[Actu] Déploiement de deux Sukhoï T-50 PAK FA en Syrie!

La Russie nous réserve régulièrement des surprises, mais celle-ci fait partie des nouveautés que personne (ou presque) n’avait vu venir. Au départ d’une rumeur sur Twitter datée du 21 février et appuyée par des photos de mauvaise qualité ne permettant pas de se faire une opinion précise sur la véracité de l’information; il n’aura fallu que peu de temps pour voir apparaître la confirmation de ce que tout le monde pensait impossible: le déploiement d’au moins deux prototypes T-50 sur la base de Khmeimim en Syrie!

En outre, ce déploiement s’accompagne d’un renforcement des unités déployées sur place avec l’arrivée d’un Beriev A-50U supplémentaire, de quatre Sukhoï Su-25SM et enfin de quatre Su-35S. Ceci est un solide revirement par rapport aux déclarations de fin d’année 2017 où le Président Russe annonçait le désengagement progressif (et réalisé de surcroît) des forces russes en Syrie.

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Le prototype T-50-11. Photo@russianplanes.net

Dans un contexte de tensions croissantes, l’attaque de la base de Khmeimim, la perte d’un Su-25SM russe ainsi que la destruction d’un F-16I Sufa israélien par les défenses sol-air syriennes font que la Russie a décidé de renforcer (à nouveau) sa présence sur place.  Ce renforcement passe notamment par l’ajout de Su-25SM pour les missions d’appui-sol ainsi que de Su-35S pour les missions de supériorité aérienne. La récente destruction d’une partie des défenses sol-air syrienne par l’armée israélienne en réponse à la perte du F-16I n’est certainement pas étrangère au retour d’appareils de supériorité aérienne en Syrie.

Même si les chiffres ne sont pas officiels et les informations parfois difficiles à obtenir; les effectifs en présence sur la base de Khmeimim seraient les suivants:

  • 4 Sukhoï Su-24M
  • 10 Sukhoï Su-25SM (environ)
  • 3 Sukhoï Su-30SM
  • 7 Sukhoï Su-34
  • 6 Sukhoï Su-35S
  • 2 Sukhoï T-50
  • 2 Beriev A-50U
  • 1 (2?) Ilyushin IL-20M/IL-22PP

Ces chiffres étant à prendre avec les réserves d’usage. On le voit donc, la composante « supériorité aérienne » n’est pas exceptionnellement surdimensionnée par rapport aux appareils assurant les missions air-sol. Les Su-34 sont des appareils modernes ne nécessitant pas d’escorte vu leur capacité à se défendre et leur suite de guerre électronique moderne mais ce n’est pas le cas des Su-24M et Su-25SM. On remarque d’ailleurs que le nombre de Su-24M est fortement réduit au détriment des Su-34 par rapport au déploiement initial.

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Trois Su-34 sur la base de Khmeimim. Photo@cnn.com

La grande surprise dans ce déploiement est donc la présence, confirmée grâce à une photo satellite datée du 23 février, d’au moins 2 prototypes T-50 sur la base de Khmeimim.

Le moins que l’on puisse dire c’est que ce déploiement est des plus inattendu et qu’il soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Même si le programme PAK FA en est à la fin de ses tests avec le lancement de la production des appareils de pré-série en cours, les 10 prototypes actifs actuellement présentent tous des stades de finition différents avec des standards d’équipements incomplets.

Sur base des rares photos exploitables, il semble qu’un des deux appareils présents sur place soit le T-50-11 (camouflage « pixelisé » foncé) ce dernier ne disposant pas de la suite de guerre complète, il est donc peu plausible de le voir employé pour assurer des missions offensives impliquant des tirs de munitions. Le deuxième appareil plus difficilement identifiable présente le camouflage blanc et gris des prototypes de la « deuxième version », c-à-d: soit le T-50-6, le T-50-8 ou le T-50-9. Le plus logique serait l’envoi du prototype T-50-9, ce dernier présentant la suite de guerre complète.

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Image satellite de la base de Khmeimim. Photo@Image Sat International

La question principale que ce déploiement soulève est simple et complexe: pourquoi?

Si on se penche sur la question, plusieurs facteurs peuvent entrer en ligne de compte: certains sont évidents, d’autres plus obscurs et les derniers approchent du fantasme. Inutile de tourner autour du pot, le déploiement opérationnel de deux prototypes incomplets et/ou complets d’un point de vue équipements embarqués n’apporte strictement rien aux capacités offensives des Russes sur place.  Le conflit en Syrie nécessite principalement de disposer de capacités d’attaques au sol, la supériorité aérienne n’étant pas une priorité. Certes le T-50 est un appareil multirôles capable de faire de la supériorité aérienne comme de l’attaque au sol, mais les profils de missions qu’il est à même de remplir sont déjà couverts par les Su-35S présents sur place.

D’autres considérations techniques derrière ce déploiement? Si il s’agit de tester la furtivité des T-50; ça semble douteux également. Les prototypes illustrés tant qu’à présent ne semblent pas avoir reçu la peinture absorbant les ondes radars (RAM) permettant de réduire significativement la signature radar des T-50. Pas plus que les prototypes ne disposent des moteurs Izd.30 qui participent de cette même réduction. Par contre et on se retrouve dans une hypothèse beaucoup plus crédible: le test des équipements embarqués en situation réelle et difficile.

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Le T-50-8. Photo@russianplanes.net

Tester les équipements à Akhtubinsk et Zhukovski c’est une chose, se retrouver en (presque) plein désert avec du vent, du sable, des températures élevées ainsi qu’un environnement saturé de radars c’en est une autre. Il est clair que l’intervention russe en Syrie est un excellent moyen pour les militaires de tester l’efficacité de leur matériel le plus moderne dans des conditions réelles et dangereuses (certaines pertes enregistrées en attestent) ceci permettant des retours d’expériences très utiles en matière de mise au point des équipements et des appareils employés sur place. Le déploiement des T-50 prendrait alors tout son sens, permettant d’évaluer le comportement des systèmes embarqués notamment de guerre électronique et de détection ainsi que la facilité (ou non) des conditions de déploiement d’appareils bardés de systèmes électroniques nécessitant plus d’entretien que ceux de leurs prédécesseurs. L’emploi des capteurs des T-50 pour « renifler » les systèmes radars voisins ne laisse guère de doute et ceci est plus que probablement une des causes principales sous-jacente de ce déploiement.

En outre, il ne faut pas oublier la dimension communicationnelle des opérations russes en Syrie. Le déploiement des deux T-50 envoie un message clair sur la confiance qu’ont les militaires dans leur nouvel appareil, ces derniers estimant (ou tout du moins font passer le message) que le design est suffisamment mature pour pouvoir être employé sur une ligne de front. On peut également envisager l’aspect dissuasif vis-à-vis des voisins pour leur signifier que la Russie n’hésite pas à employer ses avions les plus modernes pour exécuter des opérations sur place et dans des zones contestées. Par contre, l’envoi des prototypes sur place pour démontrer une certaine pertinence et/ou supposée supériorité technique dans l’avancement de la mise au point du T-50 par rapport au F-35 peut être rangé sur l’étagère des idées absurdes.

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Un Su-35S sur la base de Khmeimim. Photo@RBTH.com

Autre aspect plus anecdotique, la dimension politique. La Russie se prépare à connaître sous peu de nouvelles élections présidentielles et le discours gouvernemental a toujours été la mise en avant d’une armée forte et moderne qui est capable de défendre le pays et ses intérêts à l’étranger si nécessaire. Pouvoir claironner dans la presse locale que le produit de la meilleure technologie russe est engagé en Syrie va dans ce sens et permet également de justifier l’importance des budgets alloués à l’état pour les forces armées et le complexe militaro-industriel.

Une hypothèse intéressante est la traditionnelle « maskirovka » (маскировка) russe, technique qui consiste à désinformer par tous les moyens possibles et disponibles l’ennemi. La perte récente de plusieurs mercenaires russes travaillant pour Wagner a fait pas mal de bruit en Russie que ce soit dans la presse, les réseaux sociaux ainsi qu’à la Douma. L’approche des élections présidentielles russes s’accordant mal de ce type de polémique aux effets potentiellement dévastateurs pour le président sortant; l’envoi de T-50 pourrait également servir de leurre auprès de la population en détournant les médias de certains sujets délicats à aborder et qu’il est préférable de « ranger sous le tapis« .

On le voit il reste encore beaucoup d’inconnues autour de ce déploiement et au moment de rédiger ces lignes, le nombre de T-50 déployés à Khmeimim n’est pas encore connu avec certitude. Ce déploiement soulève donc beaucoup de questions et n’apporte que peu de réponses; certes l’hypothèse des tests des équipements embarqués en conditions réelles est celle qui est la plus logique et la plus cohérente cependant ce conflit n’a pas été avare en nouvelles surprenantes et à l’utilité opérationnelle parfois des plus douteuses (pensons notamment au déploiement de l’Admiral Kuznetsov). Il est à espérer que la Russie ne perdra pas de prototypes en opérations; les différentes factions rebelles syriennes étant bien dotées en MANPADS modernes, la perte d’un T-50 serait une très mauvaise publicité pour ce dernier.

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Une image possible dans les cieux syriens? Et pourquoi pas? Photo@Sukhoi.org

C’est pourquoi, l’aspect communicationnel n’est certainement pas étranger à ce déploiement; la Russie profite de l’occasion pour faire les mises au point de son nouvel appareil tout en montrant qu’elle dispose d’un appareil moderne et crédible apte à fonctionner dans des zones dangereuses et que les capacités militaires russes viennent de passer une étape importante de leur renouvellement. On peut ne pas être d’accord avec cette manière de voir, elle se justifie pleinement malgré tout pour le gouvernement et l’état-major bien qu’il n’y ait eu aucune communication officielle sur ce déploiement de leur part tant qu’à présent. Indirectement c’est également un bon moyen de signifier aux clients potentiels à l’export de l’appareil que ce dernier est prêt à être vendu.

Le hasard n’existe pas dans ce bas monde.