de projet étaient déjà en cours de traitement (usines et motorisation) depuis plusieurs années, l’URSS ayant anticipé ces questions. Le nouvel appareil classifié sous le type d’Antonov An-124 et baptisé du nom de Руслан/Ruslan (code OTAN: Condor) effectuera son premier vol en date du 24 décembre 1982. L’histoire détaillée de l’An-124 sera abordée plus en avant dans un dossier séparé.

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Un An-124-100 en service au sein de la compagnie Volga-Dnepr. Image@Wikipedia.com

Dans le cadre de son programme spatial l’URSS hésitait sur la voie à suivre en ce qui concerne le nouvel appareil à développer pour assurer le transport des composants; une première solution adoptée fut de convertir un Myasishchev 3M Bison en appareil de transport pour charges externes encombrantes ce qui donna naissance aux deux Myasishchev VM-T (on parle également de 3M-T), cependant cette solution était loin d’être satisfaisante et ne pouvait aucunement être une solution définitive. Après avoir d’abord envisagé de repartir d’une feuille blanche, les décideurs soviétiques décidèrent de prendre l’An-124 comme base de travail. La variante envisagée était classifiée sous le type Antonov An-124KT et consistait en un An-124 allongé d’environ 7 mètres disposant de points d’ancrages sur le dessus du fuselage mais disposant toujours de sa dérive unique. L’emploi de l’An-124 se justifiait notamment par la possibilité de gagner du temps en ne repartant pas de zéro tout en diminuant le coût total du projet vu qu’une partie des composants existants purent être réemployés.

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Un des deux Myasishchev VM-T, celui-ci est le RF-01502. Image@planespotters.net

Bien que la logique voudrait que l’An-124 soit la base idéale évidente pour créer un nouvel appareil ceci ne coulait pas de source pour autant. En effet, la masse maximale que devait déplacer le nouvel appareil était estimée initialement à 170 tonnes, valeur qui sera revue à la hausse en 1982 avec une nouvelle masse à déplacer estimée entre 250 et 270 tonnes; ce qui est loin des 150 tonnes de charge que peut emporter un An-124. Les modifications à envisager pour disposer d’un appareil utilisable étaient donc plus conséquentes qu’on ne pourrait le croire. Les ingénieurs soviétiques lancèrent les travaux préliminaires sur base de l’An-124 dès 1983 mais il faudra attendre le 16 octobre 1986 pour assister à la validation du concept technique du nouvel appareil avant de voir le développement ainsi que la construction du nouvel appareil sanctionné dans la résolution du Comité Central n° 587-132 datée du 20 mai 1987. A titre d’anecdote, signalons que le ministre soviétique en charge de l’industrie aéronautique (A.S Systsov) déclara aux concepteurs de l’An-225 que « si ils développaient l’avion en deux ans, ils seraient nommés ministres« !

Les principales modifications à réaliser sur l’An-124 pour créer le nouvel appareil portèrent sur le renforcement du châssis, l’augmentation du nombre de roues du train d’atterrissage, l’allongement du fuselage, la création d’une nouvelle partie centrale de l’aile liée à l’allongement l’envergure, l’ajout de deux moteurs supplémentaires et enfin le changement de la dérive unique avec son remplacement par deux doubles dérives permettant de dégager l’espace en toiture. La liste des travaux peut sembler longue vue de la sorte mais comparativement à la création d’un appareil entièrement neuf, elle ne représente qu’une fraction du travail à réaliser. Connu initialement par les experts occidentaux comme « Antonov An-40 » puis « Antonov An-400 » (certainement sur base d’une indiscrétion en rapport avec le code projet), le nouvel appareil sera repris sous le nom d’Antonov An-225 Мрія/Mriya (nom de code OTAN: Cossack). A titre d’anecdote signalons qu’il fut d’abord envisagé de le dénommer (ce qui eut été plus cohérent) en tant qu’Antonov An-224.

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Le premier An-225 en cours d’assemblage final à Kiev. Image@Buran.fr

A partir du moment où les décisions furent actées, les choses vont bouger très vite et la chaîne logistique mise en place pour l’An-124 va être habillement réemployée pour produire le premier prototype de l’An-225; pas moins d’une centaine d’usines de production furent mobilisées pour produire l’An-124 et par conséquent l’An-225. L’assemblage final de l’appareil se déroulant au sein de l’usine KMZ de Kiev. Les ingénieurs dirigeant l’équipe de développement étaient Petro Vasylovych Balabuyev (1931-2007) et Viktor Tolmachev (1934-2018).

Pour donner une idée des entreprises mobilisées dans la production de l’An-225 (ainsi que de l’An-124) voici une liste des principaux acteurs participant à ce projet:

  • L’aile provient de TAPOiCH (Tashkent) en Uzbékistan
  • Les moteurs proviennent de ZMZ (Zaporozhié) en Ukraine
  • Le train d’atterrissage provient de Hydromash (Nijni Novgorod) en Russie
  • La peinture de l’appareil a été faite chez VAZ (Voronezh) en Russie
  • Le système de commandes de vol provient de MIEA (Moscou) en Russie
  • Le nez, l’arrière, les pylônes proviennent de chez KiAPO (Kiev) en Ukraine
  • Certaines larges pièces du fuselage proviennent de chez UAPK (Ulyanovsk) en Russie
  • Le design de l’appareil, la création des nouvelles pièces ainsi que l’assemblage des composants se déroule chez KMZ (Kiev) en Ukraine

Grâce à cette mobilisation combinée à la répartition des travaux à réaliser, le premier prototype de l’An-225 (portant le registre: CCCP-480182) sortit d’usine le 30 novembre 1988, les essais au sol se déroulant – sans rencontrer de difficulté majeure – les 3 et 4 décembre avec un premier prévu pour le 20 décembre. Suite aux mauvaises conditions météo sur Kiev, le vol sera reporté au jour suivant et c’est donc le 21 décembre que l’An-225 pris l’air pour la première fois avec Aleksandr Galunenko aux commandes. Ce premier vol qui se déroula sans encombres sera suivi par un deuxième vol le 28 décembre. L’avantage de l’emploi de l’An-124 comme base pour la création de l’An-225 permis d’accélérer le programme de tests et c’est le 1er février 1989 que l’appareil sera présenté officiellement à la presse nationale et internationale sur l’aéroport de Kiev Gostomel.

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Peu de temps avant sa présentation officielle au sein de l’usine KMZ. Image@Buran.fr

Dès son entrée en service, l’An-225 va battre plusieurs records dont notamment celui du plus gros avion du monde (record qu’il détient toujours) ainsi que celui de la plus lourde charge transportée (ce record évoluera au fil des années). Bien évidemment la machine à propagande soviétique fonctionnait à plein régime vu qu’un vol de démonstration sera réalisé le 22 mars 1989 durant lequel pas moins de 109 records mondiaux seront battus. Cependant, il faudra attendre le 3 mai 1989 pour assister au premier vol de l’An-225 (ré-immatriculé CCCP-82060) avec la navette Buran sur son dos et ce au départ de Baïkonour. Le véritable début à l’international aura lieu lors du 38ème salon international du Bourget en 1989 (du 9 au 18 juin) où le tandem Mriya/Buran sera présenté au public à la fois au sol et en vol avec une démonstration assez musclée de l’appareil ainsi que ses qualités de vol.

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Le couple mythique: Buran/Mriya vu au décollage. Image@Aad van der Voet

La participation de l’An-225 à plusieurs salons internationaux (toujours dans un but communicationnel, bien évidemment) retardera de plusieurs semaines le début des tests d’homologation étatique qui ne débutèrent qu’à partir du 18 mai 1989. La situation en URSS évoluant de plus en plus rapidement et le potentiel de l’An-225 ayant été pris en compte par ses propriétaire, un premier vol à but commercial et transportant des tracteurs T-800 représentant une charge de 110 tonnes sera effectué en mai 1990. Aléa de l’histoire, la fin de l’URSS impliqua pour l’An-225 la fin des tests impliquant le transport de composants d’Energiya (le lanceur)… qui était pourtant une des raisons principales de sa création!

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Vue en 3/4 avant de Buran sur le dos du Mriya. Image@Pinterest

Lorsque l’URSS s’effondra à la fin de 1991, l’An-225 passa dans les mains du bureau d’études Antonov et donc de l’Ukraine avec réimmatriculation de l’appareil sous le numéro UR-82060; ceci aurait pu signifier la fin définitive du projet et la mise au pilori de l’An-225. Or comme nous le verrons plus loin, il n’en sera rien.

Avant de poursuivre sur l’histoire post-soviétique de l’An-225, abordons plus en détails les aspects techniques de ce géant des airs.

L’An-225 d’un point de vue technique

Repris sous le code de projet Izd.402, l’An-225 est un avion-cargo lourd (ultra-lourd?) hexamoteur à ailes hautes à flèche légère et double empennage apte à transporter des charges lourdes en soute ou – si nécessaire – des charges encombrantes (et/ou lourdes) en extérieur sur son fuselage.

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Le fuselage est composé de deux ponts montés l’un sur l’autre ce qui a permis de dégager une vaste soute cargo disposant d’un nez mobile avec rampe de chargement; à l’inverse de l’An-124, l’An-225 ne dispose pas de rampe de chargement arrière. Nous y reviendrons.

Le cockpit est pressurisé (7,8 psi) et positionné en avant de l’avion au-dessus de la soute dégageant ainsi un vaste champ de vision pour l’équipage, l’accès au cockpit se fait via une échelle mobile installée dans la soute. Un deuxième compartiment situé en arrière du cockpit permet de transporter un équipage de rechange ainsi que jusqu’à 70 passagers si le besoin s’en fait sentir, à l’inverse, bien que pressurisée (plus faiblement à hauteur de 3,6 psi), le transport de passagers n’est pas autorisé dans la soute de l’An-225.

Par convention et simplicité, même si l’An-225 est maintenant au standard An-225-100, nous continuerons de parler d’An-225.

Dimensions générales

Appareils aux dimensions impressionnantes, l’An-225 présente une partie de ses caractéristiques communes avec celles de l’An-124 Condor, filiation oblige, bien que son accroissement en taille lui confère un aspect unique, les données de bases de l’appareil sont les suivantes;

Dimensions générales de l’An-225

  • Longueur: 84 m
  • Envergure: 88,4 m
  • Hauteur: 18,1 m
  • Surface alaire: 905 m²
  • Charge alaire: 662,9 kg/m²

On ne peut pas parler de l’An-225 sans aborder la question des différences entre celui-ci et l’An-124, si il est bien évidemment impossible de lister l’ensemble des modifications apportées pour créer le Mriya, un ensemble de différences les plus évidentes peuvent être abordées;

Liste des principales différences entre An-124 et An-225

  • Allongement du fuselage par introduction d’un nouveau tronçon en amont de l’aile et un autre en aval avec allongement total d’environ 14 m
  • Nouveau design de la zone centrale de l’aile lié à l’augmentation de l’envergure
  • Implantation de deux réacteurs supplémentaires portant le total à 6
  • Renforcement du châssis de l’appareil
  • Redesign complet de la zone arrière avec suppression de la dérive unique et remplacement par un système de double dérives qui dégage l’espace en toiture sans impacter les performances de vol
  • Implantation du système de fixation pour charges lourdes en toiture
  • Train d’atterrissage agrandi, le nombre de roues étant de 32

Il s’agit ici des modifications les plus visibles qui permettent de reconnaître directement l’An-124 de l’An-225, bien évidemment la structure interne de l’appareil a été renforcée eu égard à l’augmentation de la charge utile; le tableau ci-dessous permet de se faire une meilleure idée des modifications « subies » par l’An-124-100 pour devenir l’An-225.

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Le fuselage présente une section de forme ovoïde identique à celle de l’An-124 avec les parties « habitables » situées en hauteur, au-dessus de la soute permettant donc d’obtenir un volume rectiligne uniforme de celle-ci. Le nez de l’appareil est arrondi et identique à celui de l’An-124, tandis que l’arrière de l’appareil se rétrécit pour former une pointe arrière.

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Ce comparatif entre l’An-124 et l’An-225 permet de voir la différence dans le design de la zone centrale de l’aile. Image@airvectors

La structure de l’appareil est un mélange de Titane, d’Acier ainsi que de matériaux composites à base d’Aluminium; vu les contraintes rencontrées par l’An-124 (et l’An-225), il fut nécessaire de développer de nouveaux matériaux aptes à satisfaire aux besoins opérationnels et les caractéristiques structurelles recherchées (notamment le besoin de créer de grands panneaux pour le fuselage par extrusion). Les métallurgistes soviétiques furent mobilisés et mirent progressivement au point après de nombreuses recherches trois nouveaux alliages à base d’Aluminium;

  • Le 1161T
  • Le 1973T(2)
  • Le 1933T(2)

Pour faire simple, il s’agit de nouveaux matériaux composites à base d’Aluminium qui contiennent notamment du Cuivre, du Zinc, du Manganese et enfin du Zirconium. C’est la deuxième femme d’Oleg Antonov, Elizabeth Avetovna (Ingénieure et Docteure en sciences techniques) qui poussa en avant les travaux sur les nouveaux alliages en collaboration avec la fonderie VSMPO-AVISMA (ВСМПО-АВИСМА) implantée à Verkhnyaya Salda (Oblast de Sverdlovsk). Une fois ces alliages validés, ils furent introduits dans les parties structurelles de l’An-124, de l’An-225 ainsi qu’au sein de l’An-70. Pour l’anecdote, signalons également que certains des alliages et techniques de production développées ont été réemployés pour le Boeing 787 Dreamliner!

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Une des photos les plus connues de l’ensemble prise lors du salon du Bourget 1989. Image@Buran.fr

Découlant de l’accroissement de la masse de l’appareil, l’aile de l’An-225 a du être redessinée pour augmenter la surface alaire et par conséquent la portance, recevoir les deux réacteurs supplémentaires nécessaires pour maintenir les performances de l’appareil malgré l’augmentation de la taille et enfin pour supporter les masses devant être transportées en toiture. Cette aile redessinée se caractérise notamment par la zone située à la jonction avec le fuselage qui au lieu d’être en flèche comme sur l’An-124 présente un profil rectangulaire avant de partir en flèche à 27°. A titre d’exhaustivité, signalons que la partie supérieure de l’aile est de 1161T tandis que la partie inférieure est composée de 1973T2 tandis que certaines parties internes sont en 1933T2; le tout étant produit sur base de profilés obtenus par extrusion.

Au niveau des surfaces de contrôle, les ailes disposent chacune de quatre volets de type Fowler en une seule pièce, de deux ailerons positionnés en extrémité de la voilure ainsi que de becs de bord d’attaque auxquels viennent s’ajouter des spoilers. L’extrémité de l’aile est arrondie.

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Les différentes surfaces de contrôle employées par l’An-225; en rouge, les becs de bord d’attaque. En vert, les deux ailerons. En mauve, les volets Fowler. Image@Wikipedia / Monateg@RS

L’empennage de l’An-225 est la zone qui a connu les plus grosses modifications par rapport à celle de l’An-124; la dérive du Ruslan a été supprimée et remplacée par une nouvelle construction composée de deux stabilisateurs horizontaux agrandis sur lesquels sont flanqués à chaque extrémité des stabilisateurs. Ce système a été développé pour répondre à deux besoins:

  • Dégager au maximum l’espace supérieur de l’appareil
  • Limiter l’impact des turbulences générées par des charges lourdes située en toiture sur les qualités de vol de l’An-225
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Gros plan sur l’empennage de l’An-225-100. Image@russianplanes.net

Pour assurer le pilotage de cet appareil pas moins de six membres d’équipage (pilote, copilote, deux mécaniciens navigants et un radio) sont nécessaires; le système de pilotage et navigation est repris sous le type A-825M. Deux radars sont implantés de manière superposée dans le nez, un radar se chargeant des données météo et l’autre étant employé par le système de guidage: ceci offrant à l’appareil une capacité de vol par tous temps (VFR et IFR) de nuit comme de jour, l’An-225-100 est doté d’un pilote automatique apte à fonctionner soit sur base de coordonnées préétablies et assurer l’ensemble des phases de vol de l’appareil soit apte à maintenir l’appareil en vol de croisière à une altitude préétablie.

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Bien qu’il s’agisse ici d’un An-124-100, on voit mieux la position superposée des deux radars embarqués telle que sur l’An-225-100. Le radar météo est au-dessus, le radar de guidage en-dessous. Image@Victor Cherkuyaev

Les commandes de vol de l’An-225 sont électriques et quadruplexées auxquelles s’ajoutent un système mécanique en back up assurant des fonctions limitées permettant de ramener l’appareil au sol en cas de défaillance des commandes électriques. A noter que malgré sa taille, l’An-225-100 présente un profil presque « naturellement stable », ce qui indique que l’appareil tend à rester stable (le centre de masse se confond avec le centre aérodynamique) en l’absence d’impulsions de la part des pilotes sur les commandes.

Le cockpit présente encore une configuration classique avec une instrumentation pensée de manière ergonomique pour limiter la charge de travail des deux pilotes; ces derniers disposent chacun d’un manche à balais pour assurer le pilotage, les quatre autres membres d’équipage sont installés derrière les pilotes, latéralement. Chose intéressante pour un appareil conçu selon la philosophie de pilotage soviétique; ici ce sont les pilotes qui gèrent la puissance moteur nécessaire selon la phase de vol. Philosophiquement parlant, les pilotes soviétiques assuraient le pilotage au sens strict du terme, c-à-d que la puissance moteur était du ressort du mécanicien navigant qui décidait du régime moteur à adopter durant le vol; ce dernier disposait d’ailleurs d’un siège lui donnait un accès direct aux commandes moteurs situées sur une console centrale disposée entre les pilotes. L’An-124 et l’An-225 suivent les principes occidentaux (les pilotes gèrent eux-mêmes les moteurs) même si les informations relatives aux six moteurs sont prises en charge par les mécaniciens navigants et ce sont ces derniers qui informent les pilotes de l’état de ceux-ci.

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Le poste de pilotage de l’An-225, loin d’être le dernier-cri en la matière. On remarquera les instruments principaux qui sont encadrés en blanc pour attirer l’attention des pilotes. Image@?

Enfin, vu son emploi dans le secteur civil et malgré sa taille qui pourrait en faire une cible de choix, l’An-225-100 ne dispose pas de systèmes de contre-mesures et/ou de guerre électronique.

Motorisation

Ce sont pas moins de six turboréacteurs à double flux Progress (Lotarev) D-18T series 3 d’une poussée maximale de 229,85 kN et dotés d’inverseurs de poussée qui équipent l’An-225, ces moteurs ont été développés par le bureau ZMKB Progress sous la direction de l’ingénieur V.A Lotarev (d’où le nom parfois attribué au moteur) et produits chez Motor Sich (Ukraine). Avec l’arrivée du D-18T, il s’agit ni plus ni moins que du premier réacteur soviétique dépassant les 20 tonnes de poussée.

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Schéma illustrant les principaux éléments constitutifs du D-18T. Image@?

Le Lotarev D-18T est un turboréacteur à double flux doté de trois corps et présentant un fort taux de dilution (c-à-d: le rapport entre la masse d’air du flux froid et celle du flux chaud au sein du moteur). Les trois corps composant le D-18T sont:

  • Le corps Basse-Pression
  • Le corps Moyenne-Pression
  • Le corps Haute-Pression

La partie Basse-Pression se caractérise par la présence d’une large soufflante de 2,33 m de diamètre qui est suivie par les corps moyenne et haute-pressions disposant chacun de sept étages de compresseurs axiaux amenant l’air dans la chambre de combustion à une pression de 27,5 bars. La chambre de combustion dispose de vingt-deux injecteurs de carburant ainsi que deux allumeurs, les gaz chauds partent ensuite vers la tuyère en passant d’abord à travers les turbines moyenne et haute-pressions à un étage ainsi que la turbine basse-pression à quatre étages qui actionne la soufflante.

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Schéma interne du moteur D-18T. Image@Buran.fr

Les moteurs sont implantés sur des pylônes à raison de trois unités espacées de manière équidistante sous chaque aile.

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Caractéristiques générales des D-18T

  • Longueur: 5,4 m
  • Largeur: 2,93 m
  • Hauteur: 2,79 m
  • Diamètre de la soufflante: 2,33 m
  • Masse à sec: 4,1 tonnes
  • Poussée maximale par moteur: 229 kN
  • Poussée totale: 1374 kN (229 x 6)
  • Taux de dilution: 5,7 : 1
  • Taux de compression: 27,5 : 1
  • Débit d’air: 36 kG/seconde
  • Température à l’entrée de la turbine: 1.600 K (1.327 °C)

Outre les moteurs, l’An-225 dispose de deux groupes auxiliaires de puissance (APU) du type TA-12 développant chacun 291 kW et implantés aux extrémités des nacelles des trains d’atterrissage principaux.

Capacités et performances

  • Soute et capacité de chargement

L’An-225 est en réalité construit autour de sa soute, c’est cette dernière qui conditionne les dimensions générales de l’appareil et sa configuration.

Dimensions de la soute

  • Volume: 1.300 m³
  • Superficie du plancher: 280 m²
  • Longueur: 43,35 m
  • Largeur: 6,4 m
  • Hauteur: 4,4 m

L’accès à la soute se fait par le nez de l’appareil, celui-ci pouvant se relever vers le haut et il est doté d’une porte d’accès qui présente fort logiquement une largeur de 6,4 m et une hauteur de 4,4 m.

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L’An-225-100 avec le nez ouvert; il est plus facile d’appréhender le côté « gargantuesque » de l’appareil lorsqu’on compare la taille du personnel par rapport à l’avion. Image@Kuba Jirasek

A l’inverse de l’An-124, l’An-225 ne dispose pas de rampe de chargement arrière: ceci découlant de la nouvelle configuration des empennages, les ingénieurs ont donc supprimé la rampe en vue d’offrir à l’appareil une résistance structurelle accrue de cette zone de l’avion tout en réduisant la masse totale à vide.

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Cette vue arrière de l’An-225 permet de voir l’absence de portes de chargement. Image@Vasiliy Koba

Le plancher de la soute est en titane et deux grues de chargement sont installées latéralement dans le plafond de la soute, ces deux grues étant aptes à déplacer chacune une masse de 10 tonnes.

De plus, le train d’atterrissage de l’An-225 est composé de trente-deux roues (à titre de comparaison, l’An-124 ne dispose que de vingt-quatre roues) qui se répartissent à raison de quatre roues sur la roulette avant ainsi que deux fois quatorze roues sur les atterrisseurs principaux, ces derniers étant implantés dans des carénages latéraux disposés de part et d’autre de la soute. La pression dans les pneus peut être ajustée au sol ce qui permet de diminuer la hauteur de l’avion, de plus, l’atterrisseur avant peut se replier partiellement, ce qui permet à l’appareil de s’agenouiller et donc de faciliter son chargement.

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L’ensemble du train d’atterrissage de l’An-225-100. Image@? / Montage@RS

Contrairement à l’An-124, l’appareil n’ayant pas été conçu dans le but d’être un transporteur stratégique; son emploi sur tous types de pistes (même sommaires) n’ayant pas été pris en ligne de compte. Néanmoins et malgré sa taille, les roues avants sont mobiles ainsi qu’une partie des roues des atterrisseurs principaux et ce, de manière à limiter le rayon de giration de l’appareil.

Avec une masse à vide de 250 tonnes, l’An-225-100 est déjà un appareil imposant en soi mais si l’on ajoute sa capacité en carburant ainsi que sa charge utile maximale, on obtient des chiffres qui sont pour le moins impressionnant.

Capacité de transport de l’An-225-100

  • Masse à vide: 250 tonnes
  • Masse maximale au décollage: 640 tonnes
  • Charge utile en interne: 250 tonnes
  • Charge utile en externe: 200 tonnes

Alors que l’An-225 d’origine offrait une masse maximale au décollage de 600 tonnes, l’An-225-100 tel que modifié et doté d’un plancher renforcé présente une masse maximale au décollage de 640 tonnes. Ce qui reste toujours actuellement un record absolu en la matière.

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L’An-225 version soviétique: avec le drapeau de l’URSS et l’immatriculation en CCCP. Image@Buran.fr

Outre sa capacité de transport en interne qui est la raison principale de l’emploi contemporain de l’An-225-100, l’appareil dispose toujours du système de fixation utilisé pour transporter la navette spatiale Buran sur le dessus de son fuselage. Ce système comprend deux carénages servant de point d’appui et d’ancrage principaux implantés au droit du caisson central de la jonction aile-fuselage, quatorze autres points de fixation supplémentaires permettent d’arrimer et d’équilibrer les fixations des charges en toiture.

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En rouge, les deux points d’appui et d’ancrage principaux, en vert les points de fixation supplémentaires. Image@Wikipedia.com / Montage@RS
  • Performances

L’An-225 voit ses performances varier – fort logiquement – selon la masse transportée, mais certains chiffres sont disponibles et vérifiés.

Performances de l’An-225

  • Vitesse maximale: 850 km/h
  • Vitesse de croisière: 800 km/h
  • Autonomie maximale (dotation carburant complète): 15.400 Km
  • Autonomie avec une charge utile de 200 tonnes: 4.000 Km
  • Capacité en carburant: 405.000 Litres (environ 300 Tonnes)
  • Altitude de croisière: 11.000 m
  • Course au décollage à pleine charge: 3.500 m

L’autonomie de l’An-225-100 dépend donc de la charge embarquée ainsi que de la quantité de carburant à bord et malgré toutes ses qualités, la présence de 6 réacteurs relativement gourmands (par rapport aux standards contemporains) ainsi que le caractère unique de l’appareil font que son exploitation est onéreuse et difficilement rentable.

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La dotation maximale en carburant de l’An-225 est de 405.000 litres de kérozène représentant une masse d’environ 300 tonnes, le carburant est stocké dans pas moins de 18 réservoirs répartis dans les ailes; chaque moteur étant alimenté par trois réservoirs. En vol de croisière et selon la charge transportée, l’An-225 consomme 15,9 tonnes de fuel à l’heure.

Enfin et à l’instar de son petit frère, l’An-225 ne dispose pas de la capacité à être ravitaillé en vol.

L’An-225, une reconversion qui tombe à pic

Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, la carrière de l’An-225 ne s’arrêtera pas avec la disparition de l’URSS le 31 décembre 1991. La raison d’être de l’appareil ayant disparu, sa propriété ayant été transféré à un nouveau pays où tout (ou presque) était à construire; son avenir semblait compromis. Comme indiqué auparavant, l’avion perdit presque du jour au lendemain tout son intérêt néanmoins le bureau d’études Antonov décida quand même de lancer le processus d’homologation civile de l’appareil en vue de reconvertir l’An-225 sur le marché du fret international.

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L’An-225 dans ses anciennes couleurs mais déjà avec le drapeau ukrainien. Image@Buran.fr

La perte des missions principales de l’An-225 n’obéra pas pour autant les performances de l’appareil qui furent dans un premier temps envisagées pour assurer notamment le lancement de véhicules spatiaux, plusieurs projets consécutifs furent envisagés, il s’agit notamment de:

  • Un projet datant de 1991 développé par BAe (British Aerospace) concernant une navette spatiale de 250 tonnes dénommé HOTOL 2 et devant être lancé directement depuis le dos de l’An-225
  • NPO Molniya fit plusieurs propositions sur base de l’An-225 pour transporter des navettes spatiales et/ou des lanceurs dont notamment le système de navette réutilisable MAKS apte à emporter jusqu’à 19 tonnes de charge utile.
  • Un projet assez amusant fut celui de transformer l’An-225 en appareil civil de luxe avec la capacité de transporter 328 passagers sur 9.700 Km, ces derniers étant repartis sur trois ponts et logés dans des cabines disposant de lits et de tout le confort moderne, l’installation d’un restaurant et d’un casino étant envisagé également. En outre l’An-225 aurait été remotorisé avec des réacteurs occidentaux et l’électronique embarquée remplacée par des composants de la même origine.
  • Un autre projet portait sur la transformation de l’An-225 en appareil de recherche et secours apte à transporter sur son dos un Ekranoplan A-90 Orlyonok (rien que ça!)
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Un aperçu des projets initiaux ainsi que de certaines reconversions envisagées pour l’An-225. Image@Aerohobby n°1

Si le but de cet article n’est pas de lister l’ensemble des projets, il permet de mieux appréhender les divers usages envisagés pour la reconversion de l’An-225. Que ce soit pour d’évidentes raisons techniques ou pour des raisons de faisabilité; aucun de ces projets n’abouti. L’absence de moyens financiers disponibles pour assurer ce type de conversions étant également un des principaux éléments dans la non-réalisation des projets op cit. Vu le côté gourmand (6 réacteurs conçus à une époque où la consommation n’était pas le principale priorité), la forte augmentation du prix du kérosène ainsi que le côté non-standardisé de l’appareil qui nécessite des piste de certaines dimensions pour pouvoir atterrir et décoller.

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Maquette du projet d’An-225 emportant l’Ekranoplan A-90 Orlyonok sur son dos. Image@A.V.Karpenko

Bref, en 1994 l’OKB Antonov décide d’arrêter les frais sur l’avion et de réemployer une partie de ses composants (les réacteurs notamment) pour servir de banque d’organes aux An-124 restés sur le territoire ukrainien; l’homologation civile de l’appareil étant interrompue après avoir complété 15 vols sur les 20 prévus pour achever le processus.

L’Antonov An-325

Enième variante envisagée sur base de l’An-225, l’Antonov An-325 était un projet d’une version agrandie (!) de l’An-225 devant servir de véhicule de lancement pour des véhicules spatiaux.

Outre des modifications structurelles diverses, la caractéristique la plus surprenante de ce projet portait sur le montage de deux réacteurs supplémentaires; ainsi ce n’était pas moins de 8 réacteurs qu’aurait du emporter l’An-325! Les deux réacteurs supplémentaires étant jumelés avec le réacteur le plus proche du fuselage. Cette solution des plus surprenante débouchera quand même sur une maquette qui sera étudiée au sein du TsAGI avant d’être abandonnée pour les habituelles raisons financières de l’époque.

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La maquette de l’An-325 tel qu’envisagé est testée au centre TsAGI. Image@?

Il est d’ailleurs assez utile de se pencher un peu sur les chiffres parce qu’au moment où l’An-225 est cloué au sol (dernier vol en date du 7 mai 1994), il a effectué:

  • 339 vols totalisant 671 heures
  • 113 vols totalisant 253 heures avant la chute de l’URSS
  • 14 vols avec Buran sur son dos totalisant 28 heures et 27 minutes

Globalement lorsqu’il est arrêté, l’An-225 est un appareil neuf qui est condamné à prendre la poussière avant une hypothétique mise à la casse plus aucun avenir ne se profilant pour lui. De plus, le deuxième prototype qui était en construction avancée est stocké inachevé à l’usine; sa production étant réalisée à hauteur de 65%.

Dans le courant des années 1990, deux éléments vont sensiblement changer la donne;

  • La fondation d’Antonov Airlines qui a pour but d’exploiter commercialement la flotte d’An-124 sur le marché du fret mondial ce qui dégagea des bénéfices substantiels
  • Le regain important du même marché du fret mondial qui dopa la demande en appareils cargos spécialisés

Ainsi, avec des moyens à nouveau disponible ainsi que la nécessité de disposer d’appareils de forte capacité germa l’idée de faire revenir sur le devant de la scène l’An-225. Néanmoins, vu le niveau d’occupation des équipes du bureau d’études sur les projets An-70 et An-140, il était impossible de mobiliser des équipes sur le projet de l’An-225.

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L’An-225-100 vu au roulage à Kiev en avril 2018. Photo@Tamerlan Haciyev

Les premiers travaux débutèrent en août 2000 et ils mobilisèrent plusieurs équipementiers en Ukraine (dont Motor Sich, le producteur des réacteurs D-18T qui fournit les réacteurs neufs ainsi que leur entretien) mais également en Russie. Autre époque, autres acteurs; l’usine Aviastar SP d’Ulyanovsk fut également mobilisée pour fournir une partie des composants structurels manquants, cette usine travaillant encore à cette période sur la production d’An-124 neufs. Après une phase d’étude et d’évaluation des travaux à réaliser ainsi que de leur coût qui s’acheva en novembre 2000, les travaux (d’un montant évalué à 20 millions d’USD) à proprement parler débutèrent dans la foulée, ces derniers étant financés sur fonds propres par Antonov; outre la remise en état de vol l’appareil, une modernisation légère (au niveau de l’avionique) lui fut octroyée en vue de pouvoir obtenir sa certification auprès de l’IAC AR.

L’installation des nouveaux moteurs s’acheva en février 2001 et c’est en date du 9 avril de la même année que l’appareil sera présenté (pour la deuxième fois) à l’usine Antonov de Kiev avant d’effectuer son deuxième « premier vol » en date du 7 mai 2001 soit exactement sept ans après avoir été arrêté. Pour couronner le retour en vol de ce géant des airs, l’An-225 ainsi modernisé et modifié est reclassé au nouveau standard An-225-100 (numéro de registre UR-82060) et après avoir (enfin!) effectué les vingt vols requis, il reçoit son certificat de navigabilité le 23 mai 2001. L’An-225-100 sera à nouveau présenté au salon du Bourget de 2001 avant d’être remis à son nouveau propriétaire Antonov Airlines qui l’engagea pour son premier vol commercial le 3 janvier 2002.

Le deuxième prototype An-225

La construction du deuxième prototype d’An-225 fut lancée en 1985 et les travaux avancèrent rapidement avant de ralentir au fur et à mesure de la crise financière traversée par l’URSS peut avant son effondrement.

Lorsqu’en 1994 le premier An-225 est remisé sans emploi, les travaux du deuxième prototype furent suspendus bien que la cellule considérée comme étant achevée à environ 65% ne fut pas détruite. De plus, les ailes produites par TAPOiCH furent finalement réceptionnés (bien que non-installées) suite au règlement des questions financières qui voyaient les ouzbeks refuser de livrer les ukrainiens tant que celles-ci n’étaient pas payées. Bien que plusieurs tentatives furent faites pour obtenir les financements permettant d’achever le deuxième prototype (la Russie envisagea de l’acquérir en 2010 notamment); tous les plans échouèrent.

Malgré tout, l’appareil est conservé à l’intérieur et présente un excellent état de conservation qui fait de lui un candidat idéal pour servir de prototype si les projets chinois viennent à se concrétiser.

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Le deuxième prototype d’An-225 stocké inachevé à Kiev. Image@Vyacheslav Smigunov

Depuis sa remise en service, l’An-225-100 a fait tomber plusieurs records mondiaux supplémentaires (à la fois pour répondre à des demandes commerciales mais également pour des besoins de marketing); avec notamment un vol daté du 11 septembre 2001 (ça ne s’invente pas) qui consista à transporter quatre chars de combat disposant d’une masse totale de 253,82 tonnes. Ceci est toujours un record absolu en la matière. Pour l’anecdote, le record de la plus longue charge transportée par voie aérienne revient également à l’An-225-100 avec le transport de deux éoliennes de 42,1 m de long qui eut lieu en juin 2010.

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L’An-225-100 porte les couleurs de l’Ukraine ainsi que le logo d’Antonov Airlines. Image@Petr Beran

Au moment de rédiger ces lignes, l’An-225-100 est toujours en service au sein d’Antonov Airlines à l’inverse, le bureau de design Antonov a été liquidé par l’état ukrainien en date du 27 janvier 2016; les actifs de ce dernier ayant été fusionnés avec d’autres au sein de l’agence Ukroboronprom.

L’An-225 demain et après?

Il n’existe donc à l’heure actuelle qu’un seul An-225, le deuxième prototype étant stocké achevé à environ 65% à Kiev. Le contexte socio-économique de l’Ukraine fait qu’il est très peu probable que l’achèvement de ce prototype soit mené à son terme néanmoins l’appareil est stocké à l’abri et bien protégé, cette possibilité restant ouverte si un client venait à se manifester.

Sur base de son usage actuel et du potentiel de la cellule (20.000 heures de vol, 4.000 vols, 45 ans de vie) Antonov Airlines estime que l’An-225 qui est exploité en compagnie des An-124-100 pourra voler jusqu’en 2033 ceci étant à envisager sans modernisation profonde de l’appareil. Histoire de se faire une meilleure idée du potentiel de vie restant dans l’appareil, l’An-225 a effectué depuis son premier vol il y a 30 ans, pas moins de 1.015 vols cumulant un total de 3.822 heures de vol avec 676 vols (cumulant 3.151 heures) effectués après sa remise en service en 2001. C’est dire si l’appareil est très loin d’avoir épuisé son potentiel!

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Malgré ses dimensions imposantes, l’An-225-100 est un appareil qui n’est pas dépourvu d’une certaine élégance. Image@Vitaliy Nesenyuk

Il apparaît évident que ni l’Ukraine ni la Russie ne nécessitaient un tel appareil en 1991; l’une par absence d’intérêt pour ses forces armées (l’Ukraine) et l’autre par absence de moyens pour financer une telle acquisition (la Russie a plus besoin d’An-124 que d’An-225), doit-on en conclure pour autant que le projet finira sa carrière sans faire plus de bruit? Rien n’est moins sûr.

C’est de Chine qu’est venu la surprise à la fin du mois d’août 2016 avec la signature d’un licence de production entre des investisseurs chinois et le constructeur ukrainien relatif à la production de l’An-225 sous une forme modernisée en Chine. Des négociations ayant débutés en mai 2016 auraient vu les investisseurs marquer leur intérêt pour l’An-124 et l’An-225, ce dernier de par sa capacité accrue emportant les faveurs locales. Il est vrai que pour la Chine qui dispose des moyens financier et avec Antonov qui cherche à vendre ses bijoux de famille pour assurer sa survie, les intérêts des parties en présence étaient pour le moins convergents. Cet accord permettra notamment à la Chine d’acheter une chose précieuse: du temps. Le développement de son industrie aéronautique locale a traversé beaucoup d’écueils mais avec de la patience et de la persévérance ils ont acquis la quasi totalité des compétences nécessaires pour s’assurer une indépendance stratégique totale en matière industrielle; la flotte de transport chinoise dispose déjà avec le Y-20 d’un appareil dans la catégorie de l’IL-76 mais il lui manque encore un appareil de transport stratégique dans la catégorie An-124/C-5; en faisant le choix de l’An-225, elle mise donc sur une capacité de transport de grande capacité qui en dit long sur son niveau d’ambitions.

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Les L-39C ont l’air ridiculement petits par rapport à l’An-225-100; cependant ils mettent encore plus en valeur la taille du Mriya. Image@Vitaliy Nesenyuk

En l’état actuel des choses, peu d’éléments sur ce projet sont connus mais il est évident que l’An-225 subira une modernisation nécessaire avant d’entrer en production, la question de la motorisation employée n’a pas été précisée excepté le fait que les chinois souhaitent employer le moteur D-18T pour débuter la production; en effet, même si ce dernier n’est pas le moteur le plus moderne du monde, il offre un double avantage:

  • Le moteur existe, est fiabilisé et l’outillage pour le produire est disponible
  • Le moteur peut être produit dans des délais permettant de tenir le planning établi

Les rares informations disponibles parlaient d’un premier appareil disponible dans le courant de 2019 avec réemploi du deuxième prototype inachevé et complété en Chine. Il reste à voir ce qu’il en sera concrètement.

En conclusion

A l’instar d’un grand nombre de programmes ambitieux (et pour la grosse majorité très onéreux); l’An-225 est arrivé au mauvais endroit au plus mauvais moment. Malgré des performances tout simplement époustouflantes pour un avion de sa catégorie, il a perdu son utilité le jour où l’URSS s’est effondrée emportant dans son sillage le programme de navette spatiale soviétique qui donnait à l’An-225 tout son intérêt. Preuve supplémentaire du côté “inattendu” de cette fin peu glorieuse; l’An-225 n’a jamais reçu de certificat de navigabilité définitif mais vole toujours avec une autorisation provisoire… 30 ans après son premier vol.

Récupéré par l’Ukraine et le bureau d’études Antonov, cet appareil hors catégorie dont le sort semblait scellé avec la fin du programme Buran a été habilement reconverti (après une période d’incertitudes) par l’Ukraine en appareil spécialisé dans le transport de charges lourdes hors catégories (notamment des structures pour les industries minières, gazières et pétrolières) qui ne peuvent pas se permettre la perte de temps liée à l’emploi d’une solution maritime.

Il est utile de se rappeler que l’option du transport maritime reste actuellement LA meilleure solution pour assurer le transport de charges lourdes sur de longues distances tout comme c’est le moyen le plus aisé (et surtout LE plus économique!) de déplacer de grosses quantités de troupes et de matériels sur de longues distances. L’aspect économique étant contre-balancé par le facteur temps, en effet, il n’est un mystère pour personne que le transport maritime est beaucoup plus lent que le transport aérien. Et c’est là qu’interviennent les transporteurs aériens stratégiques qui, de par leur vitesse et leur capacité de transport viennent compléter les transporteurs aériens dits tactiques en offrant la possibilité d’un déploiement rapide de grosses quantités de troupes et matériels avec les limitations liées bien évidemment aux dimensions de l’appareil employé.

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Soleil couchant sur l’An-225-100. Image@Vladimir Mikitarenko

Et c’est là que l’histoire devient intéressante; l’An-225 conçu en tant qu’appareil de transport de charges exceptionnelles jamais employé sensu stricto dans un rôle militaire va peut-être devenir à terme le transporteur aérien stratégique dont la Chine a besoin pour devenir une armée disposant d’une forte et rapide capacité de déploiement qui lui manque encore actuellement; ce faisant, la Chine aurait donc pleinement pris conscience du potentiel de cet appareil clairement ignoré (volontairement ou non) qui effectua son premier vol il y a 30 ans.

Si cet amusant rebondissement de l’histoire venait à se confirmer, ce serait un bel hommage rendu aux concepteurs de cet appareil unique en son genre et conçu dans un but autre qui passa plusieurs années à rouiller sans emploi dans un hangar de Kiev… Gageons que la Russie doit certainement se mordre en partie les doigts de ne pas disposer d’un tel appareil dans sa flotte de transport; la rupture des relations russo-ukrainiennes n’arrangeant rien à la situation difficile que connaissent actuellement les VTA avec leur flotte d’An-124-100 Ruslan.

5 réflexions sur “ [Dossier] Antonov An-225 Mriya; le dernier rêve de l’URSS?

  1. Très instructif et amusant (anecdote sur les alliages finalement encore bien d actualité vu leurs réemploi par Boeing!!!)

    Par contre je ne suis pas sûr que la Russie est réellement un besoin avec cet appareil. Pas de rampe arrière, pas de capacité d’utilisation sur pistes rustiques etc… la Russie a déjà une flotte de 124 importante (je ne sais pas après les difficultées qu’il y a avec la flotte) mais je dirai que la Russie a à la limite plutôt intérêts à préparer l avenir donc le remplacement des 124 par un constructeur national. Quitte à, la aussi faire un partenariat avec la Chine.

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