[Actu] Modernisation du croiseur de bataille Piotr Velikiy
Construits à raison de 4 exemplaires entre 1974 et 1998, les croiseurs de bataille à propulsion atomique Izd 1144 et Izd 1144.2 (Classe Kirov) sont actuellement les plus grands navires du monde, exception faite des porte-avions. Un 5ème navire dans cette classe était prévu mais sa construction sera annulée en date du 4 octobre 1990.
Répondant à la doctrine navale soviétique en ayant pour missions de protéger les porte-aéronefs ainsi que d’engager les groupes aéronavals ennemis, les Kirov sont des navires aux dimensions importantes et au coût de fonctionnement élevé. La chute de l’URSS et la disparition concomitante des budgets militaires ont rendu la vie de ces navires particulièrement complexe surtout au vu de la complexité de leur entretien et des coûts induits.

La tête de série de cette classe, le Kirov (devenu l’Admiral Ushakov en 1992) est mis hors service en 1990 suite à un incident en mer méditerranée et malgré plusieurs décisions contradictoires quant à son avenir, il est immobilisé depuis 2003 à Severodvinsk au sein du chantier naval Zvezdochka et son démantèlement a été décidé en 2015 avec l’appel d’offres pour son recyclage après élimination du combustible nucléaire.
Suivi de peu par le Frunze (devenu l’Admiral Lazarev en 1992), ce dernier est mis hors service en 1997 suite à l’absence de fonds pour le maintenir en état opérationnel. Il est actuellement stocké et conservé en état à Fokino près de Vladivostock, son avenir est toujours incertain bien qu’il ne faille pas s’attendre à un avenir positif pour ce dernier.

C’est en 1988 qu’est admis au service le troisième navire de la classe Kirov; ce dernier répondant au nom de Kalinin (devenu Admiral Nakhimov en 1992). En 1999, il est placé en réserve et conservé en bon état général à Severodvinsk; de manière surprenante alors que l’avenir des Kirov semblait être de finir à l’état de ferraille, en 2006 est prise la décision de le remettre en service après modernisation. Cette modernisation couplée à une recharge du coeur des réacteurs a pour but de donner au navire une prolongation de sa vie active estimée de 30 à 40 ans (!).
Quatrième et dernier navire de la classe Kirov et certainement le plus emblématique: le Piotr Velikiy (prévu pour être le Yuri Andropov) a été admis au service en 1998 au sein de la Marine Russe. Sa construction s’est éternisée vu la disparition de l’URSS mais il est actuellement le seul navire de cette classe en service et ce au sein de la Flotte du Nord.

Comme vu ci-dessus, la modernisation de l’Admiral Nakhimov a été décidée en 2006 et réellement lancée en 2014 une fois que les choix techniques ont été posés et les premiers budgets alloués. C’est le chantier naval Sevmash de Severodvinsk qui est responsable de la modernisation du navire. Les premiers projets tablaient sur une sortie de modernisation de l’Admiral Nakhimov en 2018 mais le retard coutumier des chantiers navals russes ainsi que l’état général du navire (immobilisé durant plusieurs années, il est vrai) font que sa sortie de modernisation n’est plus attendue avant 2022. De plus, la Russie décida de faire passer le Piotr Velikiy, bien que plus récent et en meilleur état, en modernisation également et ce, de manière à disposer de deux navires au même standard et à la pointe en matière de capacités offensives.
Initialement, les plans tablaient sur une entrée en modernisation du Piotr Velikiy au sein du chantier Sevmash après la sortie de l’Admiral Nakhimov, cependant le retard encouru par celui-ci impacte directement la sortie du Piotr Velikiy de modernisation. Bien que des annonces récentes remettaient en question la modernisation du Piotr Velikiy; il se confirme maintenant que ce dernier sera bien remis à niveau et celle-ci démarrera plus tôt que prévu malgré le retard de l’Admiral Nakhimov.

La Russie a donc fait le choix de conserver deux navires de la classe Kirov qui une fois modernisés seront tous les deux portés au standard Izd 1144.2M. Certes, ce maintien en service peut paraître étonnant à plusieurs niveaux mais au vu de l’incapacité chronique russe à financer et produire des navires de taille supérieure à la frégate; ce maintien en service et cette modernisation permettant de conserver « certaines » capacités navales. Il est d’ailleurs intéressant de voir que l’avenir de l’Admiral Lazarev n’est pas définitivement tranché et qu’après l’évaluation de son état général qui reste à réaliser: une décision sur sa réactivation ou son ferraillage sera prise.
Si le contenu de la modernisation a déjà été abordé dans le dossier consacré au Kirov, quelques détails supplémentaires ressortent avec l’avancement des travaux; il s’agit notamment de la confirmation de l’emport des missiles 3M22 Tsirkon au sein des cellules universelles 3S14 UKSK qui prennent la place des missiles P-700 Granit, l’installation du Poliment-Redut en lieu et place du 3K95 Kinzhal ainsi que l’installation du Pantsir-M en lieu et place des Kashtan et Osa-M de défense rapprochée. A l’inverse, on parle toujours de l’installation du système S-300FM à bord et non du S-400; ceci est assez étonnant vu les capacités offertes par le S-400 en comparaison avec son prédécesseur.
Un élément intéressant qui est soulevé dans l’article d’Izvestia concerne le coût total de la modernisation des deux navires; en 2012 il était estimé que la remise en état et la modernisation de l’Admiral Nakhimov coûteraient environ 50 milliards de Roubles. Cependant, l’inflation et l’augmentation des coûts dans la construction navale en Russie depuis 2014-2015 font que les estimations actuelles tablent sur une facture finale d’environ 90 milliards de Roubles rien que pour l’Admiral Nakhimov. En tablant sur le fait que le Piotr Velikiy est globalement en meilleur état que l’Admiral Nakhimov la facture serait peut-être un peu moins importante cependant cette modernisation a de quoi laisser perplexe.

On sait que la Marine Russe a besoin de se rééquiper quasi intégralement et les projets en cours sont régulièrement retardés pour des raisons techniques et financières, mais si l’on prend en ligne de compte le fait qu’une frégate de la classe 11356 Admiral Grigorovich coûte 13 milliards de Roubles, qu’une frégate de la classe 22350 Admiral Gorshkov revient à 18 milliards de Roubles: la modernisation des deux navires de la classe Kirov reviendrait à pas moins de 180 milliards de Roubles, soit l’équivalent de 10 frégates Admiral Gorshkov!
Certes les capacités offertes par les navires ne sont pas du même calibre mais on est quand même en droit de se poser la question de l’utilité d’un tel investissement dans deux navires au détriment du reste de la flotte russe. Si la décision de la modernisation des « flagships » que sont les Kirov est évidemment une décision politique et également technique, la question du maintien en service de deux unités aussi complexes et coûteuses à exploiter a de quoi laisser perplexe surtout si l’on prend en compte le fait que la portée de la modernisation du porte-aéronefs Admiral Kuznetsov a été revue à la baisse pour des raisons budgétaires et qu’une des missions principales des Kirov était d’escorter le porte-aéronefs russe.

Au final, la capacité technique et financière mobilisée sur les Kirov aurait pu être employée à la production d’un nombre accru de frégates permettant de renouveler les effectifs de la Marine Russe. Ceci étant, l’arrivée des nouveaux destroyers de la classe Leader étant reculée à 2025 au minimum, la modernisation des Kirov permet de donner du travail aux chantiers navals et de garder un certain niveau de compétences pour le personnel qui sera – à terme – amené à produire les futurs destroyers à propulsion nucléaire russes.